Le biographe qui voudrait donner l’exemple d’une belle existence, toujours dignement remplie, depuis de modestes débuts jusqu’aux plus grands honneurs, ne pourrait mieux faire que de retracer la vie de M. Hervé Mangon.
Charles-François Hervé Mangon est né à Paris le 31 juillet 1821 ; il fut élevé par son père, ancien médecin militaire, qui se consacra presque entièrement à son éducation.
En 1840, le jeune élève qui était fort studieux, plein d’initiative, fut reçu à l’École polytechnique ; en 1842, il entra à l’École des ponts et chaussées. Il fut attaché successivement comme ingénieur aux travaux et aux études du chemin de fer de Strasbourg et du chemin de fer du Centre ; mais ses goûts, dès cette époque, le portaient surtout vers l’étude des sciences appliquées à l’agriculture. En quittant les services des chemins de fer, l’ingénieur fut attaché au département du Loiret. Il traça alors un remarquable programme des opérations à entreprendre pour l’amélioration agricole de la Sologne, et ce programme qui a été en grande partie réalisé, a considérablement augmenté la valeur de ce pays jadis déshérité.
En 1850, il publia ses Études sur les irrigations de la Campine belge et les Travaux analogues de la Sologne. Cet ouvrage, rapidement épuisé, faisait connaître les travaux agricoles les plus importants à cette époque et signalait plusieurs dispositions qui ont pris place dans les lois françaises, sur l’assainissement et la mise en culture des terres incultes.
Le drainage était à peine connu de nom en France, lorsque M. Hervé Mangon commença à s’en occuper en 1849. Il publia en 1851, sur ce sujet, un ouvrage qui reçut de l’Académie des sciences le prix décennal pour l’ouvrage le plus utile à l’agriculture, publié dans les dix années précédentes. Les instructions pratiques sur le drainage, éditées un peu plus tard, ont été tirées à 11 000 exemplaires et ont servi de guide pour leurs travaux à un grand nombre. de propriétaires. Pour acquérir l’expérience pratique nécessaire, l’ingénieur a dirigé personnellement de très grands travaux de drainage ; on lui doit plusieurs procédés perfectionnés, adoptés en France et même en Angleterre, où le drainage avait pris naissance. Il existe maintenant en France plus de 250 000 hectares drainés. On estime à plus de 14 millions de francs par an la plus-value de revenu obtenue par ces travaux.
L’arrosage des terres et l’aménagement des eaux pour les besoins de l’agriculture ont été, de la part d’Hervé Mangon, l’objet de longues études. Il a expliqué scientifiquement plusieurs procédés pratiques que l’on blâmait à tort, et il a fait connaître le rôle important des limons des fleuves pour l’agriculture.
Ne reculant devant aucunes recherches, il s’est occupé longtemps de l’étude des fumiers, des varechs, des tangues et des engrais chimiques. Pour se tenir au courant de tous les progrès, le savant ingénieur a visité les travaux agricoles et les principales irrigations de la France, de la Belgique, de l’Écosse, de l’Espagne et de l’Algérie. De si sérieuses préparations lui donnèrent une érudition des plus solides et le conduisirent à écrire un Traité de génie rural fort estimé.
Après ses travaux agricoles, Hervé Mangon a cultivé avec passion la météorologie ; il a perfectionné et créé un grand nombre d’instruments enregistreurs [1] ; dans sa propriété de Brécourt, en Normandie, il a organisé une station météorologique absolument modèle, pourvue des derniers perfectionnements de la science, et munie d’une grande tour de fer à claire-voie pour les observations à exécuter à 30 mètres au-dessus du sol [2].
Plus tard, à la fin de sa carrière, il a joué un rôle prépondérant dans la réorganisation du service météorologique en France, et dans la fondation du Bureau central, dont il était président du Conseil. Il contribua à l’organisation de la mission scientifique du cap Horn et d’un grand nombre d’entreprises utiles à la science. On sait que la mission du cap Horn qui se rattachait aux missions polaires internationales, a apporté de grands résultats à l’étude du magnétisme terrestre.
Comme professeur ; Hervé Mangon a créé à l’École des ponts et chaussées le cours d’hydraulique agricole (1849), au Conservatoire des arts et métiers, le cours de travaux agricoles et de génie rural (1864), et au nouvel Institut national, le cours de génie rural (1876), science en partie nouvelle, et dont il doit être considéré comme l’un des fondateurs. Il avait la parole facile, et exposait les faits avec méthode et clarté.
Doué d’une puissance de travail extraordinaire, Hervé Mangon a mené de front, pendant sa vie, les devoirs de l’enseignement, les travaux du savant et les recherches du chimiste, du physicien et du météorologiste. Ingénieur en chef des ponts et chaussées, M. Hervé Mangon qui, depuis sa jeunesse, avait attiré l’attention des plus grands savants et notamment de J.-B. Dumas dont il devint le gendre, fut nommé membre de l’Académie des sciences, section d’économie rurale, en janvier 1872. Membre du conseil de la Société des agriculteurs de France, du conseil de la Société d’encouragement, de la Société centrale d’agriculture de France, il devint en 1880, directeur du Conservatoire des arts et métiers, où il se signala par de nombreuses améliorations. Il fut élu vice-président de l’Académie des sciences en 1887. Outre ces occupations multiples, Hervé Mangon fut commissaire adjoint à M. Leplay lors de l’Exposition universelle de 1867, et depuis, il prit part aux travaux de toutes les expositions.
