La fermentation alcoolique. Dernières expériences de Claude Bernard

La Revue Scientifique — 20 juillet 1878
Dimanche 18 novembre 2012

[!sommaire]Lorsque Claude Bernard fut enlevé à la science, son génie était dans toute sa force et son esprit d’invention n’avait souffert aucune diminution. Havait entrepris depuis quelques mois une nouvelle série de recherches sur la fermentation alcoolique et il annonçait à ses amis et à ses élèves qu’il croyait avoir fait des découvertes susceptibles de modifier profondément les théories régnantes. Malheureusement la mort l’a surpris avant qu’il ait pu donner son secret ; quand il en eut la pensée, il était déjà trop lard : « Cela est dans ma tête, » disait-il à M. d’Arsonval, son dévoué préparateur, qui a entouré ses derniers moments des soins les plus affectueux, « cela est dans ma tête, mais je suis trop fatigué pour vous l’expliquer. »

Cl. Bernard n’avait pas l’habitude d’écrire le détail de ses expériences avant d’être parvenu à des résultats définitifs. Aussi tout portait ses amis à regarder ses dernières découvertes comme complètement perdues, lorsque M. d’Arsonval retrouva dans un coin, soigneusement caché, le cahier de notes qui suit et qui est entièrement autographe.

Ce sont des notes de laboratoire, relatant sous une forme sommaire les essais que Cl. Bernard avait exécutés en octobre 1877, dans sa propriété de Saint-Julien, près Ville-franche, à l’époque des vendanges. Les résultats en sont présentés d’une façon trop abrégée pour constituer une démonstration rigoureuse, pas plus que ne le font en général les notes des inventeurs : une portion de leurs vues et de leurs travaux, souvent la plus décisive, demeurant réservée dans leur esprit, jusqu’au jour de la rédaction finale. Ces brèves indications offrent un intérêt spécial parce qu’elles sont accompagnées de ces réflexions personnelles, que tout savant original s’adresse à lui-même, à titre de commentaire provisoire de ses observations présentes.

Cl. Bernard avait poursuivi ses expériences au Collège de France pendant les mois de novembre et de décembre : mais aucune note relative à ces dernières recherches n’a pu être retrouvée.

Tout ce que nous savons, c’est que ses déclarations, quelques jours avant sa mort, étaient tout à fait conformes aux affirmations générales des notes de Saint-Julien.

Dans cet état des choses, plusieurs amis et élèves de Cl. Bernard ont pensé qu’il y avait intérêt pour la science à conserver la trace des dernières préoccupations de ce grand esprit, quelque incomplète qu’elle nous ait été laissée. On y verra comment il entendait attaquer le problème et par queUes voies il espérait en atteindre la solution.

M. Berthelot


Notes diverses.

  1. Jus de raisin ; levure de bière pourrie ; pancréas qui pourrit, etc. ;
  2. Faire sécher lie, ferment de vin ;
  3. Raisins confits gonflés dans l’eau, le jus ne fermente pas si la pellicule n’est pas rompue ; raisins pourris secs ;
  4. Ajouter eau à raisins pourris ;
  5. Filtrer jus sur le résidu, sur le marc de raisins pourris, cela fera-t-il du jus vieux à raisins pourris avec jus récent non pourri ;
  6. Formation d’alcool indépendamment de la cellule. Exemples :
    • A. Raisins pourris exprimés, ajoutés à liquide pur.
    • B. Mélange de jus pourri avec jus récent non pourri.
      Y aura-t-il alcool sans ferment ?
      Le ferment soluble serait-il dans le raisin pourri ?
      Dans le raisin récent les germes se forment.
      Dans le jus pourri la force plastique serait tuée, mais le ferment soluble existerait ; se formera-t-il de l’alcool sous cette influence ?
  7. Jus de raisin pourri mêlé à jus de raisin récent fermentera-t-il ?

Le jus de poires est-il comme le jus de raisin pourri ?

En ajoutent très peu de matière azotée, elle s’épuise et ne fermente plus.

Dans le jus de fruit pourri où la faculté plasmatique est tuée, l’alcool augmentera-t-il ? Le priver d’alcool par dessiccation ou par le vide, puis ajouter de l’eau et voir si alcool se reformera ?

Le jus de raisin pourri, quoique sucré, ne fermente pas, ; ajouter ferment, il fermentera. — Oui.

Pourquoi ferment ne se forme-t-il pas ?

Ajouter liquide albumineux à jus récent, produira-t-il alcool par pourriture sans levure ? Ce sera le ferment alcoolique soluble.

Les jus de poires et pommes pourries ne donnent pas de levure ; les jus de poires fraîches en donneront, c’est comme le raisin. Pourquoi ? Ajouter glucose au jus de poires pourries ou raisin pourri, se formera-t-il levure ?

Tout cela est curieux à suivre.


Saint-Julien, 1er octobre 1877.

Expériences sur la recherche des germes de levure sur les grappes de raisin

Je prends des grappes de raisin mûr, je les lave dans de l’eau claire de la serre, eau venant des toits, avec un pinceau de blaireau comme l’indique Pasteur. Il en résulte un liquide trouble. Examiné au microscope immédiatement, je ne découvre rien qui puisse ressembler à des germes ou à quelque chose d’organisé. Je ne vois que des corpuscules provenant de la poussière ou des parties terreuses qui se trouvaient à la surface de la grappe ou des grains de raisin.

