Le marché de la soie pendant la guerre

Alfred Renouard, La Nature N°2228 - 10 Juin 1916
Dimanche 1er mars 2009 — Dernier ajout mardi 6 février 2024

Résumons d’abord en quelques mots le mécanisme assez spécial de ce qu’on est convenu d’appeler du terme général de « marché » de la soie. Celui-ci a comme base trois éléments : I° le producteur de cocons, éleveur de vers à soie en magnanerie, qui très souvent est en même temps filateur de soie, ce terme s’entendant comme dévideur de la soie naturelle du cocon, ce dernier n’étant qu’un amas de fils enchevêtrés et agglutinés autour de la chrysalide et qu’il faut ramollir dans des bassines à eau chaude ; 2° le moulinier, qui souvent également est filateur, et qui sur ses métiers consolide ensemble par la torsion plusieurs brins de soie « grège » a pour en faire des fils propres à la fabrication des tissus, étant donné que le fil simplement dévidé n’est pas assez solide pour être employé à cet état par le tissage ; et 3° le fabricant de tissus, dont les étoffes sont traitées par une foule d’industries annexes, « chargeant », teignant, blanchissant ou apprêtant, suivant le cas, les étoffes qu’il fabrique.

Au point de vue économique, ces trois éléments ne sont jamais d’accord. Le producteur de soie français voudrait être seul, comme aux temps primitifs, et ne pas subir la concurrence des soies italiennes, asiatiques ou orientales : aussi fait-il constamment la guerre au moulinier qui lui crée une double concurrence, puisqu’il dévide souvent des cocons étrangers et qu’il retord d’autres soies que celles de France. Le fabricant de tissus de son côté a le choix entre les soies du monde entier pour la fabrication de ses étoffes, mais son habitude n’est pas d’une manière générale d’aller les chercher aux lieux de production : il laisse ce soin aux marchands de soie, corporation chez laquelle il trouve un assortiment toujours à point des soies de Chine, du Japon, du Levant, d’Italie et de France.

Tous ces éléments se concurrencient et voudraient être « protégés » les uns contre les autres. De là ces situations inextricables qui tantôt mettent aux prises le producteur français contre le filateur, ou le font s’allier avec lui contre le moulinier, ou encore les assemblent en une triple association contre le marchand de soie. De là également cette trouvaille originale du système des primes à la sériciculture et à la filature, largement distribuées aux filateurs de cocons français, rationnées au filateur de cocons étrangers, et qui seulement dans ces dernières années se sont occupées d’encourager le progrès en proportionnant les versements à la production par kilogramme de cocons et en accordant quelques avantages aux filateurs les mieux outillés. De là enfin ces discussions si âpres, qui se comprennent lorsqu’on se place au point de vue des intérêts particuliers des demandeurs, mais au milieu desquelles l’intérêt final du consommateur de tissus semble tenir une bien petite place.

Le système des primes n’est pas ce que veulent les producteurs de cocons indigènes : bien des fois ils ont réclamé pour eux l’arme des faibles, le droit de douane sur la matière première étrangère à son entrée en France. Mais ils se sont constamment heurtés à ce propos à l’opposition absolue des pouvoirs publics qui ont jugé avec raison qu’une taxe douanière, quelque légère fût-elle, amènerait la disparition du marché international des soies de Lyon au profit de celui de Milan.

Il est bon de ne pas ignorer, en effet, qu’il n’y a au monde que deux grands centres vendeurs de soie qui comptent : Lyon et Milan. Le fabricant de tissus ou le moulinier français ou étranger qui veulent se fournir de quantités déterminées de soie dont ils peuvent discuter les prix et la qualité et qu’ils ont toutes facilités d’apprécier et de voir sur place, se rendent dans l’une ou l’autre de ces deux villes, en relations constantes avec les marchés producteurs du monde entier. Lyon aujourd’hui n’est si puissant que parce que la fabrique s’y appuie sur son marché et réciproquement, et aussi parce que le tissage, sûr de ses approvisionnements qu’il trouve à pied d’œuvre peut porter son attention avec plus de certitude, soit sur la production de ses articles de luxe avec ses canuts de la Croix-Rousse, soit sur celle des articles de production courante dans les tissages mécaniques de sa région et de celles des départements environnants.

