La force vive, la chaleur, la lumière et l’électricité dont nous disposons à la surface de la terre ne sont que des formes diverses de l’énergie et nous viennent, en très grande partie, du soleil.
Je me propose de développer aujourd’hui ces deux points, en prenant comme unités de force, de longueur et de temps, le kilogramme, le mètre et la seconde.
Quand une force tire un corps, qui se déplace suivant sa direction, elle produit un travail, égal, par définition, pendant chaque instant, au produit de la valeur de la force par le chemin parcouru par le corps. La pesanteur étant regardée comme constante, son travail dans la chute d’un corps est le produit du poids du corps par la hauteur de chute. Il résulte de l’expérience que l’espace parcouru pendant t secondes par un corps qui tombe librement est égal au produit de 4,90m par le carré de t. Le travail de la pesanteur est donc le produit de 4,90 par le carré de t, et par le poids du corps.
La vitesse d’un corps est à chaque instant, par définition, le quotient de l’espace parcouru pendant un temps très court, par le temps employé à le parcourir. Il résulte de l’expérience que la vitesse d’un corps qui tombe librement est au bout de t secondes égale au produit de 9,80m par t. On appelle masse d’un corps le quotient de son poids par 9,80, et force vive, le produit de la masse par le carré de la vitesse. La force vive d’un corps qui tombe librement est donc égale au bout de t secondes au produit de 9,80 par le carré de t, et par le poids du corps, ce qui est le double du travail de la pesanteur.
Ainsi il résulte de la mesure des espaces parcourus et des vitesses atteintes par un corps qui tombe librement que sa demi-force vive est égale au travail de la pesanteur. On peut arriver au même résultat et le généraliser beaucoup par la théorie.
Quand le point d’application se meut dans une autre direction que celle de la force, le travail de la force est le produit de sa valeur, non plus par le chemin parcouru, mais par la projection du chemin sur sa direction. Le travail est positif et la force s’appelle puissance si le chemin parcouru projeté est dirigé dans le même sens que la force. Le travail est négatif et la force s’appelle résistance, si le chemin parcouru projeté est dirigé en sens inverse de la force. Une puissance aide au mouvement en donnant un travail positif, qui s’ajoute à la force vive du corps. Une résistance entrave le mouvement en donnant un travail négatif dont la valeur absolue se retranche de la force vive du corps. La force vive totale d’un corps mobile est la somme des forces vives de ses parties. On démontre que l’augmentation de la demi-force vive d’un corps pendant un temps donné est rigoureusement égale à la somme algébrique des travaux des forces qui ont été appliquées à ses divers points pendant le même temps. Un corps qui se mouvrait dans l’espace sans être soumis à aucune force garderait une force vive rigoureusement constante.
Les molécules des corps ne sont jamais immobiles, mais elles tournent sur elles-mêmes. En outre, les molécules des solides oscillent autour de positions moyennes fixes, celles des liquides glissent les unes sur les autres, et celles des gaz se meuvent en général en ligne droite et ne se dévient que quand elles passent dans la sphère d’activité d’une molécule voisine. La force vive intérieure des molécules d’un corps est ce qu’on appelle la chaleur, et il faut tenir compte de ses variations dans l’application du principe de la conservation de la force vive.
S’il était possible de refroidir un corps jusqu’à 273° au-dessous de zéro, il n’aurait plus de force vive intérieure. Augmenter de 10 la température d’un litre d’eau liquide revient à augmenter de 425 la demi-force vive de ses molécules et, par conséquent, exige une dépense de 425 unités de travail moteur.
Une des facultés supérieures de l’homme consiste il pouvoir donner à son propre corps et aux objets qui l’environnent, des déplacements déterminés qui peuvent avoir une composante verticale ascendante ou descendante, et une composante horizontale.
Pour faire descendre un corps, il suffit de cesser de le soutenir et de laisser la pesanteur agir sur lui.
