John Tyndall est né en 1820, dans les environs de Carlow, petite ville irlandaise de la province de Linster, située dans le centre de l’île, en pays catholique. Il descend de William Tyndall, un des premiers martyrs de la réformation, brûlé à Anvers, en 1536, par ordre de l’empereur Charles-Quint, et à qui l’on doit la plus ancienne traduction anglaise de la Bible que l’on connaisse.
Son père exerçait la profession très peu lucrative, et fort dangereuse, de policeman chargé de maintenir l’ordre dans les districts superstitieux et sauvages à l’époque où l’agitation du grand patriote O’Connell commençait à prendre une tournure dangereuse.
Le jeune John ne reçut d’autre éducation que celle que l’on donnait, dans les écoles nationales, aux enfants pauvres. Mais, pour ne point écarter les petits catholiques, il était défendu au maître de parler religion. En apprenant à lire, le jeune Tyndall était un libre penseur. Il avait une aptitude native pour les mathématiques. A l’âge de dix-sept ans, il put s’engager dans la brigade topographique chargée de dresser la carte d’Irlande, travail que des considérations stratégiques faisaient pousser activement. Il suivit la brigade dans le comté d’York. Mais, dans ce pays riche, la paye des ouvriers mécaniciens dépasse celle des topographes ; Tyndall, qui, malgré tous ses efforts, n’était jamais parvenu à gagner plus de 25 francs, se mit au service de la Compagnie du Nord de l’Angleterre.
C’est seulement en 1847, c’est-à-dire à l’âge de vingt-sept ans, que le plus éloquent des professeurs anglais prit possession de sa première chaire. C’était à l’école de Queens’ woods, établie dans le Hampshire par des amis de Robert Owar, le chef d’une école socialiste célèbre avant la révolution de Février. Cet illustre réformateur, qui croyait à l’harmonie universelle, avait créé l’école de Queens’ woods comme un foyer de propagande sympathique. Les jeunes gens apprenaient l’agriculture et toutes les sciences annexes, M. Frankland était professeur de chimie. Il se lia avec Tyndall.
Quand éclata la révolution de Février, les deux jeunes gens résolurent d’aller compléter leur éducation en Allemagne, qui paraissait sur le point de se convertir aux doctrines révolutionnaires. Il semblait que la patrie de Kant et d’Hegel ne tarderait point à apporter son mystérieux contingent de vérités transcendantes à l’œuvre de l’émancipation humaine. Le monde attendait la promulgation des secrets du sphinx !
Tyndall et Frankland se rendirent d’abord à Marbourg, dans la Hesse, où Burzen commençait son cours d’électro-chimie. Knoplanche, qui professait la physique générale, prit Tyndall en affection ; il lui indiqua comme sujet d’études le Diamagnétisme, et l’adressa à Magnus, le célèbre électricien de Berlin. Magnus avait dans son laboratoire des électro-dynamomètres, des tables, des bobines de résistance et des boussoles. Tyndall, qui avait le génie des grandes expériences, profita admirablement de son séjour dans ce laboratoire hors ligne.
Sur ces entrefaites, Huxley vint à Berlin ; il en repartit pour se rendre à la session de l’Association Britannique qui se tenait à Ipswilh. C’est là que la science anglaise apprit pour la première fois qu’elle avait une étoile de plus.
En 1843, Ben Johnson, le zélé secrétaire de Royal Institution, engagea Tyndall pour faire une série de conférences du vendredi soir. Ces séances sont réservées aux enfants des membres. Tyndall fut admirable d’esprit et de science.
Faraday, qui l’écouta, fut séduit, et il lui fit donner la chaire de philosophie naturelle, science éminemment anglaise. Avant de disparaître du théâtre de Royal Institution, Faraday avait trouvé son successeur.
Dès ce moment, la fortune scientifique de Tyndall était faite.
On peut dire que son enseignement rattache le transformisme à la théorie mécanique de la chaleur, Darwin et Mayer d’Heilbronn.