Ces explications préliminaires nous ont paru utiles à formuler avant que nous exposions la situation, avant et pendant la guerre, des facteurs qui résultent de cet agencement général du marché de la soie :1° la production indigène sous ses diverses formes ; 2° le commerce de la soie ; 3° la fabrication de la soie.

I La production de la soie française avant et pendant la guerre.

Quelques mots tout d’abord pour indiquer par quelle suite de circonstances économiques le producteur français a été amené à se voir concurrencer et supplanté par les producteurs étrangers.

Avant 1853, cette production suffisait à l’alimentation de nos tissages de soieries. L’explication de ce fait, qui de nos jours semble étonnant, est pourtant bien facile. Le tissage lyonnais, en effet, se fournissait à sa porte, au lieu de chercher à l’étranger une soie que l’absence de chemins de fer grevait de lourdes charges de transport. Quand hi récolte était mauvaise, le prix du textile s’élevait immédiatement : aussi voyait-on les fabricants suivre anxieusement la température et encourager le plus possible la production du pays. L’absence de concurrente rendait alors facile le placement des étoffes de soie dans le pays et le développement de la filature marchait de pair avec l’extension du tissage en France. En 1853, l’apparition des maladies qui décimèrent les vers, la pénurie de cocons qui s’ensuivit, renversèrent totalement cette situation. Pour travailler, la filature dut faire venir des cocons étrangers ; elle s’adressa à l’Italie, à l’Asie Mineure, au Japon surtout qu’elle avait négligé jusque-là parce que ses cocons « tiraient » mal ; l’importation s’accrut d’année en année ; en 1858 notamment, ce fut un véritable afflux. La filature française subit une crise intense. Il y avait 30000 bassines en 1853, mais nous n’en trouvons plus que .12000 en 1854 et 10000 en 1890 ; par suite, de 2 millions de kilogrammes la production de la soie, suivant une marche corolaire, tombe aux environs de 600 000. Cependant les étoffes de soie sont de plus en plus en vogue. Il en résulte donc ce fait absolument anormal d’une matière première dont la production décline, alors que la consommation au contraire croit d’année en année.

Et voici qu’au milieu de Ce désarroi un nouveau facteur, la mode, entre en jeu. Auparavant l’étoffe de soie n’était pas précisément un article courant, mais plutôt un produit de luxe : les soies des Cévennes, souples, brillantes et tenaces, en furent longtemps la base. Puis, petit à petit, la clientèle se modifie, les fortunes se nivellent, on veut avant tout acheter des étoffes à bon marché, même de soie ; et pour satisfaire à ces nouvelles demandes, les Lyonnais changent une partie de leur fabrication ; ils trouvent dans cette lutte pour le bon marché un facile élément de succès dans l’emploi des soies asiatiques de 10 à 15 pour 100 moins chères que les soies françaises, ils s’efforcent de tirer de ce nouvel élément tout le parti possible. Ces soies eurent bientôt fait de conquérir sur le marché une place prépondérante. Avant 1870, leur importation n’avait jamais dépassé 100 000 kg ; en 1885, nous la trouvons à 1 200 000 ; elle excède aujourd’hui 4 500 000. Si ces soies avaient été d’un aussi faible rendement qu’au début, il est évident que leur emploi n’eût pas pris une extension aussi considérable ; mais les importateurs firent les plus grands efforts pour améliorer peu à peu la nature de leurs marchandises et ils installèrent des filatures parfaitement outillées, dites "à l’européenne a, en Chine et au Japon. Trois pays se trouvent donc par la force des choses devenir les concurrents les plus redoutables de la production française : l’Italie, la Chine et le Japon.

Les filateurs italiens, qui ont eu comme la France à subir la concurrence des filatures asiatiques, ont réagi contre elle en perfectionnant leur outillage de filature et de dévidage avec une étonnante maestria. Chez eux, par exemple, le battage des cocons est séparé des autres opérations et se fait dans des bassines dites batteuses ; les cocons sont ensuite transportés tout préparés dans une autre bassine dite fileuse. Le rattachage est également confié à une ouvrière spéciale placée entre la bassine et le dévidoir et dont la fonction est de rattacher au fur et à mesure tous les fils venant à se rompre au-dessus des filières. C’est l’application à la filature de soie du grand principe de la division du travail qui économise tant de temps et permet d’obtenir une production plus abondante et régulière. Nous ne saurions énumérer tous les perfectionnements dont les Italiens ont doté les opérations du séchage, du battage mécanique, etc. Ils ont ainsi considérablement abaissé le prix de revient de leurs soie.

