Les obsèques de M. Daubrée , ancien directeur de l’École supérieure des Mines, ancien professeur au Muséum, membre de l’Institut, ont eu lieu mardi dernier. Parmi les nombreux discours prononcés sur sa tombe, nous reproduisons ici celui que M. Fouqué, professeur au Collège de France, membre de l’Institut, a prononcé au nom de l’Académie des sciences.
En l’absence de M. des Cloizeaux, empêché par l’état de sa santé, la section de minéralogie m’a confié le pieux devoir d’adresser, au nom de l’Académie des sciences, un dernier adieu à notre cher et regretté doyen, M. Daubrée.
Parmi les membres qui ont illustré l’Académie des sciences, il en est peu qui aient eu, comme lui, l’heureux privilège d’y siéger pendant près d’un demi-siècle et d’y conserver jusqu’aux limites de la vieillesse la vigueur, l’humeur égale et l’activité intellectuelle de leurs jeunes années. Entouré de respect et d’estime, honoré des plus hautes amitiés, soutenu par les soins d’une famille aimée, il a traversé les épreuves les ’plus cruelles de la vie avec la fermeté et le calme d’un sage. Travailleur infatigable, érudit consciencieux, expérimentateur habile, il laisse dans le domaine scientifique un sillon lumineux et au sein de l’Académie la mémoire d’un confrère bienveillant et aimable. Depuis quelques semaines, une maladie, grave dès le début, l’avait atteint inopinément ; plusieurs fois on nous avait averti que sa vie était en danger, et pourtant, telle était notre confiance dans sa robuste constitution que nul d’entre nous n’avait douté de sa guérison prochaine. Sa mort nous cause une affliction inattendue.
M. Daubrée (Gabriel-Auguste) est né à Metz, le 25 juin 1814. Attaché à sa ville natale par les liens les plus étroits, il a eu la douleur de la voir passer sous le joug étranger. Il a pleuré non moins amèrement le sort de l’Alsace, où il avait passé les plus belles années de sa jeunesse, effectué ses premières études de minéralogie :synthétique et enseigné la géologie avec éclat. Il a été l’une des victimes les plus éprouvées de nos désastres de 1870 et, en même temps, l’une de ces âmes courageuses dont rien n’ébranle la foi dans un avenir de justice et de réparation.
Mais c’est exclusivement sa vie scientifique dont je veux tracer ici une rapide esquisse.
Sorti de l’École polytechnique dans le corps des mines, M. Daubrée a la bonne fortune, au commencement de sa carrière d’ingénieur, d’être envoyé en mission successivement en Angleterre, en Suède et en Norvège. Du Cornouailles anglais il rapporte des observations intéressantes sur les gisements et la constitution du minerai d’étain, et surtout des aperçus fertiles sur son mode de formation. Il devine la puissance créatrice du fluor et son rôle dans le monde minéral. Il publie une classification des gîtes métallifères de la Scandinavie et mérite qu’un lecteur tel que Berzélius déclare hautement qu’il lui est redevable de notions précises et d’idées nettes sur des sujets qui cependant lui étaient familiers.
Attaché comme ingénieur au département du Bas-Rhin, il parcourt les Vosges et la plaine du Rhin, multipliant les observations et enrichissant les Annales des mines, le Bulletin de la Société géologique de France et les Comptes Rendus de l’Academie de notices variées, remplies de constatations nouvelles. Un volume consacré à la description géologique et minéralogique du département du Bas-Rhin complète et réunit toutes ces données ; c’est un des documents les plus précieux dont la science française ait doté l’Alsace. Alors une ère nouvelle s’ouvre pour le jeune ingénieur. Appelé à professer dans la chaire de minéralogie et de géologie de la faculté de Strasbourg, il vivifie son enseignement par des expériences à jamais mémorables sur la reproduction des oxydes de titane et d’étain au moyen de la décomposition des bichlorures par la vapeur d’eau. Pour la première fois les fourneaux d’un laboratoire fournissent des cristaux de cassidérite doués de l’éclat adamantin, des nuances et de la dureté du minéral naturel. Peu après, M. Daubrée, variant ses procédés expérimentaux et suivant la voie inaugurée par Sénarmont, soumet à l’action de la chaleur rouge des tubes scellés, dans lesquels il a enfermé de l’eau et divers composés chimiques. Bien souvent les appareils éclatent avec de violentes explosions, mais ceux qui échappent à la destruction fournissent de remarquables cristallisations.
En 1860, M. Daubrée publie sur la question du métamorphisme un mémoire qui, alors, a vivement appelé l’attention du monde savant et qui, aujourd’hui encore, doit être considéré comme un jalon indicateur du développement de la géologie à une époque déterminée de son histoire.
L’année suivante, l’Académie récompense cet ensemble de travaux en appelant M. Daubrée au fauteuil laissé vacant par la mort de Cordier. Puis, la chaire de géologie au Muséum et celle de minéralogie à l’École des Mines lui sont dévolues. Dans ces deux établissements le soin des collections et les nécessités du professorat constituent de lourdes charges ; on pouvait craindre qu’il n’en résultat un certain arrêt dans les travaux personnels du professeur. M. Daubrée a pu suffire à ces tâches variées et poursuivre en même temps ses recherches propres.
Tous les minéralogistes ont admiré ses études sur les zéolites des sources thermales de Plombières et de Luxeuil. Au Muséum il a réuni, déterminé et classé une large collection de météorites. Enfin, il y a peu d’années encore, un ouvrage considérable qu’il a fait paraître sur la circulation des eaux souterraines, a été traduit dans toutes les langues des grands États de l’Europe.
Peu de géologues français ont joui, à l’étranger, d’une notoriété comparable à la sienne. En France, les différents corps auxquels il a appartenu l’ont élevé aux postes les plus brillants. Au commencement de sa carrière scientifique l’Université lui a conféré le décanat de la Faculté des sciences d Strasbourg et les dernières années de sa carrière d’ingénieur ont été remplies par la direction de l’École des Mines. A l’Académie il jouissait d’une grande autorité parmi ses confrères ; dans le sein de la section de minéralogie particulièrement on se soumettait volontiers à son influence. La sûreté de son jugement, l’aménité de ses manières, la fermeté de sa volonté tempérée par une grande courtoisie, expliquent sa prépondérance dans nos conseils. Pendant longtemps nous sentirons le vide qu’il laisse parmi nous.
Adieu, cher confrère et maître. Reposez doucement après une vie noblement remplie au service de la patrie et de la science.
Ferdinand André Fouqué, De l’Institut.