Si l’homme se propose d’élever un corps malgré la pesanteur, il faut qu’il développe et qu’il lui applique un travail moteur égal en valeur absolue à celui de la pesanteur qui est maintenant une résistance. Si ensuite il laisse retomber librement le corps jusqu’au point où il l’a pris, la pesanteur donne au corps une demi-force vive égale au travail moteur consommé dans l’ascension. Dans le treuil des carriers, l’homme se monte lui-même sur les barreaux de la roue. La pesanteur le fait descendre, fait tourner la roue, et l’arbre du treuil, en soulevant le poids qui y est suspendu.
Pour déplacer horizontalement un corps qui repose sur une surface solide, il faut vaincre le frottement du corps contre la surface. Si l’on lance un corps horizontalement sur une surface plane solide, la demi-force vive qu’on lui a communiquée est éteinte progressivement par le travail résistant du frottement, et le corps s’arrête. Mais, si l’on mesure avec des thermomètres suffisamment délicats la température du corps et de la surface flottante, on constate qu’ils se sont échauffés, et que, pour chaque unité de demi-force vive disparue, il s’est formé assez de chaleur pour échauffer d’un degré 1/425 de kilogramme d’eau. Cette chaleur est équivalente à la demi-force vive disparue.
Si le corps, au lieu d’être lancé en glissant, est lancé en roulant, les phénomènes sont les mêmes, sauf qu’il perd beaucoup moins vite sa force vive. Si l’on lance, avec une égale vitesse, sur le tapis d’un billard, un presse-papier en ivoire qu’on fait glisser sur sa base, ou une boule d’ivoire du même poids qu’on fait rouler, la boule ira beaucoup plus loin que le presse-papier. Le frottement de roulement est beaucoup moins fort que le frottement de glissement. On peut le diminuer encore en le faisant exercer entre des surfaces parfaitement polies, comme les rails des chemins de fer et les jantes des roues des wagons. Si l’on lance un wagon sur une voie horizontale, il parcourt un certain chemin pendant lequel le frottement de roulement produit un travail négatif égal en valeur absolue à la demi-force vive qu’on avait communiquée au wagon. Si l’on veut lui conserver une vitesse constante, il faut lui appliquer une puissance qui produise un travail positif, égal en valeur absolue au travail négatif du frottement de roulement. Le travail moteur dépensé ne peut pas être directement récupéré, comme dans le cas de l’ascension d’un corps. Il se transforme en chaleur qui se partage entre les corps frottants.
Pour déplacer un corps quelconque, il ne suffit pas que l’homme lui conserve une vitesse uniforme ; il faut d’abord qu’il la lui communique. Il faut pour cela qu’il produise un travail moteur égal à la demi-force vive du corps. Au moment de l’arrêt, il devra en général éteindre cette demi-force vive, en augmentant à dessein les résistances. Tel est le but des freins employés dans les chemins de fer.
Je vais maintenant prendre un exemple numérique, se rapprochant du parcours d’un train express de Bordeaux à Marseille. Je suppose une ligne de chemin de fer partant en ligne droite du bord de la mer, montant pendant 300 kilomètres une rampe uniforme de 2 millimètres par mètre, et redescendant ensuite une pente uniforme de 2 millimètres par mètre également pendant 300 kilomètres. Un train du poids total de 200 tonnes parcourt cette ligne avec une vitesse maxima de 60 kilomètres à l’heure entre les stations, distantes de 100 kilomètres. La locomotive pèse 40 tonnes. Le coefficient de frottement de glissement de ses roues contre les rails varie entre 1/5 si les rails sont très secs, et 1/20 s’ils sont très gras. La locomotive patinera, c’est-à-dire que ses roues tourneront sur place en glissant, si l’effort à exercer dépasse 8000 kilogrammes dans le premier cas, et 2000 kilogrammes dans le second. Avec un train de 200 tonnes il sera environ de 4000 kilogrammes, et, si les rails sont assez secs, les roues de la locomotive rouleront sans glisser. Le travail du frottement de roulement est de 4000 unités par mètre courant, soit 2 milliards 400 millions d’unités pour les 600 kilomètres ; il est équivalent à la chaleur nécessaire pour porter de 0° à 100° 56 mètres cubes d’eau. Voilà