En France, les producteurs n’ont pas fait de même. Dieu nous garde de jeter la pierre à nos sériciculteurs, de les accuser, comme on l’a fait trop facilement, de routine ou de paresse ; en maintes occasions ils ont su montrer ce qu’ils valaient et bien souvent ils ont en face de l’étranger remporté la victoire. Mais en cette occasion, nous croyons qu’ils ont eu le grand tort de se laisser aller à un découragement, assez explicable du reste au début, et qui pis est d’y persévérer, et lorsque quelques-uns ont tenté de se ressaisir, ils se sont trouvés en présence de concurrents qui les avaient devancés dans leurs perfectionnements et leurs résultats et d’une clientèle qui peu à peu avait oublié la route de leurs usines et de leurs magnaneries. Mais il y a 125 000 éducateurs en France et on n’apprend pas facilement à une pareille légion de paysans, dont beaucoup se sont habitués sans raisonner à recueillir les produits d’une terre plus ou moins généreuse suivant les saisons, à quitter d’anciens errements lorsqu’il s’agit d’une industrie aussi spéciale. Cependant ils l’ont fait en ce qui concerne le « grainage », autrement dit la production des œufs ou « graines », de vers à soie et justement parce que celui-ci a été organisé scientifiquement et s’est outillé rationnellement presque au lendemain des études de Pasteur. La sériciculture française exporte ses graines depuis 1875 dans tous les pays séricicoles d’Europe et jusqu’en Asie Mineure, elle s’est substituée au Japon dont elle avait été tributaire durant de longues années.

On a tenté pour relever la sériciculture française de prendre des mesures diverses en sa faveur : créations de pépinières de mûriers par l’État, propagation de l’enseignement séricicole ; stations séricicoles, Institut de sériciculture à Montpellier, écoles séricicoles ambulantes, Laboratoire d’études de la soie à Lyon par la Chambre de Commerce, cours de sériciculture et de séricologie, assurances contre les risques de l’éducation des versa soie, disposition dans la loi sur les primes en faveur des ouvrières fileuses pour relever leurs salaires, etc. Plusieurs de ces mesures ont produit d’excellents résultats. Il est facile de comprendre combien la Mobilisa tion a jeté de perturbation dans des industries agricoles aussi spéciales que la sériciculture et la filature de soie. Dans des manipulations paysannes où la main qui dirige est subitement absente et ne peut être que difficilement suppléée, la ruine arrive à grands pas. Le résultat a été la fermeture forcée d’un grand nombre de magnaneries et de filatures.

Déjà avant la guerre, on constatait que la production des cocons ne faisait plus depuis longtemps que des progrès excessivement lents ; la cause générale en est que les populations rurales ont une tendance à s’intéresser moins à cette production, parce qu’elles trouvent souvent une rémunération plus satisfaisante de leur travail dans certaines cultures spéciales comme celle de la vigne, pour laquelle la main-d’œuvre devient de plus en plus rare, et dans des industries locales qui se développent dans certaines régions, comme la bonnèterie de soie dans les Cévennes par exemple. Cependant, le progrès, quoique lent, était réel. La production séricicole française qui dépassait 6 200 000 kg de cocons avant la guerre n’est plus en 1914 que de 5 067 592 kg et fléchit en 1915 à 1 731 285 kg ! D’une année de la guerre à l’autre, le déficit est de 65,83 pour 100. C’est un véritable désastre. Notons que celui-ci ne s’étend dans de pareilles proportions que sur la France seule, car l’Italie notamment est bien moins atteinte, puisque d’après les statistiques de l’Associazione serica, elle a encore produit 33 000 000 de kg en 1915 contre 46 668 000 kg en 1914, soit un déficit de 35 pour 100 seulement. D’une manière générale, et en nous bornant à ces seuls chiffres à titre d’exemple, la situation de la récolte européenne aura été lamentable pendant les hostilités. Les chiffres qui précèdent sont à ce point de vue très significatifs. Par bonheur, il n’en va pas de même de la Chine et du Japon, qui forment en quelque sorte les réserves de l’avenir, et c’est ce qui va nous faire comprendre pourquoi le commerce proprement dit des soies que nous allons examiner, n’a été atteint que dans de faibles proportions par la récolte déficitaire des cocons européens.

