Henry Giffard est né à Paris au mois de février 1825.Il commença ses études au collège Bourbon, aujourd’hui lycée Fontanes, pour entrer comme dessinateur au chemin de fer de Saint-Germain. Son premier travail original fut consacré à la direction des ballons, Un certain Dr Leberdier, ayant imaginé de donner des représentations avec un petit modèle à vapeur, susceptible de marcher en chambre, s’adressa au jeune ingénieur. Celui-ci, qui était aussi adroit à manier la lime que le tire-ligne, construisit un petit appareil qui voguait à merveille.
Encouragé par ce premier succès, Giffard conçut le projet d’un aérostat géant, qui pût réellement voler dans l’air avec une vitesse comparable à celle qu’atteignaient alors les trains sur les rails. Il prit Jonc un brevet rédigé Avec un soin extrême, où l’on trouve à la fois les marques d’un savoir précoce et d’une haute intelligence.
Deux de ses camarades ayant consenti à l’aider pécuniairement, Giffard construisit un aérostat de 2,500 mètres cubes, ayant une longueur de 42 mètres et emportant une machine à vapeur en pleine pression avec son foyer allumé, la provision d’eau et de coke nécessaires à son alimentation.
L’expérience, que personne n’a osé recommencer, fut exécutée par Giffard le 25 septembre 1852, en présence d’une multitude immense. Qu’une étincelle, une seule, s’échappât du foyer, et c’en était fait de l’audacieux successeur de Dédale et d’Icare. Cependant Giffard s’en tira sain et sauf. Non seulement il échappa au péril qu’il avait affronté avec bonheur, mais des milliers de spectateurs avaient pu se convaincre par leurs propres yeux que l’hélice mordait réellement l’air, et que le ballon dirigeable avait une vitesse propre, résultat tout à fait certain d’avance, car, ayant une circonférence de 10 mètres, elle tournait avec une vitesse de 110 tours par minute. Les cordes d’équateur étaient inclinées dans le sens de la translation ,et le ballon dirigeable gouvernait comme l’aurait fait un navire. Il changeait de direction chaque fois que Giffard inclinait à bâbord ou à tribord la voile triangulaire qu’il avait suspendue à l’arrière.
La recette avait été brillante et le directeur de l’Hippodrome ne demandait pas mieux que de continuer les représentations. Il semblait donc que les trois jeunes associés dussent compter sur un brillant avenir. Hélas ! les nuits étaient déjà longues, le matériel de l’usine qui fournissait le gaz était insuffisant pour satisfaire aux demandes des abonnés et à celle des expérimentateurs. Ceux-ci furent sacrifiés. C’était pour eux la ruine … Les conséquences de ce contre-temps furent lugubres. Giffard, qui était doué d’une âme aimante, en conçut un chagrin profond que les faveurs ultérieures de la fortune ne purent guérir…
Si Giffard avait échappé, il le devait à la disposition qu’il avait donnée à son foyer. La cheminée était doublement recourbée en forme de siphon, de sorte que les gaz chauds s’échappaient par en bas. Ils étaient ainsi que les flammèches entraînés par un courant de vapeur, un injecteur à air. C’était le principe de l’appareil merveilleux qui devait donner à Giffard une des fortunes les plus considérables que I’industrie ait permis de réaliser, surtout sans le secours d’aucune spéculation, En effet, l’inventeur de l’injecteur ne s’est jamais préoccupé du soin d’augmenter sa fortune.
Parmi les spectateurs qui avaient assisté à l’expérience du 25 septembre 1852 se trouvait Emile de Girardin, rédacteur en chef de la Presse. Enthousiasmé par ce qu’il avait vu, notre maître et ami écrivait un de ces articles comme on n’en lit plus de nos jours, et demandait que le gouvernement accordât dix millions pour le progrès de la navigation aérienne.
Qu’aurait dit l’illustre polémiste, s’il avait pu deviner que, trente ans plus tard, l’expérimentateur hardi, dont il avait admiré le courage et la science, donnerait spontanément au gouvernement auquel il s’adressait, en sa faveur, les millions qu’il réclamait inutilement, et que cette libéralité inattendue serait la cause de longues délibérations. En effet, la navigation aérienne, qui préoccupait si vivement M. Émile de Girardin, ne serait pas la seule science que le conseil des ministres veuille en faire bénéficier.
Le testament qui met à la disposition des pouvoirs publics une fortune princière est daté de 1872, environ dix ans avant la mort du testateur. Giffard a pris soin de rédiger cette donation à une époque olt il était en pleine santé et préparait des constructions
aérostatiques difficiles dont il s’est acquitté avec un succès hors ligne, exigeant l’entière possession de ses hautes facultés intellectuelles dans toute leur intégrité. Il lègue à l’État tout son avoir par acte authentique, déposé devant un notaire qu’il a choisi pour son exécuteur testamentaire. Mais il met à cette libéralité la condition expresse que l’emploi sera fait en fondations philanthropiques ou utiles au progrès des sciences, après l’exécution de tous les legs. qu’il a créés à titre particulier et ceux-ci sont nombreux et déterminés avec le soin que l’illustre ingénieur mettait à toutes ses constructions.
