Conférence transformiste annuelle de la Société d’anthropologie.
1re partie — 5 octobre 1889
En 1882, à la date de la mort de Darwin, notre Société d’anthropologie décida l’institution d’une conférence annuelle transformiste, pour marquer la portée de la doctrine de l’évolution dans les différents ordres d’études qui font l’objet de vos discussions. Aussi avons-nous eu l’avantage d’entendre exposer ici, dans des séries de conférences, l’évolution du langage, l’évolution du cerveau et de l’intelligence, celle des premiers arts, de la morale, etc. Cette année, le périlleux honneur de prendre la parole m’ayant été assigné, j’ai pensé qu’il fallait choisir, ou, pour mieux dire, le bureau de la Société a eu l’heureuse idée de m’engager à choisir un sujet à la fois plus général, quant il sa portée, et plus spécial au point de vue de l’histoire nationale du transformisme. Au moment où la France célèbre un glorieux centenaire, au moment où elle fait l’inventaire de la part qui lui revient, depuis cent ans, dans les progrès de la science et de la civilisation, il nous a paru tout indiqué de retracer l’histoire du plus illustre des précurseurs de Darwin. C’est donc au naturaliste français Lamarck, à l’immortel auteur de la Philosophie zoologique, que sera consacrée la présente conférence.
Lamarck n’est pas le seul Français qu’il faille inscrire en tête de l’histoire, si souvent faite, du transformisme. Le nom d’Étienne Geoffroy-Saint-HIilaire doit être placé à côté et sur le même rang que le sien. D’antre part, une récente étude de M. de Lanessan [1] nous a montré que Buffon, malgré les contradictions qu’il fut forcé d’apporter à l’expression de sa pensée, a nettement. conçu les lois et même le mécanisme de l’évolution. !\lais le court espace de temps d’une conférence nous force à en limiter le sujet. C’est. pourquoi nous ne nous occuperons que de Lamarck.
En concentrant ainsi son attention sur un seul homme, le danger est de s’exagérer la portée de la part qu’il a prise à l’œuvre commune : l’analyse de ses travaux verse facilement dans le panégyrique ; lorsqu’il s’agit de l’un des initiateurs d’une doctrine qui n’a reçu que plus tard tous ses développements, on est trop souvent tenté de rechercher dans ses écrits les moindres passages où commence à luire l’idée nouvelle et de montrer qu’elle y brille avec tout l’éclat qu’elle devait avoir plus tard. Tous mes efforts tendront à éviter ce danger. Nous étudierons Lamarck comme précurseur de Darrwin, et, appliquant il cette analyse les procédés mêmes des études transformistes, nous mettrons en parallèle les conditions de milieu où se sont trouvés ces deux grands maîtres de la philosophie biologique : nous montrerons comment Lamarck est arrivé dans un milieu scientifique où rien n’était préparé pour amener le succès de ses idées, tandis que Darwin a trouvé un terrain si merveilleusement préparé qu’il n’a presque eu qu’à donner un corps à une doctrine qui surgissait spontanément de toutes parts, par la force des choses, par le fait des notions comparatives acquises de tous côtés. Puis, considérant ces deux hommes indépendamment de leur milieu, nous verrons ce qui a manqué à Lamarck dans l’expression de sa conception pour en établir la démonstration, et au contraire quels modes de procéder ont failla force persuasive de Darwin. C’est un fait incontestable et incontesté que le triomphe du transformisme est l’œuvre de Darwin j que Darwin nous a fait nous souvenir de Lamarck, et qu’alors nous avons retrouvé dans l’œuvre du naturaliste français les principaux traits de celle du naturaliste anglais ; et cependant l’une avait passé presque inaperçue, tandis que l’autre est venue révolutionner toutes les sciences biologiques. Il nous faut les raisons de ce contraste, et elles seront faciles à préciser.
Et tout d’abord, comme point de repère principal de ce parallèle, nous pouvons concentrer en une courte formule ce qu’il y a de plus essentiel dans l’œuvre de Darwin : les êtres d’une même espèce présentent entre eux de légères variations, lesquelles peuvent être transmises par l’hérédité ; parmi ces variations, il en est qui constituent pour celui qui les présente un avantage, une condition plus sûre d’existence ou de reproduction : ces variations seront donc, à l’exclusion des autres, transmises et développées par l’hérédité. De là, le mécanisme si simple de la transformation des espèces, de leur adaptation à leur milieu ; les variations
avantageuses font le triomphe de l’individu dans la lutte pour l’existence et pour la reproduction ; le triomphe des uns, la disparition des autres, c’est-à-dire la sélection. Telle est, sous sa forme la plus condensée, toute la doctrine de Darwin. Nous pourrons dès maintenant voir jusqu’à quel point Lamarck s’est rapproché de celte formule, et comparer la manière dont il a interprété les mêmes faits.Mais d’abord quelques mots de biographie. La grande et sympathique figure du naturaliste qui jeta tant d’éclat sur l’enseignement du Muséum, vous apparaîtra plus grande encore encadrée d’une part des difficultés de ses débuts et d’autre part des déboires et de la tristesse de ses derniers jours.
Pierre-Antoine de Monet, chevalier de Lamarck, naquit en 1744, à Bazentin, en Picardie. Dernier venu d’une famille de onze enfants, il fut destiné à l’état ecclésiastique, pour lequel il ne ressentait, du reste, aucun goût, et envoyé au collège des jésuites à Amiens. Mais à la mort de son père, il s’empressa de quitter le séminaire pour se faire soldat, comme ses frères. Il avait alors dix-sept ans. Monté sur un mauvais cheval, il alla rejoindre l’armée française qui guerroyait alors en Allemagne, et grâce à une lettre de recommandation que lui avait donné une vieille dame, amie de sa famille, il fut en 1761 incorporé dans le régiment de Beaujolais. Arrivé à l’année la veille d’une bataille, il débuta dès le lendemain par un acte de fermeté et de courage qui lui valut d’emblée le grade d’officier ; en effet, sa compagnie se maintint pendant toute l’action sur un point où elle eut à subir le feu de l’artillerie ennemie, et on l’oublia dans le trouble du premier mouvement de retraite. Tous les officiers et sous-officiers avaient succombé : il ne restait plus que quatorze grenadiers. Le plus ancien proposa d’opérer un mouvement de recul. Lamarck s’y opposa avec énergie,et décida ses compagnons à tenir bon jusqu’au moment où ils reçurent l’ordre de se replier.
Après la paix de 1763, il fut envoyé en garnison Toulon et à Monaco. Ce séjour dans le midi de la France, où il fut frappé par l’aspect de la végétations des bords de la Méditerranée, fut sans doute ce qui lui révéla sa véritable vocation. D’autre part, de graves accidents ayant compromis sa santé, il dut venir à Paris pour se faire soigner. Là il comprit, bientôt que la vie militaire ne pouvait le satisfaire ; il donna sa démission d’officier et se mit à étudier la médecine. La botanique l’attirait surtout, et ce goût s’était de plus en plus développé en lui dès qu’il avait suivi le cours de botanique au Jardin du roi, actuellement Jardin des Plantes. Cependant ses ressources étaient plus que modestes, el il dut travailler dans les bureaux d’un banquier pour assurer son existence. C’est ainsi que Linné avait d’abord gagné sa vie comme copiste, que Jean-Jacques Rousseau avait copié de la musique, et que Cuvier, tout en commençant ses grandes recherches d’anatomie comparée, donnait des leçons à de tous jeunes enfants en qualité de précepteur.