II Le commerce de la soie avant et pendant la guerre.

— Notre premier soin va être d’examiner la situation des marchés régulateurs de Lyon et de Milan, qui dominent tout le commerce de la soie en Europe.

Il est facile de se rendre compte des variations de leur importance avant. et pendant les hostilités par l’examen des quantités passées au conditionnement public obligatoire dans ces deux villes.

Nous les avons relevées dans le tableau suivant :

Soies conditionnées et pesées à
LyonMilan
1911 7 590 445 kg 8 871 030 kg
1912 8 212 669 — 9 823 190 —
1913 8 414 371 — 9 896 985 —
1914 5 154 814 — 6 992 710 —
1915 3 738 193 — 8 559 065 —

Il semble résulter de ces chiffres que le commerce des soies à Milan a été plus important. que celui des mêmes textiles à Lyon, mais cette constatation perd de sa valeur, si l’on veut bien considérer qu’une forte partie du commerce des soies de Milan est entre des mains lyonnaises. Dans tous les cas, la guerre a amené un léger recul dans les transactions pour l’une et l’autre cités ; cependant, il n’y a pas eu à Lyon comme à Milan d’achats et de vente en spéculation et Milan a continué des relations avec l’Allemagne par l’intermédiaire de la Suisse.

Mais il ne s’agit ici que des poids. Jetons maintenant un rapide regard sur la question des prix. Au moment de la déclaration de guerre, en août 1914, les cours ont naturellement fléchi, et le fléchissement en était arrivé à atteindre 20 à 30 pour 100 en décembre 1914. Ce fut le premier résultat de la guerre. Mais dans le premier trimestre de l’année 1915, la fermeté reprit le dessus, elle se maintint durant le second trimestre avec des affaires au jour le jour en raison des incertitudes de l’avenir, elle ne s’accentua durant le troisième que lorsqu’on fut fixé sur les résultats de la récolte : alors la consommation mondiale reprit, la Suisse et l’Amérique sortirent de leur réserve et achetèrent sur les marchés d’Europe des quantités d’autant plus fortes qu’il fallait abandonner l’espoir de recevoir l’appoint des soies du Levant et qu’on n’annonçait pas d’augmentation dans la récolte de Chine et du Japon ; et la reprise à ce moment s’accentua par le fait que les changes d’Extrême-Orient (fait absolument inattendu) haussèrent subitement : le yen japonais monta de 2,63 à 3,14, le dollar mexicain de 2,29 à 2,87, et le taël chinois de 2,87 à 3,84. Cette poussée imprévue des changes profita au marché de New-York, indemne des mêmes inconvénients monétaires, et comme l’Amérique, par suite de ses fournitures de guerre se trouvait dans un état de prospérité exceptionnel, ses fabricants se livrèrent, non seulement en France, mais surtout au Japon et un peu en- Chine à des achats de prévision tels qu’on reste persuadé que. beaucoup de ceux-ci n’eurent en vue que la fourniture des soies par l’Amérique à l’Allemagne. Durant le dernier trimestre de 1915, l’activité atteignit son apogée. dans des conditions telles, que des variations de cours caractérisèrent en quelque sorte chaque journée. De 43 en janvier, la grège Cévennes, 1er ordre 10/12, 12/16, passe à 60 en décembre, les grèges Japon filature I à 1/2, 9/11 montent de 39 à 61, et ainsi de suite ; et tous ces prix ont encore progressé dans les premiers mois de 1916. Cette hausse violente au milieu des graves événements que nous traversons démontre certainement la forte situation intrinsèque du marché de la soie en France. Cependant, pour en apprécier la mesure exprimée en francs, on doit prendre un point de repère dans nos changes avec les pays à étalon d’or ; on trouve ainsi que la hausse apparente doit être diminuée de 12 pour 100 environ.