le premier élément du travail que doit produire la machine. Elle doit ensuite monter le train à 600 mètres de hauteur. ce qui consomme 120 millions d’unités du travail, soit un travail équivalent à la chaleur nécessaire pour porter de 0° à 100°, 3 mètres cubes d’eau. Ce travail se retrouvera à la descente. La machine doit enfin communiquer au train entre chaque station une vitesse de 16,67m par seconde, soit une demi-force vive d’environ 3 millions d’unités, équivalente à la chaleur nécessaire pour porter de 0° à 100°, 65 litres d’eau. Cette demi-force vive, produite six fois, est autant de fois éteinte en serrant les freins. Il résulte de cette comparaison que, dans les conditions de l’exemple que nous avons choisi, la plus grande partie du travail moteur nécessaire est destinée à vaincre le frottement de roulement. S’il y avait sur la voie une rampe de 30 millimètres par mètre, le travail employé à vaincre la pesanteur serait de 6000 unités par mètre courant, et par conséquent deviendrait prédominant. S’il y avait à la descente une pente également de 30 millimètres par mètre, il faudrait demander à la machine par mètre courant, pour maintenir la vitesse constante sur cette pente, non plus un travail moteur de 4000 unités, mais un travail résistant de 2000 unités. Cela s’appelle faire marcher la machine à contre-vapeur.
Tout travail de l’homme a donc pour objet de communiquer à un corps donné une certaine quantité de demi-force vive. Il a d’abord employé à cet effet sa force musculaire, celle de ses semblables et celle des animaux réduits en domesticité. Puis il a eu recours successivement à divers auxiliaires que je vais énumérer.
Les rivières coulent et portent constamment à la mer un volume d’eau énorme, qui s’y rend sous l’influence de la pesanteur. Quand un litre d’eau descend de 1 mètre de hauteur, la pesanteur exerce sur lui un travail moteur égal à l’unité et accroît d’autant sa demi-force vive, à moins que des résistances diverses ne tendent à la diminuer. Ainsi, si le mouvement s’opère en passant sur une roue hydraulique, celle-ci prend pour elle-même une partie de la demi-force vive et peut la transmettre et d’autres organes.
Quand le vent souffle avec violence, l’air est animé d’une grande quantité de force vive malgré sa faible masse, car la vitesse entre au carré dans l’évaluation de la force vive, et la vitesse du vent atteint parfois 50 mètres par seconde. On peut prendre à l’air une partie de cette force vive en lui faisant choquer les ailes d’un moulin à vent.
Quand on est au bord de la mer, on voit son niveau s’élever et s’abaisser alternativement. Deux hautes mers consécutives sont séparées en moyenne par un intervalle de 12h25’, La hauteur des marées dépend des lieux et des jours, et il n’est pas très rare qu’elle dépasse 10 et même 15 mètres. On n’a encore presque rien fait pour utiliser la force des marées ; mais si l’on établissait au bord de la mer de vastes récipients capables de s’emplir à la marée montante et de se vider à la marée descendante, en faisant passer l’eau sur des roues hydrauliques, on recueillerait sur ces roues une énorme quantité de force vive. [1]
Quand on transforme l’eau en vapeur, elle absorbe à ce moment sans changer de température une grande quantité de chaleur. Pour vaporiser 1 kilogramme d’eau à 100°, il faut dépenser la même quantité de chaleur que pour porter de 0° à 100° 5,365kg d’eau liquide. Si l’on vaporise de l’eau dans un vase fermé, la vapeur exerce une pression sur les parois du vase. Quand elle pousse un piston sur la surface duquel s’exerce une résistance, elle produit du travail moteur. Si le vase est chauffé, le travail produit est le résultat de la transformation de la chaleur donnée au vase. Dans le cas contraire, la détente s’accompagne d’une condensation partielle, et le travail produit est le résultat de la transformation d’une partie de la chaleur latente de vaporisation. Dans tous les cas, le rapport de la chaleur détruite au travail produit est égal au rapport que nous avons indiqué plus haut entre le travail détruit et la chaleur dégagée. Les machines à vapeur du monde entier produisent un travail équivalent à celui d’un milliard d’hommes.