Je traite de la même manière des grappes de raisin vert (aigres) et je n’y découvre immédiatement pas autre chose que des corpuscules de poussière. En laissant ces eaux de lavage abandonnées à elles-mêmes dans ma chambre et en les examinant cinq ou six jours après, je constate à la surface de l’eau de lavage des raisins mûrs une pellicule formée d’infusoires : monades, vibrions avec d’autres infusoires plus gros. Au fond du verre, il y a un dépôt dans lequel on trouve des parties organisées, pouvant être plus ou moins analogues à ce qu’a figuré Pasteur dans son ouvrage. Mais ces produits n’ont eu lieu que postérieurement au lavage du raisin et sont le fait d’une production dans l’infusion, où il y avait peut-être un peu de jus de raisin ou des parties organisées ; car en frottant avec le pinceau quelques grains de raisin s’étaient détachés.

Dans l’infusion de verjus, il y avait beaucoup d’infusoires également, mais je n’y ai pas vu de ces végétations organisées.

On refait l’expérience en prenant tous les soins nécessaires pour ne pas détacher de grains de raisin.


Saint-Julien, 7 octobre 1877 (Expér. n° 4).

Expérience sur la formation de l’alcool dans le jus de raisin sans ferment

Le 7 octobre, je prends des raisins blancs pas très mûrs, je les presse immédiatement pour en extraire le jus, que j’examine aussitôt à l’alcooscope. Il n’y a pas sensiblement d’alcool, pas même de stries plates. — Je jette une autre partie du liquide sur un filtre, le liquide filtre en moins d’une heure, dans une chambre où la température est à moins de 10 degrés. Je sépare aussitôt une partie du liquide des parties organiques en suspension qui ont passé à travers le linge, de sorte que cette partie est soustraite à l’action des cellules ou des débris de cellules végétales ; je laisse filtrer le reste du liquide. — Le 9 octobre, tous les liquides étant restés dans la chambre à la température de 9 à 10 degrés, j’examine comparativement le liquide filtré le premier avec le liquide filtré le dernier. Les deux liquides donnent des indices à l’alcooscope ; mais il semblerait que le liquide filtré le dernier, c’est-à-dire resté en contact avec les débris de cellules sur le filtre, contient plus d’alcool, ce qui établirait que l’alcool ne se produit que sous l’influence des cellules ou débris de cellules et non d’un ferment soluble. Il est très important de décider si ce fait est exact ou non pour répondre à la théorie de Pasteur et juger si elle est fausse ou vraie. — Il faudrait un certain degré de maturité ou un certain temps de contact des cellules mises à l’air pour que le ferment soluble (produit d’altération) se formât.

Une autre partie du jus filtré, le second, c’est-à-dire séparé après trois ou quatre heures de filtration, donne autant d’alcool que le liquide filtré le dernier.

De sorte qu’en somme l’expérience est douteuse ; il faut la recommencer avec des raisins plus mûrs et moins mûrs pour voir l’influence de la maturité et des diverses conditions de cette expérience importante.

Je dois ajouter que tous les liquides filtrés n’avaient pas la moindre trace de troubles, il n’y avait pas la moindre trace de ferment formé, il y avait seulement des cristaux déposés au fond des vases.

Conclusion. — Cette expérience démontre que le jus primitivement exempt d’alcool en a formé en dehors de tout contact de cellules ; seulement il reste à décider si la prolongation du contact avec les débris de cellules augmente la quantité d’alcool, sans que pour cela il y ait formation de cellules de levure. (Voir expérience n° 6.)


Saint-Julien, 8 octobre 1877.

Expériences sur les raisins sains et pourris

Sur une treille (celle de la terrasse), j’ai recueilli sur les mêmes raisins :

  1. Des grains sains mûrs ;
  2. Des grains pourris humides ;
  3. Des grains pourris desséchés.

Cette année pluvieuse a déterminé la pourriture du raisin ; mais depuis quelque temps il a fait sec et un grand vent du nord a régné, ce qui a arrêté la pourriture et desséché en partie celle qui était antérieurement opérée.

A. — Je broie les grains et je les examine instantanément, sans filtrer, à l’alcooscope. Il y a des traces douteuses d’alcool. — Je laisse à elle-même une partie du même jus qui sera ultérieurement examinée.

B. — Je broie les grains de raisin pourri, et, examinés à l’alcooscope, ils donnent des flots d’alcool.

C. — Je broie les grains pourris secs dans un linge, j’examine aussitôt à l’alcooscope et je constate l’existence d’alcool en quantité, mais autant que dans les raisins pourris frais, sans doute parce que le liquide est étendu d’eau.

Je laisse macérer encore les grains dans l’eau pour voir si l’alcool augmentera.

Conclusion. — Sur le même raisin, les grains pourris frais ou secs contiennent beaucoup d’alcool, les grains sains n’en renfermant pas sensiblement.

Le 10 octobre, j’examine à l’alcooscope la partie du jus sain que j’avais laissée abandonnée à elle-même, mais à une température basse de 5° à 8°. — La quantité d’alcool semble être un peu plus marquée, mais est bien loin d’être aussi grande que dans le jus de raisin pourri. Cela tient sans doute à ce que la température était trop basse. - Refaire l’expérience en soumettant le jus à une température plus élevée et basse comparativement.

J’ai répété une autre fois l’expérience. J’ai examiné immédiatement à l’alcooscope le jus de grains de raisin pourri, et j’ai trouvé incomparablement plus d’alcool que dans les grains de raisin sain.


Saint-Julien, 8 octobre 1877 (Expér. n° 5).

Expériences sur les raisins confits — Recherche d’un ferment alcoolique soluble

Je broie des raisins confits avec de l’eau. Une partie du jus, sans filtrer, est examinée immédiatement à l’alcooscope : il y a des traces douteuses d’alcool. Une autre partie du liquide est jetée sur le filtre.

Le 9 octobre, j’examine une partie du liquide filtré resté à la température de 10° environ, il n’y a que des traces douteuses d’alcool comme la veille.

