La lumière noire et les formes ultimes de la matière

A. de Marsy, La Nature, N°1410 - 2 juin 1900
Samedi 28 février 2009 — Dernier ajout jeudi 21 mars 2024

A. de Marsy, La Nature, N°1410 - 2 juin 1900

M. le Dr Gustave Le Bon continue ses études sur la lumière noire commencées depuis déjà quatre ans.

Sous ce nom général de lumière noire on sait qu’il désigne aujourd’hui les radiations suivantes :

1° La luminescence invisible. - Grâce à elle on peut photographier dans une obscurité profonde des corps qui n’ont pas vu la lumière depuis 18 mois. 2° Les radiations invisibles de grande longueur d’onde. - Elles rendent possible la photographie à la chambre noire à travers les corps opaques ainsi que nous l’ayons déjà expliqué dans ce journal. 3° Les émissions métalliques. - Ces dernières déchargent les corps électrisés ct impressionnent les plaques photographiques à travers les obstacles mais n’agissent qu’à petite distance. Bien que ces émissions soient les premières dont M. Gustave Le Bon se soit occupé ce sont celles dont l’étude est la moins avancée encore.

Les métaux ordinaires ont une émission très faible, Becquerel et d’autres observateurs découvrirent plus tard que l’uranium , le thorium, etc., sont de beaucoup plus actifs. On reconnut aussi que certains sels dits radio-actifs possèdent les mêmes propriétés à un degré bien plus élevé encore. Quelques-uns de ces composés, le chlorure de baryum radifère par exemple , sont spontanément phosphorescents.

En étudiant ces derniers sels et en voyant à quel point leurs propriétés se modifient par la chaleur, l’humidité, etc., M. Gustave Le Bon a été amené à conclure que les propriétés des corps dits radio-actifs sont dues - comme cela est admis de plus en plus pour les corps phosphorescents - à des réactions chimiques très mobiles pouvant se faire et se défaire au sein de corps solides - sels ou métaux, - sous l’influence de causes très simples telles par exemples que de faibles variations de température.

Pour justifier cette hypothèse, il fallait trouver des corps pouvant devenir radio-actifs sous l’influence de réactions bien déterminées. Tel est le but du dernier travail que M. Gustave Le Bon a publié récemment dans les Comptes-rendus de l’Académie des sciences et développé ensuite dans un Mémoire.

Parmi les corps présentant les phénomènes dits radio-actifs l’auteur cite notamment le sulfate de quinine. Plaçons une couche mince de ce sel sur une feuille de papier que nous poserons ensuite sur une plaque métallique chauffée à 120° environ ( [1] ). Le sulfate de quinine devient bientôt phosphorescent et la phosphorescence s’éteint en quelques minutes. En enlevant alors le papier et le posant sur un corps froid le sel redevient lumineux et on augmente sa luminosité en soufflant légèrement à sa surface.

Au bout d’un quart d’heure il cesse de briller. En le chauffant de nouveau il brille encore et cette série d’opérations peut être répétée indéfiniment. Si pendant qu’il se refroidit on le place sur le plateau d’un électroscope il le décharge rapidement même à travers un obstacle matériel tel qu’une feuille mince de métal. Les réactions qui se passent alors sont très simples. Le sulfate de quinine chauffé se déshydrate, refroidi il s’hydrate. La phosphorescence et les divers phénomènes de radio-activité accompagnent l’hydratation et la déshydratation par simples variations de température. Beaucoup de corps présentent les mêmes propriétés que le sulfate de quinine. Des réactions fort différentes de l’hydratation peuvent produire, comme l’a également démontré M. Gustave Le Bon, des phénomènes de radio-activité.