En résumé, les cinq sources principales auxquelles l’homme emprunte la force vive qu’il donne aux corps sont les suivantes : 1° les hommes et les animaux ; 2° les cours d’eau ; 3° le vent ; 4° les marées, et 5° la pression de la vapeur d’eau. Je vais examiner dans chacun de ces cinq cas d’où vient cette force vive.
Les animaux ne produisent du travail qu’à la condition de manger et de respirer. Ils respirent de l’oxygène que le sang artériel va porter dans toutes les parties du corps. Cet oxygène brûle les muscles et la graisse et produit principalement de l’acide carbonique, de l’eau et de l’urée. L’acide carbonique est emporté par le sang veineux et rejeté par les organes respiratoires ; l’eau circule dans le corps et sort à l’état de vapeur d’eau exhalée, à l’état de sueur, ou à l’état d’urine ; l’urée est rejetée avec les urines. La chaleur qui se produit dans cette combustion incessante des organes des animaux les entretient à une température plus élevée que celle du milieu ambiant. Elle entretient même les animaux supérieurs à une température à peu près constante.
C’est à Lavoisier que revient l’honneur d’avoir montré le premier que la chaleur des animaux provient de la combustion respiratoire. Il a pris un cochon d’Inde et l’a placé d’abord dans un gazomètre, où il lui a fourni un poids mesuré d’oxygène et où il a précipité par un lait de chaux l’acide carbonique dégagé par l’animal. L’augmentation de poids du lait de chaux lui a fait connaître le poids de l’acide carbonique, et il en a déduit la quantité de chaleur qui aurait été dégagée, s’il avait été formé par la combustion du carbone libre. Il a admis que l’oxygène dépensé qui ne se retrouvait pas dans l’acide carbonique avait formé de l’eau, et il en a déduit la quantité de chaleur qu’il aurait dégagée en s’unissant à de l’hydrogène libre. Il a négligé la chaleur absorbée pour la décomposition des matières animales et n’a pas tenu compte non plus de l’azote ni des autres substances. Il a obtenu ainsi, par le calcul, d’une façon approchée, la quantité de chaleur dégagée par la combustion respiratoire de l’animal. Puis il a pris le même cochon d’Inde et l’a placé pendant le même temps dans de la glace fondante. Il a mesuré la quantité de glace fondue et en a déduit la chaleur dégagée par l’animal. L’animal, n’étant pas dans les mêmes conditions, n’a pas dégagé exactement la même quantité de chaleur que la première fois ; mais le rapport de la chaleur mesurée à la chaleur calculée s’est trouvé néanmoins égal au rapport de 9 à 10.
Si l’animal avait travaillé au lieu de rester inactif, la chaleur obtenue dans le calorimètre aurait été moindre que la chaleur dégagée dans la combustion. Une partie de la chaleur de combustion se transforme en une quantité équivalente de travail. Au moment de l’accomplissement d’un travail, ta combustion s’accélère, et elle continue à être plus active encore quelque temps après. C’est là ce qui explique que le travail échauffe, ainsi que chacun a pu le constater.
Les animaux doivent absorber une quantité d’aliments azotés ou hydrocarbonés égale à celle qu’ils brûlent, et même supérieure pendant la période de la croissance. Quand on mange trop de matières hydrocarbonées, l’excédent constitue des réserves de graisses sur lesquelles on peut vivre à peu près exclusivement pendant environ un mois à la condition de produire peu de travail. Tout le monde connaît l’expérience célèbre du docteur Tanner, qui n’a pris que de l’eau pendant 40 jours. Les habitants des pays froids doivent absorber une bien plus grande quantité d’aliments hydrocarbonés combustibles, tels que la graisse et l’alcool, que les habitants des pays chauds.
Les matières hydrocarbonées que brûlent les hommes et les animaux ont été formées par les végétaux. Les végétaux absorbent de l’eau par leurs racines et de l’acide carbonique par leurs feuilles. La chlorophylle réduit ces matières sous l’influence de la lumière solaire. La réduction ou désoxydation absorbe une quantité de chaleur égale à celle que dégage la combustion ou l’oxydation. Les résidus, oxyde de carbone et hydrogène, se combinent et forment la cellulose, qui est le principal élément des végétaux. Cette cellulose sert ensuite à la constitution des animaux qui mangent les végétaux. Le travail produit par les hommes et les animaux est donc le résultat de la transformation de la lumière solaire absorbée par les plantes.
