Quand le professeur Charles Richet avait obtenu le prix Nobel, en 1913, La Nature avait consacré un article (n° 2111) au rappel de ses multiples et importants travaux. Sa mort est un deuil national et M. Dangeard, président de l’Académie des Sciences, vient de rappeler sa grande figure dans les termes suivant :
Charles Richet, à la différence de plusieurs d’entre nous, n’a pas connu les débuts difficiles et l’incertitude du lendemain : fils d’un grand chirurgien des hôpitaux de Paris, il a vécu dans un milieu où la science était en honneur : il a choisi sa voie en toute liberté et l’a orientée à son gré.
De bonne heure notre Confrère s’est trouvé en contact avec les maîtres incontestés de la science, les Verneuil, les Vulpian, les Wurtz, les Berthelot, les Marey, les Claude Bernard ; entouré dans son laboratoire d’un cercle d’amis et de savants collaborateurs, il a pu donner dans une atmosphère favorable, un libre essor à ses dons naturels, à sa belle intelligence et à ses facultés admirables d’observation.
Trois faits essentiels se dégagent, au dire même de notre confrère, de l’ensemble de ses nombreux travaux.
L’un est l’explication du mécanisme de la régulation thermique chez les animaux dépourvus de respiration cutanée. Charles Richet, de 1885 à 1895, a montré sur des chiens exposés à une température élevée, qu’ils se refroidissent par l’évaporation de l’eau à la surface du poumon et par une respiration fréquente : c’est la polypnée thermique. On ignorait d’autre part complètement comment se réchauffaient les animaux refroidis : notre savant physiologiste démontre que le réchauffement est dû à une contraction générale de tous les muscles : c’est le frisson thermique.
Mais les deux découvertes qui ont rendu le nom de Charles Richet justement célèbre dans le domaine de la thérapeutique expérimentale et celui de la pathologie générale sont liés, l’une à l’origine de la sérothérapie, et l’autre au phénomène connu sous le nom d’anaphylaxie.
Au cours de nombreuses expériences, notre confrère remarqua, en collaboration avec son ami Héricourt, qu’en injectant à un lapin le sang d’un chien contaminé par un bacille et guéri, le lapin était immunise et vivait : le sang d’un animal immunisé transmet donc à un second animal l’immunité du premier. Les beaux travaux de Behring et de Roux sur le traitement de la diphterie par la sérothérapie ont permis d’employer cette méthode pour diverses autres maladies : on ne saurait guère fournir de chiffres sur le nombre considérable d’existence. humaines sauvées dans le monde entier par cette méthode qui s’ajoute à celle des vaccination.
En pathologie générale, les expériences qui devaient conduire Charles Richet à la découverte de l’anaphylaxie furent commencées en collaboration avec Portier : celle-ci consiste dans le fait que l’introduction de certains poisons albuminoïdes dans le sang détermine un état d’hyper-sensibilité de l’organisme telle qu’une nouvelle injection, même à doses infinitésimales, provoque parfois des accidents graves : c’est une notion dont il y a lieu maintenant de tenir un grand compte dans les vaccinations et les intoxications.
Les grandes découvertes, réalisées par notre confrère au cours de sa longue carrière, ont rendu son nom illustre et lui ont valu les plus hautes distinctions : membre de l’Académie de Médecine en 1898, prix Nobel de Physiologie en 1913 ; en 1914 membre de l’Académie des Sciences qu’il présida en 1933 ; grand officier de la Légion d’honneur en 1926.
Je m’excuse de n’avoir donner ici qu’une analyse très incomplète de l’œuvre scientifique de notre confrère : j’aurais aimé également à vous parler de son activité dans tous les domaines de la pensée et de l’expérimentation. Poète et fabuliste à ses heures, il s’était intéressé non sans succès aux débuts de l’aviation : pacifiste dans le meilleur sens du mot, il n’a cessé de combattre l’idée de guerre par ses écrits et ses conférences. En précurseur que rien n’arrête, Charles Richet n’a pas craint d’aborder les délicats problèmes du spiritisme et de ce qu’il a désigné sous le nom de Métapsychologie ; ses conceptions hardies sur ce sujet délicat entre tous font partie de ces questions auxquelles l’avenir seul peut fournir une solution acceptable, sinon définitive.
Rédacteur en chef de la Revue Scientifique de 1878 à 1902, il y publie de très nombreux articles dont Dans cent ans. Il est également l’auteur de quelques œuvres de fiction, dont deux sont parue dans La Science Illustrée, publiées sous le pseudonyme de Charles Epheyre.