En quoi consistent les radiations émises par les corps radio-actifs, c’est-à-dire par des métaux divers tels que l’uranium, le zinc, l’aluminium, etc., ou par des sels tels que le chlorure de baryum radifère, le sulfate de quinine, etc. Leur rayonnement est-il bien constitué par des radiations, c’est-à-dire par un phénomène se passant au sein de l’éther et se propageant comme la lumière par ondulations ? 0n l’a cru pendant quelque temps, mais tous les physiciens admettent aujourd’hui, comme l’a soutenu M. Gustave Le Bon le premier, il y a trois uns, que les prétendues radiations des coprs radio-actifs ne se polarisent pas et ne se réfractent pas, Ce ne sont donc pas des radiations et il devient dès lors probable qu’elles sont constituées par une émission de matière se rapprochant des émanations cathodiques.

Mais cette matière qui traverse les corps matériels décharge les corps électrisés, impressionne les plaques photographiques, etc., ne peut être ni un gaz ni une vapeur. Elle diffère même beaucoup, d’après Gustave Le Bon, des ions, c’est-à-dire des molécules dissociées par l’électricité. Suivant lui ce n’est pas la molécule mais l’atome qui serait dissocié. Cette dissociation serait telle que les particules infiniment petites désignées sons le nom d’atomes seraient des infiniment grands vis-à-vis de cette forme ultime de la matière et c’est pourquoi les corps pourraient en émettre indéfiniment sans perdre sensiblement de leur poids. Le fait que ces particules se conduisent comme des courants électriques, ainsi que le prouve leur déviation par l’aimant et leur propriété de rendre l’air conducteur de l’électricité, démontre qu’elles sont animées d’une extrême vitesse. Tontes ces expériences, dit M. Gustave Le Bon en terminant son Mémoire, montrent que ces atomes dissociés, ces particules de matière immatérielle, si l’on osait s’exprimer ainsi, particules qui peuvent traverser les obstacles les plus matériels, représentent une forme ultime de la matière tout à fait différente de celles que la chimie nous fait connaitre. C’est un monde nouveau plein de mystère qui s’ouvre aux investigations des chercheurs.

Nous représentons ici quelques-uns des appareils employés par le Dr Gustave Le Bon dans ses nouvelles expériences.

La lumière noire et les formes ultimes de la matière

On voit dans la figure n°1 le tube BC de métal soudé dans lequel sont enfermés les corps en expérience. Les particules produites par les réactions chimiques (par exemple celle de l’eau sur le phosphore) traversent les parois du métal pour décharger l’électroscope à projection DG.

La figure n°2 représente la formation d’effluves capables de traverser les obstacles matériels par l’action de la lumière agissant sur certains métaux fraîchement nettoyés (magnésium, zinc, cuivre amalgamé, etc.). Un miroir AC fait avec un de ces métaux et monté sur un pied CD électriquement isolé est relié par un fil métallique E à un électroscope déchargé F. Le miroir AC est placé au-dessus d’un électroscope chargé B et exposé au soleil. Sous l’influence de la lumière, F se charge pendant que B se décharge, ce qui montre la conductibilité établie entre A et B par émission d’effluves. Le rnêrne appareil (l’ électroscope F et le fil E étant supprimés) sert à prouver que ces effluves métalliques traversent les obstacles matériels. On interpose entre le miroir AC et le plateau de l’électroscope B une mince feuille d’étain, corps peu sensible à la lumière. La décharge se fait à travers ce métal, ce qui montre qu’il a été traversé par les effluves émis par le miroir AC sous l’influence de la lumière.

La figure n°3 représente le polariscope imaginé par M. Gustave Le Bon pour prouver, par l’absence de double réfraction à travers du spath d’Islande des images formées sur une plaque photographique, que les effluves qui émanent des corps dits radio-actifs , tels que l’uranium, ne sont pas des radiations comparables à celles de la lumière. Un appareil analogue lui avait déjà servi pour prouver la polarisation de la lumière invisible.

[1Cette température de120° s’obtient très facilement avec une lampe à projection à 2 mèches sur laquelle on place le couvercle d’une boite de conserves. Pour cacher la lumière qui empêcherait de voir la phosphorescence on remplace le verre qui ferme la lampe par une plaque de métal.

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