Je passe maintenant aux autres sources auxquelles l’homme emprunte la force vive. L’eau descend constamment des continents à la mer, et ce courant est alimenté par un courant inverse de vapeur d’eau qui s’élève de la mer et qui retombe sur les continents et sur les montagnes à l’état d’eau et de neige. C’est la chaleur solaire qui évapore l’eau de la mer et lui permet de s’élever dans l’atmosphère.
La vitesse relative de l’air par rapport à la terre tient à l’échauffement inégal par le soleil des diverses parties de l’atmosphère et à la vitesse inégale que le mouvement de rotation de la terre donne à ses divers points. Le volume d’air tend à s’élever ou à s’abaisser, selon qu’il est plus ou moins chaud que le reste de l’atmosphère. L’air descend près des pôles à la surface de la terre, et s’élève près de l’équateur dans les régions supérieures de l’atmosphère. Il en résulte un courant qui se rend, à la surface de la terre des pôles à l’équateur, et un contre-courant qui se rend, dans les régions supérieures de l’atmosphère, de l’équateur aux pôles. Le courant nord-sud, qui circule dans notre hémisphère à la surface de la terre rencontre successivement des parallèles animés de vitesses absolues de plus en plus grandes de l’ouest à l’est et il se combine par suite avec une vitesse relative de plus en plus grande de l’est à l’ouest. Il en résulte que dans notre hémisphère le vent doit normalement souffler du nord-est, mais il peut prendre une autre direction par suite de l’échauffement inégal des diverses parties de l’atmosphère.
Le phénomène des marées tient à ce que la terre tourne sur elle-même en un jour, alors que la lune met environ 27 jours 1/3 à parcourir son orbite. L’eau tend à former à la surface de la terre un ellipsoïde allongé dans la direction de la lune. Mais, de même que le maximum de température à la surface de la terre se produit après le maximum d’échauffement par le soleil, de même la haute mer se produit après le passage de la lune au méridien. L’intervalle existant tient à la configuration des côtes et s’appelle établissement du port.
Le soleil tend de son côté à donner à la mer la forme d’un ellipsoïde allongé dans la direction du soleil, et il en résulte des marées spéciales qui sont hautes quelques heures après le passage du soleil au méridien. Les marées causées par le soleil ne sont à cause de son grand éloignement que le tiers de celles causées par la lune, et elles se bornent à les modifier quelque peu. Les plus hautes marées du mois sont celles qui ont lieu à la pleine lune ou à la nouvelle lune quelques heures après midi ou minuit, parce que le soleil et la lune sont à ce moment dans le même méridien. Les plus hautes marées de l’année sont celles qui satisfont à la condition précédente, en même temps qu’à celle d’être voisines de l’équinoxe de printemps ou d’automne, parce qu’à ce moment le soleil est dans le plan de l’équateur terrestre. Ces marées peuvent être elles-mêmes plus ou moins hautes suivant la distance de la terre où se trouve à ce moment la lune. Le phénomène des marées aurait pour effet, s’il n’y avait pas de terres émergées, de faire tourner l’eau moins vite que la terre. Si l’on emprunte de la force vive au mouvement relatif de l’eau par rapport à la terre, c’est le mouvement de rotation de la terre qui la fournit.
Le travail fourni par les machines à vapeur provient de la chaleur de combustion du bois ou de la houille. Dans le premier cas, cette chaleur provient elle-même de la lumière versée par le soleil sur nos forêts. Il en est de même dans le second cas, car la houille s’est formée par l’action de la chaleur et de la pression sur les débris accumulés au fond de l’eau et pourris des forêts de l’époque houillère [2].
