Le Japon a répondu largement et officiellement, à l’appel qui lui était fait par le Gouvernement français, en vue de participer à l’Exposition de 1889. Il n’a pas envoyé moins de 596 exposants, répartis dans 8 groupes et 58 classes, et il a consacré une somme de 650 000 francs à son exposition. Le résultat obtenu aura bien été celui qu’attendaient organisateurs et exposants : la foule n’a cessé de se presser dans les galeries où sont présentés les produits divers de ce pays d’avenir et de se familiariser, au grand avantage des commerçants et des industriels japonais, avec les curieux spécimens de leur art spécial.
Le Japon et ses productions sont depuis longtemps à la mode en France : nous ne croyons pas inutile de donner, tout d’abord, ici quelques détails, recueillis à l’Exposition même, sur cette contrée dont les sujets sont constamment venus puiser dans nos établissements et nos écoles les éléments nécessaires au développement de leur civilisation.
Situé an nord-est de l’Asie, l’empire du Japon se compose de quatre grandes îles et d’un certain nombre de petites, d’une superficie totale de 99 000 kilomètres carrés environ : sa population est de 38 millions et demi d’habitants répartis administrativement entre 3 Fu et 43 Ken ; les 3 Fu sont Tokio, Kioto et Osaka. Cinq ports bien connus sont ouverts au commerce étranger ; ce sont : Yokohama, Kobé, Nagasaki, Niigata et Hakodate.
Depuis 2 500 ans, une même dynastie règne sur ce pays : l’Empereur actuel ou Mikado se nomme Mutsuhita : il règne depuis 1868.
La création des chemins de fer n’a pas été sans difficultés dans ce pays astreint à des coutumes antiques, malgré son goût pour le progrès. Il est certain que les voies ferrées le transformeront totalement. Actuellement, 935 kilomètres y sont en exploitation, 396 en construction et 2 115 en projet.
Le développement des postes et télégraphes suit naturellement celui des chemins de fer et tend à renverser les barrières séculaires qui séparaient jadis ce pays du reste du Monde. Le commerce d’importation et d’exportation du Japon est très actif : il importe du coton filé, du sucre blanc et brun, du pétrole, du drap, des étoffes, et exporte des soies grèges, du thé, de la houille, du riz, du cuivre, des produits céramiques, etc. Ce sont ces produits divers que nous voyons artistement exposés au Champ de Mars par les soins de M. le vicomte Tanaka, représentant officiel du Gouvernement japonais à Paris et de M. Kentaro Yanagiya, commissaire général.
M. Ch. Gauthier, architecte de la section japonaise, s’est fort habilement inspiré du sujet pour faire ressortir le cachet spécial de cette exposition. Notre gravure représente l’élégant pavillon qu’il a composé dans ce but et édifié au Champ de Mars pour le compte du gouvernement japonais. Ce gracieux monument que l’on voit à gauche de notre figure exécutée d’après une photographie, est construit à côté du pavillon chinois. La Tour Eiffel apparaît au fond du dessin. La façade de l’Exposition japonaise sur l’avenue de Suffren se compose de deux parties : à droite, ce sont les deux portes d’une habitation seigneuriale et un fragment d’architecture des temples japonais ; à gauche, c’est l’entrée d’un temple de daïmio. La couverture du bâtiment est une reproduction exacte de celles employées au Japon, ainsi que les bois, les pierres et les ornements divers reconstitués d’après des documents du seizième siècle.
La porte, en bois de klyaki sculpté, mérite une mention spéciale : elle est l’œuvre de deux sculpteurs japonais renommés, Takamura et Ishikauda. Les carreaux en porcelaine, employés pour la décoration, proviennent de Kenaïchi-ken ; le tableau qui est au-dessus de la porte d’entrée est en sapin tressé avec un cadre laqué : il porte en caractères de bronze une inscription signifiant : « Empire du Japon. »
Tous les matériaux de la porte principale ont été apportés du Japon même et mis en place par des ouvriers et des artistes japonais.
En pénétrant dans le grand vestibule, nous remarquons deux peintures originales, signées par un artiste français, Henri Motte, et exécutées d’après les documents fournis par la Commission japonaise elle-même : l’une représente une vue de Ishiyamadera ; l’autre, l’expédition du célèbre général japonais Nobunaga an seizième siècle. Les portes et les murs sont tendus de magnifiques portières en crêpe blanc et violet, suivant les vieilles traditions impériales, ou de papiers représentant des oiseaux et des bambous ; les frises sont en bois de sugi : les tapis du salon, fabriqués avec des cocons sauvages, proviennent de la grande manufacture d’Osaka. Détail intéressant, toutes les vitrines que nous pouvons admirer actuellement dans cette section avec leur remarquable collection de produits de toutes sortes seront, après l’Exposition de 1889, démontées et emportées pour aller figurer à une Exposition nationale du Japon qui se tiendra en 1890 à Tokio (Oueno).