A cette époque, le système de classification artificielle de Linné était dans tout son épanouissement, et d’autre part les Jussieu inauguraient leurs tentatives de système des familles naturelles. Lamarck fut amené ainsi à s’occuper de classification, et prenant la question. un point de vue pratique, il proposa la méthode dichotomique, qui consiste à amener la détermination d’une plante par l’usage de tableaux où sont groupés deux par deux des caractères opposés, de manière qu’en éliminant successivement un ordre de caractères, on arrive au bout d’un certain nombre d’opérations semblables au nom de la plante en question. Dès 1711, il appliqua celle méthode à sa Flore française, dont le succès fut grand, et dont une seconde édition fut bientôt publiée.
C’est ainsi que jusqu’en 1793 Lamarck s’occupa presque uniquement de botanique ; c’est à ce titre qu’en 1779 il était entré à l’Académie des sciences et qu’on avait créé pour lui la place de Garde de l’herbier du Jardin du roi. Lorsque, à la Révolution, le nom de Jardin du roi faillit être fatal à cet établissement, c’est Lamarck qui présenta un mémoire pour le transformer, sous le nom de Jardin des Plantes, en un établissement d’enseignement supérieur ,projet qui, repris et élargi en 1793 par Lakanal, aboutit à la création de notre Muséum, avec ses douze chaires primitives. Parmi ces chaires, on donna à Lamarck celle dont personne n’avait voulu, celle de l’histoire naturelle des vers, des insectes et des zoophytes ; en un mot, des êtres qu’il devait reunir un jour sous le nom d’invertébrés, après en avoir débrouillé le chaos. .
Lamarck se consacra dès lors à l’étude de la géologie. Ses cours, sur les animaux inférieurs, ont commencé en 1794 ; Il Ies poursuivit pendant vingt-cinq ans, mais en même temps il rédigeait les résultats de son enseignement, et en 1815 il commençait la publication de son grand ouvrage : Histoire des animaux sans vertèbres, dont il fit paraitre sept volumes de 1815 à 1822. Dans l’introduction de cet ouvrage, qui le place au premier rang des naturalistes observateurs et nomenclateurs, il expose largement ses idées sur l’origine des êtres et leurs transformations. Ces problèmes avaient commencé à le préoccuper dès 1801, alors que, après de longues études de classifications botaniques, il s’était trouvé, dans un autre domaine, en présence d’un nombre immense d’espèces à classer et à différencier. Les séries de faits spéciaux ainsi mis sous ses yeux devaient le forcer à s’élever à des considérations générales comprenant l’ensemble du monde organisé, et c’est ainsi que, dès 1809, il était amené à publier sa Philosophie zoologique. Cet ouvrage, qui fut réédité en 1830, et plus récemment en 1873 (par les soins de Charles Martins), est celui que nous devons feuilleter aujourd’hui pour étudier Lamarck comme transformiste.
Mais d’abord, pour achever cette courte biographie, ajoutons que l’examen minutieux de petits animaux, analysés à l’aide d’instruments grossissants, fatigua, puis affaiblit sa vue. Bientôt il fut complètement aveugle. Il passa les dix dernières années de sa vie plongé dans les ténèbres, entouré des soins de ses deux filles, il l’une desquelles il dictait le dernier volume de son Histoire des animaux sans vertèbres. Il mourut le 18 décembre 1829, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. Il laissa t sa famille presque dans le dénuement, Déjà, de son vivant, il avait été obligé de se défaire de sa collection de coquilles sans que le Muséum songeât à l’acquérir ; il en fut de même, après sa mort, de son herbier, qui fut acquis par un professeur de botanique de l’Université de Rostok, dans le Mecklembourg-Schwerin.
Aujourd’hui, comme du temps de Lamarck, la question du transformisme repose tout entière sur la valeur attribuée à l’espèce, à sa fixité. Pour les adversaires du transformisme, les espèces sont immuables et fixes ; elles ont été créées une fois pour tontes, et les Individus qui les représentent ; issus d’un couple primitif, reproduisent toujours le même type spécifique dans la série du temps. Ce type, créé de toutes pièces, l’a été pour un certain milieu, pour lequel il a été merveilleusement adapté, c’est-à-dire qu’il a reçu dès l’origine tous les organes qu’il lui faut pour vivre dans ce milieu, et rien que ces organes. Cette théorie, qui nécessairement énonce ou sous-entend l’idée de la création de l’espèce par une puissance surnaturelle, est d’accord avec la plupart des traditions religieuses ; elle est dite, par suite, doctrine théologique ou mosaïque, parce que, dans notre milieu européen, elle se rapporte plus spécialement à l’histoire de la création, telle qu’elle a été donnée par la Bible, c’est-à-dire par les livres de Moïse. Comme elle admet une parfaite adaptation préconçue entre chaque organisme et son milieu, c’est-à-dire considère chaque être comme créé pour ce milieu, chaque organe comme construit en vue de la fonction qu’il remplit, chaque chose enfin comme faite pour une fin préconçue, on la dit encore doctrine des causes finales ou doctrine téléologique (de , fin, but).
Or Lamarck, qui avait d’abord accepté la valeur absolue de l’espèce, se trouva bientôt, au cours de ses immenses travaux de classification, en présence de faits qui devaient amener le doute dans son esprit. En botanique, comme en zoologie, il paraît avoir été tout d’abord frappé et embarrassé par ces formes que les classificateurs et collectionneurs appellent les mauvaises espèces, c’est-à-dire les espèces mal définissables qu’il est difficile de caractériser et de distinguer des variétés et des races. Dès lors, invoquant les variations si nombreuses et si grandes que présentent les espèces domestiques, comme par exemple les pigeons, il chercha à montrer les conséquences pratiques de ces faits au point de vue des classifications, qui n’eurent plus à ses yeux d’autre valeur que celle de moyens artificiels pour établir des divisions dans ce qui est, par sa nature, continu et graduel. Il arriva ainsi à la certitude de la variation de l’espèce sons l’influence des agents extérieurs, à la notion de l’unité fondamentale du règne animal, et enfin à l’idée de la génération successive des différentes classes d’animaux, sortant les unes des autres comme dans un arbre les branches, les rameaux et les feuilles. Cet énoncé, qui résume la pensée de Lamarck, est aussi, mot pour mot, la formule de la ., théorie de Darwin. C’est en entrant dans le détail que nous allons voir apparaître les différences. Il s’agit donc de reprendre chaque terme de cet énoncé, et surtout de considérer les explications données par Lamarck sur le mécanisme par lequel les conditions de milieu modifient graduellement l’organisme. Nous ferons cette étude en feuilletant pour ainsi dire sa Philosophie zoologique, c’est-à-dire que nous aurons autant que possible recours à des citations directes et non à des analyses ou des résumés incomplets.
« La difficulté même que je sais, par ma propre expérience, qu’on éprouve maintenant à distinguer les espèces dans les genres où nous sommes déjà très enrichis difficulté qui s’accroit tous les jours à mesure que les recherches des naturalistes agrandissent nos collections, tout m’a convaincu que nos espèces ne sont que des races mutables et variables qui le plus souvent ne diffèrent de celles qui les avoisinent que par des nuances difficiles à apprécier. » Ainsi s’exprime Lamarck à l’ouverture de son cours de 1806. Dans les premières pages de sa Philosophie zoologique, en 1809 . il déclare que .« les classifications, dont plusieurs ont été si heureusement imaginées par les naturalistes, sont des moyens tout à fait artificiels. Ilien de tout cela ne se trouve clans la nature … Parmi ses productions, elle n’a réellement formé ni classes, ni ordres, ni familles, ni genres, ni espèces constantes, mais seulement des individus qui se succèdent les uns aux autres et qui ressemblent à ceux qui les ont. produits. Or ces individus appartiennent à des races infiniment diversifiées, qui sc nuancent sous toutes les formes et clans tous les degrés d’organisation, et qui chacune se conservent sans mutation, tant qu’aucune cause de changement n’agit sur elles », (Phil. zool., édit de 1873, tome I, page 41.)