Persuadé qu’il y avait un véritable intérêt national à ce que l’Assemblée législative comptât des hommes de science dans son sein, il résolut de se consacrer à la vie politique. Nommé député de la Manche, Hervé Mangon devint Ministre de l’agriculture sous le ministère Brisson. Toujours anxieux de se rendre utile et de consacrer ses efforts au bien public, il usa de ses forces outre mesure pendant sa carrière politique. Aux dernières élections législatives, il ne fut point réélu député, et rentra dans la vie privée. Il succomba après une longue et cruelle maladie, entouré des soins les plus dévoués de celle qui fut la compagne de toute sa vie, et de l’affection de ses nombreux amis.
Ce qui caractérise Hervé Mangon dont l’existence comme on vient de le voir, fut si bien remplie, c’est le continuel exercice de son intelligence. Il était absolument infatigable, se levait aux heures les plus matinales, faisait lui-même toute sa correspondance, tous, ses rapports, écrivait tous ses travaux. Ne donnant qu’un temps très court à ses repas, le travail était sa devise. Une activité physique étonnante venait en aide à son activité morale.
Malgré les hautes situations qu’il occupa, Hervé Mangon est resté simple et modeste dans la vie privée. Il fuyait les manifestations d’un luxe inutile, se complaisait dans le commerce de l’amitié et dans les préoccupations du progrès des sciences. C’est par sa volonté formelle que ses obsèques furent simples et dépouillées de toute pompe officielle.
Éminemment serviable, il accueillait avec cordialité tous les travailleurs, et ne refusait jamais son aide ou ses conseils. Doué d’une habileté peu commune, il avait tous les arts dans la main : il savait tourner, travailler le bois, les métaux. Sa bibliothèque était en même temps un atelier rempli d’appareils qu’il confectionnait lui-même et qu’il expérimentait avec une ardeur toujours juvénile, se levant parfois la nuit pour suivre l’essai élaboré. A sa campagne de Brécourt, en dehors de son observatoire météorologique, il avait un laboratoire fort bien monté, où il donnait l’hospitalité aux chercheurs. Ayant l’insouciance absolue des richesses, Hervé Mangon était d’une générosité rare ; il ne comptait pas avec les dépenses des recherches scientifiques, ou de l’achat de ses appareils. Fort modeste dans ses goûts personnels, il était prodigue quand il s’agissait de donner.
Commandeur de la Légion d’honneur, membre d’un grand nombre d’ordres étrangers, le laborieux savant a reçu les plus hautes récompenses. Mais il se préoccupait moins de ses intérêts personnels que de ceux de son pays. Toujours prêt à défendre les grandes causes, et à lutter pour les bons combats, il se signala par son ardeur patriotique lors de la guerre de 1870.
Pendant la durée du siège de Paris, nuit et jour, M. Hervé Mangon ne cessait d’interroger l’anémomètre, de consulter l’atmosphère, d’observer la direction du vent, pour faciliter la mission des messagers aériens. Pendant les six mois du siège, par la neige ou par les rafales, quelque heure qu’il fùt, quelque temps qu’il fit, celui que l’on peut appeler le collaborateur de M. Rampont dans l’organisation de la poste aérienne, n’a pas manqué un seul départi des ballons : il était toujours présent, serrant la main des aéronautes, et leur donnant quelque indication précieuse sur la direction probable. Quand je partis de Paris en ballon, chargé de messages pour le gouvernement de Tours, M. Hervé Mangon me dit : « Vous avez bon vent est-nord-est, vous allez filer dans la direction de Dreux. » Effectivement, je descendis aux portes de cette ville même.
Après le siège de Paris, l’éminent ingénieur ne cessa de favoriser les aéronautes, Il était d’avis d’encourager toutes les audaces quand elles ont un but vraiment scientifique ; il contribua aux expéditions du Zénith, et, s’il fut le protecteur éclairé de Crocé-Spinelli et de Sivel, il montra l’affection d’un père pour le survivant de la catastrophe, qui lui en a gardé une reconnaissance presque filiale.
On se rappelle avec quel enthousiasme M. Hervé Mangon salua les débuts de la navigation aérienne et les premières expériences de Chalais-Meudon. L’avenir donnera raison à la clairvoyance de sa prévision. La navigation aérienne n’est pas an vain mot ; dans ce siècle des merveilles de la science, elle sera réalisée, et quand les ballons dirigeables sillonneront l’espace, on répétera les paroles que le savant orateur a prononcées dans l’enceinte de l’Académie des sciences.
Ces encouragements que M. Mangon a toujours prodigués aux hommes d’énergie, comme à la jeunesse studieuse, ces prévisions qu’il a fait entendre, lui ont été inspirés par le sentiment de l’amour de la patrie, qui n’a cessé de l’animer pendant Je cours de son existence. L’homme de science, comme l’homme politique, a toujours aimé la France avec passion ; et la grandeur de son pays était constamment l’objet de sa sollicitude.
Généreux, désintéressé, intègre, Hervé Mangon était bon et éminemment affectueux. On ne saurait mieux faire son éloge qu’en disant que ceux qu’il il estimés, se sentaient fiers de son estime. Comme tous les grands cœurs et les caractères élevés, il a su attirera lui.les grandes amitiés.