J’examine du liquide qui était au contact des raisins à la même température, il n’y a pas sensiblement d’alcool.

Autre expérience — Le 11 octobre, raisins confits broyés avec de l’eau et laissés macérer pendant deux ou trois heures à +10°, ensuite exprimés dans un linge . — Une partie du liquide trouble est essayée immédiatement à l’alcooscope, traces très douteuses d’alcool ; — l’autre partie du liquide est réservée et placée sur la cheminée de la cuisine, ainsi que les grains de raisins confits broyés et exprimés auxquels on ajoute de l’eau.

Le 13 octobre, il parait y avoir à l’alcooscope sensiblement plus d’alcool que dans le témoin bouilli immédiatement ; on laisse l’expérience continuer.

Le 15 octobre, j’examine de nouveau à l’alcooscope, il y a beaucoup d’alcool formé ; mais je constate au microscope qu’il y a des grains de ferment dans le liquide ; — je mets ce liquide à l’étude dans un tube à fermentation, deux jours après il y a formation de gaz en grande quantité, fermentation active ; — donc il y a ferment constaté par ce moyen qui est excellent.


Saint-Julien, 11 octobre 1877 (Expér. n° 5 bis).

Expérience avec des raisins pourris, desséchés sur le cep

Je broie avec de l’eau les grains de raisin pourri mais secs, et je laisse macérer deux à trois heures à la température de +10°, puis j’exprime dans un linge. Une partie du jus trouble est aussitôt bouilli ; traces évidentes d’alcool. Une autre partie est mise sur la cheminée de la cuisine et conservée pour être examinée ultérieurement, ainsi que de la pulpe de raisins confits exprimée, à laquelle on a ajouté de l’eau.

Le 13 octobre. — Il ne semble pas y avoir à l’alcooscope plus d’alcool que dans le témoin. Le ferment alcoolique ne semblerait donc pas exister dans les raisins pourris secs.

Le 15 octobre. — Je constate à l’alcooscope beaucoup d’alcool formé dans le liquide, mais il y a également des grains de ferment que l’on constate au microscope. Je place de ce liquide dans un tube à fermentation, deux jours après il y a fermentation et formation de gaz qui remplit le tube. Donc il y avait du ferment, c’est un bon moyen de le constater, plus sûr que le microscope dans ces conditions.

Mettre des raisins pourris secs dans de l’eau sans les broyer ; les faire gonfler lentement, leur jus exprimé sera alors plus concentré, et séparera-t-on un ferment ?


Saint-Julien, 10 octobre 1877.

Fermentation alcoolique — Raisins blancs très mûrs

Je prends des raisins blancs de treille très mûrs, très dorés ; je les broie et examine immédiatement, sans filtrer le liquide, à l’alcooscope (il semblerait y avoir des traces plus nettes pour les raisins très mûrs) ; je filtre le reste du liquide dans la chambre à température basse (10°). — Le 14 octobre, le liquide filtré est resté parfaitement limpide. Je l’examine à l’alcooscope, il contient des traces évidentes d’alcool, mais pas plus considérables que le liquide examiné immédiatement qui est de nouveau comparé avec ce liquide filtré.

Alors je mélange une partie du liquide, jus venant d’être bouilli avec du jus non bouilli, très limpides tous deux. Il en résulte une élévation de température, et je mets ces liquides sur le poêle de ma chambre à une température de 30° ; je laisse le liquide dans une soucoupe en verre, de manière à ce qu’une large surface soit à l’air et au contact du poêle.

J’examine à l’alcooscope le liquide après quatre heures de cette exposition à la chaleur, il n’a pas perdu sa transparence, et je constate que l’alcool n’y a pas augmenté.

Conclusion. — Le liquide n’étant pas assez ancien, il n’avait pas acquis encore le degré d’altération nécessaire pour donner naissance à l’alcool et à la levure qui se fait en quelque sorte d’une manière simultanée.

Quand le liquide est ancien et conservé à une température trop basse pour que le ferment se fasse, alors une élévation de température l’amène plus rapidement ; ce qui revient à dire que le degré d’altération nécessaire à ce résultat est plus vite atteint.


Saint-Julien, 10 octobre (Expér. n° 6).

Expériences sur la fermentation alcoolique — Recherche d’un ferment soluble alcoolique — Le jus de raisin forme-t-il de l’alcool indépendamment de la levure de bière

Le 10 octobre, j’exprime dans un linge clair des grains de raisin noir à peu près mûrs (quoiqu’il y ait encore quelques grains rouges), conservés dans le fruitier depuis huit jours.

J’examine aussitôt le jus non filtré à l’alcooscope, et je constate des traces très douteuses l’alcool. Je conserve ce liquide qu’on filtre après ébullition : c’est le jus n°0 ; ce jus est filtré, coloré en rose, tandis que le jus non bouilli est légèrement citrin ; cela est dû à l’influence de l’ébullition sur la matière colorante du raisin.

La plus grande partie du jus est filtrée à + 10°. Comme la filtration se fait lentement, je sépare le jus passé dans les deux ou trois premières heures : c’est le jus n°1. Le reste du jus filtre, et sa filtration dure vingt-quatre ou trente-six heures : c’est le jus n° 2. Enfin une partie du jus n’est pas filtrée et est laissée en contact avec les débris de cellules qui ont passé à travers le linge au moment de l’expression des grains de raisin : c’est le jus n° 3.