Plus loin (Ibid., p. 61), à propos de l’étude des caractères spécifiques : « Ce moyen est très favorable à l’avancement de nos connaissances sur l’état des productions de la nature à l’époque où nous observons. Mais les déterminations qui en résultent ne peuvent être valables que pendant un temps limité ; car les races elles-mêmes changent dans l’état de leurs parties, à mesure que les circonstances qui influent sur elles changent considérablement. A la vérité, comme ces changements ne s’exécutent qu’avec une lenteur énorme qui nous les rendent toujours insensibles, les proportions et les dispositions des parties paraissent toujours les mêmes à l’observateur qui, effectivement, ne les voit jamais changer, et lorsqu’il en rencontre qui ont subi ces changements, comme il n’a pu les observer, il suppose que les différences qu’il aperçoit ont toujours existé. »
Inutile de multiplier les citations il cet égard, car il faudrait alors reproduire ici tout le chapitre III de la première partie, chapitre ayant pour titre : « De l’espèce parmi les corps vivants et de lidée que nous devons attacher à ce mot. » Cependant, en feuilletant ce chapitre, arrêtons-nous au passage suivant : « N’ayant pas fait attention que les individus d’une espèce doivent sc perpétuer sans varier, tant que les circonstances qui influent sur leur manière d’être ne varient pas essentiellement, et les préventions existantes s’accordant avec ces régénérations successives d’individus semblables, on a supposé que chaque espèce était invariable et aussi ancienne que la nature, et qu’elle avait eu sa création particulière de la part de l’Auteur suprême de tout ce qui existe. Sans doute, rien n’existe que par la volonté du sublime auteur de toutes choses. Mais pouvons-nous lui assigner des règles dans l’exécution de sa volonté et fixer le mode qu’il a suivi à cet égard ? Sa puissance infinie n’a-t-elle pu créer un ordre de choses qui donnât successivement l’existence à tout ce que nous voyons comme à tout ce qui existe et que nous ne connaissons pas ? .. Respectant donc les décrets de cette sagesse infinie, je me renferme dans les bornes d’un simple observateur de la nature. Alors, si je parviens à démontrer quelque chose dans la marche qu’elle a suivie pour opérer ses productions, je dirai, sans crainte de me tromper, qu’il a plu à son auteur qu’elle ait cette faculté et celte puissance. »
Deux faits sont à noter dans ce passage : d’une part, les termes dignes et conciliants dans lesquels Lamarck établit la part de la science et de la religion ; cela vaut mieux, même en tenant compte des différences d’époques, que les abjurations de Buffon. Mais passons sur ce détail. D’autre part, Lamarck : note bien que si les conditions de milieu ne changent pas, il est naturel que les êtres eux-mêmes ne subissent pas de modification. C’est une question sur laquelle il revient à plusieurs reprises, et avec raison, en citant l’exemple des plantes et animaux d’Égypte, dont l’identité, depuis les temps les plus reculés, a été si souvent citée de nos jours comme objection à Darwin. Lamarck a réfuté C’est une question. « Je ne me refuse pas, dit-il (p. 86), de croire à la conformité de ressemblance des animaux qui vivaient il y a deux ou trois mille ans dans Thèbes ou dans Memphis, avec les individus des mêmes espèces qui y vivent aujourd’hui. Les oiseaux,que les Égyptiens ont adorés et embaumés il y a trois mille ans, sont encore en tout semblables à ceux qui vivent actuellement dans ce pays. Il serait assurément bien singulier qu’il en fût autrement, car la position l’Égypte ct son climat sont encore, à très peu près ce qu’ils étaient à cette époque. Or les oiseaux qui y vivent s’y trouvant encore dans les mêmes circonstancs où ils étaient alors n’ont pu être forcés de changer leurs habitudes. »
Changer leurs habitudes ! Voilà la formule qui résume le mécanisme par lequel Lamarck explique les changements morphologiques des êtres. Le milieu crée des besoins ; les besoins entraînent des habitudes : les habitudes modifient des organes, la fonction fait l’organe. C’est sur ces points qu’il nous faut maintenant insister, en continuant à feuilleter la Philosophie zoologique.
La théorie de Lamarck repose sur trois propositions successivement liées les unes aux autres, et qu’il formule en ces termes :
« Le véritable ordre de choses qu’il s’agit de considérer consiste à reconnaître (p, 231) :
« 1° Que tout changement un peu considérable et ensuite maintenu dans les circonstances où se trouve chaque race d’animaux opère en elle un changement réel dans leurs besoins ;
« 2° Que tout changement dans les besoins des animaux nécessite pour eux d’autres actions pour satisfaire aux nouveaux besoins, et, par suite, d’autres habitudes ;
« 3° Que tout nouveau besoin nécessitant de nouvelles actions pour y satisfaire exige de l’animal qui l’éprouve, soit l’emploi plus fréquent de celle de ses parties dont auparavant il faisait moins d’usage, ce qui la développe et l’agrandit considérablement, soit l’emploi de nouvelles parties que les besoins font naître insensiblement en lui par des efforts de son sentiment intérieur. »
Cet énoncé même, auquel Lamarck donne ensuite tous les développements qu’il comporte, met en évidence le point faible de sa théorie. Sans doute il résume celte grande notion aujourd’hui indiscutée, la fonction fait l’organe, c’est-à-dire le développe, le modifie, le transforme, et Lamarck le dit expressément : « Ce ne sont pas les organes, c’est-à-dire la nature et la forme des parties du corps d’un animal qui ont donné lieu à ses habitudes et à ses facultés particulières, mais ce sont au contraire ses habitudes, sa manière ,le vivre et les circonstances dans lesquelles se sont rencontrés les individus dont il provient, qui ont, avec le temps, constitué la forme de son corps, le nombre et l’état de ses organes, enfin les facultés dont il jouit. » Mais nous voyons comment la fonction transforme l’organe, nous ne voyons pas comment elle peut le faire naître, et les exemples que cite Lamarck ne sont pas fairs pour nous éclairer. Nous reviendrons sur ce point lorsque nous mettrons étroitement en parallèle les idées de Darwin et de Lamarck. Pour le moment, contentons-nous de quelques passages où le transformiste s’efforce de donner des exemples de modifications des organes par les efforts du sentiment intérieur del’animal. Il s’agit des oiseaux palmipèdes et des échassiers, Pour les échassiers, « on sent, dit-il (Phl. zool. p269.), que l’oiseau de rivage, qui ne se plaît point à nager, et qui cependant a besoin de s’approcher des bords de l’eau pour y trouver sa proie, est continuellement exposé à s’enfoncer dans la vase. Or, cet oiseau, voulant faire en sorte que son corps ne plonge pas dans le liquide, fait tous ses efforts pour étendre et allonger ses pieds. Il en résulte que la longue habitude que cet oiseau et tous ceux de sa race contractent d’étendre et d’allonger continuellement leurs pieds, fait que les individus de cette race se trouvent élevés comme sur des échasses, ayant obtenu peu à peu de longues jambes nues, c’est-à-dire dénuées de plumes jusqu’aux cuisses souvent au delà. » Pour le palmipède : « l’oiseau, que le besoin attire sur l’eau pour y trouver la proie qui le fait vivre, écarte les doigts de ses pieds lorsqu’il veut frapper l’eau et se mouvoir à sa surface. La peau qui unit ces doigts à leur base contracte, par ces écartements des doigts sans cesse répétés, l’habitude de s’étendre ; ainsi, avec le temps, les larges membranes qui unissent les doigts des canards, des oies, etc., se sont formées telles que nous le voyons. »
Nous ne pouvons nous empêcher de trouver quelque chose de naïf dans ce rôle efficace attribuer à l’effort fait par l’animal pour modifier ses organes, habitués que nous sommes aujourd’hui à une interprétation qui, tout en tenant compte des effets de l’usage ou des défauts d’usage des parties, invoque surtout la sélection des variations présentant un caractère avantageux, habitués en un mot à considérer généralement l’organisme comme subissant ses modifications au lieu de les provoquer. Et cependant Lamarck était bien près de ces idées actuelles, lorsque, des exemples empruntés aux animaux, il passe à ceux que lui fournit le règne végétal, pour lequel il n’y a plus de ces efforts du sentiment intérieur. « Dans les végétaux (Phil. zool. p. 225), où il n’y a point d’actions et, par conséquent, point d’habitudes proprement dites, de grands changements de circonstances n’en amènent pas moins de grandes différences dans les développements de leurs parties, en sorte que ces différences font naître et développer certaines d’entre elles, tandis qu’elles atténuent et font disparaître plusieurs autres. Mais ici tout s’opère par les changements survenus dans la nutrition du végétal, dans ses absorptions et transpirations, clans la quantité de calorique, de lumière, d’air et d’humidité qu’il reçoit ; enfin dans la supériorité que certains divers mouvements vitaux peuvent prendre sur les autres. »
Quoi qu’il en soit, et pour continuer l’exposé de sa doctrine, remarquons le rôle essentiel qu’il donne à l’hérédité, « ce moyen de la nature, qui consiste à conserver dans les nouveaux individus reproduits tout ce que les suites de la vie et des circonstances influentes avaient fait acquérir dans l’organisation de ceux qui leur ont transmis l’existence ». (Philos. zool., p. 13.)
