Le mois dernier (mai 1897), s’est éteint à Paris, après une longue et douloureuse maladie, un des Savants qui, dans ce siècle, a occupé l’une des places prépondérantes dans la science minéralogique.
Né à Beauvais, le 17 octobre 1817, Des Cloizeaux rencontra à la fin de ses études classiques le cristallographe Lévy qui décida de sa carrière : ce fut sous son influence qu’il entreprit ses premiers travaux dès sa sortie de l’École des Mines. Ils furent consacrés à l’étude cristallographique d’un très grand nombre de minéraux et se firent immédiatement remarquer par leurs qualités de méthode, leur degré de précision, leur ingéniosité d’aperçus, qui sont au plus haut point développés dans. son célèbre.mémoire sur la cristallisation du quartz, resté un modèle du genre.
Ces œuvres de Cristallographie géométrique qui, à elles seules, suffiraient à établir une solide réputation, ne constituent pas cependant l’œuvre principale de Des Cloizeaux, C’est dans l’étude des propriétés optiques des minéraux qu’il devait se tailler une puissante originalité. Il y a quarante ans, leur importance était à peine soupçonnée : élevé à l’école de Senarmont, Des Cloizeaux sut voir nettement le parti que l’on pourrait en tirer et dans un rêve enthousiaste de jeunesse, il se proposa de déterminer les propriétés optiques de toutes les substances cristallisées transparentes. Il se mit résolument à l’œuvre, s’attaquant aussi bien aux sels de la chimie qu’aux minéraux. Longtemps seul sur la brèche, sans dévier un seul jour de la ligne qu’il s’était tracée, il mena à bien cette œuvre colossale, dotant ainsi la Minéralogie d’une branche nouvelle et féconde, dans laquelle se presse aujourd’hui la foule de ses continuateurs. Ce sont les résultats de ses recherches qui ont rendu possible l’étude rationnelle des roches à l’aide des propriétés optiques des minéraux qui les constituent. On peut donc dire que si Des Cloizeaux n’a pas été pétrographe lui-même, il n’en est pas moins l’un des pères de la Pétrographie moderne.
Parmi ses innombrables observations, abondent des découvertes de premier ordre : il trouva la polarisation rotatoire dans le cinabre et aussi dans le sulfate de strychnine, qui fut alors le premier corps connu déviant le plan de polarisation aussi bien en cristaux qu’en solution ; il montra l’existence d’amphiboles et de pyroxènes rhombiques, apporta les premières notions précises sur les propriétés optiques des feldspaths tricliniques, dont il découvrit un nouveau type, le microcline. Il montra aussi l’importance des caractères tirés de la dispersion pour la distinction des minéraux biaxes ; enfin il publia un remarquable ouvrage sur les variations que l’écartement des axes optiques d’un grand nombre de corps cristallisés subit sous l’influence de la chaleur, ouvrage qui eut pour point de départ ses mémorables expériences sur le feldspath orthose.
Il fallut à Des Cloizeaux une persistance dans les desseins, une ténacité remarquables pour arriver au résultat cherché ; il travailla en effet toujours avec des ressources matérielles insuffisantes, ne dut jamais compter que sur lui-même, Il lui fallut imaginer ses méthodes de travail, ses instruments et mener de front les observations au microscope et au goniomètre avec les opérations manuelles au tour de l’opticien.
Tous ces travaux ont fait l’objet de très nombreux mémoires, mais l’œuvre de prédilection de Des Cloizeaux était ce Manuel de Minéralogie, malheureusement inachevé, qui n’a pas tardé à devenir le livre de chevet des minéralogistes du monde entier. Il y a réuni avec ses qualités maitresses de précision, sa conscience toujours en éveil, sa loyauté scientifique impeccable, les constantes cristallographiques, optiques et chimiques de tous les minéraux connus, les indications sur leur gisement, y ajoutant à chaque page une somme prodigieuse d’observations personnelles.
Des Cloizeaux était un minéralogiste complet ; aucun recoin de sa science ne lui était étranger. Il rejetait la conception d’une minéralogie étroitement limitée à des recherches de cabinet : à ses yeux, l’histoire physique et chimique des minéraux était intimement liée à celle de leur histoire naturelle. Aussi, était-il devenu un voyageur intrépide : tous les grands gisements minéraux d’Europe lui étaient connus de l’Islande à l’Oural, et ses longues pérégrinations, ses nombreuses études sur le terrain n’avaient pas peu contribué à faire de lui une autorité incontestée pour tout ce qui touche à la science minéralogique.
Des Cloizeaux avait successivement rempli diverses fonctions dans l’enseignement ; répétiteur à l’École Centrale en 1843, maître de conférences à l’École Normale en 1857, il avait suppléé Delafosse à la Sorbonne de 1873 à 1876 et l’avait remplacé au Muséum, en 1876. Mais, ses goûts l’entraînaient beaucoup plus vers les recherches solitaires que vers l’enseignement dans l’amphithéâtre. C’est dans son cabinet qu’il était vraiment lui-même, véritable bénédictin d’une puissance de travail extraordinaire, ardent à l’œuvre, ne prenant jamais que le repos imposé par la maladie, toujours à l’affût de quelque nouvelle recherche à entreprendre. Aussi, bien que sa réputation fût universelle et incontestée partout où il existe un minéralogiste, était-il peu connu du grand public, auprès duquel il négligeait de faire valoir ses travaux,
Les honneurs étaient venus le trouver dans sa retraite ; élu à l’Académie des Sciences en 1869, il en devint le président en 1889. La Société Royale de Londres, la plupart des grandes Académies et Sociétés scientifiques étrangères le comptaient au nombre de leurs membres ; il avait, en 1889, reçu la rosette d’officier de la Légion d’honneur.
Des Cloizeaux laisse, avec une œuvre considérable, le grand et fortifiant exemple d’une vie exclusivement remplie par le culte désintéressé et passionné de la science.
A. Lacroix, Professeur de Minéralogie au Muséum.