Du vol des oiseaux (2e Partie)

E.-J. Marey, la Revue des cours scientifiques — 21 août 1869
Vendredi 23 octobre 2009 — Dernier ajout samedi 31 octobre 2009

La trajectoire parcourue par cc mobile sera située dans un plan vertical si les deux moitiés de l’appareil sont bien symétriques ; dans le cas contraire, elle s’infléchira du coté où l’appareil coupe l’air en trouvant le moins de résistance. Ces effets, bien faciles Il comprendre, sont identiques avec ceux que produit dans la marche d’un navire la résistance du gouvernail. Ils peuvent aussi se produire dans le sens vertical ; de sorte que la trajectoire de l’appareil peut être une courbe à concavité supérieure ou inférieure, suivant le cas.

Tout corps mince qui présente une courbure, tend Il glisser dans l’air dans le sens du rayon de sa propre courbure.

Si, dans notre petit appareil, nous relevons le bord postérieur ou le bord antérieur des plans latéraux, nous verrons, à un moment donné de sa chute oblique, l’appareil remonter contre la pesanteur, mais perdre bien vite son mouvement de translation. Que s’est-il passé ?

Tant que le mobile, dans sa chute, n’a eu que peu de vitesse, l’effet de la courbure de sa surface est resté insensible, parce que l’air ne présente de résistance aux surfaces qu’en raison de la vitesse dont elles sont animées. Lors donc que la vitesse a été assez grande, un effet de gouvernail s’est produit, qui a relevé l’extrémité antérieure du mobile et lui a imprimé une direction ascendante. Mais aussitôt la pesanteur qui était la force accélératrice du glissement de l’appareil dans l’air est devenue retardatrice, et à mesure que le mobile s’élevait.Il a perdu sa vitesse et est arrivé à l’immobilité. Après cela une rétrogradation commence, puis une rencontre en arrière, de façon que par oscillations successives l’appareil arrive enfin sur le sol.

J’ajoute que si l’on donne au mobile une légère concavité par en bas, l’inverse se produit, et l’on voit (fig. 72), à un certain moment, la trajectoire s’infléchir brusquement en bas et le mobile frapper le sol avec une grande violence. Dans ce second cas, au moment où l’effet du gouvernail s’est produit, la direction nouvelle s’est trouvée favorisée par la pesanteur qui a précipité la chute, tandis que, tout à l’heure, elle ralentissait la remontée.

J’ai insisté sur ces effets, parce qu’ils se produisent fréquemment. dans le vol des oiseaux. Les anciens traités de fauconnerie décrivent les évolutions intéressantes des oiseaux chasseurs. Sans remonter plus haut, on trouve dans Huber (in-8°, Genève, 1784) la description de ces mouvements curvilignes du faucon, auxquels on donnait le nom de passades, et qui consistaient en une descente oblique de l’oiseau suivie d’une ressource ou remontée ,(du latin resurgere). « L’oiseau (dit Huber), emporté par sa propre vitesse, irait toucher la terre et s’y fracasser, s’il n’usait de certaine faculté qu’il a de s’arrêter au plus fort de sa vitesse et de se porter droit et haut, au degré nécessaire pour être à même de faire une seconde descente. Ce mouvement suffit, non-seulement pour arrêter sa descente, mais encore pour le porter, sans qu’il fasse aucun effort, aussi haut que le niveau d’où il est parti. »

Assurément, il y a de l’exagération à dire que l’oiseau remonte jusqu’au niveau d’où il est parti, sans faire d’effort actif ; la résistance de l’air doit éteindre une partie de la force qui a été acquise pendant la chute et qui doit se transformer en remontée. On voit cependant que le phénomène de la ressource est bien constaté par les observateurs, et qu’il a été considéré par eux comme un acte en quelque sorte passif dans lequel l’oiseau n’a pas à dépenser de force musculaire.

Le planement présente dans certains cas une grande analogie avec les phénomènes décrits précédemment. Lorsque certains oiseaux, les pigeons par exemple, ont parcouru une certaine distance en ballant des ailes, on les voit suspendre tout battement pendant une ou plusieurs secondes, et glisser sur l’air, soit horizontalement, soit en s’abaissant ou en s’élevant. Le planement descendant est celui qui présente la plus longue durée ; en effet, ce n’est qu’une chute extrêmement ralentie, mais dans laquelle la pesanteur entretient le mouvement, tandis qu’elle le ralentit dans le planement horizontal ou ascendant. Dans ces deux dernières formes, l’aile, plus ou moins obliquement dirigée, prend son point d’appui sur l’air, comme ce jouet d’enfant que l’on appelle le cerf-volant ; avec celte différence que la vitesse est imprimée au cerf-volant par la traction exercée sur la ficelle .lorsque l’air est calme, tandis que l’oiseau utilise dans le planement une vitesse qu’il a acquise, soit par une chute oblique, soit par des coups d’ailes préalables.

J’ai déjà dit que les observateurs avaient admis que certains oiseaux qu’ils appellent voiliers pouvaient, par la seule action du vent ; se soutenir et se diriger dans l’air. Celle théorie a toute l’apparence d’un paradoxe ; on ne comprend pas en effet que l’oiseau, immobile dans le vent, ne subisse pas l’entraînement de l’air sur lequel il glisse.

Si les passades ou les planements qu’il exécute peuvent le porter parfois en sens contraire de la direction du vent, ce ne sont que des effets passagers compensés à un autre instant par un entraînement plus rapide.

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