Quoique ses atomes aient cessé d’être crochus comme ceux d’Epraer, au contraire ils sont sphériques et parfaitement élastiques. C’est dans le De natura rerum qu’il faut chercher la philosophie de Tyndall.
Il y aurait un curieux parallèle à faire entre l’auteur anglais et ce que nous savons du poète latin. Une tradition que nous n’approfondirons point, nous rapporte que Lucrèce s’empoisonna en buvant volontairement au philtre d’amour. Tyndall, lui aussi, mourut empoisonné, mais d’une façon fortuite ! Il fut victime d’une erreur lamentable commise par les mains les plus dévouées et les plus aimantes !! En 1874, Tyndall lança en fou, à la Société Britannique, un manifeste athée et matérialiste qu’aurait signé celui qui avait écrit ce vers terrible :
Qui autem religio potuit madere malorum.
Il était président de l’Association Britannique réunie à Belfast, la métropole protestante de l’Irlande catholique.
Le scandale fut plus grand que quand Byron publia son Caïn.
En France, le discours fut publié par l’abbé Moigno, traducteur ordinaire et ami de Tyndall. Le pauvre chanoine rédigea un factum violent dont Tyndall ne fit que rire. Il assista à cette levée de boucliers avec une sérénité tout à fait olympienne.
En 1876, il se rendit en Amérique, appelé par les savants du pays, qui lui offrirent 75,000 francs d’honoraires pour donner six leçons sur la lumière. La tournée fut un véritable triomphe, comparable à ceux de Kossuth et à ceux de Dickam.
A son retour, Tyndall épousa la fille de lord Hamilton. Circonstance digne de remarque, le mariage fut célébré suivant le rite anglican, et le Rd Stanley prononça la bénédiction nuptiale, accompagnée d’un discours de circonstance, dont il n’est pas difficile de deviner la nature. Etait-ce une concession à l’esprit protesté ? Il est probable que c’était un sacrifice aux convictions personnelles de sa nouvelle épouse. En tout cas, cette union fut heureuse et aucun nuage n’en ternit le bonheur jusqu’à l’épouvantable catastrophe du 4 décembre 1893. Depuis soixante ans Tyndall faisait partie de la Société Royale, qui lui avait accordé une de ses grandes médailles pour ses recherches sur le Diamagnétisme, La dernière fois que je lui serrai la main, ce fut en avril 1881, à l’occasion de la présentation du gyroscope électro-magnétique, que j’avais eu sous les yeux, et la Société Royale Spelteswende m’avait invité à prendre part au dîner qui termine généralement la séance.
Depuis 1851, Tyndall, qui était doué d’une haute stature et d’une force herculéenne, s’était épris des ascensions alpestres. Il finit par se faire construire le chalet de la Belle-Alpe, qui domine le glacier d’Aletzoh, un de ceux qui descendent du mont Rose. Il fit sur la glace et sur l’eau un grand nombre d’ouvrages très curieux, renfermant une foule d’observations originales, et qui obtinrent le plus grand succès. Il connaissait si bien les montagnes qu’il n’avait plus besoin de guides. Épris de la solitude, il habitait en Angleterre un autre chalet, construit dans les montagnes voisines de Quilford, et d’où il n’avait d’autre horizon que celui de la mer. C’est là qu’il vient de succornber à une fatale méprise.
Croyant lui administrer une potion inoffensive, sa femme lui versa une dose mortelle de chloral. L’erreur fut bien vite reconnue, et la malheureuse travailla toute la journée pour débarrasser l’estomac de son mari. Mais tous ses efforts furent inutiles. Lors que le médecin arriva, armé d’une pompe stomachique, il était trop tard. Le poison avait irrévocablement fait son œuvre de mort. Les détails de cette tragédie intime furent constatés dans l’enquête du coroner de West Surrey que cet officier judiciaire fit adopter par son jury, exprimant la plus vive sympathie pour l’inexprimable douleur de Mme Tyndall.
Jamais Tyndall n’avait fait de politique. Mais le bill d’Home rule indigna si surabondamment le fils du policeman de Carlow, qu’il lança contre M. Gladstone un pamphlet que l’on dit un chef-d’œuvre !