Du vol des oiseaux (2e Partie)

E.-J. Marey, la Revue des cours scientifiques — 21 août 1869
Vendredi 23 octobre 2009 — Dernier ajout samedi 31 octobre 2009

L’étonnement qu’on éprouve en présence du résultat des déterminations faites par M. de Lucy disparaît en partie, lorsqu’on songe qu’il y a une raison géométrique pour laquelle la surface alaire ne saurait croître en raison du poids de l’oiseau. En effet, si nous supposons deux objets de même forme, deux cubes, par exemple, dont l’un serait deux fois aussi grand que l’autre (en diamètre), chacune des faces du grand cube sera quatre fois aussi grande que celle du petit ; enfin, le poids du grand cube sera huit fois celui du petit. Pour tous les solides géométriquement semblables, les dimensions linéaires étant dans un certain rapport, les surfaces croîtront comme les carrés et les poids comme les cubes de ce rapport. Deux oiseaux semblables de forme, mais dont l’un sera deux fois plus large d’envergure que l’autre, auront des ailes dans le rapport de 1 à 4, et des poids dans le rapport de 1 à 8. M. P. Demondésir, exposant devant moi ces idées, croyait trouver là une raison qui limite la taille des oiseaux capables de voler. Les plus grandes espèces d’oiseaux, l’autruche et le casoar, ne volent pas, disait-il, et si ces oiseaux avaient, proportionnellement à leur poids, autant de surface alaire qu’une hirondelle, ils ne pourraient replier leurs ailes complètement et traîneraient derrière eux ces longs et embarrassants appendices.

Cette objection serait vraie dans la théorie du vol à voile ; mais, dans le vol ramé, l’amplitude du coup d’aile, croissant comme la taille de l’oiseau, multiplie la résistance que l’aile trouve sur l’air, et la ramène à un rapport. semblable à celui du poids des oiseaux eux-mêmes.

Le docteur Hureau de Villeneuve, partant du même principe, a cherché à déterminer la surface d’aile qui pourrait faire voler une chauve-souris dont le poids serait celui d’un homme. \1 a trouvé que chacune des ailes n’aurait pas 3 mètres de longueur.

Il a paru dans le cours de cette année un remarquable travail de Hartings [1] sur l’étendue relative des ailes et le poids des muscles pectoraux chez les différentes espèces d’animaux vertébrés volants. L’auteur montre d’abord que l’on peut, dans la série des oiseaux, établir l’existence d’un certain rapport entre la surface des ailes et le poids du corps. Mais il faut avoir soin de ne comparer que les éléments comparables : c’est-à-dire les longueurs des ailes, les racines carrées des surfaces alaires, et les racines cubiques des poids chez les différents oiseaux.

Soient : l, la longueur de l’aile ; a, son aire ou surface, et p le poids du corps, on pourra comparer entre eux l, \sqrt<em class="spip">a</em>, \sqrt[p]<em class="spip">p</em>.

Opérant sur différents types d’oiseaux, Hartings fit des mensurations et des pesées desquelles on peut extraire le tableau suivant :

Nom de l’espèce Poids. p } Surface a Rapport \frac<em class="spip">\sqrt<em class="spip">a}}<em class="spip">\sqrt[p]<em class="spip">p}}
1. Larus argentatus 565,0 561 2,82
2. Anas nyroca 508,0 321 2,26
3. Fulica atra 495,0 262 2,05
4. Anas crecca 275,5 144 1,84 5. Larus ridibundus 197,0 331 3,13
6. Machetes pugnax 190,0 161 2,23
7. Rallus aquaticus 170,5 101 1,81
8. Turdus pilaris 103,4 101 2,14
9. Turdus merula 88,8 106 2,31
10. Sturnus vulgaris 86,4 85 2,09
11 Bombicilla garrula 60,0 44 1,69
12. Alauda arvensis 32,2 75 2,69
13. Parus major 11,5 31 2,29
11. Fringilla spinus 10,1 25 2,33
15. Parus cœruleus 9,1 21 2,34

Le poids des muscles pectoraux est au contraire dans un rapport simple avec le poids total de l’oiseau, et, malgré les écarts qui correspondent aux divers degrés d’aptitude au vol dont chaque espèce est douée, on voit qu’il est environ de 1/6e dans le plus grand nombre des oiseaux.

En résumé, chaque animal qui se soutient en l’air doit développer un travail proportionnel il son poids ; il devra, à cet effet, posséder des masses musculaires proportionnées à ce poids ; car, ainsi que nous l’avons vu (chap, Ier), si les actions chimiques qui se passent dans les muscles des oiseaux sont toujours de même nature, ces actions chimiques et le travail qu’elles engendrent seront proportionnées aux masses musculaires.

Maintenant, comment se fait-il que des ailes dont la surface varie comme le carré des dimensions linéaires des oiseaux suffisent à mouvoir des poids qui varient dans le rapport des cubes de ces dimensions. C’est ici qu’il faut faire intervenir la notion du travail, c’est-à-dire des résistances multipliées par les espaces qu’elles ont parcourus.

Admettons une vitesse uniforme pour l’abaissement de l’extrémité de l’aile chez les deux oiseaux que nous comparons, et qui ont, pour leurs dimensions linéaires, le rapport 1 à 2. La surface des ailes des gros oiseaux sera, nous avons dit, quatre fois plus grande que celle du petit ; or, comme la résistance que l’air présente aux surfaces animées d’une même vitesse est proportionnelle à l’étendue de ces surfaces, si nous appelons r la résistance éprouvée par l’aile du petit oiseau, elle sera 4 r pour le gros oiseau. Mais ces deux oiseaux, en abaissant leurs ailes n’exécuteront pas des battements de même amplitude ; chez Je gros oiseau chaque point de l’aile aura un parcours deux fois plus grand que le point homologue de l’aile du petit, Si donc nous appelons g l’espace parcouru par la résistance r que rencontre l’aile du petit oiseau, on aura rg pour le travail accompli par l’aile, et 4r2g ou 8 rg pour le travail effectué par l’oiseau. On voit donc que ce travail s’est accru dans les mêmes rapports que les poids des animaux que nous venons de comparer.

Enfin, une autre conclusion ressort des considérations qui précèdent. Si nous admettons que l’aile possède la même vitesse chez l’un et chez l’autre oiseau, la durée du battement croîtra avec l’espace parcouru par l’aile, c’est-à-dire qu’elle sera proportionnelle aux dimensions linéaires de l’oiseau. L’observation justifie celte vue, en montrant que les gros oiseaux ont des battements plus rares que les petits.

On n’a pu jusqu’ici déterminer assez exactement le nommbre des battements des ailes des oiseaux pour sa voir si leu r fréquence présente. un rapport exactement inverse de la lame de ces animaux ; mais il est facile de voir que c’est dans ce sens que varie la fréquence des battements des ailes chez les oiseaux de diITérentes tailles,

MAREY.

[1Archives néerlandaises, t, IV, 1869.

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