Les plaies produites par les armes à feu sont confuses au plus haut degré ; de cette contusion excessive dérive une série de phénomènes tous également instantanés, et dont la réunion donne à ces solutions de continuité un aspect caractéristique. Ces phénomènes sont : une lividité prononcée, une désorganisation plus ou moins étendue, une sorte de stupeur qui s’empare des parties blessées, rayonne autour de ce point central et se propage quelquefois à toute l’économie ; enfin une sécheresse remarquable, due à la fois à l’absence de l’écoulement sanguin et à la présence des escarres. Tel est l’aspect général sous lequel se présentent la plupart des blessures produites par les projectiles que met en mouvement la déflagration de la poudre. Il est facile de pressentir que de si graves désordres primitifs doivent en entraîner d’autres beaucoup plus nombreux et plus formidables au moment de la réaction inflammatoire ; c’est, en effet, dans les blessures de cette espèce qu’on voit se produire, dans toutes leurs variétés et sous toutes leurs combinaisons, les accidents généraux des plaies. Ainsi la contusion provoque une inflammation intense ; les perles de substance produisent des suppurations abondantes et des hémorragiques secondaires ; l’écrasement des os et des articulations prédisposent le malade au tétanos et au délire nerveux. Souvent le grand nombre de blessés, leur entassement, font naître la pourriture d’hôpital et la diathèse purulente. Les projectiles enfin s’arrêtent souvent au milieu des tissus, en sorte que la présence d’un corps étranger, rare dans les autres plaies, est ici un phénomène ordinaire, surajouté à cette longue série de complications que nous avons énumérées.
Ces plaies, malgré les caractères qui leur sont communs et qui en font une famille si distincte, offrent entre elles de nombreuses différences, qui dépendent de la forme et du volume du corps qui les a produites, du trajet qu’il a parcouru, de la nature des parties intéressées, et des circonstances qui les accompagnent.
Les projectiles les plus ordinaires sont : les balles, les biscaïens, les boulets, les éclats de bombe, d’obus, de grenade ; les morceaux de mitraille, les grains de plomb ; à ceux-ci il faut ajouter tous les corps solides que ces projectiles détachent ou soulèvent pour les lancer ensuite dans l’espace lorsqu’ils les rencontrent sur leur route. La poudre elle-même, lorsqu’elle prend feu, ne se consume pas toujours entièrement ; les grains qui échappent à la combustion se transforment en véritables projectiles qui pénètrent dans la peau et y demeurent fixés.
Les balles sont ordinairement régulières ; cependant elles peuvent avoir été déformées par leur choc contre un corps dur qui les réfléchit. La même arme peut en contenir deux et même trois ; et alors elles sont quelquefois ramées, c’est-à-dire réunies par un fil d’archal tortillé.
Du mode d’action des projectiles.
Ils agissent différemment sur les parties molles et sur les os.
A. Lorsqu’une balle frappe très-obliquement les parties molles, elle emporte les tissus qu’elle touche et produit une plaie qui se présente sous la forme d’une gouttière. Si son obliquité est moindre, elle traverse la peau en y faisant une ouverture ovalaire ; si sa direction est perpendiculaire à la surface du corps, elle pénètre au milieu des tissus, et alors tantôt elle s’arrête dans leur épaisseur, tantôt elle ne fait que les traverser, et va sortir sur un point plus ou moins éloigné de celui par lequel elle avait pénétré. Dans le premier cas, la plaie qu’elle produit offre la forme d’un cône dont le sommet tronqué répond à l’ouverture d’entrée, tandis que le fond présente des dimensions plus considérables, ce que la plupart des chirurgiens depuis Percy ont attribué à la persistance du mouvement de rotation de la balle. Dans le second cas, elle creuse au milieu des parties molles un véritable canal, dont les dimensions transversales s’accroissent de l’ouverture d’entrée vers l’ouverture de sortie. Les deux ouvertures ne présentent pas ordinairement les mêmes dimensions ; la plupart des chirurgiens s’accordent à dire que l’ouverture d’entrée est la plus petite. Quelques-uns, au contraire, soutiennent que cette ouverture est plus grande que l’ouverture de sortie. Voici ce que l’examen clinique et des expériences nombreuses faites sur des cadavres et des animaux vivants ont appris à Gerdy. Le plus souvent l’ouverture d’entrée est plus grande que celle de sortie ; d’autres fois, les deux ouvertures sont sensiblement égales. En tirant obliquement sur une surface plane, il a obtenu sur le cadavre une ouverture d’entrée ovalaire. En tirant perpendiculairement sur la surface antérieure de la cuisse, la jambe étant fléchie, il a produit des ouvertures rondes qui devenaient transversalement ovalaires par l’extension de la jambe, et surtout par la flexion de la cuisse sur le bassin. La direction dans laquelle la balle vient frapper la peau, l’état de tension ou de relâchement de cette membrane, apportent donc des différences dans l’étendue des ouvertures que produisent les balles.
L’ouverture d’entrée est nette, déprimée vers les parties profondes, toujours plus ou moins confuse ; celle de sortie est irrégulière, saillante au dehors, et présente moins de contusion. Quelquefois le trajet parcouru par la balle est rectiligne, et alors les ouvertures d’entrée et de sortie sont diamétralement opposées ; mais souvent il s’infléchit dans un ou plusieurs points, et prend une direction angulaire, curviligne ou sinueuse. Il résulte de ces déviations que l’ouverture de sortie est quelquefois placée dans une région où l’on n’eût jamais pensé que la balle pût parvenir. Ces déviations trouvent une explication naturelle dans la différence de densité des tissus que la balle traverse ; celle-ci est réfléchie lorsqu’elle tombe obliquement sur des tissus résistants. Les aponévroses, les muscles en contraction et la peau elle-même peuvent déterminer cette réflexion des balles. C’est ainsi qu’on en a vu décrire un trajet demi-circulaire, bien que les deux orifices directement opposés semblassent alors accuser un trajet rectiligne : c’est ainsi qu’on a vu une balle pénétrer sous la peau du front près de la ligne médiane, et aller sortir au niveau de la protubérance occipitale externe, après avoir cheminé entre le cuir chevelu et le crâne. Le même phénomène a été observé autour du thorax, autour de l’abdomen. Dupuytren a vu une balle qui avait pénétré près du cartilage thyroïde venir sortir à une petite distance du même point, après avoir ainsi décrit un trajet circulaire presque complet.
B. Sur les os, les effets déterminés par ces projectiles ne sont pas moins variés ; ils diffèrent pour les os plats, les os longs et les os courts, pour le tissu compacte et pour le tissu spongieux.
- Si la balle qui vient frapper un os plat tombe obliquement sur sa surface, elle peut être réfléchie par l’os d’abord, ensuite par les parties molles qui le recouvrent, et de ces réflexions successives naissent ces mouvements curvilignes qui la détournent des organes splanchniques et la maintiennent à la périphérie du corps. Ces phénomènes se présentent lorsque le projectile rencontre les os du crane, le sternum, ou la face externe des côtes. Dans ce cas, bien que l’os examiné à sa surface externe semble ne présenter aucune altération, on a plusieurs fois constaté sur les os formés de deux lames de tissu compacte (comme les os du crâne, par exemple), des fractures de la table interne. Lorsque la balle est moins oblique dans sa direction, tantôt elle s’arrête au devant de la surface osseuse, tantôt elle la brise en éclats, tantôt elle détermine une simple perle de substance et la traverse. Dans le premier cas, elle se déforme et produit une désorganisation du périoste et une contusion de l’os. Dans le second, il peut y avoir une simple fêlure, ou bien des fêlures multiples et étoilées, ou bien encore des fragments. On a vu quelquefois la balle se heurter contre la vive arête de l’un des bords de la fracture et se diviser en deux moitiés qui, dans leur marche divergente, allaient atteindre l’une les parties profondes et l’autre les parties superficielles. Dans le troisième enfin, on observe que l’ouverture qui succède à la perte de substance est nette, régulière, comme si elle eût été pratiquée à l’aide d’un emporte-pièce ; mais cette netteté ne se présente pas au même degré sur les deux tables de l’os. Sur la table interne, la perte de substance est plus considérable et moins égale ; assez souvent même la perforation de cette table est entourée de fractures multiples. Lorsqu’une balle a traversé le crâne de part en part, l’ouverture de sortie est constamment plus grande et moins régulière que l’ouverture d’entrée. Ces phénomènes sont entièrement semblables à ceux qu’on observe lorsqu’une balle, douée d’une force d’impulsion suffisante, traverse plusieurs planches verticalement placées les unes à la suite des autres. Alors, en effet, la première planche offre, comme dans le cas précédent, deux ouvertures d’inégale grandeur, celle d’entrée à peu près du diamètre de la balle, celle de sortie beaucoup plus large, entourée de nombreuses esquilles. L’ouverture d’entrée de la deuxième planche traversée par la même balle est plus grande que celle de la première, mais cependant plus petite que son ouverture de sortie ; l’ouverture de sortie est encore plus grande que l’ouverture correspondante de la première planche, et ainsi de suite pour les autres.
- Lorsque le projectile rencontre le corps d’un os long et cylindrique, on l’a vu se réfléchir et se porter vers les muscles, qui, contractés et tendus, l’ont réfléchi à leur tour, en sorte qu’il a pu, dit-on, contourner l’os, de la même manière qu’il a contourné le crâne et le thorax. Levacher a publié un fait de ce genre ; mais le plus souvent l’os est brisé en éclats. Ce n’est que dans quelques circonstances tout à fait exceptionnelles que cette fracture a présenté deux fragments seulement, ainsi que Hunter et Boyer l’ont observé, le premier sur le fémur, le second sur l’humérus. Si le corps de l’os est prismatique, comme le tibia, la balle, en tombant obliquement sur l’un de ses bords, peut l’emporter, et l’os demeure écorné. Celle-ci, au contraire, se divisera en deux fragments, si elle vient frapper le bord tranchant de l’os. Dupuytren a vu les deux fragments d’une balle qui s’était ainsi divisée sur la crête du tibia de la jambe droite, traverser toute l’épaisseur des chairs, et aller se perdre dans les parties molles de la jambe gauche, placée derrière la précédente.