Si nous insistons encore sur ce point, qu’à ses yeux le temps intervient comme un élément de première importance dans la production des modifications, c’est-à-dire que pour lui les transformations sont infiniment lentes, c’est que trop souvent on a accusé Lamarck d’avoir dit ou cru que, durant la vie d’un individu, ou même la succession d’un petit nombre de générations, une espèce pouvait se transformer en une espèce nouvelle. Ainsi, dans l’exemple bien connu de la girafe, ou bien on ne l’a pas compris, ou bien on s’est plu à jeter le ridicule sur sa conception ; car lorsqu’il dit que le cou de la girafe s’est allongé à force d’être tendu pour atteindre aux feuilles des arbres, il n’entend jamais parler d’un individu ou même de plusieurs, mais bien d’une longue série de générations et de variétés successives chez lesquelles le cou, s’étant peu il peu et constamment allongé il mesure qu’elles broutaient des arbres de plus en plus élevés, trouvait l’occasion de s’allonger encore. C’est ainsi qu’il parle de la transformation lente des espèces domestiques dont les races ne se sont formées et fixées que grâce à une longue suite de générations. « Qui ne sait, dit-il (p. 229), que tel oiseau de nos climats que nous élevons dans une cage et qui y vit cinq ou six années de suite, étant après cela replacé dans la nature, c’est-à-dire rendu à la liberté, n’est plus alors en état de voler comme ses semblables qui ont toujours été libres ? Le léger changement de circonstance opéré sur cet individu n’a fait, à la vérité, que diminuer sa faculté de voler, et sans doute n’a opéré aucun changement dans la forme de ses parties. Mais si une nombreuse suite de générations des individus de la même race avait été tenue en captivité pendant une durée considérable, il n’y a nul doute que la forme même des parties de ces individus n’eût peu à peu subi des changements notables. » - « Du temps et des circonstances favorables, dit-il ailleurs (p. 238), sont, comme je l’ai déjà dit, les deux principaux moyens qu’emploie la nature pour donner l’existence à toutes ses productions : on sait que le temps n’a point de limites pour elle, et qu’en conséquence elle l’a toujours à sa disposition. »
La ségrégation, sur le rôle de laquelle on a tant insisté dans ces dernières années, au point de vouloir presque la substituer à la sélection naturelle, et dont il faut tout au moins faire une des conditions de la sélection, la ségrégation a été nettement définie par Lamarck, qui en a précisé toute l’importance.
Il y a lieu de citer presque tout le passage qu’il lui consacre, en commençant par les considérations qui l’amènent à voir la nécessité de son intervention dans le mécanisme des transformations. (1 Au reste (Philos. zoo. p. 259), dans les réunions reproductives, les mélanges entre des individus qui ont des qualités ou des formes différentes s’opposent nécessairement à la propagation constante de ces qualités et de ces formes. Voilà ce qui empêche que, dans.l’homme, qui est soumis à tant de circonstances diverses qui influent sur lui, les qualités ou les défectuosités accidentelles qu’il a été dans le cas d’acquérir se conservent et se propagent par la génération. Si, lorsque des particularités de forme ou des défectuosités quelconques se trouvent acquises, deux individus, dans ce cas, s’unissaient toujours ensemble, ils produiraient les mêmes particularités, et des générations successives se bornant dans de pareilles unions, une race particulière et distincte en serait alors formée. Mais des mélanges perpétuels entre des individus qui n’ont pas les mêmes particularités de forme font disparaître toutes les particularités acquises par des circonstances particulières, De là on peut assurer que si des distances d’habitation ne séparaient pas les hommes, les mélanges pal’ la génération feraient disparaître les caractères généraux qui distinguent les différentes nations. »
Tels sont les différents mécanismes qu’invoque Lamarck pour la modification et la transformation des organismes. C’est en classificateur qu’il a été amené à les examiner et les interpréter ; c’est en classificateur qu’il en a tiré des conclusions. La classification doit suivre, dit-il, « la méthode naturelle, qui n’est que l’esquisse, tracée par l’homme, de la marche que suit la nature pour faire exister ses productions (p. 65). » - « Un ordre établi par la nature existe parmi ses productions dans chaque règne des corps vivants .. , ; il peut nous être connu à l’aide de la connaissance des rapports particuliers et généraux qui existent entre les différents objets des deux règnes. Les corps vivants qui se trouvent aux deux extrémités de cet ordre ont essentiellement entre eux le moins de rapports et présentent, dans leur organisation et leur forme, les plus grandes différences possibles. » (P. 42.) « Ces rapports indiquent une sorte de parenté entre les corps vivants, » (P. 58.) Les espèces forment donc une série continue, « et les lignes de séparation qu’il importe au naturaliste d’établir de distance en distance pour diviser l’ordre naturel n’y sont nullement ». (P. 52.) — « il n’y a que ceux qui se sont longtemps et fortement occupés de la détermination des espèces et qui ont consulté de riches collections, qui peuvent savoir jusqu’à quel point les espèces, parmi les corps vivants, se fondent les unes dans les autres, et qui ont pu se convaincre que, dans les parties où nous voyons des espèces isolées, cela n’est ainsi que parce qu’il nous en masque d’autres qui en sont plus voisines et que nous n’avons pas encore recueillies. » (P. 76.)
