Du vol des oiseaux (2e Partie)

E.-J. Marey, la Revue des cours scientifiques — 21 août 1869
Vendredi 23 octobre 2009 — Dernier ajout samedi 31 octobre 2009

Cependant la théorie du vol à voile a été soutenue avec un grand talent par certains observateurs, et particulièrement , par le comte d’Esterno, auteur d’un remarquable mémoire sur le vol des oiseaux.

Tout le monde, dit cet auteur, peut voir certains oiseaux pratiquer le vol il voile ; le nier, c’est nier l’évidence.

J’ai vu aussi moi-même le vol li voile, mais il m’a semblé qu’il s’exécutait, en général, dans des conditions toutes particulières que voici :

Le long des hautes falaises de la Normandie, j’ai vu les mouettes et les goélands se livrer il leurs évolutions sans agiter leurs ailes. J’ai vu au tour des vieilles cathédrales les choucas et les corneilles exécuter le même vol. Mais ces mêmes oiseaux, lorsqu’ils quittent ces stations spéciales, m’ont toujours paru se livrer au vol ramé, c’està-direse livrer à des battements d’ailes constants ou à peine interrompus, chez les choucas, par des temps de planement de courte durée

J’ai cherché alors à bien déterminer la direction du vent, et voici ce qui m’a semblé se passer.

Lorsqu’un oiseau se trouve dans le voisinage d’un abri où l’air soit calme ou agité de remous de sens inverse à la direction du vent qui règne, il peut passer tour à tour de l’air calme dans l’air agité, et inversement. Un goéland qui se livre au cours du vent trouve une impulsion qui l’entraîne avec une certaine vitesse, et si, par un simple mouvement tournant, l’oiseau rentre dans une région où l’air soit calme, il peut utiliser la vitesse que le vent lui a donnée et s’en servir pour revenir au contraire jusqu’au niveau d’où il était parti. Se replongeant de nouveau dans la zone agitée, il recommence de nouveau l’évolution que je viens de décrire, et cela sans agiter ses ailes, mais en leur donnant seulement des orientations différentes. Les choucas et les corneilles m’ont paru se comporter de même à l’abri des tours des cathédrales.

Les auteurs qui ont rapporté les cas les plus curieux de vol à voile les ont observés dans des régions montagneuses. C’était un condor dans les Cordillères, ou un aigle dans les Pyrénées. On a maintes fois décrit le vol à voile de certains oiseaux de proie, qui, au milieu d’une plaine, s’élèvent en tournoyant sans agiter leurs ailes. J’ai vu moi-même souvent les buses voler ainsi, mais toujours aussi j’ai constaté que dans son ensemble, la spirale qu’elles décrivent alors est déviée par le vent, et que, en définitive, l’oiseau s’en va à la dérive d’un mouvement plus ou moins rapide.

Même en la réduisant il ces limites, l’influence du vent sur le vol des oiseaux est encore difficile à expliquer, Elle se complique en effet de conditions très-multiples, dans lesquelles la vitesse acquise par l’oiseau, rencontrant sous des angles variables la direction du vent, donne naissance aux combinaisons de mouvements les plus variées.

On a dit encore qu’il règne dans les hautes régions de l’air des courants de sens variés, parfois même contraires à la direction du vent qui règne à la surface du sol. L’oiseau, passant alors d’une couche dans une autre, pourrait trouver des forces qui le poussent dans les directions opposées.

En somme, la question du vol il voile me semble une des plus difficiles à résoudre ; il serait téméraire de condamner absolument l’opinion des observateurs en s’appuyant sur une théorie et sur des notions aussi vague, que colles que nous possédons sur ce sujet.

Un des points les plus intéressants de la conformation des oiseaux consiste dans la détermination du rapport des surfaces alaires avec le poids de l’animal. Existe-t-il un rapport constant entre ce poids et ces surfaces. Cette question a été’ l’objet de nombreuses controverses.

Il est déjà démontré que .si l’on comparait des oiseaux d’espèces très-différentes et de poids égal, on pourrait trouver que les uns ont des ailes deux, trois ou quatre fois plus étendues que les autres. Les oiseaux à grandes surfaces sont ceux qui se livrent le plus ordinairement au vol plané, et qu’on fi appelés voiliers ; tandis que ceux dont l’aile est courte ou étroite sont plus ordinairement condamnés au vol ramé.

Mais si l’on compare deux oiseaux rameurs entre eux ou deux oiseaux voiliers ; si, pour mieux faire encore, on les choisit dans une même famille, afin de n’avoir entre eux que des différences de taille, on trouvera un rapport assez constant entre les poids de ces oiseaux et la surface de leurs ailes. Mais la détermination de ce rapport doit être basée sur certaines considérations qui ont longtemps échappé aux naturalistes.

M. de Lucy a cherché, pour tous les êtres qui volent, à mesurer la surface des ailes et le poids de l’animal. Puis, afin d’établir une unité commune entre ces animaux d’espèces et de tailles si différentes, il rapportait toutes ces mesures à un type idéal dont le poids était toujours de 1 kilogramme. Ainsi, après avoir constaté que le cousin, qui pèse 3 milligrammes, possède des ailes de 30 millimètres carrés de surface, il concluait que dans le type cousin, le kilogramme d’animal était supporté par une surface alaire de 10 mètres carrés.

Dressant un tableau comparatif des.mesures prises sur un grand nombre d’animaux d’espèces et de tailles différentes, il est arrivé aux chiffres suivants :

EspècesPoids de l’animalSurface des ailesSurface pour 1 kilogr.
Cousin 3 milligr 30 mm.carrés 10 m. carrés
Papillon 20 centigr 1663 mm2 8 1/3 m2
Pigeon 290 gram 750 cm2 2586cm2
Cigogne 2265 gram 4506cm2 1988cm2
Grue d’Australie 9500 gram 8543cm2 899cm2

De ces mesures, à travers les variations de détail, ressort cc fait bien saisissable : que les animaux de grande taille et de grand poids se soutiennent avec une surface alaire beaucoup moindre que les petits.

Un pareil résultat montre déjà que le rôle de l’aile dans le vol n’es ! pas seulement passif,car une voile ou un parachute doivent toujours avoir des surfaces proportionnelles aux poids sur lesquels ils doivent agir. Considérée au contraire à son point de vue véritable, c’est-à-dire comme un organe qui devra frapper l’air, l’aile de l’oiseau devra, ainsi qu’on va le voir, présenter une surface relativement moindre chez les oiseaux de grande taille et de grand poids.

Revenir en haut