- L’action des balles est la même sur les extrémités des os longs et sur les os courts, ou plus généralement sur tous les os formés de tissu spongieux. Mues par une puissance modérée, elles pénètrent dans l’épaisseur de ces os et s’y enclavent à des profondeurs différentes ; animées d’une impulsion plus grande, elles les traversent en creusant des canaux dont la largeur augmente graduellement de l’ouverture d’entrée, qui est petite et régulière, à l’ouverture de sortie, qui est plus grande et entourée d’esquilles. Lorsque la balle pénètre dans l’extrémité d’un os long près des surfaces articulaires, si son trajet n’est pas parallèle à ces surfaces, elle peut se porter vers l’articulation. Lors même qu’elle ne prend point cette direction, il est rare qu’elle n’occasionne pas de fracture dont le foyer communique encore avec la cavité articulaire. Enfin, si le projectile s’éloigne de l’articulation et se rapproche du corps de l’os, en suivant une direction oblique par rapport à celle de ce dernier, il pourra s’engager dans le canal médullaire, ainsi que A. Paré eut l’occasion de l’observer sur le roi de Navarre pendant l’assaut donné à la ville de Rouen.
Les halles cylindra-coniques des armes de précision dont on se sert actuellement sont mues avec une vitesse plus grande et causent des désordres plus considérables que les balles du calibre des fusils de munition : c’est ce qui résulte des faits observés dans la campagne d’Italie de 1859.
Les biscaïens offrent un volume plus considérable que les balles ; leur force d’impulsion est aussi plus grande. Il résulte de là que leur action, quoique analogue à celle de ces dernières, est en général plus meurtrière et qu’ils s’arrêtent plus rarement au milieu des parties molles.
Les boulets sont doués d’une quantité de mouvement si prodigieuse que, devant une semblable puissance, la faible résistance de nos tissus devient tout à fait nulle. Sans se dévier de leur route, ils divisent donc et désorganisent instantanément tout ce qu’ils touchent ; aussi leur action est-elle immédiatement mortelle lorsqu’elle porte sur les cavités splanchniques. S’ils frappent un membre d’un diamètre à peu près égal à celui qu’ils présentent, ils l’emportent. Le moignon qui succède à cette espèce d’amputation instantanée est remarquable par son extrême irrégularité ; l’os est brisé en esquilles, la peau, les muscles, les tendons, divisés à des hauteurs différentes ; flottent en lambeaux inégaux et déchirés à la surface de la plaie, rendue livide par l’infiltration du sang au milieu de toutes ces parties plus ou moins désorganisées. La division des vaisseaux artériels présente la même irrégularité ; leurs tuniques internes, plus fragiles, se rompent d’abord ; la tunique celluleuse se déchire plus bas que les premières. Les débris de ces deux tuniques et le retour sur elle-même de la troisième s’opposent à l’effusion du sang, qui est ordinairement peu considérable, malgré une si grave mutilation. Les boulets qui effleurent la surface du corps enlèvent également les parties soumises à leur contact : c’est ainsi qu’ils ont quelquefois emporté le mollet, une partie de la fesse, qu’ils échancrent le tronc ou les membres, et déterminent de cette manière des plaies dont la cicatrisation est rendue impossible par la perte de substance trop considérable que les parties ont éprouvée.
Lors même que la force d’impulsion que possèdent ces projectiles est à peu près complètement épuisée, ils conservent encore la funeste propriété de produire les lésions les plus graves. Le tissu cellulaire, les muscles, les vaisseaux, sont réduits en bouillie ; les tissus fibreux sont dilacérés, les os brisés comminutivement ; la peau seule, par sa souplesse, échappe alors le plus souvent à la désorganisation. On voit quelquefois sur les champs de bataille des militaires périr subitement sans lésions apparentes. Ces morts subites étaient autrefois attribuées à la malignité du vent du boulet ; mais l’autopsie, en révélant les désordres que nous venons de signaler, désordres dont les organes contenus dans les grandes cavités ne sont point exempts, a fait depuis longtemps justice d’une explication si opposée aux principes de la physique la plus élémentaire.
Les éclats de bombe, d’obus, de grenade, diffèrent des projectiles précédents par l’irrégularité de leur surface hérissée d’angles et de bords dentelés ou tranchants ; Il volume égal, les plaies qu’ils occasionnent sont plus étendues ; elles saignent davantage, et donne souvent lieu à des hémorragies dangereuses. Les corps que les projectiles détachent ou soulèvent sur leur passage se rapprochant des éclats de bombe par leur forme irrégulière, produisent des effets analogues, mais ils agissent avec moins d’intensité ; ce que leur impulsion plus faible et leur densité, en général bien inférieure à celle dos métaux, expliquent suffisamment.
Les grains de plomb déterminent des blessures qui offrent en général peu de gravité. Le plus souvent ils s’arrêtent au milieu des organes, à des distances inégales ; ils déterminent peu de douleur, peu d’inflammation. Les tissus se cicatrisent sur eux, et ils demeurent ainsi enfermés dans l’économie, durant de longues années, sans causer d’accidents, et même sans manifester leur présence par de la douleur ou du malaise. Cependant, si le coup a fait balle, c’est-à-dire si tous les grains ont pénétré comme une seule masse dans l’épaisseur des parties molles, la plaie deviendra grave, et même plus grave que celle qui eût été produite par une balle ; car tous ces grains, qui ont pénétré comme un seul corps, ne tardent pas, lorsqu’ils sont parvenus à une certaine profondeur, à prendre des directions divergentes. Les tissus, dilacérés dans tous les sens, ne pouvant se cicatriser par première intention, comme lorsque les grains pénètrent isolément, s’enflamment, suppurent, et la plaie demeure compliquée de la présence d’un grand nombre de corps étrangers qui, le plus souvent, échappent à toute tentative d’extraction.
Les grains de poudre s’implantent dans la peau, et y demeurent pendant toute la durée de l’existence, sans produire aucun accident ; mais comme ils n’atteignent que les parties découvertes, le plus ordinairement la face, et qu’ils tranchent par leur couleur sur celle des téguments, ils constituent, lorsqu’ils sont très-nombreux, une sorte de tatouage, préjudiciable à l’expression et à l’agrément de la physionomie.
Après avoir étudié isolément le mode d’action de chacun de ces projectiles, il nous reste à exposer les phénomènes primitifs et consécutifs, ainsi que les accidents des plaies qu’ils produisent ; et enfin le traitement qui leur convient.
Symptomatologie.
A. Phénomènes primitifs
- La contusion et la désorganisation des bords de la plaie sont en général proportionnelles au volume des projectiles, les tissus divisés présentent à leur surface une coloration brune, livide, qui s’étend souvent à de grandes distances au milieu des parties saines environnantes, en offrant les teintes ordinaires et progressivement décroissantes de l’ecchymose ; les vaisseaux capillaires directement broyés au niveau de la plaie, simplement rompus dans les tissus ambiants par le contre-coup du reflux des liquides, expliquent ces différences, et toutes les variétés qu’on observe dans la coloration livide des parties blessées. La désorganisation est partielle ou complète, superficielle ou profonde ; mais dans tous les cas, les parties contuses privées de vie restent adhérentes et collées à la surface de la plaie par la petite quantité de sang coagulé qui la recouvre, en sorte que celle-ci, pur son aspect, offre une certaine analogie avec les blessures occasionnées par la cautérisation. Cette apparence avait fait croire à la cautérisation des tissus par les projectiles ; erreur réfutée depuis longtemps par Bartholomœus Maggius, par Laurent Joubert, et,avant ces auteurs, par A. Paré, qui en avait fait voir toute la futilité, en montrant qu’on pouvait faire passer une balle au travers d’un monceau de poudre sans l’enflammer.
- L’écoulement sanguin est ordinairement peu considérable, même à la surface des plaies les plus étendues, la petite quantité de sang qui abandonne les vaisseaux capillaires dilacérés ou désorganisés se coagule au milieu des escarres, fait corps avec elles, et constitue ainsi une couche inorganique, d’abord humide, mais qui ensuite se dessèche au contact de l’air, et par son adhérence aux parties sous-jacentes s’oppose à l’effusion ultérieure du sang. Si un gros tronc artériel a éprouvé une violente contusion, et même une désorganisation complète sur un point de sa circonférence, ce point, confondu avec les escarres environnantes, trouve en elle un appui assez solide pour résister à l’effort latéral du sang, et l’hémorragie n’a pas lieu. Lorsqu’un membre est emporté par un boulet, nous avons vu que la déchirure des trois tuniques artérielles à des hauteurs différentes suffisait souvent pour prévenir cet accident ; cependant on observe quelquefois des hémorragies primitives à la suite des plaies par armes à feu : ce phénomène se présente surtout lorsqu’une artère volumineuse, l’artère crurale par exemple, a été échancrée par une balle, et lorsque la plaie est produite par un éclat de bombe, ou par un de ces projectiles secondaires que les boulets animent de leur impulsion.
- La stupeur est un phénomène éminemment propre aux plaies d’armes à feu. Les parties blessées, loin d’être le siège d’une douleur plus ou moins vive, sont frappées d’une sorte d’engourdissement, avec diminution de la sensibilité, abaissement de la température, sentiment de pesanteur, prédisposition toute spéciale à l’engorgement et à la mortification. Cette stupeur, ordinairement circonscrite dans un rayon peu étendu, peut devenir générale, surtout lorsque la blessure siège aux membres inférieurs et qu’elle Il entraîné de grands délabrements des os et des parties molles. Le malade est alors couché sur le dos, il conserve la position qu’on lui donne ; si on soulève l’un de ses membres, celui-ci retombe comme une substance inerte ; l’œil est fixe, la pupille dilatée, la face pâle, la respiration lente, le pouls extrêmement faible : toutes les fonctions des sens sont émoussées ; l’intelligence est affaiblie ; cependant le blessé répond aux questions qu’on lui adresse, mais d’une manière toujours brève ; il est indifférent à tout ce qui l’entoure. Tel était l’état de ce malade dont parle Quesnay, dont l’état de commotion était tel, que l’amputation de sa jambe fracassée lui ayant été proposée comme unique moyen de salut, il répondit que ce n’était point son affaire. La peau devient froide, souvent elle prend une teinte plombée ; il survient des horripilations, des faiblesses, des syncopes. Un état aussi grave doit être considéré comme l’indice d’une terminaison funeste, s’il ne se dissipe au bout de quelques heures.
