Eugène Bourdon est né à Paris le 8 avril 1808. Dès son enfance, il se révéla mécanicien en construisant, à l’âge de neuf ans, un petit dévidoir qui lui servit à recueillir la soie des cocons de vers à soie qu’il avait élevés. Cette machine, qui existe encore dans le musée de son inventeur, est une véritable merveille. Et ce n’était pas là l’œuvre d’un enfant prodige ayant donné d’un coup, ainsi qu’il arrive souvent, tout ce qu’il pouvait donner. Eugène Bourdon avait bien le génie de la mécanique, et, pendant cinquante ans, nous allons le voir se signaler par d’innombrables découvertes utiles.
Malgré une vocation si nettement accusée, son père, qui était négociant, voulut qu’il se consacrât au commerce et il l’envoya passer deux ans à Nuremberg pour apprendre la langue allemande.
Rentré en France à l’âge de vingt ans, il entra comme employé dans une maison de commerce de soie, sacrifiant ainsi ses goûts à la volonté de sa famille. Mais bientôt son père mourut, et il s’adonna tout entier à la mécanique. Nous le voyous travailler chez M. Jecker, opticien, et chez M. Calla père, de 1830 à 1832, époque à laquelle il s’établit à son compte, 12, rue Vendôme. Alors commence la véritable carrière de Bourdon.
Dès sa première année d’installation, il se signale à la Société d’encouragement par un modèle de machine à vapeur à cylindre en verre, qui lui fait obtenir une médaille d’argent, et jusqu’à 1835 il construisit les modèles les plus variés de machines de démonstration, dont on trouve les spécimens dans les collections des différentes écoles de France et de l’étranger.
Rapidement il acquit une certaine notoriété et grâce aux économies qu’il avait réalisées, il avait débuté sans aucune fortune, il fonda en 1835 un atelier de construction mécanique, 74, faubourg du Temple, Cette modeste installation se fit moyennant un loyer de 1200 francs. Bourdon est devenu propriétaire de ce terrain et des constructions voisines, et, privilège bien rare chez les inventeurs il a vu la prospérité récompenser les persévérants efforts du travailleur.
L’énumération des machines ingénieuses dues à Bourdon ferait la matière d’un long article. Qu’il nous suffise de dire que nous lui devons une des premières locomobiles (1839). Ce fut en 1849 qu’il prit le brevet du manomètre et du baromètre à tubes métalliques qui lui valurent une grande médaille d’or à l’exposition de cette même année. Grâce au succès obtenu par ces appareils à l’exposition de Londres en 1851, Bourdon fut nommé chevalier de la Légion d’honneur. Jamais on n’a songé à lui conférer d’autre distinction ; il est vrai de dire aussi qu’il considérait son temps comme trop précieux pour aller le perdre dans les bureaux des ministères. Il n’en est pas moins vrai que si, au lieu d’avoir été l’admirable inventeur qu’il a été pendant cinquante ans, il avait employé son temps à de vaines sollicitations, ce n’est pas une modeste croix de chevalier qui aurait récompensé d’aussi remarquables services.
L’invention du manomètre métallique est une des plus fécondes de la mécanique moderne ; elle a été faite dans des conditions assez particulières pour être rapportées, nous les donnons d’après le journal La Nature [1] :
« Eugène Bourdon avait construit une machine pour un concours de la Société d’encouragement, au moment d’en faire l’essai, son contre-maître vint le trouver, tout consterné, en lui disant qu’un serpentin en plomb faisant partie du condensateur de la machine avait été bossué et détérioré par une cause accidentelle. Il n’y avait plus le temps matériel de refaire un autre tube. Eugène Bourdon voulut à tout prix et en toute hâte réparer l’accident. Il eut l’idée de remettre en état le tube de plomb, en y comprimant intérieurement de l’eau sous une très forte pression. L’expérience se fit aussitôt, et l’inventeur ne vit pas sans surprise le tube métallique se redresser peu à peu, à mesure qu’augmentait la pression intérieure.
Les tubes flexibles de Bourdon étaient créés. »
La fabrication des manomètres contribua en grande partie à la fortune de l’inventeur qui se signala jusqu’à 1872 par de nombreuses découvertes utiles à l’industrie sous toutes ses formes.
A partir de cette époque, il confia la direction de sa maison à son fils ainé et se reposa de quarante ans de travaux industriels en se livrant à une nouvelle série de recherches et d’expériences.
Nous avons eu la bonne fortune, grâce à M. Bourdon fils, de visiter il y a quelques jours le musée dans lequel Bourdon avait rassemblé les spécimens de ses diverses inventions, et nous sommes vraiment émerveillé de ce que nous avons vu. Nous avons été surtout frappé de la simplicité des mécanismes, simplicité telle que le plus profane on mécanique (et c’est absolument notre cas) saisit à l’instant le jeu de l’appareil. Et, pour ne donner qu’un exemple, voici trois appareils dont le fonctionnement repose SUI’ le tube flexible manométrique. Ce sont le baromètre et le thermomètre enregistreurs, et la pendule atmosphérique à tube du manomètre.
Le baromètre est composé du tube manométrique en spirale, dont la spirale se modifie sous l’influence de la pression atmosphérique et qui vient inscrire au moyen d’une plume les variations barométriques sur un cylindre tournant avec une vitesse réglée pal’ un système d’horlogerie.
Ces tubes en spirale sont d’une excessive délicatesse, et leur mobilité rendait leur application difficile au thermomètre. La difficulté fut vaincue par Bourdon, qui imagina le tube à forme hélicoïdale. Ces tubes eu cuivre sont remplis d’alcool ou de tout autre liquide ayant une forte dilatation. Sous l’influence de la chaleur, le liquide se dilate et redresse plus ou moins le tube de cuivre. Cette modification de la torsion s’inscrit par le même système que pour le baromètre et donne ainsi les variations de température.
C’est là un instrument très délicat, très précis, et dont les applications sont nombreuses, aux recherches de physiologie en particulier. Enfin, et pour terminer ces exemples de l’application du tube manométrique, voici une horloge dont le grand ressort n’est autre qu’un tube manométrique recourbé en forme de demi-cercle, avec les deux extrémités un peu rentrantes. Faisons, le vide dans le tube, et les extrémités se rapprochent ; laissons rentrer l’air, et nous revenons à la position normale. Nous avons ainsi un vrai mouvement de balancier qui suffit amplement à actionner notre horloge.
Devant la simplicité de ce mécanisme, il nous parait difficile que le système des horloges atmosphériques qu’on voit à Paris soit meilleur, et, si nous ne faisons erreur, elles sont d’origine autrichienne. Il est vrai qu’en France, c’est une qualité d’être étranger.
Nous n’avons pas la prétention d’avoir retracé la vie de Bourdon ; une existence aussi remplie ne peut être racontée qu’à grands traits, mais nous tenions à joindre notre hommage à ceux qui ’lui ont été déjà adressés.
Eugène Bourdon a commencé sans ressources une laborieuse carrière ; grâce à une intelligence hors ligne, à un travail incessant, il laisse la fortune à ses enfants. Héritage plus précieux, il leur laisse un nom célèbre, de cette vraie célébrité conquise par les services rendus à l’humanité.
P. Rondeau