  • Jus n°0 — Il est laissé li filtrer à +10°.
  • Jus n° 1 — Est divisé en plusieurs parties
    • A. Une première partie est laissée à +10°
    • B. Une autre partie est placée dans ma chambre à 15 ou 18°.
    • C. Une troisième partie, laissée d’abord dans la chambre à basse température + 10°, est portée ensuite au soleil et passé les nuits dehors.
    • D. Une quatrième partie est placée dans l’étuve oscillant entre 15 et 25°.
  • Jus n° 2. - Est laissé à + 10°
  • Jus n° 3. - Également.

Le 12 octobre. — Tous les jus sont parfaitement limpides, aucun trouble, aucune trace de formation de ferment n’a eu lieu dans aucun d’eux.

cette année 1877, les fermentations vineuses sont très lentes à se manifester, les cuves restent dix et douze jours avant d’être tirées.

Le 13 octobre. — Le jus conservé dans ma chambre est devenu trouble, renferme un commencement de ferment du vin, et donne énormément d’alcool à l’alcooscope. Les autres liquides conservés à +10° sont parfaitement limpides et ne renferment pas, à l’alcooscope, sensiblement plus d’alcool que le premier jour.

Il est donc nécessaire de placer les jus dans une température plus élevée, alors je mets sur mon poêle de faïence, à une douce chaleur, du liquide n°1, n°2 et n°3.

Le liquide n°3 qui était dans le fond d’une bouteille et chauffait par une large surface devient, après trois à quatre heures, un peu moins clair ; j’attends encore une heure, et j’examine à l’alcooscope, il y a des flots d’alcool, mais au microscope je constate des globules de ferment quoique petits et rares. — L’alcool semble donc s’être formé subitement au moment où le liquide est devenu trouble et au moment où les globules de levure allaient se former.

Les liquides n°2 et n°1 qui étaient sur le poêle dans des verres, n’étaient pas devenus louches ; et ne contenaient pas sensiblement plus d’alcool que la veille.

Conclusion. — Il semble y avoir un point où l’alcool se fait subitement. Suivre le phénomène dans d’autres expériences en soumettant le jus à des températures constantes et assez élevées. L’alcool et la levure se formeraient-ils dans am milieu alcoolisé ?

Le 14 octobre. — J’examine le liquide C exposé au soleil ; il était devenu trouble et des bulles de gaz se dégageaient ; il y avait beaucoup d’alcool, et j’ai constaté au microscope que de la levure s’était développée, mais beaucoup plus grosse que celle qui se forme à l’obscurité dans les étuves. Toutefois il ne semble pas y avoir plus d’alcool dans ce liquide que lorsque la levure est chétive et en faible quantité.

Une autre conclusion est que la température a une influence considérable sur la formation de la levure et de l’alcool ; en tenir compte dans les expériences ultérieures.


Saint-Julien, 11 octobre 1877 (Expér, n° 7).

Expériences sur la fermentation alcoolique — Recherche d’un ferment alcoolique soluble — Influence de l’altération (pourriture) sur la fermentation de l’alcool.

Le 11 octobre je broie des grains de raisin pourris et bien pleins de jus. Ces grains sont recueillis dans le fruitier sur des raisins blancs, ramassés depuis huit à quinze jours pour les conserver.

J’examine immédiatement à l’alcooscope le jus exprimé et il renferme des flots d’alcool. Sur les grains sains des mêmes ’raisins il n’y a pas sensiblement d’alcool.

En examinant au microscope divers grains pourris dans le jus, après avoir enlevé la pellicule du grain pourri, ou en exprimant une goutte du liquide, je n’ai pas pu y constater de ferment alcoolique. Parfois j’ai vu des granulations réfringentes que j’ai observées autrefois (granulations protoplasmiques ?). — D’ailleurs j’ai fait une autre épreuve qui me parait décisive pour montrer qu’il n’y a pas de ferment alcoolique et que l’alcool a été ici formé indépendamment de lui. J’ai pris du même jus de raisin pourri non filtré, simplement exprimé à travers un linge clair qui aurait laissé passer les globules de ferment avec beaucoup d’autres débris de cellules végétales. Je l’ai introduit dans deux tubes à fermentation a et b que j’ai ensuite placés dans l’étuve à 20°. Dans le tube a il n’y avait que le jus de raisin pourri avec les débris de cellules, dans le tube b j’ai ajouté en outre un peu de glucose, quoique le jus de raisin contint encore du sucre et réduisit abondamment. Les deux jus étaient très nettement acides.

Le lendemain 12 octobre, aucune trace de fermentation n’a eu lieu dans les deux tubes a et b , ce qui serait infailliblement arrivé s’il y eût eu du ferment. Pour avoir encore une contre-épreuve, j’ajoute un peu de ferment d’un tube en fermentation au tube a pour voir si la, fermentation se développera dans ce tube a et non dans le tube b . En effet, la fermentation s’est bien développée dans ce tube a qui s’est rempli de gaz absorbable par 12°, le tube b n’a pas du tout fermenté. Je prends le marc de raisin pourri exprimé, j’y ajoute de l’eau et je constate que cette eau renferme encore des traces évidentes d’alcool. Dans deux verres je place comparativement de ce marc ; dans un verre S je n’ajoute rien, dans l’autre S’ j’ajoute une dissolution de glucose : On place les deux verres sur le rebord de la cheminée de la cuisine pour voir si, au contact de ces marcs, il se formera de l’alcool, sans ferment comme par un ferment soluble. Il s’est formé de l’alcool, mais il s’est produit du ferment de vin.

Le 12 octobre, je filtre le liquide exprimé des raisins pourris après avoir décanté la partie claire, citrine du liquide reposé depuis la veille dans la chambre à +10°, j’examinerai si ce qui restera sur le filtre jouera le rôle de ferment. Une autre partie du marc est laissée dans la chambre à basse température.