Voilà donc la sériation généalogique bien indiquée et la nature de ses liens précisée Mais quelle est la forme de celle série ; est-elle simple et linéaire, comme ce qu’on appelle l’échelle animale, ou à bifurcations multiples et ramifiées, selon la conception aujourd’hui classique ? Ici encore, Lamarck précise nettement l’interprétation que les études ultérieures devaient confirmer : « Je ne veux pas dire que les animaux qui existent forment une série très simple et partout également nuancée ; mais je dis qu’ils forment une serie rameuse, irrégulièrement graduée et qui n’a point de discontinuité dans ses parties, ou qui, du moins, n’en a pas toujours eu, s’il est vrai que, par suite de quelques espèces perdues, il s’en trouve quelque part. » (P. 77.) « Ces variations dans le perfectionnement dans la dégradation des organes donnent lieu à une diversité si considérable et si singulièrement ordonnée des espèces, qu’au lieu de les pouvoir ranger en une série unique, simple et linéaire, sous la forme d’une échelle régulièrement graduée, ces espèces forment souvent autour des masses dont elles font partie des ramifications latérales dont les extrémités offrent des points véritablement isolés. » (P. 123.)
Il serait étrange que dans cette étude, présentée à des anthropologistes, il ne fut pas indiqué ce qu’a pu penser Lamarck de l’origine de l’homme, C’est Darwin qu’on rapporte en général l’hypothèse de la dérivation simienne de notre espèce, et c’est sur lui que concentrent leurs anathèmes ceux qui, selon l’expression de Broca, préfèrent se croire un Adam dégénéré plutôt qu’un singe perfectionné ; mais Lamarck doit partager ici le sort de Darwin, et là, plus que dans toute autre question, il a été le précurseur de nos contemporains qui ont écrit sur la place de l’homme dans la nature. Parenté anatomique, développement de la prédominance de notre espèce, origine du langage, il aborde toutes ces questions et en présente la solution avec cette âpre franchise qui n’est pas le caractère moins saillant de son œuvre. Ici, il faudrait tout citer, des pages 339 à 347, de sa Philosophie zoologique. Nous nous contenterons des passages suivants :
« Si l’homme n’était distingué des animaux que relativement à son organisation, il serait aisé de montrer que les caractères d’organisation dont on se sert pour en former, avec ses variétés, une famille à part, sont tous le produit d’anciens changements dans ses actions et des habitudes qu’il a prises et qui sont devenues particulières aux individus de son espèce.
« Effectivement, si une race quelconque de quadrumanes, surtout la plus perfectionnée d’entre elles, perdait, par la nécessité des circonstances, ou par quelque autre cause, l’habitude de grimper sur les arbres et d’en empoigner les branches avec les pieds, comme avec les mains, pour s’y accrocher, et si les individus de cette race, pendant une suite de générations, étaient forcés de ne se servir de leurs pieds que pour marcher, et cessaient d’employer leurs mains comme des pieds, il n’est pas douteux, d’après les observations exposées dans le chapitre précédent, que ces quadrumanes ne fussent à la fin transformés en bimanes et que les pouces de leurs pieds ne cessassent d’être écartés des doigts, ces pieds ne leur servant plus qu’à marcher.
« En outre, si les individus dont je parle, mus par le besoin de dominer et de voir à la fois au loin et au large, s’efforçaient de se tenir debout et en prenaient constamment l’habitude de génération en génération, il n’est pas douteux encore que leurs pieds ne prissent insensiblement une conformation propre à les tenir dans une attitude redressée, que leurs jambes n’acquissent des mollets, et que ces animaux ne pussent alors marcher que péniblement sur les pieds et les mains à la fois.
« Enfin, si ces mêmes individus cessaient d’employer leurs mâchoires comme des armes pour mordre, déchirer ou saisir, et qu’ils ne les fissent servir qu’à la mastication, il n’est pas douteux encore que leur angle facial devînt plus ouvert, que leur museau ne se raccourcit de plus en plus, et qu’à la fin, étant entièrement effacé, ils n’eussent leurs dents incisives verticales.
« Alors on concevra que cette race plus perfectionnée dans ses facultés, étant par là venue à bout de maîtriser les autres, se sera emparée à la surface du globe de tous les lieux qui lui conviennent ; qu’elle en aura chassé les antres races éminentes et dans le cas de lui disputer les biens de la terre, et qu’elle les aura contraintes de se réfugier dans les lieux qu’elle n’occupe pas, tandis qu’elle-même, maîtresse de se répandre partout, de s’y multiplier sans obstacle, se sera successivement créé des besoins nouveaux qui auront excité son industrie et perfectionné graduellement ses moyens et ses facultés. »
Suivent des considérations sur la zoologie de l’Orang d’Angola et sur la manière dont il se tient debout dans diverses occasions ; puis l’auteur continue :
« Maintenant, pour suivre dans tous ses points la supposition présentée dès le commencement de ces observations, li convient d’y ajouter les considérations suivantes :
« Les individus de la race dominante dont il a été question, s’étant emparés de tous les lieux d’habitation qui leur furent commodes, et ayant considérablement augmenté leurs besoins à mesure que les sociétés qu’ils y formaient devenaient plus nombreuses, ont dû pareillement multiplier leurs idées, et par suite ressentir le besoin de les communiquer à leurs semblables. On conçoit qu’il en sera résulté pour eux la nécessité d’augmenter et de varier en même proportion les signes propres à la communication de ces idées … Ainsi, ne pouvant plus se contenter ni des signes pantomimiques, ni des inflexions possibles de la voix, pour représenter cette multitude de signes devenus nécessaires, ils seront parvenus, par différents efforts, il former les sons articulés ; d’abord ils n’en auront employé qu’un petit nombre, conjointement avec des Inflexions de leur voix Par la suite ils les auront multipliés, variés et perfectionnés, selon l’accroissement de leurs besoins et selon qu’ils se seront plus exercés à les produire … De là, pour cette race particulière, l’origine de l’admirable faculté de parler .. »
Et Lamarck termine par cette phrase : « Telles seraient les réflexions que l’on pourrait faire si l’homme, considéré ici comme la race prééminente en question, n’était distingué des animaux que par les caractères de son organisation et si son origine n’était pas différente de la leur ! »
En résumé, Lamarck, qui fut un grand classificateur en botanique et en zoologie, qui établit la grande division des vertébrés et des invertébrés, qui a établi la classe des crustacés, des arachnides, etc., Lamarck a conçu la doctrine transformiste avec toutes ses conséquences : il en a développé la portée au point de vue des classifications , mais il n’est pas parvenu à en donner une démonstration qui la fit accepter, Il s’agit donc de voir maintenant à quelles causes il faut rapporter son insuccès, et comment s’explique au contraire le succès de Darwin. Ces causes sont de plusieurs ordres : d’une part, les conditions antérieures, c’est-à-dire l’état comparé des esprits, lorsque parurent Lamarck et Darwin ; d’autre part, les procédés mêmes de démonstration employés par l’un et pal’ l’autre de ces deux grands philosophes de la nature : et, enfin, les conditions immédiates et ultérieures, c’est-à-dire les causes d’opposition qui surgirent et devaient fatalement surgir contre Lamarck, notamment par le fait de personnalités scientifiques ou politiques que contrariaient sa doctrine, et inversement les causes qui devaient augmenter de jour en jour le succès des idées de Darwin et étendre d’une manière singulière la généralisation de sa doctrine.