B. Phénomènes consécutifs.
La sensibilité renaît peu à peu dans les parties blessées : avec le retour de la sensibilité coïncide l’apparition de la douleur. Du deuxième au quatrième jour, l’inflammation se déclare et se montre d’autant plus intense que la contusion a été plus violente. Elle est caractérisée par une douleur vive, par un engorgement considérable, par la tension et la rougeur des parties environnantes, et tous les phénomènes généraux qui forment le cortège de la fièvre traumatique. Les tissus dans lesquels la vie n’est pas complètement éteinte achèvent de se mortifier au moment de cette réaction inflammatoire ; la membrane pyogénique s’étend entre les parties qui continueront à vivre et celles qui, étant mortifiées, doivent être éliminées. La suppuration s’établit, et, du huitième au douzième jour, les escarres se détachent ; alors seulement la plaie se montre dans toute son étendue.
Lorsque la perte de substance a été considérable, et surtout lorsque celle déperdition est encore augmentée par des éliminations secondaires au moment où les phénomènes inflammatoires se déclarent, la suppuration est si abondante qu’elle peut causer un affaiblissement extrême, et même la mort par épuisement complet des forces si elle se prolonge. Les plaies que déterminent les boulets, lorsqu’ils viennent creuser dé larges gouttières à la surface du tronc ou des membres, exposent principalement les blessés à cette fâcheuse terminaison. Lorsque le malade est assez heureux pour résister à cet épuisement, et que la plaie se cicatrise, il demeure soumis à tous les inconvénients d’une cicatrice qui s’est opérée aux dépens de l’organisation de la membrane granuleuse ; aux douleurs, aux inflammations réitérées, aux ulcérations qui se montrent si souvent dans ce tissu, et enfin aux rétractions dont il est l’agent, rétractions assez puissantes pour dévier les surfaces articulaires, anéantir un ou plusieurs de leurs mouvements.
C. Accidents ou complications.
- L’inflammation, quelque intense qu’elle soit, est cependant encore un phénomène propre et en quelque sorte naturel dans cette espèce de plaie, tant qu’elle est limitée aux parties divisées ; mais il est rare qu’elle ne franchisse point cette limite. Quelquefois elle se propage au loin sur la peau et se montre sous les formes variées de l’érysipèle, de l’angiocholite ou de la phlébite ; mais plus souvent elle s’étend au tissu cellulaire sous-cutané, et alors une vaste suppuration diffuse ne tarde p.as à se montrer ; ou au tissu cellulaire sous-aponévrotique et intermusculaire, et, dans ce dernier cas, la compression que toutes les parties profondes engorgées et tuméfiées éprouvent de la part des plans fibreux cause un redoublement d’intensité dans les phénomènes inflammatoires qui peuvent alors amener la gangrène des membres ; cet accident est cependant très rare. Le plus souvent, des phlegmons profonds, des fusées purulentes, qui dénudent les muscles et les tendons, sont le résultat de cette compression ; ou bien, si la gangrène se montre, c’est sous la forme d’escarres limitées aux parties qui ont été le plus violemment comprimées.
- L’hémorragie, rare comme phénomène primitif, est fréquente, au contraire, comme phénomène consécutif ; elle se montre au moment de la chute des escarres. Nous avons vu que celles-ci sont éliminées du huitième au douzième jour. On aurait donc pu croire que l’oblitération des vaisseaux est alors assez complète pour qu’on n’ait point à redouter un accident de cette nature ; mais n’est-il pas probable que l’inflammation si violente qui se développe dans les plaies d’armes à feu peut ralentir ou troubler ce travail d’oblitération ? On a vu ainsi des hémorragies foudroyantes se déclarer subitement, et mettre un terme à la vie du malade, au moment où l’état de sa blessure lui laissait entrevoir une prompte guérison.
- Le tétanos se montre surtout à la suite des plaies compliquées de déchirure des parties molles, et d’écrasement des os et des articulations. Cependant nous avons vu qu’une prédisposition toute spéciale et les changements brusques de température paraissent exercer sur le développement de cette complication une influence plus grave et plus manifeste que l’état même de la blessure.
- Le délire nerveux apparaît lorsque l’état de stupeur est dissipé et que la réaction générale se déclare ; il est favorisé par les émotions si vives et de nature si variée qui agitent ordinairement l’âme des blessés pendant la durée et la suite d’un combat.
- La diathèse purulente et la pourriture d’hôpital trouvent dans le grand nombre et l’encombrement des blessée la plupart des conditions favorables à leur développement. De là résulte, en effet, l’accumulation des malades dans des salles insuffisantes, et cette accumulation produit l’insalubrité et toutes les fâcheuses conséquences que celle-ci entraîne ; en outre, ces plaies, étant compliquées de pertes de substance, sont toujours longues à se cicatriser, et restent pendant toute cette durée exposées à la pourriture d’hôpital. Les phlébites, les suppurations diffuses, les fractures comminutives, sont autant de circonstances favorables à la production de la diathèse purulente. Ces deux complications ont exercé souvent de grands ravages, surtout dans les hôpitaux militaires situés au voisinage d’une armée. La plupart des blessés qui succombent périssent victimes de l’un ou de l’autre de ces deux accidents, véritables fléaux qui semblent ainsi vouloir compléter l’œuvre de destruction commencée par la main de l’homme.
- Les corps étrangers, par leur présence au sein des parties blessées, sont fréquemment la source d’accidents graves. Ils ne sont pas seulement constitués par les esquilles, dont nous parlerons bientôt : souvent les projectiles s’arrêtent au milieu des tissus ; en outre, ils poussent au-devant d’eux les corps qu’ils trouvent sur leur passage, la bourre de l’arme, les vêtements du malade, des boutons, des pièces de buffleteries, des débris de toute espèce. Il est d’une haute importance de reconnaître la présence de ces corps étrangers cachés dans l’épaisseur des organes, et ce diagnostic s’entoure quelquefois de grandes difficultés. Si la plaie faite par une balle offre deux ouvertures, il est probable que le projectile n’a fait que traverser les parties ; mais la même arme pouvait contenir plusieurs balles, l’un de ces projectiles a pu se porter au dehors, et les autres s’arrêter dans les tissus sur des points différents ; en outre, si une seule balle a pénétré, elle a pu se diviser à la suite d’un choc contre le bord tranchant d’un os, et il n’est pas rare alors de voir l’un des fragments seulement s’ouvrir une issue extérieure. L’existence d’une seule ouverture semble accuser d’une manière certaine la présence d’un corps étranger dans la profondeur de la plaie ; cependant elle est loin d’en être la preuve irrécusable : la balle pousse quelquefois au-devant d’elle les vêtements du malade, et peut, sans les déchirer, pénétrer assez loin dans l’épaisseur des tissus. Ambroise Paré a vu un de ces projectiles qui avait pénétré dans la jambe sans diviser la boue du blessé, en sorte qu’elle avait été extraite avec son enveloppe au moment où la botte avait été retirée. Plus souvent, un phénomène semblable a été produit par les vêtements du malade. Il est donc important pour s’assurer de la présence ou de l’absence de la balle dans une plaie, d’examiner les vêtements, afin d’acquérir la certitude qu’elle les a divisés et traversés, ou qu’elle les a laissés intacts et y est demeurée cachée.
La bourre, les pièces de métal, d’étoffe, tous les corps étrangers que les balles entraînent s’arrêtent ordinairement à peu de profondeur ; en sondant la plaie, il est ordinairement facile de les reconnaître et de les enlever.
Quant aux projectiles plus volumineux, il est beaucoup plus rare de les trouver au milieu des plaies qu’ils occasionnent ; cependant les biscaïens s’y arrêtent quelquefois, les boulets mêmes ont pu pénétrer et séjourner dans certaines régions. Larrey a vu, sur un canonnier, un boulet de cinq livres qui, après avoir pénétré par la partie inférieure et externe de la cuisse, était venu se loger dans le pli de l’aine, où il n’avait point été reconnu par les premiers chirurgiens qui avaient examiné le malade. En 1814, Sanson a extrait de la cuisse d’un artilleur un boulet de neuf livres qui occupait la partie supérieure et interne de la cuisse.
Les fractures produites par les projectiles sont presque constamment comminutives ; les fragments, très multipliés si l’os a été brisé dans sa partie moyenne, sont mobiles au milieu des parties molles, et les irritent vivement ; de là des accidents de toute espèce, de vastes inflammations, des abcès, des fistules, des suppurations intarissables, des nécroses. Parmi les fragments, les uns sont entièrement détachés et dès lors privés de vie, et transformés en véritables corps étrangers ; les autres sont encore adhérents aux parties molles ; ils pourraient se recoller et continuer à vivre, mais les accidents inflammatoires qui surviennent ne tardent pas à les isoler complètement. Ces mêmes accidents et la suppuration abondante qui les accompagne dénudent souvent le corps de l’os ; celui-ci su nécrose, et cette partie nécrosée est aussi détachée et isolée à son tour. C’est là ce qui a fait admettre à Dupuytren trois classes d’esquilles : des esquilles primitives, des esquilles secondaires, et enfin des esquilles tertiaires. Lorsque la fracture siège à l’extrémité d’un os long et communique dans l’intérieur de l’articulation, la communication du foyer de la fracture avec la membrane séreuse articulaire est un accident des plus funestes, suivi d’une inflammation si violente que la mort en est ordinairement la conséquence, si l’on ne se hâte de pratiquer l’amputation du membre.
Pronostic.
