+
Mais, dira-t-on, la nature eût pu obtenir ces différentes formes de travail avec des muscles de forme constante chez tous les oiseaux ; il lui eût suffi de donner une position variable au point d’attache du grand pectoral sur l’humérus, autrement dit de faire varier la longueur du bras de levier de la puissance dans le même rapport que celui de la résistance. L’anatomie comparée montre qu’il n’en est pas ainsi. Chez les oiseaux, le grand pectoral s’attache toujours au plus près de l’articulation de l’épaule ; la distance absolue qui sépare celte attache du centre de mouvement de l’humérus ne semble varier qu’en raison de la taille de l’oiseau, niais non suivant la plus ou moins grande étendue relative de ses ailes : cette dernière dépend principalement de la plus ou moins grande longueur des os de l’avant-bras et des rémiges.
Il n’est pas absolument nécessaire de disséquer un grand nombre d’oiseaux de différentes espèces pour confirmer l’exactitude de la loi que j’ai cherché à établir au sujet du rapport de la surface alaire avec la longueur du muscle grand pectoral. L’inspection du squelette fournit les éléments principaux de cette vérification. Parcourez la galerie zoologique du Muséum qui est affectée à l’exposition des squelettes d’oiseaux, et vous en sortirez convaincus de l’existence de ce rapport inverse entre l’étendue de l’aile et la longueur du muscle grand pectoral. Voici comment l’ostéologie fournit les documents nécessaires à cette vérification (fig. 67, 68 et 69) :
Chez les oiseaux, le développement des os de l’aile renseigne assez exactement sur l’étendue relative que présente cet organe lorsqu’il est emplumé. Voyez la frégate avec son avant-bras d’une prodigieuse longueur ; comparez le squelette de son membre antérieur à celui d’un canard, mieux encore d’un guillemot ou d’un plongeon, les proportions du squelette vous révéleront au premier coup d’œil la supériorité de la frégate au point de vue de l’étendue des ailes.
Comparez ensuite le sternum chez ces différents oiseaux, vous le trouverez large-chez la frégate, mais d’une extrême brièveté. Chez le canard, le plongeon, le guillemot, le sternum, plus étroit, offre au contraire une longueur considérable. Or, le sternum est précisément l’os auquel s’attache le grand pectoral. Les gouttières latérales qui s’étendent de chaque coté de sa crête représentent en quelque sorte le moule en creux des muscles pectoraux. Vous pouvez donc, sur les squelettes des rapaces ou des échassiers, vérifier ce fait, qu’aux grandes ailes appartiennent des muscles gros et courts, et sur les canards, les cygnes et les oiseau x plongeurs, que les petites ailes possèdent des muscles plus grêles, mais plus allongés.
Ceci nous ramène aux considérations que j’émettais au commencement de celle leçon. Nous voyons maintenant comment on pourra mesurer le travail développé par un oiseau qui vole. Il faudra connaître la résistance que l’air présente à la surface de son aile, et multiplier, pour chaque coup d’aile, cette résistance par l’espace parcouru.
Encore le problème n’est-il pas aussi simple qu’on pourrait le croire d’après cet énoncé. Tout porte à croire que la vitesse de l’aile qui frappe l’air n’est point uniforme, et qu’elle a des phases croissantes et décroissantes, dans lesquelles la résistance de l’air subit les phases de cette vitesse. Connaître la nature réelle du mouvement de l’aile de l’oiseau est donc la première question qui se pose : ce sera l’objet des expériences que j’aurai prochainement à exécuter devant vous.