En donnant l’avis d’accepter la succession, le conseil d’État a décidé que l’emploi serait déterminé par le conseil des ministres, et que la liste des attributions arrêtées lui serait soumise, afin de préparer le décret du président de la République, qui règlera la répartition d’une façon définitive.
Contrairement à ce qui s’est pratiqué à différentes reprises, on n’a pas cru bon de faire un bloc unique de la fortune, et de créer ’quelque caisse ou quelque établissement analogue au Smithsonian Institution de Washington. Il a été décidé qu’une dotation extraordinaire serait accordée à plusieurs établissements publics don t la liste a été arrêtée. La quotité des remises sera ultérieurement déterminée.
On avait commencé par attribuer une somme de 400,000 francs à l’hôpital français de Constantinople, mais l’effet de cette décision a été suspendu, en présence des réclamations qui ont surgi. N’est-il pas pour le moins douteux que l’intention du testateur ait pu être d’employer sa fortune à des fondations philanthropiques en dehors du territoire français.
Cette considération a fait repousser la demande de la Société française de bienfaisance de New-York,
Sur les représentations de l’administration des domaines, qui a eu le mérite d’entrer dans les vues de M. de Girardin, la navigation aérienne, qui a occupé une place si considérable dans la vie scientifique de Giffard, n’a pas été oubliée, mais le gouvernement s’est contenté d’inscrire l’établissement de Chalais-Meudon.
Certainement l’État est appelé à bénéficier des découvertes qui peuvent être faites dans cet établissement. Mais les travaux auxquels se livrent les officiers qui le dirigent étant secrets de leur nature, on peut se demander si la France est appelée à en bénéficier, dans la plus large acception du mot, et dans le sens que le testateur a attaché à sa libéralité. Ne serait-il pas plus conforme à l’esprit et à la lettre des legs d’accorder une dotation spéciale soit à la Société française pour le progrès des sciences, soit à la Société de navigation aérienne, qui ayant l’une et l’autre la qualité de personne civile sont aptes à recevoir des libéralités, avec une affectation spéciale, et qui la dépenseraient sans la surveillance de l’administration ?
Outre les libéralités à titre particulier qui ont été délivrées, les fonds de la succession Giffard ont déjà été utiles aux savants et aux sciences.
La première classe de l’Institut, la Société des amis des sciences, la Société d’encouragement et la Société des ingénieurs civils ont fait emploi de la somme de 50,000 francs, que chacune a reçu en vertu d’un codicille.
Les deux premières sociétés consacrent les fruits à des œuvres de bienfaisance en faveur de savants ou de leur famille, et les deux autres en création de prix. La dernière a eu l’heureuse inspiration de consacrer les arrérages accumulés jusqu’à l’époque de sa prise de possession à récompenser le meilleur éloge de Henry Giffard, remis avant le 1er janvier 1888. Deux prix ont été décernés : le premier à M. Gouzy, et le second à M. Casalonga. Le premier mémoire primé a eu l’honneur d’être inséré in extenso dans le journal de la Société pour 1888.
Une somme de 300,000 francs a été consacrée à la création d’une clinique pour le traitement des tumeurs par l’électrolyse, ouverte, depuis plus d’un an, 4, boulevard des Capucines, sous la direction du Dr Darin son fondateur. Tout est public et gratuit dans l’établissement entretenu avec la rente de la somme précitée, et où l’on pratique une méthode nouvelle, imaginée en Italie. La clinique publie un journal spécial dans lequel les résultats obtenus sont relatés. A la fin de l’année dernière le Dr Darin a présenté à l’Académie des sciences un mémoire scientifique, qui a été renvoyé au jugement d’une commission spéciale.
Il est bon d’ajouter que le retard mis à l’emploi des fonds n’est nullement préjudiciable aux sciences. En effet, ils sont placés en rentes consignées à la caisse, de sorte qu’ils s’augmentent chaque année des arrérages. Par une ironie du sort, la fortune de Henry Giffard est assujettie après sa mort à une gestion systématique qu’elle n’a jamais connue pendant sa vie. Elle se grossira au fur et à mesure de l’extinction des rentes viagères qu’il a créées et que représente actuellement une rente annuelle d’une quarantaine de mille francs dont la nue-propriété lui appartient.
Par une délibération spéciale, le conseil des ministres a décidé qu’un monument serait élevé afin de perpétuer le souvenir d’un des grands ingénieurs dont la France s’honore, et a déjà consacré à cet objet un crédit d’une vingtaine de mille francs.