On peut dire d’une manière générale que les plaies d’armes à feu sont extrêmement graves. Le malade peut succomber dans toutes les périodes qu’elles présentent :
- au début, et alors il succombe dans un état de stupeur, rarement par suite d’une hémorragie ;
- au moment où éclate la réaction générale, et, dans ce cas, il périt au milieu de tous les phénomènes généraux qu’entraîne une fièvre traumatique intense ;
- pendant l’organisation de la membrane pyogénique : dans cette dernière période, il meurt d’épuisement ; en outre, il est exposé à tous les dangers qui accompagnent les complications si variées que nous venons de passer en revue. La mort est donc une conséquence fréquente de cette plaie. Toutefois ce pronostic fâcheux s’applique surtout aux blessures produites par les biscaïens, les boulets, les éclats de bombe ou d’obus, et les balles lorsqu’elles ont brisé les os ; mais lorsque celles-ci ont divisé seulement les parties molles sans atteindre les gros vaisseaux, les plaies qu’elles produisent se cicatrisent le plus souvent sans accident, quelquefois même assez promptement : Sanson a vu le trajet creusé par une balle au travers de la cuisse se réunir par première intention ; mais cette réunion immédiate est un fait exceptionnel.
Traitement.
Il se compose de moyens généraux et locaux.
A. Le traitement général trouve ses Indications dans la marche naturelle de ces plaies. Chaque période réclame des moyens différents : la période de stupeur, les stimulants et les cordiaux ; la période de réaction inflammatoire, les anti-phlogistiques locaux et généraux ; la période de suppuration, divers moyens corroborants, mais les agents qui composeront le traitement prescrit pour chacune de ces trois époques seront toujours employés avec une grande prudence ; ainsi, dans la première période, les stimulants seront assez actifs pour ranimer le blessé, mais ne doivent jamais être assez violents pour provoquer une réaction inflammatoire intense qu’il faudrait combattre plus tard. C’est ainsi, également, que les antiphlogistiques, nécessaires lorsque cette réaction se produit, seront cependant toujours modérés, afin de ne point trop diminuer les forces du malade, qui lui seront si utiles pour résister à une longue suppuration. La même prudence dirigera la médication corroborante, afin d’éviter un retour d’intensité dans les phénomènes inflammatoires. Dans la stupeur, on entourera le malade d’une douce chaleur, et l’on fera usage isolément ou collectivement de potions cordiales et éthérées, d’un vésicatoire volant placé sur un membre ou sur le tronc, de vin généreux pris en petite quantité, et, dans quelques circonstances, de lavements excitants. Dans la période d’irritation, une ou deux évacuations sanguines modérées suffiront le plus souvent ; la diète, sévère d’abord, deviendra moins rigoureuse les jours suivants ; de doux purgatifs, l’émétique en lavage, seront aussi utiles. Enfin, le régime corroborant se composera d’aliments riches en principes nutritifs et non excitants, de vins de bonne nature étendus d’eau dans des proportions qui pourront varier, mais qui se rapprocheront ; en général, de celles d’un mélange à parties égales.
B. Le traitement local n’est pas aussi simple dans les indications qu’il présente ; il est subordonné à l’état de la plaie, et les phénomènes qui accompagnent celle-ci sont si variés qu’il est à peu près impossible de l’appuyer sur des principes d’une application constante. Toutefois, en observant les modifications qui se succèdent sur les plaies d’armes à feu dans le cours de leur guérison, on peut saisir quelques indications qui s’appliquent à un assez grand nombre de faits. Parmi ces indications, les plus importantes sont relatives :
- aux incisions immédiates connues sous le nom de débridements ;
- à l’extraction des corps étrangers ;
- aux premiers pansements et soins consécutifs ;
- aux diverses complications qu’elles peuvent présenter.
La plupart des chirurgiens pensent que, dans le traitement d’une plaie d’arme à feu, la première indication consiste à en changer en quelque sorte la nature, et à la transformer en une plaie par instrument tranchant au moyen d’une ou de plusieurs incisions ; ces incisions constituent une opération à laquelle on a donné le nom de débridement. Par cette opération, on se propose de prévenir l’étranglement et les fâcheuses conséquences qu’il amène, telles que la gangrène, les fusées purulentes, la dénudation des os et des tendons, de faciliter le dégorgement des parties enflammées, et d’ouvrir une voie pour la sortie des escarres, du pus et des corps étrangers. Le débridement est nécessaire lorsque la plaie est étroite, profonde et située sur une région entourée de fortes aponévroses ; on le pratiquera donc souvent avec utilité lorsque la plaie aura son siège à la cuisse, à la jambe, sur le cuir chevelu ou sur les parties postérieures du tronc à la région lombaire ; mais les plaies qui intéressent les parties latérales et antérieures de la poitrine ne réclament point cette opération ; celles même qui siègent sur les membres ne présentent aucune indication de débridement lorsqu’elles ont éprouvé des pertes de substance considérables. Si elles revêtent la forme d’un canal superficiel, de manière que les parois de ce canal soient constituées en dehors par les téguments, il faudra éviter de les débrider, car par cette disposition elles se rapprochent pour ainsi dire des pluies sous-cutanées dont la cicatrisation est si facile et si prompte.
Le débridement est pratiqué à l’aide d’un bistouri boutonné, conduit sur le doigt indicateur gauche jusque dans les parties les plus profondes de la plaie ; si le doigt ne peut être introduit, on se sert d’une sonde cannelée ; quelquefois une seule incision peut suffire, mais le plus souvent deux, et même trois seront nécessaires : elles devront être toujours parallèles à la direction des vaisseaux et des nerfs, et perpendiculaires à celle des tissus fibreux. Il est difficile de satisfaire à ces deux conditions dans la même incision : de là l’utilité des incisions multiples, les unes profondes, les autres superficielles, les premières parallèles aux gros troncs vasculaires et nerveux, les secondes perpendiculaires aux aponévroses. Ces incisions sont suivies d’un écoulement de sang qui varie dans sa quantité, et doit être considéré comme une saignée locale dont les effets sont presque toujours avantageux ; il convient donc de le favoriser tant qu’il se montre modéré.
Nous avons vu que trois espèces de corps étrangers peuvent séjourner dans les plaies par les armes à feu : 1° les projectiles ; 2° tous les corps qu’ils poussent devant eux ; 3° enfin les esquilles ; nous avons vu en outre que la présence de ces corps étrangers dans l’épaisseur des tissus enflammés entraîne ordinairement des dangers ; il est donc urgent de procéder à leur extraction. Voici les règles qui doivent diriger la conduite du chirurgien dans leur recherche :
- les parties blessées seront placées dans la position qu’elles occupaient au moment de l’accident ; alors, en effet, tous les tissus se retrouvent dans le même état de tension ou de relâchement qui se présentait lorsque le projectile est venu les atteindre. Le canal creusé par celui-ci reprend en partie au moins ses dimensions et sa direction primitives. Ce fut l’application habile de ce précepte, dit Percy, qui couvrit de gloire A. Paré, lorsque, appelé auprès de M. Brissac, grand-maître de l’artillerie, blessé au camp de Perpignan, il lui trouva presque sous la peau, plus bas que l’omoplate, la balle que plusieurs chirurgiens n’avaient pu rencontrer, et qu’ils soutenaient avoir pénétré dans la poitrine, parce qu’ils n’avaient point mis les parties dans une position convenable pour faciliter leur exploration. Toutefois, il ne faudra pas fatiguer le malade par une application trop rigoureuse de ce principe ; car une balle peut avoir été réfléchie et plus ou moins déviée ; alors la précaution de placer le blessé exactement comme il était lorsqu’il a reçu le coup, loin de favoriser la découverte du projectile, pourrait devenir un moyen de le mieux cacher, en ramenant sur lui les parties qui l’avaient écarté de sa direction rectiligne, et derrière lesquelles il peut s’être arrêté. Par conséquent, si, après avoir rétabli la position primitive, on n’a pu arriver jusqu’au corps étranger, il faudra, en se basant sur la connaissance anatomique des parties blessées, diversifier les mouvements et la situation, de manière à découvrir une altitude plus favorable à l’extraction du projectile.
- Lorsque la balle a pénétré à une grande profondeur, et qu’elle est peu éloignée des téguments qui recouvrent la partie opposée à celle par laquelle elle est entrée, il faut pratiquer une contre-ouverture qui rendra son extraction facile.
- Il est presque toujours indispensable d’agrandir l’ouverture par laquelle le projectile a pénétré lorsqu’on veut le retirer.
- Le doigt indicateur est le meilleur instrument qu’on puisse employer pour reconnaître la présence des corps étrangers et les extraire ; mais il n’est applicable qu’aux cas les plus simples ; c’est-à-dire à ceux dans lesquels le corps étranger est superficiel et la plaie assez large.
Lorsque le canal creusé par le projectile est étroit et profond, d’autres instruments deviennent nécessaires ; on en a imaginé un très grand nombre, connus sous le nom générique de tire-balle. La plupart sont tombés dans l’oubli ; ceux qui ont survécu à l’épreuve de l’expérience, et qu’on emploie généralement aujourd’hui, sont : les pinces, la curette et le tire-fond. Les pinces sont composées de deux branches longues d’environ 30 centimètres, croisées et articulées à leur partie moyenne, munies à l’une de leurs extrémités de cuillers qui se regardent par leur concavité, et à l’autre d’anneaux qui servent à les saisir et à les mouvoir. La curette est formé par une tige, offrant une cavité hémisphérique à une de ses extrémités, Thomassin a modifié la curette en y ajoutant une seconde tige qui glisse à la faveur d’une coulisse sur la tige principale, et qui, poussée vers la cavité hémisphérique, s’implante sur la balle, à l’aide d’un biseau tranchant qui la termine, et la retient ainsi solidement dans celle cavité ; l’addition de cette tige rend l’usage de la curette plus sûr.