Le 13 octobre, j’examine les deux..verres S et S’ ; il ne paraît s’être formé d’alcool ni dans l’un ni dans l’autre ; mais, en attendant davantage, il s’en est formé en même temps que des grains de ferment. — 13 octobre. — Je place du jus de raisin pourri très alcoolique dans un tube simplement bouché avec du papier, pour voir s’il s’y développera spontanément du ferment, le tube X est placé dans l’étuve près du feu oscillant de 15° à 25°. — Bientôt il se forme une moisissure à la surface, mais pas de fermentation. Le 20 octobre le jus commence à fermenter ; il se dégage des bulles de gaz, mais pas de ferment ; le liquide reste clair. Cette fermentation qui continue serait-elle due à la moisissure qui s’est faite à la surface ? on le croirait, car un autre tube bouché dans lequel il ne s’est pas fait de moisissure n’a pas fermenté.

J’ai dit qu’au moment où on exprime le jus des raisins pourris il n’y a pas de ferment d’ans’ le jus, mais en laissant ce liquide en contact avec le marc, il sera formé bientôt. Alors j’ai pris de ce jus que rai placé dans un tube à fermentation pour voir s’il fermentera.

Maintenant qu’il n’a pas fermenté au début, la fermentation finit par arriver, mais très lentement et d’une façon douteuse. Il n’y a aucune comparaison à faire avec le jus de raisin frais.


Saint-Julien, 18 octobre 1877.

Observations sur la fermentescibilité différente du jus de raisin mûr, du verjus, et du jus de raisin pourri.

  1. Jus de raisin mûr. — Le jus de raisin mûr, noir ou blanc, fermente très vile. Le liquide filtré à basse température filtre lentement et devient parfaitement limpide ; mais si on le porte à une température plus haute, bientôt il se trouble, du ferment se forme et se dépose au fond, des bulles de gaz se dégagent, etc.
    Quelquefois, dans les années chaudes, j’ai vu cette fermentation s’établir à la vigne même dans les bennes.
    Le jus de raisin mûr contient des traces évidentes d’alcool, il contient beaucoup de sucre réducteur. L’air est nécessaire pour que le jus de raisin mûr fermente.
  2. Verjus. — Le verjus (aigre), filtré à basse température (10°), filtre rapidement et devient parfaitement limpide.
    Porté à une plus haute température, le jus reste toujours limpide, ne se trouble pas, ne dégage pas de gaz ; seulement au bout de quelques jours il se forme des moisissures submergées ou encore à la surface du liquide qui reste parfaitement clair. Il ne se forme pas de ferment dans aucun cas.
    Le jus de verjus ne renferme pas de traces évidentes d’alcool. li renferme beaucoup de sucre réducteur.
    Conclusions. — Le jus de verjus ne fermente pas alcooliquement, quoique exposé à l’air et à une température convenable.
    Toutefois, il se forme des apparences de ferment dans le marc du jus exprimé qu’on laisse exposé à l’air s’altérer et pourrir sans y ajouter de l’eau. li s’y forme également de l’alcool, sans doute par la présence de ce ferment ; cependant j’ai mis ce jus dans un tube et il n’a pas donné de ’gaz, n’a pas fermenté.
    Donc le ferment n’a pas son germe, c’est-à-dire sa cause dans le jus, mais dans le marc, c’est-à-dire dans les grains de raisin vert.
  3. Jus de raisin pourri. - Le jus de raisin pourri, filtré à basse température, filtre très lentement et devient parfaitement limpide. Porté ensuite à une température de fermentation, le liquide ne fermente pas et ne se trouble pas ; il se forme à la surface des moisissures, mais non submergées ; comme pour le verjus, il ne se forme pas de ferment.
    Le liquide contient beaucoup d’alcool et beaucoup de sucre réducteur.
    Conclusions. — Le jus de raisin pourri ne fermente pas alcooliquement, quoique exposé à l’air et à une température convenable.
    Toutefois il se forme du ferment dans le marc de raisin pourri exposé à l’air (et auquel j’ai ajouté de l’eau) ; il s’y forme également de l’alcool sans doute par le ferment ; le liquide de macération exprimé dans un linge donne dans. un tube à fermentation du gaz et fermente. Donc le germe du, ferment dans le raisin pourri n’est pas dans le jus, mais dans, le marc. En laissant ces parties en suspension dans le jus exprimé, je n’ai pas vu de ferment se développer ; faudrait-il en conclure que c’est dans la pellicule du raisin et non dans la partie intérieure que se trouverait la raison de la formation, du ferment ? Non.
    En ajoutant du glucose au jus de raisin pourri, il ne fermente pas davantage immédiatement ; mais à la longue il finit par fermenter.

J’ai vu en effet que du jus de raisin pourri finit par fermenter à l’étuve, seulement il ne se’ forme que très peu de. ferment. Quand on ajoute de l’eau au jus de raisin pourri,. le ferment se forme plus vite et le liquide reste clair lorsque déjà il se dégage beaucoup de bulles de gaz.

Il faut remarquer ici que le jus de raisin pourri n’est pas pur, car dans les grains de raisin pourri il y en a beaucoup. qui sont encore à moitié sains. Refaire l’expérience avec des raisins bien pourris et bien purs.


Saint-Julien, 14 octobre 1877.

Nécessité de l’accès de l’air pour que le ferment se produise ainsi que l’alcool.

J’ai introduit du jus récent de raisin bien clair, filtré à une basse température, dans des tubes bien hermétiquement bouchés, et aucune trace de fermentation ne s’est produite, malgré la température convenable à laquelle ils ont été placés, c’est-à-dire que le liquide a conservé sa transparence ; il ne s’est pas formé d’alcool ni de levure.