Deuxième partie — 12 octobre 1889
Au premier point de vue, on peut dire que tout avait été préparé pour l’avènement de Darwin. Malthus, dans son Essai sur le principe de la population, avait formulé des idées. qui devaient fatalement faire concevoir la sélection à tout naturaliste qui réfléchirait sur les rapports nécessaires entre la multiplication des individus d’une espèce et la production des aliments nécessaires à la consommation de ces individus. Et c’est, en effet, en lisant Malthus que l’idée de la sélection naturelle se présenta à l’esprit de Darwin. Et cette idée était alors tellement une résultante nécessaire des progrès des sciences naturelles qu’elle surgissait en même temps dans l’esprit de divers observateurs : sans parler de Spencer. et de Huxley, nous avons l’exemple d’un autre compatriote de Darwin, Russel Wallace, qui, en même temps que Darwin, et d’après un autre ordre d’observations, formulait aussi la théorie de la sélection. Ce fait est assez démonstratif pour être rappelé avec quelques détails. C’était en 1858, alors que Darwin, après son long voyage autour du monde, réunissait ses observations, en dégageait nettement sa théorie, mais, désireux d’accumuler les faits démonstratifs, d’examiner toutes les objections, ne livrait au public rien encore de ses résultats et s’était borné à quelques communications à des amis intimes. Sans doute eût-il tardé longtemps encore, ainsi qu’il le raconte, à publier ses résultats, si une circonstance inattendue n’était venue le forcer à s’assurer la priorité. Le naturaliste Wallace, à la suite de longues observations dans les îles de l’archipel Indien, avait étudié spécialement l’ordre de faits connu sous le nom de mimétisme, et il venait de rédiger sur ce sujet un mémoire qu’il envoya à Darwin.en le priant de le présenter à la Société linnéenne et de le faire publier dans un recueil scientifique anglais. En parcourant cet essai, quelle ne l’ut pas la surprise de Darwin de voir qu’il contenait quelques-unes des idées capitales du grand ouvrage qu’il préparait depuis plus de vingt ans. Darwin, très perplexe, voulant rendre justice à Wallace, mais désirant aussi sauvegarder ses droits, alla consulter les intimes qui depuis longtemps connaissaient le résultat de ses méditations, Hooker et Charles Lyell, lesquels lui conseillèrent de présenter simultanément à la Société linnéenne, et l’écrit de Wallace et un résumé des notes qu’il accumulait depuis si longtemps sur le même sujet. C
est ainsi que, le 1er juillet 1858, la Société linnéenne recevait les communications de deux naturalistes qui vivaient en des points opposés du globe, qui avaient travaillé indépendamment l’un de l’autre, et qui annonçaient cependant avoir découvert une même solution des problèmes relatifs à l’espèce.Ces deux naturalistes étaient Anglais, et on peut presque dire qu’il devait en être ainsi, parce que, en Angleterre, l’art de l’éleveur avait alors atteint sa plus grande perfection, et qu’il était impossible que la connaissance des procédés de la sélection pratiquée par les éleveurs ne fit pas penser à des procédés et résultats semblables par le jeu des causes naturelles. C’est par un rapprochement tout simple entre la science pure et la pratique empirique que Darwin lui amené, de la sélection artificielle, à concevoir la sélection naturelle. Il comprit que si le transformisme ne peut se baser que sur la conception d’effets accumulés sur un nombre immense d’individus, pendant de longues séries de générations, l’art des éleveurs nous présente, produit pendant un laps de temps peu considérable, ce que la nature ne peut faire que grâce à une longue succession de siècle : c’est qu’en effet, ces mouleurs de matière organique comme Vogt appelle les éleveurs, ne font autre chose qu’accumuler les petits effets naturels, augmenter leur puissance par un choix judicieux des individus reproducteurs, en écartant toutes les causes qui pourraient neutraliser les effets obtenus.
Aussi Darwin ne se contenta pas d’étudier les variations choisies par les éleveurs et développées par eux, il se fit lui-même éleveur. Les pigeons, dont Lamarck signale les nombreuses modifications selon les races cultivées, Darwin se livra à leur étude, poussant l’analyse des variations jusque dans la recherche des plus minimes détails anatomiques. Il constata que, dans chaque race ou sous-race de pigeons, les individus sont plus variables qu’ils ne le sont jamais dans les espèces à l’état de nature, de sorte que ce fut là pour lui comme un instrument grossissant pour saisir l’importance des variations. « Cette plasticité, dit-il en résumant ses études sur ces oiseaux, cette plasticité de l’organisme résulte apparemment du changement des conditions extérieures. Le défaut d’usage réduit, certaines parties du corps. La corrélation de croissance relie si intimement entre elles toutes les parties de l’organisme, que toute variation de l’une d’elles entraîne une variation correspondante dans une autre, Lorsque plusieurs races ont été formées, leurs croisements réciproques ont facilité la marche des modifications et ont souvent causé l’apparition de nouvelles sous-races. Mais, de même que, dans la construction d’un bâtiment, les pierres et les briques seules sont de peu d’utilité dans l’art du constructeur, de même, dans la création de nouvelles races, l’action dirigeante et efficace a été celle de la sélection. Les éleveurs peuvent agir par sélection aussi bien sur de minimes différences individuelles que sur des différences plus importantes. »
Tout autres furent, nous le savons, les conditions générales dans lesquelles vécut Lamarck. Darwin avait été témoin des efforts et des résultats des horticulteurs et des zootechnistes : Lamarck avait surtout travaillé à classer d’immenses collections de botanique et de zoologie ; il raisonne en nomenclateur de génie : Darwin accumule les faits fournis par l’expérimentation.
Chargé de perfectionner l’éducation du fils de Buffon par des voyages, Lamarck avait parcouru la Hollande, l’Allemagne et la Hongrie, c’est-à-dire visité surtout des herbiers, des jardins botaniques, des collections d’histoire naturelle. Darwin avait consacré cinq ans à un voyage autour du monde, et les impressions successives qu’il avait éprouvées en passant d’un lieu dans un autre, c’est-à-dire en comparant les faunes et les nues I il diverses îles et continents, décidèrent son esprit dans la voie de l’hypothèse transformiste. « Lorsque.dit-il (de la variat. des animaux et des plantes, édit. franç. de 1868, t. 1er, p. 10), je visitai l’archipel des Gabpagos, situé dans l’océan Pacifique, à environ 500 milles des côtes de l’Amérique du Sud, je me vis entouré d’espèces particulières d’oiseaux, de reptiles et de plantes n’existant nulle part ailleurs dans le monde. Presque toutes portaient un cachet américain, bien que les îles, séparées de la terre ferme par bien des lieues d’océan, en différassent notablement par leur constitution géologique et leur climat. Cet archiipeI, avec ses innombrables cratères et ses ruisseaux de lave dénudée, parait être d’origine récente, et je me figurais presque assister à l’acte même de la création … Il me paraissait que les habitants des diverses îles étaient provenus les uns des autres, en subissant dans le cours de leur descendance quelques modifications, et que tous les habitants de l’archipel devaient provenir naturellement de la terre la plus voisine, de colons colons par l’Amérique. »
Voilà, les spectacles propres à former un Darwin : ce ne furent pas les seuls dans ses voyages. Les recherches de paléontologie qu’il put faire ne l’ont pas moins impressionné. « Rien, dit-il, n’évoque plus fortement l’esprit la question de la succession des espèces que l’exhumer de ses propres mains les gigantesques ossements fossiles de certains animaux éteints. J’ai trouvé dans l’Amérique du Sud d’énormes fragments de carapaces, offrant, mais sur une échelle magnifique, les mêmes dessins en mosaïque qui ornent aujourd’hui le test écailleux du petit tatou ; j’ai trouvé de grosses dents semblables à celles du paresseux vivant actuellement, et des ossements analogues à ceux du cabiai. Nous voyons donc là la persistance, dans le temps et dans l’espace, des mêmes types dans les mêmes régions, comme s’ils descendaient les uns des autres … La succession de nombreuses espèces distinctes d’un même genre, au travers de la longue série des formations géologiques, semble n’avoir pas été interrompue. Les espèces nouvelles arrivent graduellement une à une. Certaines formes anciennes et éteintes montrent souvent des caractères combinés ou intermédiaires, comme les mots d’une langue morte comparés aux rejetons qu’elle a fournis aux diverses langues vivantes lui en dérivent. »
Cette dernière citation de Darwin précise l’une des vins importantes conditions de milieu scientifique qui furent différentes pour lui et pour Lamarck. A l’époque de Darwin, la science des fossiles est constituée, et on avait appris à reconnaître dans les formes paléontologiques des intermédiaires entre elles et entre les formes actuelles. A l’époque de Lamarck, la science des fossiles vient à peine d’être créée par les immortelles découvertes de Cuvier, qui, pour expliquer l’origine des restes d’espèces éteintes, avait édifié sa fameuse théorie des révolutions du globe et des créations successives. En présence de ce fait que les espèces animales éteintes, dont on trouve les ossements fossiles dans les couches géologiques successives, diffèrent d’autant plus des formes actuelles qu’elles appartiennent à des couches plus profondes, c’est-à-dire plus anciennes, Cuvier vit surtout les nombreuses et frappantes différences qui caractérisent les fossiles de deux couches, même voisines, et il crut pouvoir conclure que jamais une même espèce ne se trouve dans deux couches superposées. Chaque couche représentait donc à ses yeux une faune et une flore distinctes, sans rapport généalogique avec celles qui les avaient précédées ou qui les suivaient.