Le tire-fond est une espèce de vis à filet double, et à deux-pointes supportées par une tige que termine un anneau. Ces trois instruments ont été réunis en un seul par Percy ; cet instrument, appelé tribulcon, est composé, comme la pince, de deux tiges longues de 30 à 34 centimètres, articulées à la manière des branches du forceps, c’est-à-dire à l’aide d’un cliquet ou d’un bouton tournant, qui permet de les séparer ou de les réunir suivant qu’on se propose de les introduire isolément ou toutes deux simultanément ; la branche mâle et la branche femelle se terminent d’un côté par les cuillers disposées comme dans les pinces ; du coté opposé, la branche femelle, celle qui reçoit le cliquet, porte une cavité hémisphérique qui remplace la curette, tandis que la branche mâle est creusée d’un canal cylindrique dans lequel on introduit le tire-fond, qui y est ensuite fixé par quelques tours de vis ; l’anneau qui termine le tire-fond, et la curette qui termine la branche femelle, permettent de saisir l’instrument avec facilité.
Ces instruments doivent être préalablement enduits d’une couche d’huile qui favorise leur introduction.
Lorsqu’on fait usage de la curette simple, on l’introduit lentement, en suivant le trajet de la plaie, jusqu’à ce que l’instrument l’encontre un obstacle ; quelques coups secs et légers apprennent au chirurgien, par leur résonance métallique, s’il est arrivé jusqu’au corps étranger ; alors, inclinant la tige de la curette, de manière à glisser le bord de la cavité hémisphérique entre la balle et les chairs à la manière d’un coin, il la saisit, et inclinant ensuite un peu la branche de l’instrument du coté opposé de la plaie, afin que le corps étranger, par son propre poids, tende à rester dans la cavité de la curette, il retire celle-ci en suivant une même direction. Si l’on emploie la curette de Thomassin, avant de retirer l’instrument, il faut avoir la précaution d’abaisser la tige mobile, de manière à fixer la balle, et à prévenir sa chute, qui obligerait le chirurgien à renouveler les mouvements nécessaires pour la saisir.
Si l’on se sert des pinces, on les introduit fermées ; lorsque le choc métallique avertit de la présence du projectile, on écarte les anneaux, et par suite les cuillers ; quelques mouvements convenables permettent de le saisir, et alors on retire peu à peu l’instrument et le corps étranger, soit à l’aide de tractions directes, lentes et modérées, soit à la faveur d’un mouvement oscillatoire des branches. Lorsque la balle est profonde et le trajet un peu sinueux, il est préférable de mettre en usage l’instrument de Percy ; dans ce cas, il convient d’introduire d’abord la branche mâle, puis la branche femelle, on les articule ensuite ; souvent des corps qui avaient échappé aux pinces ont pu être saisis et retirés de cette manière.
Quand la balle est implantée dans un os superficiel, un simple élévatoire ou une spatule peuvent suffire pour la détacher ; lorsqu’elle est située plus profondément, et fixée dans la position qu’elle occupe, il faut recourir au tire-fond, qu’on conduit jusqu’au corps étranger sur le doigt indicateur, qui, après lui avoir servi de conducteur, se maintient fixe à la surface du projectile, pendant qu’on lui imprime un mouvement de rotation sur son axe, afin de faire pénétrer les deux pointes. L’implantation du tire-fond exige un effort de pression assez considérable ; on ne pourra donc en faire usage que lorsque la balle trouve dans les parties qui l’entourent des points d’appui suffisamment résistants ; il faut encore, pour que le tire-fond soit utile, que celle-ci, déformée et aplatie, n’offre pas des dimensions plus grandes que l’ouverture d’entrée du canal osseux ; lorsqu’il en est ainsi, il ne reste d’autre ressource que l’emploi de la gouge et du maillet, ou mieux l’application d’une couronne de trépan, qui agrandit le canal osseux en emportant en même temps et les parois de ce canal et le corps qui y séjourne.
Quant aux corps étrangers différents des projectiles, l’absence du choc et de la résistance métallique les rend plus difficiles à reconnaître ; mais comme ils sont en général moins éloignés de la surface de la plaie, les pinces à pansement ordinaires les saisissent facilement. La mollesse de ces corps peut faire craindre qu’on ait saisi un lambeau de tendon, de muscle ou d’aponévrose ; la prudence exige alors qu’on fasse des tractions très-légères ; l’absence de douleurs et le défaut total de résistance indiquent au chirurgien qu’il a saisi un corps inerte dont l’extraction est sans-danger. Les grains de poudre seront successivement extraits avec la pointe d’une aiguille et le plus tôt possible ; car, ainsi que l’avait déjà observé Maggius, les petites plaies qu’ils produisent se cicatrisent immédiatement, et après cette cicatrisation l’extraction n’est plus possible.
Les recherches les plus habiles ne permettent pas toujours de trouver et de saisir le corps étranger ; la prudence exige qu’on ne le prolonge pas trop longtemps, et qu’on abandonne les soins d’une semblable élimination aux efforts de la nature ; plus tard la suppuration parvient souvent à les entraîner ; s’ils restent enfermés dans un organe, ils s’entourent d’un kyste celluleux, adhérent aux parties voisines par sa face externe, et lisse par sa face interne. Ainsi enkystés, les projectiles peuvent séjourner pendant de longues années au milieu des organes sans produire aucun accident ; ils peuvent même se déplacer et parcourir d’assez grandes distances sans cesser d’être inoffensifs, puisque dans ces migrations ils emportent avec eux leur enveloppe séreuse ; à la suite de ces déplacements ils se rapprochent quelquefois des téguments, sous lesquels ils manifestent leur présence par une saillie plus ou moins sensible ; enfin, dans quelques circonstances, le kyste qui les entoure s’enflamme, suppure, des abcès se forment, s’ouvrent au dehors, et l’on voit sortir en même temps le pus et le corps étranger.
Après avoir débridé la plaie et extrait les corps étrangers, on procède au pansement ; la réunion, qui est posée en principe dans toutes les autres espèces de plaie, même dans les plaies contuses ordinaires, ne saurait être prescrite pour les plaies d’armes à feu dont la surface présente des escarres plus ou moins étendues. Ces plaies doivent nécessairement suppurer ; en attendant que la suppuration se déclare, on les recouvrira de compresses trempées dans une liqueur aromatique et stimulante si elles sont le siège d’une stupeur prononcée ; dans le cas contraire, on fera un pansement simple ; lorsque la suppuration a détaché les parties mortifiées, au pansement simple, renouvelé deux ou trois fois par jour, si l’abondance du pus l’exige, et à une position convenable, on joint l’usage de bandelettes agglutinatives, qui favorisent la cicatrisation, et abrègent la durée de la maladie. Si la perte de substance a été considérable et occupe le voisinage d’une articulation, on maintiendra les parties blessées dans une position inverse à celle qui favoriserait le rapprochement des lèvres de la plaie, afin de donner au tissu de la cicatrice assez d’étendue pour que la rétractilité n’apporte plus tard aucun obstacle aux mouvements articulaires.
Quant aux complications des plaies par armes à feu, elles seront traitées par les moyens spéciaux que nous avons fait connaître, et sur lesquels nous ne devons point revenir ici ; nous ajouterons seulement :
- que l’hémorragie, soit primitive, soit consécutive, sera combattue par une ligature faite au-dessus de la plaie ; parce que le désordre extrême de la plaie, le sang infiltré, les escarres, ne permettraient que très difficilement de reconnaître les deux bouts du vaisseau divisé ;
- que dans les fractures comminutives, il faut pratiquer de larges débridements afin d’extraire toutes les esquilles, et même avoir recours aux contre-ouvertures, si le pus ne se porte pas librement au dehors ;
- que la stupeur dont ces plaies sont le siège repousse, en général, l’irrigation continue avec l’eau froide, qui favoriserait l’extension de la gangrène ;
- enfin, qu’il est des blessures tellement graves, que l’amputation ou l’ablation de la partie est le seul traitement qu’on puisse leur opposer.
Complications des plaies de guerre
I. - Douleurs
La douleur ne devient une complication des plaies que lorsqu’elle dépasse par sa durée et son intensité ses limites ordinaires. Les sujets irritables, dont le système nerveux a été fortement ébranlé au moment de la blessure, sont particulièrement exposés à cet accident, dont l’intensité peut être assez grave pour produire l’insomnie, une extrême agitation, des mouvements convulsifs, et enfin tous les désordres qui caractérisent la fièvre ataxique.
Les causes capables de la provoquer et l’entretenir sont ordinairement les corps étrangers, l’épanchement de quelque liquide plus ou moins irritant, l’application intempestive à la surface de la plaie de certaines substances médicamenteuses, un pansement mal fait, des mouvements qui changent la position respective des bords de la plaie après la réunion, et enfin l’inflammation, lorsqu’elle devient trop aiguë.
Si l’on a lieu de supposer l’existence d’un corps étranger, on procédera de nouveau à sa recherche ; et si on le rencontre, on l’extraira immédiatement. Le sang coagulé entre les lèvres d’une plaie produit quelquefois ce phénomène ; comme il est ordinairement devenu fluide sous l’influence d’un mouvement de décomposition, on en favorise la sortie vers un des angles de la plaie à l’aide de pressions suffisantes pour opérer cette évacuation, mais qui devront toujours être assez modérées pour respecter l’adhésion partielle des tissus. Si la présence du sang a fait échouer complètement ce travail adhésif, on abandonnera les lèvres de la plaie à leur élasticité naturelle, et on laissera tomber sur leur surface un courant d’eau tiède, qui entraînera toute la masse du sang interposé ; ensuite on réunira une seconde fois la plaie, si l’adhésion primitive est encore possible, et dans le cas contraire on la laissera suppurer.
Il arrive quelquefois que les bords d’une solution de continuité ont été trop exactement réunis. Lorsque l’inflammation adhésive se développe, la turgescence légère qu’elle occasionne devient une cause d’étranglement et de douleurs ; il suffit, pour faire cesser ces accidents, de n’appliquer les moyens d’union qu’avec une force plus modérée ; dans le pansement, on rejettera entièrement l’emploi des substances médicamenteuses, âcres et irritantes.