1re Expérience. — Dans un tube mis à l’étuve pendant plus de quinze jours, il n’y a pas eu le moindre trouble dans le liquide. Débouché alors et examiné à l’alcooscope, il n’y avait. pas plus d’alcool qu’au début de l’expérience (traces douteuses).

2e Expérience. — Éprouvette bouchée avec caoutchouc traversé par un tube de verre dans lequel est une couche d’huile.

L’éprouvette est restée à l’étuve pendant une quinzaine de jours. D’abord il n’y a rien eu : le liquide est resté limpide, il ne s’est pas formé de gaz ; mais, par suite de l’élévation de la température, la couche d’huile du tube intérieur a été expulsée, et la petite surface du jus de raisin restée au-dessous s’est trouvée exposée à l’air, et peu à peu il s’est formé un trouble du liquide commençant par en haut et se propageant vers le bas. Puis un peu de trouble s’est produit dans le fond de l’éprouvette, quoique tout le reste du liquide soit resté parfaitement limpide. Alors une petite quantité de gaz s’est formée.

Quand j’ai débouché l’éprouvette, tout le trouble du tube intérieur s’est répandu dans le liquide de l’éprouvette et l’a troublé. Il m’a semblé qu’il se faisait instantanément du ferment. Examiné à l’alcooscope, ce liquide renfermait des flots d’alcool ; il y avait au microscope des globules de ferment.

3e Expérience. — Tube bouché hermétiquement par un bouchon de caoutchouc traversé par une baguette pleine de Verre.

Ce tube est resté à l’étuve pendant une quinzaine de jours.

D’abord il n’y a rien eu ; mais peu à peu, sans doute par la dilatation du liquide, ce bouchon s’est soulevé et il y a eu un peu de gaz formé au-dessous du bouchon, quoique le liquide eût conservé sa transparence. Examiné à l’alcooscope, il y avait beaucoup d’alcool et à peine des traces douteuses de ferment dans le fond du tube.

Conclusions. — Quand le bouchage est bien hermétique, il n’y a jamais fermentation, mais pour peu qu’il y ait accès de l’air, le liquide se trouble, commençant par le point où a lieu le contact de l’air et s’étendant de proche en proche.

Pour avoir des tubes bien hermétiquement bouchés, il faudra les boucher (bouchon de caoutchouc et baguette de verre) ; le liquide étant d’une température au moins aussi élevée que l’étuve, jamais le liquide ne se dilatera pour faire sauter le bouchon, ou expulser l’huile. D’ailleurs l’huile est un mauvais bouchon, à moins qu’il n’y en ait une couche d’une très grande épaisseur.

Projets d’expérience

Dans l’expérience a le ferment commencera à se former en I. Quand l’ampoule R sera pleine de ferment, le jus J sera clair, sera-t-il alcoolique par ferment solubles ?

— De même dans la deuxième expérience B, le diaphragme permettra-t-il que le jus devienne alcoolique par ferment soluble ?


Saint-Julien, 15 octobre 1877.

Fermentation dans sulfate de soude — Éther

Du jus de raisin fermente, l’alcool se forme et le ferment se produit dans une solution saturée de sulfate de soude.

Cherchez si, dans de l’eau éthérée ou chloroformée, l’alcool se formera sans que le ferment se produise.

On pourra sans doute se débarrasser de l’éther en laissant évaporer, quoiqu’il se perde beaucoup d’alcool par l’évaporation spontanée.

Réfléchir à faire des expériences dans ce sens.


Saint-Julien, 15 octobre 1877.

Verjus et raisins mûrs et très mûrs

Dans le verjus il n’y a pas de traces sensibles d’alcool, et plus la maturité est avancée et plus il y a d’alcool, mais jamais à beaucoup près autant que dans les grains de raisin pourri.

Le jus de verjus n’a pas produit de ferment ; dans plusieurs cas il se formait des sortes de touffes d’une espèce de mycoderme allongé filamenteux (Aspergillus ?). Ces touffes se formaient dans le liquide et étaient submergées, puis à la surface, et alors il y avait une fructification comme dans le penicillium.

Il faudra étudier ces végétations spéciales qui sont accompagnées de la formation d’alcool et sont comme dans le cas de formation de levure.

Dans certains cas, j’ai vu se former du ferment comme dans le vin. Cela dépend d’une condition à déterminer, soit dans l’âge des aigris, soit ailleurs.

Il faudra voir dans des fruits verts, bien avant leur maturité, si leur jus présente des différences de cet ordre dans la fermentation. Tout cela est à étudier, il suffit de citer ces faits pour en être convaincu.


Saint-Julien, 15 octobre 1877.

Formation d’alcool sans levure dans les raisins — Action médiate de l’air — Germes

Dans les raisins bien mûrs il y a normalement des traces d’alcool. Quand le raisin pourrit, ces traces d’alcool deviennent bien plus considérables, sans qu’il se forme cependant de levure. Quand on laisse le jus exprimé et séparé du grain de raisin s’altérer spontanément, les traces d’alcool deviennent à un moment brusquement beaucoup plus considérables, mais il se forme toujours de la levure ; il m’a été jusqu’ici impossible d’éviter son apparition. D’après les expériences de Lechartier et Bellamy, il semblerait que la formation d’alcool par pourriture se fait en dehors du contact de l’air dans de l’acide carbonique. Toutefois cela n’est pas nécessaire, la pourriture ordinaire à l’air produit de l’alcool. — En produit-elle autant ? (Voir l’expérience à la poire pourrie.)

Quand les grains de raisin pourri ont été écrasés et qu’ils pourrissent écrasés exposés à l’air, alors il y a toujours forrmation de levure. — De même, quand le jus de raisin filtré est exposé à l’air et qu’il fait chaud, il s’y forme très vite de l’alcool comme par la pourriture, mais avec formation de levure.