Nous voyons donc que, autant la paléontologie devait être d’un secours efficace au transformisme à l’époque de Darwin, autant celle science, à ses débuts, était - selon les idées de Cuvier, seules régnantes à l’époque de Lamarck - en opposition avec toute hypothèse de transformation et d’évolution. Aussi Lamarck, dans sa Philosophie zoologique, ne fait-il que peu d’allusions à la paléontologie ; mais du moins il ne se gêne pas pour dire sa pensée sur la théorie des révolutions du globe, et on comprend ainsi qu’il se soit aliéné à jamais les bonnes grâces de Cuvier. « Les naturalistes, dit- il (p. 95), qui n’ont pas aperçu les changements qu’à la suite des temps la plupart des animaux sont dans le cas de subir, voulant expliquer les faits relatifs aux fossiles observés, ainsi qu’aux bouleversements reconnus dans différents points de la surface du globe, ont supposé qu’une catastrophe universelle avait eu lieu à l’égard du globe de la terre ; qu’elle avait tout déplacé et avait détruit une grande partie des espèces qui existaient alors. Il est dommage que ce moyen commode de se tirer d’embarras, lorsqu’on veut expliquer les opérations de la nature dont on n’a pu saisir les causes, n’ait de fondement que dans l’imagination qui l’a créé et ne puisse être appuyé sur aucune preuve. li Lamarck se refuse donc à admettre des catastrophes universelles et, cela va sans dire, des créations successives. Cela l’amène même à mettre en doute qu’il y ait des espèces éteintes : « C’est encore une question pour moi que de savoir si les moyens qu’a pris la nature pour assurer la conservation des espèces ou des races ont été tellement insuffisants que des races entières soient maintenant anéanties ou perdues … Les espèces que nous trouvons dans l’état fossile, et dont aucun individu vivant et tout à fait semblable ne nous est connu, n’existent-elles plus dans la nature ? Il y a encore tant de portions de la surface du globe où nous n’avons pas pénétré, tant d’autres que les hommes capables d’observer n’ont traversées qu’en passant, que ces différents lieux pourraient bien recéler les espèces que nous ne connaissons pas. » Mais il y avait cependant le fait incontestable des grands mammifères fossiles reconstitués par Cuvier d’après les restes trouvés dans les carrières de gypse de Montmartre ; leur signification d’espèces éteintes était incontestable. Par la suite naturelle de ses idées, Lamarck est amené à l’hypothèse naïve que leur destruction pourrait être l’œuvre de l’homme : « S’il Y a des espèces réellement perdues, ce ne peut être sans doute que parmi les grands animaux qui vivent sur les parties sèches du globe, où l’homme, par l’empire absolu qu’il y exerce, a pu parvenir à détruire tous les individus de quelques-unes de celles qu’il n’a pas voulu conserver ni réduire à la domesticité. De là Mît la possibilité que les animaux des genres palæotherium, anoplotherium, megalonix , megatherium , mastodon de M. Cuvier, et quelques autres espèces de genres déjà connus, ne soient plus existants dans la nature. »
Faute d’arriver à une époque où la paléontologie lui aurait fourni les preuves d’extinction et de survivance, Lamarck n’a pu concevoir l’idée de la lutte pour l’existence, de même que le milieu où il a été ne pouvait lui suggérer celle de la sélection. Mais ce n’est pas tout encore : une science qui devait, à l’époque de Darwin, devenir le plus solide appui du transformisme, l’embryologie n’existait pas encore à l’époque de Lamarck, et à sa place régnait une théorie qui devait s’opposer à toute conception de l’évolution graduelle des êtres, la théorie de la préexistence des germes.
D’après celte trop célèbre doctrine, qui a compté comme défenseurs des naturalistes tels que Swammerrdam, Malpighi, Haller, etc., le futur organisme aurait existé, déjà complètement formé dans l’œuf, mais méconnaissable, ou, pour mieux dire, invisible en raison de son extrême exigüité. Le petit embryon, préformé depuis la première création de ses ancêtres, n’avait qu’à grossir pour devenir apparent ; il était inclus dans l’œuf, c’est-tt-dire dans l’organisme producteur, comme celui-ci avait été inclus dans le corps de son propre générateur, et ainsi successivement, en remontant de générations en générations.jusqu’à la création du premier individu de l’espèce ; c’était un emboitement des germes, tel que la première poule créée aurait contenu successivement, les uns dans les autres, les germes de toutes les générations des poules à venir. Et on voyait alors des physiologistes tels que Haller se livrer au singulier calcul qui, d’après l’âge de la terre, évalué alors à cinq ou six mille ans, devait déterminer approximativement le nombre de germes que la première femme contenait en son sein, germes successivement emboités les uns dans les autres. On conçoit combien une pareille doctrine devait s’opposer d’une manière fatale il tout progrès en anatomie philosophique, à toute idée de transformation. Cuvier avait accepté cette doctrine, qui cadrait parfaitement avec ses principes. En effet, du moment qu’on admet que les germes qui doivent se développer dans la suite des temps sont sortis directement des mains de leur créateur, et que dans ces germes sont contenus en petit, ou, comme on disait, en miniature, tous les organes que la génération rendrait seulement aptes à croitre, on est amené à ne pas douter de la fixité des espèces, puisque toutes les différences entre les êtres organisés se conçoivent alors comme initialement établies par le créateur lui-même.
En résumé, en comparant les conditions de milieu scientifique dans lesquelles est arrivé Lamarck et celles qui ont vu apparaître Darwin, il est évident que rien n’était préparé pour le premier, que tout au contraire était prêt pour amener le succès du second. A l’époque de Darwin, la notion transformiste surgissait spontanément de l’ensemble et de la comparaison de toutes les études biologiques ; à défaut de Darwin, la notion transformiste aurait trouvé un autre interprète, tant son éclosion était nécessaire et fatale, comme conséquence des progrès des sciences naturelles. Et, en effet, n’avons-nous pas vu que Wallace était arrivé, en même temps que Darwin, à formuler des conclusions semblables ?
