Il y a quelques jours, la presse citait le cas, à Angoulême, d’un ancien sous-officier qui, pour la seconde fois, avait failli être enterré virant. — Puis un même incident s’est produit à Béziers. — Le fait sinistre des inhumations prématurées est malheureusement trop facile à encourir pour qu’il ne soit pas utile d’enseigner la manière d’y échapper, malgré ce que le sujet peut offrir de macabre. En effet, le danger de la mort apparente n’est pas aussi chimérique que le pensent quelques-uns. La peur d’être enterré ou incinéré virant est très légitime et pleinement justifiée par l’observation. Il existe, en effet, des cas, absolument authentiques, qui se présentent avec toutes les garanties scientifiques, et se dressent, comme une preuve écrasante, en face de ceux qui osent encore nier la réalité.
Nous ne pouvons rapporter ici les nombreux faits que nous avons cités dans nos différentes publications. Le plus sévère contrôle a présidé à l’observation de ces faits, dont quelques-uns sont inédits : ils se présentent à nous avec un tel cachet d’authenticité que nous les trouvons de nature à porter la conviction dans l’esprit des plus incrédules. Dans trois de ces observations, la mort avait été officiellement constatée, et les sujets sont revenus spontanément à la vie juste au moment où, toutes les formalités étant achevées, on s’apprêtait à les porter en terre. Nous avons relevé nous-même sur les registre de la mairie, ct nous tenons en main, comme preuve indéniable, les certificats de décès de ces trois pseudo-morts que l’on a dû de nouveau déclarer être revenus il la vie, ct dont l’état civil porte, de ce chef, la trace indélébile de l’erreur dont ils ont failli être victimes (fig. 8).
Il est donc urgent que l’on avise et que l’on se décide enfin à appliquer des moyens réellement efficaces contre un pareil péril !
Or, les moyens destinés à établir en toute certitude la preuve de la réalité de la mort varient suivant que le diagnostic doit être porté par un médecin ou par une personne étrangère à la médecine, d’ail la nécessité de deux procédés de diagnostic susceptibles de fournir, le premier un signe médical, le second un signe vulgaire de la mort réelle.
Le signe médical de la mort réelle : procédé de la fluorescéine. - Ce signe est fourni par le procédé de la fluorescéine, qui a pour base la persistance des fonctions de la circulation du sang dans tous les cas de mort apparente, persistance qui entraîne, à son tour, celle de l’absorption. Il consiste à injecter sous la peau ou mieux dans une veine superficielle quelques centimètres cubes d’une solution alcaline de fluorescéine. La fluorescéine constitue la substance la plus colorante que l’on connaisse : son pouvoir colorant est tel que la coloration verte qui la caractérise, apparaît encore très nettement, à l’œil nu, dans une solution au 1/45 000 000, c’est-à-dire qu’il suffit d’un gramme de cette substance pour colorer 45 000 litres d’eau [1]. La fluorescéine, injectée à la dose de deux grammes environ en solution alcaline, dans tous les cas de mort apparente, indiquera rapidement la persistante de la vie par la coloration jaune intense que prendront la peau et les muqueuses, et surtout par la superbe coloration verte que présenteront les yeux : le supposé décédé paraîtra avoir une forte jaunisse, et son œil offrira un aspect étrange, comme si une magnifique émeraude avait été enchâssée dans l’orbite.
Nulle autre épreuve que celle de la fluorescéine ne permettra au médecin de constater avec plus de sécurité et de facilité la persistance de la vie ou son irrévocable disparition : alors même qu’il y aurait des cas de mort apparente s’accompagnant d’un arrêt complet de la circulation, notre procédé ne perdrait rien de sa valeur. Tout arrêt, en effet, ne peut être que momentané ou définitif : s’il est définitif, la mort apparente deviendra bientôt la mort réelle, cc qui sera indiqué par l’absence d’absorption de la fluorescéine injectée, absence constatée à des moments différents et aussi éloignés les uns des autres qu’il plaira de les fixer au critique le plus exigeant ; si l’arrêt n’est que momentané, le produit injecté, étant resté sur place, sera pris et entraîné par le sang dès que celui-ci recommencera à circuler, et le moment de cette reprise de la circulation, quelque tardif qu’on puisse le supposer, ne pourra jamais dépasser la vingt-quatrième heure du délai imposé par la loi avant l’inhumation, Dans tous les cas de mort apparente susceptibles d’un rappel à la vie, on constatera donc l’absorption de la fluorescéine, et cette simple constatation nous permettra d’affirmer le retour à la vie bien avant qu’aucun des moyens préconisés jusqu’ici nous ait prévenus du rétablissement de la circulation. Ce qu’il faut pour éviter toute erreur, c’est un moyen de contrôle permanent, automatique, un véritable appareil enregistreur. Or, l’emploi de la fluorescéine constitue un moyen de contrôle possédant au plus haut degré toutes ces qualités : le moyen est d’une application permanente et continue puisqu’il est incorporé au sujet lui-même, si bien que celui-ci l’emporte avec lui dans la tombe ; il est automatique, puisque les résultats se manifestent spontanément, et il réalise un véritable appareil enregistreur puisqu’il suffit d’un simple coup d’œil pour être pleinement renseigné sur la persistance de la vie ou la réalité de la mort.
Des expériences de contrôle répétées dans maints laboratoires ont permis de conclure à la valeur absolue du procédé. Le problème de la mort apparente n’était pourtant pas encore complètement résolu par l’emploi du procédé de la fluorescéine. Ce procédé, en effet, quoique infaillible et fort simple, présente le grave inconvénient de ne pouvoir être appliqué que par le médecin, et c’est en l’absence du médecin, à la campagne surtout, que le danger des inhumations prématurées est à craindre plus particulièrement. Ce qu’il faut ici, ce n’est pas un procédé médical, mais un procédé vulgaire, un procédé permettant à toute personne étrangère il la médecine de se prononcer sans hésitation sur la réalité de la mort.