Ce sont les germes, dit Pasteur, car l’air pur ne fait pas fermenter ; c’est là une expérience nécessaire à tenter, en faisant passer un courant d’air filtré sur du colon à l’aide de la trompe. Pasteur ne répond pas ou mal à l’objection de l’air fermé dans l’expérience de Gay-Lussac. Il admettait qu’il y avait des germes qui sommeillaient.

En résumé, il s’agirait de pouvoir faire avec le jus de raisin séparé et filtré l’expérience de la pourriture, faire apparaître de l’alcool en grande quantité sans germes. — En conservant très longtemps du jus de raisin dans des tubes chauffés sans air ou avec CO2, le liquide finira-t-il par s’altérer comme dans la pourriture en donnant de l’alcool sans levure. — En un mot, imiter le procédé de la pourriture dans le jus séparé, — mettre le jus de raisin dans une membrane qui filtre l’air ou mon appareil, etc.

Cela doit être possible, car il faut prouver que la formation de l’alcool est indépendante de la présence de toute cellule. C’est là derrière que Pasteur se retranche pour dire que la fermentation est la vie sans air ; cependant la pourriture à l’air engendre l’alcool, sans que la cellule manque d’oxygène.


Saint-Julien, 15 octobre 1877.

Fermentation sous huile — sous pétrole

Le 22 septembre 1877, je mets dans une bouteille plate A du jus de raisin blanc filtré, contenant des traces douteuses d’alcool. Je verse au-dessus du liquide une couche d’huile d’olive d’environ deux centimètres, — Je place comparativement une autre bouteille plate B dans laquelle j’enferme du même jus de raisin, mais je ne bouche pas cette fiole avec de l’huile, je mets seulement un couvercle de papier sur le goulot. Deux jours après, le liquide de la bouteille B se trouble et la fermentation commence. Des bulles de gaz se dégagent et du ferment se dépose au fond de la bouteille. Le liquide de la bouteille A’ reste toujours parfaitement limpide ; les deux bouteilles étaient placées sur le rebord de la cheminée de la cuisine. Je laisse ainsi les deux bouteilles et voici ce que j’observe : ce n’est que vers le dixième ou douzième jour que le liquide de la bouteille A commence à se troubler, des bulles de gaz se dégagent, la fermentation va très lentement et du ferment blanc superbe se dépose au fond de la bouteille.

Le 15 octobre, j’examine les liquides contenus dans les deux bouteilles. La fermentation s’est arrêtée, et est terminée depuis longtemps dans la bouteille B ; une petite couche épaisse de ferment est déposée au fond de la bouteille. Dans la bouteille A la fermentation continue toujours, des bulles de gaz se développent et montent vers l’huile. Une épaisse couche blanche de ferment s’est déposée au fond de la bouteille. Examiné au microscope, le ferment de la bouteille B est petit, celui de la bouteille A est gros, superbe. Examiné à l’alcooscope, le liquide de la bouteille B contient de l’alcool, mais infiniment moins que celui de la bouteille A qui en contient énormément. Sans doute que l’évaporation ne le fait pas perdre comme dans le cas où il n’y a pas d’huile.

Conclusions. - La fermentation sous l’huile est donc très magnifique. Répéter l’expérience.

Le 3 octobre, j’ai mis du jus de raisin rouge filtré, limpide dans une bouteille plate et j’ai versé au-dessus une couche d’un centilitre environ de pétrole. — Pendant les premiers jours le liquide reste parfaitement limpide, ce n’est que vers le septième ou huitième jour qu’il se manifeste un très léger trouble, puis des bulles de gaz se dégagent. La bouteille est sur le rebord de la cheminée de la cuisine. Le 15 octobre ; la fermentation n’est pas finie, elle continue assez activement, mais il se forme très peu de ferment que je constate au microscope, l’alcooscope donne des quantités prodigieuses d’alcool.

Conclusions. — Étudier si par là on pourrait provoquer la formation d’alcool, sans ferment où à peu près. — Se garder des causes d’erreur dues au pétrole qui trompe à l’alcooscope.

Le 16 octobre, j’ai examiné le lendemain le liquide des trois bouteilles ABC, et voici ce que j’ai constaté : à l’alcooscope, le liquide de la bouteille A contient le plus d’alcool ; quand on commence à chauffer il y a des gouttelettes isolées qui se forment dans le tube alcooscopique, des stries huileuses sont visibles sur le col du ballon, puis sur le tube et montent en large nappe huileuse ; avant que ces nappes soient parvenues au haut du tube, il y a inflammation de l’alcool au haut du tube, inflammation à longue flamme qui dure au moins une minute pendant l’ébullition.

Le liquide de la bouteille B contient moins d’alcool ; il y a également inflammation, mais qui dure moitié moins de temps pour une quantité égale de liquide en ébullition.

Le liquide de la bouteille C contient moins d’alcool que les deux autres ; il y a une inflammation très passagère du haut du tube.

Ici il semble bien y avoir proportionnalité entre le ferment et l’alcool, car la bouteille A contient le plus de ferment, puis B, puis C.

Conclusions. La fermentation sous l’huile arrive plus lentement, mais elle continue plus longtemps, forme plus d’alcool et plus de ferment. Il faudra étudier la fermentation dans ces conditions. Il est probable que c’est une fermentation plus pure, exempte de produits secondaires.

Le 20 octobre 1877, j’ai séparé le ferment pur déposé au fond de la bouteille A, je le conserve sec ; on l"examinera ultérieurement.


Saint-Julien, 19 octobre 1877.