Cette étude sommaire des différentes sources auxquelles l’homme puise la force vive est résumée dans les trois propositions suivantes : 1° le travail fourni par les hommes. les animaux, les cours d’eau et les machines à vapeur, c’est-à-dire presque tout le travail utilisé par les hommes, provient de la chaleur et de la lumière solaire ; 2° le travail qu’on pourrait faire produire aux marées proviendrait de la force vive de rotation de la terre ; 3° le travail des moulins à vent peut provenir simultanément de ces deux causes.
Ces deux sources d’énergie disponible, auxquelles l’homme peut puiser, ne sont pas aussi distinctes qu’elles le paraissent à première vue, car elles ont comme origine commune la force vive accumulée à l’origine dans la nébuleuse qui en se condensant a constitué notre système solaire. C’est là en définitive l’unique source d’énergie à laquelle peuvent puiser les habitants de la terre.
Je vais maintenant examiner le cas particulier, où l’homme se propose de produire un certain travail loin du point où il se trouve, en employant à cet effet l’électricité dont je n’ai pas encore parlé.
L’électricité est, comme la chaleur, une forme particulière de l’énergie. Thalès la produisait il y a vingt-cinq siècles en frottant de l’ambre avec de la laine, et la machine électrique à plateau se compose essentiellement d’un disque de verre frottant contre des coussins, entre lesquels on le fait tourner. Dans l’un et l’autre cas, la force vive qui disparait est remplacée par une quantité équivalente de chaleur et d’électricité. La dissolution du zinc dans l’acide chlorhydrique produit à la fois de la chaleur et de l’électricité. L’électricité dégagée par une pile est la récupération d’une partie de la chaleur consommée pour réduire l’oxyde de zinc.
Une machine de Gramme se compose d’aimants disposés autour d’un cercle et présentant des pôles alternativement de noms contraires, et d’un même nombre d’électro-aimants susceptibles de se mouvoir dans un cercle contigu. Un électro-aimant, qu’on désigne souvent sous le nom d’électro, est une barre de fer entourée par un fil métallique en spirale, dans lequel on peut faire passer le courant électrique d’une pile. Si on fait passer, dans les fils conducteurs des électros d’une machine de Gramme, des courants alternativement de sens contraire, chacun d’eux est, par exemple, attiré par le pôle d’aimant suivant et repoussé par le précédent. Si chacun des électros passe simultanément devant un pôle d’aimant et si à ce moment on change le sens de tous les courants, les aimants qui attiraient un électro le repoussent, et, inversement, ceux qui le repoussaient l’attirent. Le mouvement des électros se continue donc dans le même sens, et le courant électrique est transformé en force vive. Inversement, si l’on met les électros en mouvement, sans mettre leurs fils en communication avec une pile, il s’y produit un courant induit, alternativement de sens contraire, et la force vive dépensée pour mouvoir les électros se change en électricité.
L’électricité a la propriété de se transmettre à peu près intégralement et instantanément à une distance quelconque. On peut la produire au point de départ, soit avec une pile, soit avec une machine Gramme, mue par une chute d’eau ou par une machine à vapeur.
Dans les télégraphes et dans les téléphones, on transmet à une distance quelconque une quantité très faible de force vive sous forme d’électricité produite par une pile, dont on interrompt et dont on laisse passer alternativement le courant. La pointe du télégraphe Morse trace sur un papier des points et des barres qui, par leur combinaison, représentent des lettres. L’indicateur du télégraphe Breguet se meut devant un cadran où sont inscrites toutes les lettres de l’alphabet et peut s’arrêter successivement devant chacune d’elles. L’aiguille du télégraphe transatlantique a de petites oscillations qui sont rendues visibles par un miroir. La plaque téléphonique vibre comme celle devant laquelle on parle et reproduit les mêmes sons.
M. Marcel Deprez s’est proposé récemment de transporter à distance des quantités notables de force vive, mises sous forme d’électricité au moyen de la machine Gramme, et remises sous forme de force vive par une autre machine analogue. Il a fait des expériences entre Miesbach et Munich en 1882 ; entre Vizille et Grenoble en 1883, et entre Creil et Paris en 1884. Il a réussi à obtenir sur la machine réceptrice 60 pour 100 du travail consommé dans la machine génératrice.