Voici un rapide aperçu de ce que le visiteur a sous les yeux dans la section japonaise. Sur les 58 classes où l’Empire du Japon expose, les administrations impériales figurent dans 49 classes. Le Ministère de l’instruction publique présente sou matériel d’enseignement, les plans de ses écoles normales, commerciales, d’arts et métiers, d’aveugles, de sourds-muets, etc. Nous y voyons figurer avec plaisir les documents relatifs à la Société pour l’étude et la propagation de la langue française. Le Ministère de l’agriculture et du commerce expose des plans de filatures et des collections de produits naturels variés, cires, laques, vernis, bois, écorces, insectes et cartes agronomiques des différentes régions du Japon. Le Ministère de l’intérieur expose de nombreux documents relatifs à la météorologie et au balisage des côtes au moyen de phares. Le Ministère de la guerre et celui des communications exposent des draps, des étoffes, des appareils télégraphiques et électriques variés, téléphones, microphones, etc., qui montrent combien le Japon se tient attentif aux progrès les plus récents.
Les expositions commerciales proprement dites figurent, ainsi que nous l’ayons dit, dans 58 classes. Peintures, étoffes, soieries, porcelaines, sculptures sur ivoire, bois et métaux, bronzes, produits alimentaires, sont représentés par des collections plus complètes et plus instructives que tout ce que l’on avait pu voir dans ce genre jusqu’à ce jour. On ne saurait en faire une description tant il y a de variété et d’originalité dans la présentation de ces objets si divers. Signalons cependant à nos lecteurs dans la classe 11 une reproduction artistique remarquable de la porte du temple de Nikko (yorneïmon), chef-d’œuvre de finesse et de patience ; dans la classe 18, des meubles sculptés et incrustés ainsi que des émaux cloisonnés dont les artistes japonais tirent un grand parti pour l’ameublement.
Les porcelaines décorées de Seto, d’Arita, de Satsuma, de Gifu, de Kioto, d’Osaka, de Kanagoura, de Tokio, de Banko, forment, dans la classe 20, une collection que l’on voudrait voir rester complète dans quelque Musée spécial.
Dans la classe 25, consacrée aux bronzes et aux métaux ciselés et incrustés, nous remarquons une tour de cinq étages, en bronze ciselé, de 7 mètres de hauteur. C’est la reproduction fidèle de la fameuse tour de Nara, hérissée de clochetons, de sculptures et d’animaux chimériques, elle est destinée à faire l’ornement d’un des Palais impériaux. Nous admirons, un peu plus loin, une fontaine en bronze, également monumentale, à trois bassins superposés, dans laquelle un ibis (tsuru), très gracieux de dessin, verse l’eau à la partie supérieure.
Un autre ordre d’idées nous arrête devant la classe 44, consacrée aux cocons, au tabac, à la cire, au chanvre, aux huiles. Nous y remarquons de l’huile d’olive de la récolte de 1888, fabriquée à Kobé : elle provient d’oliviers importes de France en 1878.
Avant de terminer cette brève note, il convient de signaler dans l’exposition japonaise une installation d’un genre spécial qui excite vivement l’attention des visiteurs. II s’agit du jardin japonais établi dans le pare du Trocadéro. Ce petit jardin n’occupe, à la vérité, que 500 mètres carrés de superficie, mais il est bien curieux : il montre les procédés originaux de culture des arbres et des plantes de jardin et d’appartement au Japon. Un jardinier, passé maître dans le pays, est venu l’installer et bien qu’il ait le souci de ses procédés poussé jusqu’à la limite du secret de fabrication, nous ne serions pas surpris qu’il fit école parmi nos pépiniéristes parisiens toujours à la recherche des choses nouvelles dans le domaine de leur industrie gracieuse et parfumée. Autour d’un kiosque en bambou qui sert de motif principal à l’œuvre de ce spécialiste, s’étendent, en gradins, des plates-bandes garnies de toutes sortes de plantes et de fleurs, soit en pleine terre, soit dans des cache-pots en porcelaine et en faïence : une flore exotique et brillante s’y étale. Voici de superbes lis en fleur, des asagawo montant à l’assaut des palissades, des sotetsu à l’élégant feuillage. Puis, des arbres fruitiers ou forestiers réduits à des dimensions d’une extrême petitesse par les procédés dont les jardiniers japonais ont le secret : des vergers et des forêts de Lilliput poussent sur ce territoire exigu. Un bassin à sec, suivant le goût japonais, est garni de petits monticules, de ponts rustiques et d’escaliers exécutés avec tes troncs d’arbres minuscules. Une clôture de bambous (yaraïffaki) solidement attachés avec du shuronawa, sorte de corde tressée avec des écorces, entoure ce petit domaine dont nous recommandons la visite aux amateurs de couleur locale et de botanique lorsqu’ils termineront leur visite de la section japonaise à l’Exposition.