Jus de choux

Antérieurement j’ai exprimé des feuilles vertes de choux hachées. J’ai constaté à l’alcooscope des traces nettes d’alcool.

J’ai ensuite ajouté de l’eau à ce hachis de choux et je l’ai examiné aujourd’hui, il renferme de l’alcool, mais il s’est formé des globules de ferment.


Saint-Julien, octobre 1877.

Fermentation alcoolique — Formation du ferment du vin

Lorsque le ferment commence à se produire, il est extrêmement petit, puis il grossit ; la quantité d’alcool augmente en proportion. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’au moment où apparaît le trouble du liquide avec des grains de ferment rares et petits, il y a beaucoup d’alcool, de sorte que l’alcool semble avoir précédé le ferment. La question serait d’empêcher le ferment d’apparaître et de permettre à l’alcool de se faire.

Pour cela il faudrait tuer la propriété protoplasmique du jus de raisin, propriété protoplasmique qui se développe au moment de l’altération du liquide.

Il m’a semblé que le ferment du vin, produit à l’abri du contact libre de l’air dans le fond des tubes à fermentation, est moins gros que celui formé librement dans les cuves. Du reste, toute l’étude morphologique de ces ferments doit être faite avec le plus grand soin.

Le ferment vinique qui existe à la fin des fermentations, au fond de la cuve et des tonneaux, est formé par des globules de levure gros, arrondis, non soudés et de grandeur différente ; tandis que le ferment du haut des cuves ou celui des tubes qui commence à se former est plus petit, en chapelet d’inégale grosseur, il est évidemment en voie de formation.

J’ai constaté que le ferment qui est dans la lie du vin nouveau est très gros et arrondi. Il fermente très bien ; du sucre glucose ajouté, il y a bientôt fermentation très active.

Le ferment de la lie de vin examiné comparativement avec du ferment de la levure de bière.

Ferment de la lie de vin

J’ai constaté que le ferment de la lie de vin est plus gros que le ferment de la surface. Ce ferment, ajouté à du jus de fruits pourris, donne lieu rapidement à la fermentation.


Saint-Julien, 20 octobre 1877

La formation ou la non-formation de la levure (Ferment) sont indépendantes des germes de l’air

Démonstration :

Quoique les jus soient tous à l’air, la levure ne se forme que dans les jus où existe la formation protoplasmique ; elle n’a pas lieu dans les jeunes jus (verjus). Elle n’a plus lieu dans les jus pourris où la force plasmatique est tuée. (Cependant addition d’eau la détermine, — avoir des jus pourris bien purs.)

Donc, si en ajoutant du ferment aux jus pourris, ils fermentent en formant de la levure, cela prouve qu’ils étaient capables de produire la levure, s’ils avaient eu les germe s protoplasmiques, et que ces germes sont dans le liquide et non dans l’air.


Saint-Julien, 20 octobre 1877.

La formation de l’alcool est en rapport avec la maturité des fruits :

La pourriture n’est qu’une maturité anticipée.

Il faudra rechercher l’alcool dans les tubercules, les racines, les tiges, les feuilles, fruits verts, fruits mûrs et pourris.

L’alcool est évidemment un produit de la végétation. L’alcool est-il un résidu, un produit de décomposition, ou bien a-t-il un rôle à remplir ?

Pourquoi cependant la levure de bière en forme-t-elle en si grande quantité ?

Parce qu’elle se reproduit avec une grande activité.


Saint-Julien, 20 octobre 1877.

La formation d’alcool et l’augmentation d’alcool dans les tissus ne dépendent pas de leur soustraction à l’aire — Cela dépend de la maturité — La pourriture à l’air ou à l’abri du contact de l’air produit également de l’alcool.

Les expériences de Lechartier, Bellamy et autres sont vraies ; mais il est inutile de soustraire les feuilles et les fruits il l’air. — Ils les font pourrir à l’abri de l’air et voilà tout ; mais pourris au contact de l’air, c’est la même chose. — Donc la fermentation n’est pas la vie sans air.


Saint-Julien, 20 octobre 1877.

La formation de l’alcool est indépendant de toute cellule.

Démonstration :

L’alcool augmente dans les jus retirés des fruits par un ferment soluble. Car cette augmentation d’alcool n’a pas lieu si le jus est cuit (à voir si en poursuivant l’expérience plus longtemps sur des jus cuits, on verra de l’alcool se former sans levure).

Dans le verjus et les jus pourris, l’augmentation de l’alcool a lieu sans levure, Dans le jus mûr protoplasmique seul, la levure se montre avec la formation d’alcool.


Saint-Julien, 20 octobre 1877.

Théorie de la fermentation alcoolique

La théorie est détruite :

  1. Ce n’est pas la vie sans air ; car à l’air comme à l’abri de son contact, l’alcool se forme sans levure ;
  2. Le ferment ne provient pas de germes extérieurs, car dans les jus aplasmiques ou inféconds (verjus et jus pourris), le ferment ne se développe pas, quoiqu’ils soient sucrés. Si l’on y ajoute du ferment, alors ils fermentent ;
  3. L’alcool se forme par un ferment soluble en dehors de la vie dans les fruits mûrissants ou pourris ; il Y a alors décomposition du fruit et non synthèse biosique de levure ou de végétation. L’air est absolument nécessaire pour cette décomposition alcoolique.
  4. Le ferment soluble se trouve dans le jus retiré du fruit (jus pourri) ; l’alcool continue à s’y former et à augmenter.
    Avec l’infusion de levure ancienne, sa démonstration devient encore plus facile.
  5. Il y a dans la fermentation deux états à étudier :
    • A Décomposition.
    • B Synthèse morphologique,

Claude Bernard

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