Ce transport de la force à distance a un grand intérêt à l’heure actuelle. On peut produire où l’on veut de la force en brûlant du charbon ; mais on brûle actuellement sur la surface du globe 400 millions de tonnes de charbon par an, et, dans ces conditions, les provisions de houille de la surface du globe dureront à peine quelques siècles. La force des cours d’eau et celle des marées paraît au contraire illimitée ; mais jusqu’ici il fallait la faire travailler sur place. Cette difficulté avait réduit à peu de chose l’utilisation des cours d’eau et à très peu près à rien l’utilisation des marées. Il me parait probable que les inventions de M. Marcel Deprez aideront à utiliser beaucoup plus complètement la force des cours d’eau et des marées et à ménager ainsi nos provisions de houille.
Une autre application de l’électricité consiste à la transformer en lumière. On obtient soit une lumière étincelante entre deux pôles de charbon, soit une lumière très calme et très belle en faisant passer le courant électrique dans un fil mince.
Les lampes électriques à incandescence pourront devenir d’un grand secours dans les mines grisouteuses. On les emploie, à Paris, pour éclairer l’Hôtel de Ville, l’Opéra et quelques autres édifices, appartements et magasins. On les emploie de même dans les grandes villes d’Europe et d’Amérique. La lumière qu’on obtient dans ces lampes provient de la transformation de l’électricité.
Voyons maintenant quelle est l’origine de la lumière que nous donnent le gaz, les lampes ou les bougies. L’huile que nous brûlons dans les lampes a été formée par des végétaux, au moyen de l’action réductrice de la lumière solaire. L’acide stéarique de nos bougies provient de la graisse d’animaux herbivores. Le gaz est extrait de la houille. Quel que soit donc le mode d’éclairage que nous adoptions, la lumière que nous obtenons provient de celle qui a été antérieurement versée par le soleil sur la terre.
La lumière est, comme la force vive, la chaleur et l’électricité, une forme particulière de l’énergie. On admet qu’il existe partout, même dans les espaces interplanétaires, un fluide impondérable appelé éther, et que la lumière résulte de vibrations extrêmement petites et extrêmement rapides de ce fluide. Les particules d’éther décrivent des courbes qui ont pu être étudiées dans un plan perpendiculaire à la direction de la propagation de la lumière.
La longueur d’onde, c’est-à-dire la distance de deux points voisins qui vibrent synchroniquement, varie entre 1/1550 de millimètre pour l’extrême rouge et 1/2500 de millimètre pour l’extrême violet.
la vitesse de propagation de la lumière est de 308000 kilomètres par seconde. Par suite, les vibrations qui frappent l’œil pendant chaque seconde sont au nombre de 477 à 770 millions de millions.
Le soleil communique à l’éther qui l’environne des vibrations dont la longueur d’onde est variée. Suivant la grandeur de leur longueur d’onde, ces vibrations exercent sur nos sens et sur nos réactifs une action calorifique, lumineuse ou chimique. L’action chimique est le principe de la photographie.
Notre œil est disposé de manière à nous donner des ’sensations diverses quand il reçoit des vibrations dont la longueur d’onde est comprise entre 1/2500 et 1/1550 de millimètre, mais les vibrations qui partent du soleil ont des longueurs d’onde comprises entre des limites beaucoup plus étendues.
La partie de ces vibrations qui tombe sur la terre y produit les principaux effets suivants : ce rayonnement nous éclaire et nous échauffe ; il fait pousser les plantes destinées à nourrir les hommes et les animaux et à leur permettre de produire du travail ; il fait pousser les bois que nous brûlons pour nous chauffer et pour produire du travail ; il vaporise sous les tropiques l’eau qui va porter partout la vie et qui donne le mouvement à nos roues hydrauliques. Ce sont encore ces mêmes vibrations qui ont produit, dans les siècles passés, la houille d’où nous tirons lb volonté de la chaleur, de la lumière ou de la force. En résumé, presque toute la chaleur, la lumière et la force vive dont nous disposons nous viennent du soleil, qui est pour notre terre le grand dispensateur de vie, comme chaque étoile l’est dans son voisinage.
A. Badoureau