L’inflammation est la cause presque constante de la douleur ; c’est en la provoquant que toutes les circonstances précédentes développent la douleur. La plupart des auteurs anciens avaient pensé que la douleur qui accompagne les plaies était occasionnée par la division incomplète des cordons nerveux, et, conséquents avec cette opinion, ils donnaient le conseil de débrider la plaie, afin d’achever cette division ; mais le raisonnement et une observation plus attentive des faits ont démontré que celle douleur avait son siège dans les tissus profondément situés, fortement enflammés, et étranglés par les aponévroses sous-cutanées qui opposent à leur ampliation une résistance insurmontable ; les anciens, en prescrivant le débridement de la plaie, étaient donc plus heureux dans leur conseil sur le traitement que dans leur opinion sur la cause de la douleur. Ce débridement dissipe en effet tous les accidents, non, il est vrai, en achevant la section de quelques filaments nerveux, mais en divisant largement les tissus fibreux, qui permettent alors à la turgescence inflammatoire des parties sous-aponévrotiques de prendre un libre développement.
Il. - Délire nerveux
Dupuytren a désigné sous ce nom et décrit le premier cette complication des plaies, qui se distingue des autres espèces de délire par sa cause, qui est ordinairement une violence extérieure, et par l’absence complète de fièvre.
Symptomatologie.
Le délire nerveux se montre le plus souvent tout à coup et dans les premiers jours qui suivent la blessure, quels que soient d’ailleurs l’état local de la plaie et l’état général du malade. D’autres fois l’invasion du délire peut être prévue à l’aide de quelques signes qui l’annoncent d’une manière presque infaillible. Nous ne saurions mieux faire que de reproduire ici la description pleine de vérité que Dupuytren a donnée de cette complication (Dupuytren, Leçons orales de clinique chirurgicale, 2e édit., 1839, t. I, p. 231) : « Si le soir, le lendemain ou surlendemain d’une fracture, d’une luxation, d’une tentative de suicide ou d’une opération quelconque, le malade paraît dans un état de gaieté surnaturelle, s’il parle beaucoup, s’il a l’ œil vif et la parole brève, les mouvements brusques et involontaires, s’il affecte un courage et une résolution désormais inutiles, tenez-vous sur vos gardes… Bientôt il se manifeste une singulière confusion d’idées sur les lieux, les personnes et les choses : le malade, en proie à l’insomnie, est ordinairement dominé par une idée plus ou moins fixe, mais presque toujours en rapport avec sa profession, ses passions, ses goûts, son âge, son sexe : il se livre à une jactitation continuelle. Les parties supérieures de son corps sont couvertes d’une sueur abondante ; les yeux deviennent brillants, injectés ; la face s’anime, se colore et il profère avec une loquacité extraordinaire des paroles menaçantes, des vociférations effrayantes. Son insensibilité est souvent telle qu’on a vu des individus atteints de fractures comminutives des extrémités inférieures, arracher leur appareil et marcher en s’appuyant sur leur membre brisé sans témoigner la moindre douleur ; d’autres, qui avaient les cotes fracturées, s’agitaient et chantaient sans manifester la plus légère souffrance ; quelques-uns enfin, opérés de la hernie, introduisaient leurs doigts dans la plaie, et s’amusaient froidement à dérouler leurs intestins comme s’ils faisaient cette manœuvre sur un cadavre. »
« Malgré l’apparente gravité de ces symptômes, le pouls tranquille et calme n’éprouve d’autre altération que celle que détermine le désordre des mouvements ; il n’y a pas de fièvre, Les fonctions excrémentielles s’exécutent avec leur régularité accoutumée ; mais l’appétit est nul, et au bout de deux, quatre ou cinq jours, cette affection se termine par la mort, mais beaucoup plus souvent par la guérison. Si cette heureuse terminaison doit avoir lieu, le calme revient sans crise apparente, et aussi brusquement que le désordre a commencé. Un sommeil profond s’empare du malade excédé de fatigue, et au bout de dix ou quinze heures au plus il s’éveille en pleine raison, sans souvenir du passé, faible et sensible à la douleur ; l’appétit renaît, la maladie primitive poursuit son cours, et tout rentre dans l’ordre. Constamment plus faible à chaque récidive, ce délire peut se renouveler jusqu’à deux ou trois fois, après un ou deux jours de rémission. »
Dans les cas rares où l’on a pu faire l’autopsie de sujets morts pendant la durée du délire nerveux, on n’a rencontré aucune altération ni dans l’appareil cérébro-spinal, ni dans les autres organes.
Étiologie.
Les sujets nerveux, pusillanimes, qui ont été obligés de s’armer de tout leur courage pour subir une opération, sont les plus exposés à ce délire ; cet accident est extrêmement fréquent chez les suicidés, mais ne se montre pas exclusivement chez eux, ainsi que semblent le croire quelques auteurs. Il apparaît le plus ordinairement à la suite des luxations, des fractures bien ou mal réduites, des plaies, des opérations de tout genre ; en un mot, dans presque toutes les maladies chirurgicales et à toutes les périodes de ces actions, depuis le moment où les symptômes inflammatoires sont le plus prononcés, jusqu’à l’époque où la cicatrisation est presque complète. Les hommes y sont plus exposés que les femmes ; Dupuytren ne l’a jamais observé chez les enfants.
Diagnostic.
Le délire nerveux pourrait être confondu avec une méningite, avec le delirium tremens : l’absence de troubles circulatoires suffira pour le faire distinguer de la première de ces deux affections ; quant à la seconde, elle présente avec le délire nerveux une analogie qu’on ne saurait méconnaître ; mais la cause établit entre elles une première différence : l’une succédant à une plaie, une opération, etc. ; l’autre à l’abus des boissons alcooliques. En outre, suivant M, Calmeil, le délire nerveux ne présente pas le même mode d’accroissement, on ne remarque pas la même incertitude de la voix, le tremblement des lèvres, le défaut complet d’équilibre.
Traitement.
Dupuytren a vu employer pendant longtemps, et a employé lui-même contre cette affection les calmants de toute espèce, les saignées poussées jusqu’à la défaillance, les révulsifs les plus puissants : ces moyens lui ont paru sans utilité. Le traitement auquel il accordait la préférence consiste en quelques goutes de laudanum administrées en lavement. Cinq ou six gouttes dans un lavement font, suivant lui, plus d’effet qu’une dose triple introduite dans l’estomac. Ces lavements doivent être répétés toutes les six heures. Quelques malades sont agités par des mouvements tellement désordonnés, qu’il est quelquefois difficile et dangereux de leur administrer un lavement ; on peut alors leur faire prendre de 1.5 à 2 gouttes de laudanum dans un verre d’eau. Nous avons vu ce moyen produire le résultat le plus avantageux.
III - Inflammations
Une inflammation modérée préside à la cicatrisation de toutes les plaies : à ce degré elle se présente comme un phénomène ordinaire et d’un bon augure pour la marche ultérieure de la maladie ; mais des cause nombreuses peuvent lui faire dépasser ce degré avantageux pour la guérison, Le travail adhésif est suspendu ; si la plaie a été réunie par première intention, ses bords ne se recollent pas, et sont envahis par la suppuration ; si la plaie suppure, sa surface, loin de diminuer d’étendue, augmente par le renversement de ses bords ; le pus qu’elle sécrétait devient moins homogène, moins lié, plus séreux, et en même temps il diminue de quantité ; la couleur de la membrane granuleuse est d’un rouge violacé, qui se propage à la circonférence de la plaie, et de là s’étend souvent à la peau des parties environnantes. L’excès d’inflammation à la surface d’une plaie s’accompagne ordinairement de tous les phénomènes généraux de la fièvre inflammatoire.
Il peut tenir à la présence d’un corps étranger profondément caché ; il est le plus souvent le résultat d’une désorganisation considérable des parties blessées, comme celles que produisent souvent les projectiles lancés par les armes de guerre, et alors cette inflammation se montre au moment où la réaction générale travaille à l’établissement de la suppuration et à l’élimination des parties mortes. Comme la douleur, elle peut succéder, soit à l’étranglement des tissus divisés lorsqu’ils sont trop violemment rapprochés ou bridés par des tissus fibreux, soit au contact irritant des différentes pièces employées dans le pansement, de certaines substances médicamenteuses, soit enfin à des tiraillements entre les différentes parties de la plaie provoqués par des mouvements imprudents.
Cette inflammation se termine rarement par résolution ; une suppuration abondante a lieu ordinairement lorsque la plaie a été le résultat d’un écrasement : cette suppuration est un phénomène ordinaire à ce genre de plaie tant qu’elle est limitée aux parties blessées, et qu’elle se porte librement au dehors ; mais quelquefois l’inflammation et la suppuration se propagent au loin, gagnent les parties saines, envahissent tout un membre ; alors elles deviennent une complication de ces plaies déjà si graves par elles-mêmes. Elle est assez fréquemment suivie de gangrène, lorsqu’elle reconnaît pour cause un étranglement qui a été méconnu ou incomplètement débridé ; dans quelques circonstances, elle se communique aux veines, aux lymphatiques, à la peau dans une grande étendue ; et de là des phlébites, des angioleucites, des érysipèles, qui viennent se joindre aux autres phénomènes inflammatoires et en augmenter la gravité.
Le traitement de cette complication présente deux indications :
- faire disparaître la cause qui la provoque ou l’entretient
- opposer à l’inflammation proprement dite l’emploi plus ou moins énergique des moyens antiphlogistiques.
IV. - Tétanos traumatique
Le tétanos est le plus grave de tous les accidents qui peuvent compliquer les plaies ; une contraction spasmodique, violente et permanente, d’une partie ou de la totalité des muscles soumis à l’empire de la volonté, constitue son caractère le plus essentiel.
Lorsque le tétanos affecte une partie seulement du système musculaire, il se fixe de préférence sur les groupes auxquels sont dévolues des fonctions analogues, sur les muscles élévateurs de la mâchoire inférieure, sur les extenseurs du tronc et des membres, sur les fléchisseurs. Ce sont ces différentes formes qui ont été désignées sous les noms de trismus, d’opisthotonos, d’emprosthotonos. Quelquefois il s’écarte de cette distribution physiologique pour envahir tous les muscles de l’une des moitiés du corps, comme s’il était assujetti dans sa propagation à l’ordre qui règle la dissémination des cordons nerveux partis de la moelle épinière. Cette forme, en quelque sorte anatomique, prend le nom de pleurosthotonos. Ces dénominations n’indiquent donc point des variétés de la maladie, mais seulement les limites plus ou moins étendues dans lesquelles elle peut demeurer renfermée, et les attitudes spéciales, constantes et pour ainsi dire inamovibles qui sont propres à chaque forme. Le tétanos est appelé tonique lorsqu’il s’empare de la totalité du système musculaire.
