La diminution de la fatigue des promeneurs est une question de première importance pour le succès des Expositions universelles. Pour réunir les conditions idéales de bon fonctionnement, une exposition devrait présenter de vastes espaces pour les exposants, de petits parcours pour les visiteurs. C’est ce problème d’apparence un peu paradoxale que M. Eugène Henard, architecte-ingénieur, a cherché à résoudre dans son projet de train continu. Il y a quelques années, un ingénieur américain a publié dans les journaux des États-Unis la description d’une plate-forme mobile sans fin. Il s’agissait d’un long viaduc métallique dont le tablier roulait sur des galets. Le projet que nous allons décrire part du même principe, d’une surface de plancher indéfinie et mobile transportant des voyageurs, mais il diffère notablement, par la disposition d’ensemble et par les détails, de la plate-forme américaine. Celle-ci n’est accessible que de distance en distance par des escaliers où la foule se presse nécessairement en se bousculant et qui, d’ailleurs, exigent des efforts pour être gravis. Si le promeneur est forcé de monter ou de descendre plusieurs fois dans la même journée, il perd, dans le sens vertical, l’économie de fatigue que la plate-forme lui aura procurée dans le sens horizontal. M. E. Henard, au contraire, propose de mettre la plate-forme de plain-pied au l’as du sol et de la rendre accessible gratuitement et sans aucune formalité sur tous les points de son parcours. La réalisation de l’idée serait très simple et très économique. Le train continu consisterait dans un long chapelet formé de 320 wagons plats de marchandises recouverts d’un plancher de bois de 5,10m de largeur. Ces wagons rouleraient sur une voie ordinaire de chemin de fer placée au fond d’une petite tranchée maçonnée de 1,45 de profondeur sur 2,80 environ de largeur. Des panneaux en bois formant trottoirs permettent en se rabattant de couvrir cette tranchée en cas de réparation du train (fig. 3).
Le train continu traverserait tous les jardins du palais du Champ-de-Mars et transporterait les visiteurs du bord de la Seine à l’École militaire et vice versa. Son parcours total serait de 2080 mètres. A la première inspection de ce projet une objection se présente aussitôt à l’esprit. Ce long ruban à fleur de terre ne va-t-il pas créer une barrière mouvante infranchissable et dangereuse ? Et comment fera-t-on pour la traverser ? Il suffit, pour répondre à cette objection plus spécieuse que réelle, de faire remarquer que la plate-forme remplit deux conditions essentielles qui assurent son passage facile : 1° une vitesse très faible (1 m,40 par seconde au maximum) pour permettre l’accès ou le passage de la plate-forme même pendant sa marche aux individus jeunes et agiles ; 2° des arrêts fréquents et périodiques (quinze secondes toutes les minutes) indiqués par des signaux pour laisser monter, descendre ou traverser les femmes, les enfants ou les visiteurs plus âgés ou plus timorés. En outre tous les cent mètres se trouvent des passerelles de passage permanent. Le seul inconvénient de celte plate-forme, et il ne faut pas le dissimuler, est donc d’exiger, dans certains cas, une attente d’une minute pour la traverser ; mais cette attente est infiniment moins longue que celle qu’on serait obligé de subir pour prendre place dans un tramway ou dans tout autre moyen de transport ; c’est une nécessité à laquelle il faut s’habituer. Mais cette légère servitude une fois acceptée, les avantages qui en découlent sont immenses et incalculables. Par le fait même de l’accès de plain-pied, le public a constamment à sa portée, gratuitement, sans bousculade, sans queue à suivre, sans appel de numéros, sans formalités, un moyen de transport qu’il peut prendre ou quitter à tout instant et dans tous les points du parcours. Il lui suffit de faire une seule enjambée pour être transporté, sans fatigue, d’un point quelconque à un autre distant de plus d’un kilomètre. La superficie du Champ-de-Mars se trouve réduite des 4/5 au point de vue des efforts à faire pour la parcourir. En une demi-heure, arrêts compris, le visiteur peut faire le tour de l’Exposition et en saisit l’ensemble. Combien de ceux qui ont vu l’Exposition de 1878 ne pourraient pas en dire autant ! L’élément de recettes suffisant pour couvrir les frais de l’entreprise serait fourni par des places assises payantes placées, soi t sur la plateforme, soit sur des terrasses suspendues aménagées en cafés roulants (fig. 2).
Ce qui caractérise ce projet, c’est sa facilité d’exécution. Une tranchée très simple à construire, des wagons de chemins de fer, des machines dynamo-électriques et des téléphones, tels sont les éléments constitutifs du système. L’emploi du matériel roulant des chemins de fer comme support de plate-forme écarte tout aléa de fonctionnement. La traction peut être facilement calculée. Elle serait assurée par une série de machines dynamos réceptrices placées de distance en distance sur la chaîne des wagons et recevant l’énergie électrique de génératrices fixes. La force totale à fournir aux génératrices n’ excéderait pas 640 chevaux. La sécurité des voyageurs est obtenue au moyen de poste de surveillants échelonnés tout le long de la ligne et en communication téléphonique avec un poste central directeur. Chaque surveillant, en cas d’attroupement dangereux ou de chute grave, peut arrêter instantanément le train au moyen d’un circuit spécial et la plateforme ne peut se remettre en marche que lorsque le libre parcours est consenti par l’unanimité des surveillants (fig.1) .Nous ne pou vous nous appesantir sur les dispositions de détail des conducteurs métalliques, des appareils de réglage pour la vitesse et pour la distribution de l’énergie motrice, tout cela nous entraînerait trop loin. Nous conclurons en disant que le projet nous parai t consciencieusement étudié. La réalisation pourra-t-elle être exécutée ? C’est ce que nous ne pourrions dire à présent et c’est ce qu’auront à décider les organisateurs de l’Exposition de 1889.
X … , ingénieur.