A maintes reprises, on a reproché à Lavoisier d’avoir nié l’existence des bolides, et par son autorité, d’avoir en quelque sorte retardé la vérité. On n’a pas manqué, à ce propos, d’opposer la croyance populaire, qui affirmait depuis des siècles l’existence de pierres tombées du ciel, à l’opinion de savants éminents qui faisaient preuve de la plus obstinée des incrédulités [1].
La mémoire de Lavoisier n’a certes pas besoin d’être lavée d’un tel reproche et je n’essaierai pas de le disculper. Cependant l’examen des pièces du procès est intéressant pour l’histoire des météorites ; il nous montrera de plus que l’opinion erronée de Lavoisier avait pour elle des circonstances atténuantes.
L’écrit qui a valu à Lavoisier la réprobation signalée plus haut est un « Rapport sur une pierre qu’on prétend être tombée du ciel pendant un orage » [2].
Voici, en deux mots, les faits. Le 13 septembre 1768, dans l’après-midi, des paysans travaillant aux environs du Grand Lucé (Sarthe) virent un nuage orageux, dans lequel se fit entendre un coup de tonnerre fort sec et à peu près semblable à un coup de canon. A quelques kilomètres de là, à Parigné, d’autres paysans, sans avoir aperçu aucun feu, entendirent un sifflement considérable dans l’air qui imitait le mugissement d’un bœuf, puis ils virent un corps opaque, décrivant une courbe, tomber sur le sol et s’y enfoncer à demi. Cette pierre, d’abord fort brûlante, fut recueillie par les paysans et communiquée à l’Académie des Sciences par l’abbé Bacheley. L’Académie en confia l’analyse à Lavoisier qui y trouva du fer (1/3 environ), du soufre et d’autres matières terreuses. Elle avait une forme triangulaire, pesait 7 livres et demie, et était revêtue d’une matière superficielle noire qui semblait avoir été fondue. Intérieurement, elle présentait de petits points brilllants, jaune pâle.
Dans la conclusion de son rapport, Lavoisier indique qu’il ne croit pas qu’il s’agit en l’espèce d’une pierre tombée penndant l’orage, mais d’un fragment de roche terrestre frappée par la foudre et fondue superficiellement, comme cela d’ailleurs arrive fréquemment sur les pics élevés et isolés : le Mont Blanc et le Pic du Midi de Bigorre par exemple. Comment, en effet, expliquer que des pierres prennent naissance à l’intérieur des nuages, pendant les orages, « depuis que les physiciens modernes ont découvert que les effets de ce météore étaient les mêmes que ceux de l’électricité)) ? N’oublions pas que les travaux de Franklin sont tout récents : ils datent de 1752.
Telle est donc l’opinion de Lavoisier. Il ne la donne pas comme définitive ; il termine par la phrase suivante :« Au reste, quelque fabuleux que puissent paraitre ces sortes de faits, comme … ils peuvent contribuer à éclaircir l’histoire des pierres de tonnerre, nous pensons qu’il sera à propos d’en faire mention … »
Cette opinion est certainement erronée. La description fournie par les paysans concorde parfaitement avec ce qu’on a observé depuis, lors de la chute des bolides. Très souvent, la chute s’accompagne d’un bruit sec et d’un sifflement. La description de la pierre suffirait à nous convaincre : sa forme, la nature de son revêtement, son aspect intérieur, la présence de fer et de soufre, indiquent sans contestation possible, que la pierre de Lucé est une superbe météorite [3].
Mais il est impossible de ne pas être frappé, quand on parcourt le rapport de Lavoisier, d’une expression qui revient à chaque instant : pierre de tonnerre. Cela explique bien des choses. Au XVIIIe siècle, il ne s’agissait pas de savoir si des pierres tombent du ciel mais si des pierres tombent du ciel pendant les orages. Un mémoire de Lémery, qui date de 1700, est tout à fait caractéristique à cet égard. La plupart des anciennes chroniques rapportent, en effet, que les chutes se produisaient pendant les orages.
Il y avait évidemment confusion. Le bruit, confondu avec un coup de tonnerre, est dû à l’explosion du bolide ; les phénomènes lumineux, qui accompagnent parfois les chutes, étaient pris pour l’éclair. Lors de la chute du Grand Lucé la confusion s’est répétée ; on a très imprudemment baptisé d’orageux un nuage qui ne l’était pas, tout en signalant le caractère anormal du coup de tonnerre.
Aussi peut-on bien dire, à la décharge de Lavoisier, qu’il a été victime d’un problème mal posé et qu’il ne s’est trompé qu’à moitié. Il a eu tort de ne pas croire à l’existence de cette pierre que des paysans avaient vue tomber et qu’ils avaient ramassée encore brûlante, mais il a eu raison d’affirmer avec force que les orages ne produisent pas de pierres de tonnerre.
S’il a fallu plusieurs siècles pour que cette question des météorites soit définitivement réglée, cela tient à deux causes : d’abord les belles chutes de bolides sont assez rares. Et puis, pendant trop longtemps, les observateurs n’ont pas rapporté fidèlement les faits : parfois, ils les ont embellis, souvent ils ont voulu commencer à les interpréter : Lavoisier en a été victime.
D’ailleurs, la vérité ne devait pas tarder à se faire jour.
Après les chutes célèbres de Bénarès (1798) et de Laigle (1803), la légende des pierres de tonnerre était détruite et l’existence de bolides admise par tous.
J. JAFFRAY, Agrégé de l’Université.