Symptomatologie.
Le tétanos traumatique est brusque dans son début ; aucune modification dans l’état de la plaie, aucun phénomène général ne vient l’annoncer. Ordinairement une douleur faible vers la nuque, une légère roideur du cou, un peu de gêne dans la déglutition, en sont les premiers symptômes. La roideur du cou augmente, la difficulté de la déglutition se prononce davantage, la mâchoire inférieure est moins libre dans ses mouvements ; la rigidité s’empare peu à peu de ses muscles élévateurs, qui la rapprochent graduellement de la mâchoire supérieure, contre laquelle ils l’appliquent bientôt avec une force telle, qu’aucune puissance ne peut en opérer la diduction. Cet état, qui constitue le trismus, est la forme la plus ordinaire du tétanos. Souvent il s’arrête à ce petit groupe musculaire, et lorsqu’il doit s’étendre davantage, c’est constamment par lui qu’il débute. Si cette extension a lieu, la douleur et la rigidité se propagent aux muscles du dos, aux muscles extenseurs des membres inférieurs, puis à ceux des membres supérieurs, en sorte que l’opisthotonos se joint au trismus, et alors la tète s’incline en arrière, le rachis décrit une courbe à concavité postérieure, les membres demeurent dans l’extension. Lorsque les contractions spasmodiques occupent les parties antérieures du tronc et les muscles fléchisseurs, la maladie revêt la forme de l’emprosthotonos, et l’attitude du malade est essentiellement différente : la paroi antérieure de l’abdomen est tendue et appliquée à la colonne vertébrale, qui s’infléchit en avant ; toutes les extrémités semblent converger vers l’ombilic ; la tête est fortement fléchie, et le menton vient toucher le sternum ; les genoux s’appliquent à la région épigastrique, et les talons aux muscles fessiers ; les coudes dans l’état de flexion se rapprochent des hypochondres. Cette dernière forme est beaucoup plus rare que les précédentes ; mais il est fréquent, lorsque le tétanos a débuté par les muscles élévateurs de la mâchoire inférieure et les extenseurs du tronc et des membres, de le voir se propager aussi à tous les muscles fléchisseurs. Dans cette circonstance, toutes les formes se réunissent, le tétanos devient général, et les diverses parties du corps, obéissant à des puissances opposées, l’attitude ne sera plus la même : le tronc conserve sa rectitude ; la tête demeure verticale, les extrémités sont le plus souvent dans l’extension, en sorte que le corps tout entier se dresse comme un seul membre, et conserve cette attitude rectiligne, soit qu’on le soulève par l’occiput, soit qu’on le soulève par les talons, soit qu’on le laisse dans une position horizontale, suspendu en quelque sorte par les deux régions précédentes.
Le front est plissé par la contraction du frontal ; l’œil est fixe ; le muscle élévateur de la paupière supérieure et le muscle palpébral étant également tendus, les paupières demeurent immobiles et s’appliquent fortement sur le globe oculaire sans le recouvrir. Tous les autres muscles de la face prenant leur point d’appui sur un plan postérieur à celui de leur extrémité mobile, il en résulte que la base du nez est tirée en bas et en arrière, que les commissures des lèvres se portent en dehors, que les joues se retirent vers la tempe et l’oreille ; de là cette altération profonde de la physionomie, et cette expression étrange connue sous le nom de rire sardonique.
Pendant que ce désordre règne dans le système musculaire, tout est calme, soit dans les autres organes de la vie de relation, soit dans la vie nutritive ; l’intelligence conserve toute son intégrité ; les fonctions sensoriales se continuent avec la même perfection. Au début, le pouls est plein, fort, peu fréquent ; tous les muscles respirateurs étant convulsés, une asphyxie lente s’établit ; dans les derniers instants de la vie seulement, les battements du cœur deviennent irréguliers et tumultueux, peut-être, comme le dit M. Bégin, parce que cet organe participe à la rigidité des autres muscles, ou bien encore à cause des troubles que l’asphyxie imminente apporte dans la circulation ; les lèvres sont violacées ; une sueur froide se montre à la face et à la poitrine, et le malade succombe au milieu des vains efforts qu’il fait pour respirer, à la suite d’un paroxysme plus violent.
L’état de tension des muscles n’est point toujours égal ; la rigidité musculaire, sans jamais cesser entièrement, diminue par intervalles. C’est ordinairement à la suite d’un mouvement, d’un déplacement, d’un effort de déglutition, et souvent sans cause apparente, que les contractions tétaniques atteignent le plus haut degré d’intensité.
Anatomie et physiologie pathologiques.
Ce désordre extérieur des fonctions musculaires complètement soustraites à l’empire de la volonté a de tout temps, mais surtout depuis une vingtaine d’années, suggéré aux auteurs la pensée d’en rechercher le siège et la cause première dans une altération du centre nerveux. Mais comme l’intelligence et toutes les fonctions sensoriales demeurent intactes au milieu même du plus violent paroxysme, et que les mouvements se trouvent sous la dépendance immédiate de la moelle épinière, c’est dans cette partie du centre nerveux qu’on a principalement cherché à constater l’existence de ces altérations. Les phénomènes produits par l’empoisonnement avec la strychnine, les convulsions qu’on observe dans la première période de la myélite et de la méningite rachidienne, autorisaient aussi ces conjectures. Voici à quel résultat a conduit l’observation :
- Le docteur Thompson, à Philadelphie, et le docteur Gœlis, à Vienne, ont souvent constaté l’inflammation du bulbe rachidien chez les nouveau-nés qui avaient succombé au trismus ; le professeur Bréal a plusieurs fois observé l’injection et l’induration de la moelle ; d’autres observations du même genre se trouvent disséminées dans les recueils périodiques.
- M. Monod a communiqué à la Société anatomique une observation de tétanos dans laquelle on voit que la moelle était diffluente depuis la quatrième vertèbre cervicale jusqu’à la cinquième dorsale (Bulletins de la Société anatomique, 1826, p. 161). Un assez grand nombre de médecins ont vu cette inflammation de la moelle avec ramollissement, soit de toute son épaisseur, soit seulement de ses cordons antérieurs : parmi eux nous citerons M.M. Bouillaud, Gendrin, Possi (d’Udine), Clot, Combetie, etc.
- Dupuytren a observé une méningite rachidienne sur un malade mort de tétanos à la suite d’une piqûre au pied ; sur un autre tétanique, Tulli a trouvé une exsudation pseudo-membraneuse à la surface de la moelle ; sur un autre, Larrey a remarqué dans le canal rachidien une sérosité rougeâtre. On voit donc que si l’on voulait tirer une conclusion des faits qui précèdent, il faudrait admettre que le tétanos peut être le résultat :
- d’une myélite avec induration, ou au premier degré,
- d’une myélite avec ramollissement, ou au deuxième degré,
- d’une méningite rachidienne. Mais ces conclusions ne sauraient être admises ; car si l’on a quelquefois constaté les caractères anatomiques que présente la myélite dans la première période, bien plus souvent on n’a rencontré aucune tracé d’altération ; dans l’immense majorité des autopsies, on a trouvé la moelle parfaitement saine. Lorsqu’on a constaté de l’induration et de l’injection, on s’est trop hâté de croire à une myélite, Peu de chirurgiens connaissent bien la consistance normale de la moelle ; en sorte que cette induration, dont quelques-uns ont fait le caractère anatomique de cette affection, n’est peut-être qu’un état normal ; quant à l’injection, elle s’explique, en partie du moins, par la gêne extrême avec laquelle le sang circule dans les derniers temps de la vie, gêne qui est surtout prononcée dans la circulation du rachis, en sorte qu’elle serait l’effet plutôt que la cause du tétanos. La myélite est une théorie éminemment physiologique et rationnelle du tétanos, mais nous la repoussons comme basée sur des faits trop complaisamment interprétés, et surtout tout à fait insuffisants. Nous n’émettrons pas un jugement aussi avantageux sur l’explication des auteurs qui regardent le ramollissement de la moelle comme la cause des contractions tétaniques ; nous ne dirons pas qu’elle est insuffisante, mais qu’elle est en opposition avec les faits les plus positifs que nous enseigne la physiologie, et contradictoire à tout ce que nous connaissons sur la myélite, qui, arrivée au second degré, c’est-à-dire au ramollissement, entraîne nécessairement la paralysie. M. Velpeau, il est vrai, a publié dans les Archives de médecine une série de vingt-cinq observations puisées la plupart dans différents auteurs, et qui ne tendaient à rien moins qu’à établir que la moelle a pu être ramollie et détruite dans une partie plus ou moins grande de son étendue, sans que cette destruction ait entraîné aucun trouble dans la sensibilité et la myotilité. Mais ces faits étant diamétralement opposés à d’autres faits infiniment plus nombreux et entourés de tout ce qui peut leur donner une valeur et une authenticité incontestables, nous n’hésitons pas à les repousser entièrement. Comment les auteurs qui ont attaché le plus d’importance au ramollissement de la moelle ont-ils pu se complaire à insister sur le siégé de ce ramollissement dans les cordons antérieurs ? Voyons-nous le ramollissement des lobes cérébraux produire un redoublement d’activité dans l’intelligence ? La paralysie dans cette théorie devrait nécessairement précéder la mort, et la mort est le résultat d’une contraction plus violente ? Enfin, quant- à la méningite rachidienne, à peine en existe-t-il quelques observations ; le fait rapporté par Tulli a une valeur réelle, mais il paraît unique. Concluons donc que le tétanos n’a son siège apparent ni dans la moelle ni dans les membranes.