Le signe vulgaire de la mort réelle : procédé de la réaction sulfhydrique [2] . - En l’absence du médecin, le seul signe de mort absolument sûr est la putréfaction avancée. Malheureusement, ce signe est trop tardif, et il y aurait danger pour l’hygiène à en attendre la manifestation non douteuse : la sécurité publique ne permet pas de pousser si loin la rigueur de l’épreuve. Mais, en vérité, la putréfaction n’est pas un signe aussi éloigné qu’on le croit généralement, et nous sommes arrivé à démontrer que, bien avant l’apparition de la putréfaction évidente, des gaz sulfurés se produisent, dont la présence, dûment constatée, indique la réalité de la mort d’une façon aussi certaine que la putréfaction elle-même.
Ces gaz sulfurés, produits précoces de la décomposition cadavérique, se forment plus spécialement et en très grande abondance dans les poumons, d’où ils s’échappent pal’ les fosses nasales. Il suffira donc, pour avoir la preuve spontanée de la réalité de la mort, d’introduire dans une des fosses nasales, ou de déposer sous une des narines, un petit morceau de papier réactif dont le changement de coloration, sous l’action des gaz sulfurés, fournira aux moins instruits et automatiquement la preuve de la réalité de la mort. Le papier que nous proposons est un morceau de papier à écrire ordinaire sur lequel, avec une solution d’acétate neutre de plomb, on trace des inscriptions, des dessins quelconques qui, en l’état, sont invisibles : la réalité de la mort sera indiquée par l’apparition spontanée des inscriptions ou des dessins sur le papier qui, au moment de son application, paraissait tout à fait blanc. C’est le mort lui-même qui se déclare mort ; c’est lui-même qui dit : « Je suis mort ! » et il fournit la preuve de la vérité qu’il affirme (fig. 1,2 et 3).
Le papier plombé, à la rigueur, peut être remplacé par un morceau de cuivre ou d’argent : une pièce de monnaie de 50 centimes ou de 5 centimes, que l’on déposera sous l’ouverture nasale, conviendra admirablement à cet usage. On aura soin, au préalable, de recouvrir avec un petit morceau de papier collé (fig. 4 et 6) une partie de la surface métallique en contact avec l’ouverture nasale, afin que les gaz de la putréfaction n’agissant que sur la partie restée libre, la réaction devienne très ostensiblement apparente par la différence de coloration nettement tranchée existant entre les deux parties de la surface métallique (fig. 5 et 7). Mais, en vérité, rien ne saurait remplacer le papier plombé. Du reste, pour favoriser la vulgarisation du procédé et en rendre l’application encore plus facile, nous proposons que du papier réactif tout préparé, prêt à être employé, soit remis gratuitement, par les soins de l’autorité municipale, il tout témoin qui se présentera à la mairie, sans certificat de médecin, pour faire une déclaration de décès : ce papier réactif, rapporté à la mairie après réaction, servira de pièce à conviction et établira, aux yeux de l’administration, la preuve que la réalité de la mort a été bien constatée. Ce certificat de décès automatique remplacera le certificat médical impossible à se procurer ici par suite de l’absence de tout médecin, et il le remplacera très avantageusement, puisque les médecins ne cèdent que trop sou vent à la fâcheuse habitude de signer le certificat. qu’on leur demande, sans même visiter une dernière fois le corps du supposé décédé.
La réaction sulfhydrique se produit dans tous les cas de mort réelle et elle fait défaut dans tous les cas de mort apparente ; elle fournit donc un signe de mort infaillible, un signe aussi certain que la putréfaction elle-même, et ce signe est par excellence un signe de mort vulgaire puisqu’il est à la portée de tous. Par une température moyenne, la réaction sc manifestera vers la fin du premier jour ou le commencement du deuxième jour, un peu plus tôt ou un peu plus tard, suivant les circonstances, mais toujours bien avant l’apparition du signe dangereux de la putréfaction. Le signe de la réaction sulfhydrique est donc relativement précoce ; son attente, avant de procéder à l’inhumation, ne lèse en rien les prescriptions de la plus rigoureuse hygiène et favorise même l’application de la loi, laquelle, en désaccord ici avec l’hygiène, défend de disposer d’aucun cadavre avant l’apparition du signe de la putréfaction. Le signe de la réaction sulfhydrique met d’accord la loi et l’hygiène et, pour le plus grand bien de la société, sauvegarde à la fois les prescriptions de l’une et de l’autre.
Il serait temps que l’autorité se préoccupât de la déplorable situation qui est faite, en France.à tous les habitants et plus spécialement aux habitants de la campagne ; souvent ceux-ci sont déclarés morts sur la foi de deux témoins quelconques et descendus dans la fosse sans qu’on ait la preuve de la réalité de leur décès. Un règlement sévère s’impose, donnant toutes les garanties. Déjà plusieurs municipalités - celles de Besançon et de Boulogne ont été des premières - ont rendu obligatoire pour les médecins vérificateurs des décès l’emploi du procédé de la fluorescéine. Espérons que ce bon exemple sera suivi par d’autres villes .et que des mesures seront prises pour que les habitants de la campagne, privés de tout secours médical, puissent bénéficier de la sécurité que leur offre le procédé de la réaction sulfhydrique contre tout danger d’inhumation prématurée.
Docteur lCARD (de Marseille).
Lauréat de l’Institut de France. de l’Acadèmie de Médecine. de la Société Médicale des Hôpitaux de Paris