La science française vient de faire une perle cruelle dans la personne de M. Élie de Beaumont, membre de l’Institut, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, inspecteur général des mines, professeur au Collège de France, mort le 21 septembre, au château de Canon, dans le Calvados.
Nous n’entrerons pas aujourd’hui dans l’examen détaillé des travaux de l’illustre géologue, nous dirons seulement quelques mols de ses œuvres principales, son voyage métallurgique en Angleterre, sa carte géologique de France avec les deux volumes d’explication qui l’accompagnent, et enfin ses nombreux mémoires sur la théorie du réseau pentagonal, parmi lesquels on compte la notice sur les systèmes de montagnes et le rapport sur les progrès de la stratigraphie, publié à la suite de l’Exposition universelle de 1867. L’étude mathématique des accidents de la surface terrestre fut la tâche principale de sa glorieuse carrière scientifique.
Le voyage métallurgique en Angleterre, dont la seconde édition, la plus complète, parut en 1837, est un recueil de mémoires sur le gisement, l’exploitation et le traitement des minerais de fer, d’étain, de plomb, de cuivre et de zinc dans la Grande-Bretagne. Ce travail, d’un caractère essentiellement technique, fut écrit en collaboration de MM. Dufrénoy , Coste et Perdonnet. En 1845, M. Élie de Beaumont publia ses leçons au Collège de France, mais malheureusement le premier volume seul parut ; son talent littéraire, à la hauteur de son génie scientifique, trouvait dans les leçons un champ plus vaste lui permetant de jeter des vues plus larges sur la science. On trouve dans ce livre de précieux conseils pratiques, fruits d’une longue expérience, et une étude des phénomènes géologiques actuels se rapportant à l’action de la mer sur les continents, et spécialement sur les côtes de France, d’Italie, des Pays-Bas néerlandais et adriatiques, ainsi qu’aux bouches du Gange et du Mississipi.
L’œuvre capitale de M. Élie de Beaumont parut en 1841. La carte géologique de France donnait pour la première fois l’ensemble des terrains de notre pays ; cette tâche immense, dont le voyage métallurgique en Angleterre était une sorte de préface, avait exigé de longues années de travail, car les premières explorations curent lieu dès 1825. M. Dufrénoy fut chargé d’examiner l’ouest de la France, M. Élie de Beaumont s’occupa de l’est. Dans le premier chapitre d’introduction à l’Explication qui accompagne la carte, la trace de son génie s’aperçoit distinctement dans l’exposé des motifs qui expliquent le rôle de la France en Europe, et celui de Paris par rapport à la France. Il découvrait les faits, les coordonnait entre eux, et il en déduisait les conséquences dernières, sans jamais se détourner de sa route et surtout sans se laisser emporter par son imagination au delà des limites qui séparent la science pure, accessible il l’homme, de la métaphysique et de l’utopie. M. Élie de Beaumont se pavait de faits et de chiffres et non pas de mots, et à l’astronome qui l’accusait d’être terre à terre, il répondait finement qu’il n’avait rien à faire dans les nuages.
Jeune encore, il avait été frappé de l’aspect du relief de l’écorce terrestre et s’était demandé si une loi de symétrie ne se cachait point sous le désordre apparent qui caractérise les directions des nombreuses chaînes de montagnes couvrant la surface du globe. Grâce à son esprit si essentiellement mathématique, il était mieux que personne en mesure de chercher cette loi et de la découvrir. C’est ainsi qu’il fut amené il écrire sa notice sur les divers systèmes de montagnes, d’abord simple article destiné aux colonnes d’un dictionnaire d’histoire naturelle et qui, à mesure que son auteur faisait de nouvelles observations, devenait l’exposé complet de la belle théorie du réseau pentagonal. Celle théorie a été vivement attaquée, et, comme il arrive d’ordinaire, surtout pal’ ceux qui la connaissaient le moins ; elle avait pour les naturalistes le tort immense d’être mathématique ; on aime beaucoup aujourd’hui à vouloir regarder le monde à travers la lentille d’un microscope ; or, M. Élie de Beaumont était loin de prétendre s’enfermer dans un pareil genre d’observations. Le réseau pentagonal n’a point encore été vulgarisé : le public a eu peur de tant d’algèbre et de trigonométrie, et pour lui permettre de juger en connaissance de cause, il faudrait, ainsi que le faisait remarquer un savant distingué, M. Ch. Grad, dans un travail publié il y a quelques années, de bonnes cartes permettant d’apercevoir, par ce qu’Ampère appelait un coup d’œil autoptique, les belles coordinations pentagonales.M. Élie de Beaumont laisse un grand nom, qui grandira encore dans l’avenir. Lavoisier, Fourcroy et Berthollet ont changé l’alchimie Alchimie en chimie en créant la nomenclature, M. Élie de Beaumont aura la gloire d’avoir le premier cherché à relier par des lois un recueil d’observations éparses pour en faire une science, la géologie.