Ce siège serait-il dans les nerfs ? M. Jobert dit avoir trouvé, sur le cadavre d’un tétanique mort à l’hôpital Saint-Antoine, une rougeur et une injection insolites de tous les nerfs, rougeur et injection qui résistèrent au lavage. Ce fait est demeuré jusqu’à présent complètement isolé. Serait-il dans les muscles ? Ces organes sont quelquefois livides et gorgés de sang noir ; MM. Cruveilhier et Bérard aîné ont rencontré des épanchements sanguins dans les muscles des gouttières vertébrales ; Larrey et S. Coper ont vu une rupture des muscles droits. Mais tous ces phénomènes naissent évidemment sous la double influence du tétanos et de l’asphyxie qu’il entraîne à sa suite. Le caractère anatomique du tétanos est donc encore inconnu.
Étiologie.
Toutes les blessures peuvent occasionner le tétanos ; on l’a vu causé par une piqûre d’abeille, par une morsure de serpent, par une morsure de cheval, par un coup de fouet ; mais c’est surtout à la suite des plaies compliquées de déchirure et d’écrasement, et principalement à la suite de celles qui intéressent les pieds ou les mains, qu’on l’a vu survenir.
Les circonstances hygiéniques au milieu desquelles se trouvent placés les blessés exercent une grande influence sur le développement de cette affection : la chaleur jointe à l’humidité, et l’impression subite d’un froid vif, en deviennent souvent la cause principale, et peuvent la faire éclater simultanément sur un grand nombre de blessés entassés dans le même local et soumis aux mêmes conditions atmosphériques. Ainsi, après une journée dont la température avait été très élevée, nos blessés restèrent couchés sur le champ de bataille de Bautzen, exposés à un froid très vif ; dès le lendemain Larrey constata que plus de cent militaires étaient affectés de cette cruelle maladie. M, Bégin nous apprend qu’après la bataille de la Moskowa, au milieu des plus vives chaleurs, il y eut peu de tétaniques ; et après la bataille de Dresde, un temps humide et froid ayant succédé il une grande élévation de température, les blessés furent décimés par cette affection, Le tétanos est fréquent sur les bords de la mer, lorsque les vents souvent vers la terre. À ce sujet, Bajon, dans sa description de l’île de Cayenne, raconte le fait suivant : dans un village abrité contre les vents de la mer par une forêt haute et épaisse, les cas de tétanos étaient pour ainsi dire inouïs ; la forêt fût abattue, et dès lors la maladie devint aussi fréquente dans ce village que dans les points les plus défavorablement situés de l’île.
Pronostic.
Le tétanos traumatique se termine presque constamment d’une manière funeste : des paroxysmes plus fréquents et d’une plus longue durée, une difficulté extrême ou l’impossibilité complète de la déglutition qui force la salive de s’écouler au dehors, une sueur abondante, le refroidissement, tous les phénomènes de l’asphyxie précèdent cette fatale terminaison, qui a lieu ordinairement du deuxième au quatrième jour, Si la maladie doit se terminer heureusement, on voit, au contraire, les intervalles qui séparent les paroxysmes devenir plus nombreux et plus longs, la respiration est moins gênée, la déglutition plus facile, la douleur se calme, et une détente générale de tous les muscles contractés s’opère, non d’une manière brusque, mais lente et graduelle ; souvent des sueurs copieuses se déclarent. Plus là maladie se prolonge, plus elle laisse concevoir d’espérances.
Traitement.
Le siège du tétanos étant inconnu, ses causes l’étant aussi le plus souvent, il en résulte que son traitement n’a pu être soumis jusqu’à présent à aucun principe fixe et rationnel ; il est demeuré assujetti au plus’ aveugle empirisme, et a été aussi varié que les opinions si diverses émises sur la nature de ses causes.
Il est un point cependant qui semble devoir fixer plus particulièrement l’attention : un air chaud et humide, l’impression subite d’un froid vif sur la peau en sueur, qui produisent quelquefois le tétanos sur un grand nombre de blessés à la fois ; les sueurs copieuses qui viennent quelquefois amener la guérison de cette terrible maladie, semblent indiquer l’utilité des puissants diaphorétiques. C’est en provoquant une sueur abondante sur le militaire qui avait subi une amputation dans l’articulation du coude que A. Paré parvint à le guérir, en le laissant trois jours enterré dans une étable sous une double couche de paille et de fumier, appliquée ainsi sur une surface de quatorze pieds carrés, la face seule étant demeurée libre. François Fournier a vu un matelot atteint de tétanos guérir après avoir été descendu à la cale, et laissé quatre heures consécutives au milieu d’une atmosphère chaude et non renouvelée, qui avait occasionné une grande transpiration ; le même auteur rapporte d’autres exemples de guérisons obtenues en faisant prendre aux blessés des boissons sudorifiques, du thé. Les circonstances qui président le plus souvent au développement du tétanos, et celles qui marquent sa terminaison lorsqu’elle est heureuse, autorisent donc l’emploi de tous les moyens capables de provoquer la transpiration. Parmi ces moyens, les bains de vapeur, administrés au lit à l’aide de l’appareil si commode imaginé par M. Duval, tiendront le premier rang ; à ces bains on joindra un air sec et chaud et l’usage de boissons sudorifiques. Pour permettre l’administration des médicaments et des boissons, il est important, dès le début de la maladie, de placer entre les mâchoires un coin de bois modérément dur, afin qu’il puisse subir l’impression légère des dents et qu’il ne soit pas chassé au dehors. Si cette précaution avait été négligée, et si les arcades dentaires, arrivées au contact, ne pouvaient être éloignées, on introduirait les boissons par l’intervalle résultant de l’absence d’une ou de plusieurs dents ; et si enfin ces arcades étaient complètes, il ne faudrait point avoir recours à l’avulsion d’une dent, ainsi qu’on l’a conseillé, mais se servir d’un tube porté entre les dents et la face interne des joues, et dont l’extrémité profonde, recourbée à angle droit, est placée entre les dernières grosses molaires et le bord antérieur de l’apophyse coronoïde. Lorsque les muscles du pharynx participent à l’état tétanique, et que la déglutition est impossible, il ne reste d’autre ressource que l’emploi de la sonde œsophagienne, introduite jusque dans l’estomac.
Après les sudorifiques, qui nous paraissent devoir tenir la première place dans le traitement du tétanos, vient l’opium, qui a joui peut-être d’une plus grande faveur. En l’employant, les praticiens se proposaient deux buts : le premier de calmer les douleurs, le second d’exercer une influence sédative sur le système nerveux, dans lequel ils voyaient, non sans quelque raison, le point de départ des contractions tétaniques. On le donne alors à une dose très-élevée ; l’observation a démontré depuis longtemps que cette dose peut être portée très loin sans produire les effets de l’empoisonnement. Lorsque la déglutition est possible, on le fait prendre par la bouche à l’état solide ou liquide, et à la dose de 15 à 20 centigrammes toutes les trois heures, et même toutes les heures, si la violence des symptômes l’exige. On est arrivé à faire prendre à quelques malades jusqu’à 2 et même 3 grammes d’opium en vingt-quatre heures. Lorsque la déglutition est impossible, on l’administre à l’aide de lavements, ou par la méthode endermique ; dans ce dernier cas, il est préférable de mettre en usage l’acétate ou le chlorhydrate de morphine, cette préparation renfermant sous un volume plus petit une quantité plus considérable du principe actif. À l’opium on a souvent associé le camphre et le musc, donnés aussi à des doses plus ou moins élevées.
Lisfranc, en dix-neuf jours, a fait dix-neuf saignées à un tétanique, et lui a appliqué 772 sangsues : le malade a guéri. M. Lepelletier (du Mans), dans l’espace de soixante heures, à fait cinq saignées d’un kilogramme chacune : le malade a également guéri. Mais quelle valeur attribuer à ces deux faits et à quelques autres moins saillants, perdus et comme engloutis dans la masse des insuccès ? Nous pensons que les évacuations sanguines doivent être entièrement rejetées de la thérapeutique du tétanos ; si elles sont utiles, ce pourrait être seulement dans la dernière période de la maladie, lorsque l’asphyxie est imminente : alors peut-être elles pourraient prolonger quelque temps la vie du malade.
Parmi les moyens qui ont encore été fréquemment mis en usage et fortement recommandés, mais dont la valeur nous paraît aussi problématique que celle des saignées, nous citerons : les bains alcalins, les bains froids et tièdes, les préparations mercurielles données au point de produire la salivation, les lavements avec forte décoction de tabac, la teinture de cantharides, les anthelminthiques, le chloroforme, etc.
En 1859, à la suite de la mémorable campagne d’Italie, M. Vell a, chirurgien en chef du grand hôpital français à Turin, eut l’idée d’employer le curare contre le tétanos et obtint un succès. Celle observation eut un grand retentissement, et le curare fut administré aussi souvent que l’occasion s’en est présentée. Malheureusement, les espérances des praticiens ont encore été trompées, et, à part un cas de succès dans un cas de tétanos chronique observé par M. Chassaignac, les malades traités par le curare ont succombé. Ce médicament est administré de la manière suivante : on fait une solution de 2 décigrammes de curare dans 10 grammes d’eau distillée, et, à l’aide d’une seringue de Pravas, on injecte dans le tissu cellulaire sous-cutané du tronc ou d’un membre une goutte de cette solution, c’est-à-dire un centigramme de curare ; cette petite opération est répétée toutes les heures. Si le curare doit agir sur la maladie, les accidents tétaniques cèdent pour reparaître dès que l’action du curare est épuisée ; on fait en même temps prendre à peu près une même quantité de la même substance dissoute dans un julep.
Quelques chirurgiens, parmi lesquels il faut surtout citer Larrey, voyant dans la plaie le point de départ et la cause des contractions tétaniques, ont cherché à substituer aux médicaments que nous venons de passer en revue un traitement essentiellement chirurgical. Quelques-uns, croyant à un étranglement des cordons nerveux, conseillent de débrider la plaie ; d’autres praticiens, dans le même but, prescrivent la cautérisation ; enfin Larrey, poussant l’application du principe à ses dernières conséquences, a recommandé et même pratiqué l’amputation : l’opinion est unanime aujourd’hui pour blâmer cette pratique.
A. NÉLATON, Professeur honoraire à la Faculté de médecine de Paris.