III Les tissus de soie avant et pendant la guerre.

Nous avons ici à faire la part de deux facteurs : la fabrication et le commerce des tissus.

La fabrique a été naturellement, au début de la guerre, surprise par les évènements et ses tissages ont été momentanément désorganisés et en complet désarroi ; mais, après quelques mois, elle a vigoureusement repris son activité, en raison de sa forte organisation et de la variété des éléments de travail qu’elle met en œuvre ; et, qui mieux est, elle l’a maintenue durant toute l’année 1915. Elle a dû remplacer presque tout son personnel mobilisé, elle a été soutenue par son ancienne clientèle qui a accepté sans trop murmurer les imperfections inévitables et par une clientèle nouvelle des pays neutres qui lui a donné des marques de sympathie tout à fait encourageantes. Joint à cela, on a vu certains chefs de fabrication modifier leur outillage pour lui plaire, et c’est ainsi qu’à Lyon on a produit des articles nouveaux comme les tissus pour ameublements et pour corsets, ainsi que des tissus laine imitant ceux de Roubaix. La fabrication s’est trouvée gênée par trois éléments : 1° les retards et les pertes de temps dus aux difficultés d’approvisionnement de la matière première ; 2° la difficulté de s’approvisionner en matières colorantes, dont le principal fournisseur était jusque-là l’Allemagne ; 3° le manque de « gareurs », c’est-à-dire de ceux qui dans les tissages règlent les métiers montés pour des articles déterminés.

Quant au commerce, il n’a pas eu trop à souffrir. Tout d’abord, les exportations de soieries françaises n’ont été qu’en faible diminution sur celles des années précédentes. La consommation intérieure d’autre part a été assez activée par suite des variations de la mode, le costume féminin s’étant élargi et ayant amené le retour des jupes de soie, enfin certains tissus de coton et de laine sont devenus plus chers et plus rares. Les articles de luxe n’étant pas de saison ont été partout remplacés par les articles classiques : velours, crêpes divers, taffetas, mousselines et surtout la mousseline noire, adoptée pour les toilettes de deuil malheureusement très nombreuses. L’un des meilleurs débouchés a été l’Amérique, dont les demandes ont dépassé les exportations enregistrées en temps normal ; puis l’Angleterre, dont la capacité d’absorption a été presque égale aux chiffres d’avant la guerre ; les bides, d’où sont parvenus des ordres imprévus pour les articles dorure fournis jusque-là par l’Allemagne ; enfin nos colonies françaises du Nord de l’Afrique, peu atteintes par la guerre, qui ont conservé leurs demandes à peu près normales et, qui mieux est, avec des délais de paiement plus courts.

Et l’Allemagne, nous dira-t-on ? Eh bien, en cette matière, sans être aussi favorisés que nous, nos ennemis se trouvent dans une situation relativement bonne. Le tissage de la soie est la seule industrie textile qui chez eux puisse marcher à une allure demi-normale. Il souffre du manque de personnel et du manque de consommateurs qui pour un certain nombre d’articles spéciaux pour hommes (cravates, doublures, parapluies) fournis par le pays, sont à l’armée ; mais, ravitaillé en matière première par l’Amérique, il s’est tourné davantage du coté des tissus pour vêtements de femme. « Un corsage tout soie, une doublure tout soie, lisons-nous dans un rapport récent de la Vereindeutscher Sedenweberein sont presque aussi bon marché que les articles correspondants en coton et en laine dont les matières premières ne nous arrivent plus, alors que les arrivages de soie se font sans entraves. » L’Association en question ajoute que jamais le fabricant de tissus allemand n’a encore eu meilleure occasion de prouver sa capacité en face de l’ennemi. Elle oublie qu’en matière de produits de luxe les préférences ne sauraient s’imposer ; aussi, à notre avis, jusqu’à ce que le bon goût allemand ait découronné celui de la France, longtemps encore le canut lyonnais pourra en souriant, pour le plus grand profit du monde entier, faire entendre sur les hauteurs de la Croix-Rousse le doux cliquetis de son métier.

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