Poursuivant ce parallèle, voyons maintenant comment chacun de ces grands philosophes de la nature a procédé dans l’exposé de ses idées, comment il a établi ses démonstrations.
Lamarck a vu en classificateur la nécessité d’admettre la transformation des espèces : Darwin, observateur de premier ordre, a assisté aux phénomènes élémentaires qui, multipliés par le temps, amènent ces transformations. De là deux modes d’exposer bien différents : Lamarck se sert surtout du raisonnement, part d’une hypothèse et en déduit rigoureusement tout ce qui est nécessaire à sa cause. Darwin part d’un fait, le met en rapports avec d’autres, accumule les observations et force la conviction par des preuves matérielles ; là où il ne trouve pas un enchainement suffisant des faits, il n’hésite pas à mettre lui-même en évidence la lacune, et, s’il faut une hypothèse il se garde de lui donner une importance telle qu’il en fasse la base d’un raisonnement.
En voici la preuve empruntée à l’ordre d’idées qui sont le point de départ des démonstrations de Lamarck aussi bien que de celles de Darwin. La transformation des espèces a pour première source l’apparition des variations qui seront ensuite développées et exagérées sous l’influence des conditions de milieu. Comment apparaissent ces variations ? Darwin se livre longuement à la revue des circonstances auxquelles on peut souvent les attribuer : usage et défaut d’usage des organes, nutrition, climat, etc., mais comme il ne peul suffisamment saisir ici tous les rapports de cause en effet, il s’arrête. Il se contente de parler de variations spontanées ;peu lui importe : les variations existent ; il consacre deux volumes à en relater les innombrables exemples. Les variations étant incontestables, quel qu’en soit le mécanisme, elles lui suffisent alors pour mettre en évidence l’influence de la sélection qui, soit naturelle, soit artificielle, s’empare de ces variations, les développe, les exagère, en fait l’origine des transformations les plus complètes des formes et des fonctions. indifférence relative sur les variations, comparativement à l’intérêt qu’il attache à l’action de la sélection sur ces variations, il l’exprime lui-même par la comparaison suivante : « Supposons un architecte contraint à bâtir un édifice avec des pierres non taillées, dans un précipice. La forme de chaque fragment peut être qualifiée d’accidentelle, et cependant ii,lrill’ ! :’ déterminée par la force de la gravitation,par
lIalilre de la roche et par la pente du précipice, ,’lIlllcs rirconstances qui dépendent des lois natuu,f/llrs ; mais il n’y a entre ces lois et l’emploi que le 1, :’lnslrllrleur fait de chaque fragment aucune relaaInn. III’ même les variations de chaque individu sont :Wrnniilées par des lois fixes et immuables, mais qui ’1,’lnt aurune relation avec la conformation vivante qui i6llcnll:llent construite par la sélection, que celle-ci
naturelle ou artificielle. Si notre architecte réussit lill bel édifice, utilisant pour les voûtes les fragghruts en forme de coin , les pierres allongées
le, linteaux et ainsi de suite, nous devrionsbien ,luslidnlirer son travail que s’il l’eùt exécuté au moyen .lr’pir,ITl« s taillées exprès. Il en est de même de la sélecc1I1n tant artiûcielle que naturelle : car, bien que la mialiilitô soit indispensable, elle prend, comparée à ],iséli’I:lion, une position très subordonnée, de même II la forme de chaque fragmen t utilisé par notre arrrllitce,, » supposé devient insignifiante relativement à :Iwbilplé avec laquelle il a su en tirer parti. » (Variai ion,
i Iii, il 2611.)
1 I.illllil ;ck, au contraire, auquel le mécanisme de la ,I clilln el la lulle pour l’existence ont échappé, porte IOlltC,OIl attention sur les variations : il faut qu’il les ,~liqnp, qu’il donne le mécanisme de leur producclillll, 1’1 il accumule les hypothèses pour démontrer lIell’ besoin d’une nouvelle conformation suffit à la [lire ualtre. De là sa théorie des besoins et des liabiiIUlies. i,coutons, pour quelques types particuliers, ces n,Ifs raisounemeuts. Il s’agit, par exemple, de la forrmation des tentacules de l’escargot et des gastéropodes !ngl néral : I( Je conçois, dit-il, qu’un de ces animaux éprOine en se tramant le besoin de palper les corps lIiS()1I1 devant lui. Il fait des efforts pour toucher ces wrps avec quelques-uns des points antérieurs de sa lelc, ct v envoie à tout moment des masses de fluides nml’ll\, des sucs nourriciers. Je conçois qu’il doit réé’1111er de ces affluences réitérées qu’elles étendront peu lpcllle, nerfs qui s’y rendent. Il doit s’en suivre que
deux ou quatre tentacules naîtront et se formeront innsensiblement sur les points dont il s’agit. C’est ce qui est arrivé sans doute à toutes les races de gastéropodes à qui les besoins ont fait prendre l’habitude de palper les corps avec des parties de leur tête. )) Pour les ruuminants et leurs cornes ; « Dans leurs accès de colère qui sont fréquents, surtout entre les males, leur sennliment intérieur, par ses efforts, dirige plus fortement les fluides vers cette partie de leur tête, et il s’y fait une sécrétion de matière cornée dans les uns, et de matière osseuse mélangée de matière cornée cher. les autres, qui donne lieu à des protubérances solides : de là l’origine des cornes et des bois dont la plupart de ces animaux ont la tête armée. )) (Philos. zooi., t. J,
p. 354.)
Prenons un exemple qui permettra un parallèle plus serré entre Lamarck et Darwin : « Beaucoup d’insectes, dit Lamarck, qui, par le caractère naturel de leur ordre et même de leur genre, devraient avoir des ailes, en manquent plus ou moins complètement. Quantité de coléoptères en offrent des exemples, les habitudes de ces animaux ne les mettant jamais dans le cas de faire usage de leurs ailes. » Ainsi les escargots, les ruuminants ont des cornes parce qu’ils en avaient besoin et qu’ils ont voulu en avoir ; certains insectes ont perdu les ailes parce qu’ils n’ont plus voulu s’en servir, et ont pris l’habitude dr ne pas s’en servir. Or Darwin porte aussi son attention sur l’absence d’ailes cher. cerrtains insectes : il constate d’abord que, dans l’île de Maadère, tous les genres de scarabées sont sans ailes memmbraneuses ou bien présentent des élytres soudées les rendant impropres au vol. Pourquoi, alors que tout démontre qu’en général l’aptitude au vol est un caracctère de perfection nement que la sélection naturelle doit développer, pourquoi ces insectes de l’île de Madère sont-ils demeurés ou revenus à ce degré d’infériorité apparente que constitue l’absence des ailes ? Mais sans doute parce que cet état a pu être pour eux une cause de survi va nee qui faisait échapper les individ us aptères
à des dangers inhérents à l’action de s’élever dans les . airs. Et, en effet, l’observation montre que les vents qui règnent dans cette île sont si violents qu’ils emporrtent à la mer tous les coléoptères qui font usage de leurs ailes ; donc les variations de sujets aptères, qui ont pu se présenter là-bas comme elles se présentent cher, nous, ces variations écha-ppant seilles à cette cause incessante de destruction, ont été l’objet d’une sélection rapide qui les a propagées seules en faisant disparaître tous leurs rivaux capables de vol.
Ainsi, avec les variations et la sélection, il n’y a pas d’hypothèses, puisqu’on invoque simplement deux ordres de faits ou d’actions qui sont perpétuellement en jeu dans la nature. La girafe, par exemple, pour revenir au vieil exemple classique, n’a pas acquis son long cou en l’étendant constamment, même pendant la suite de nombreuses générations, comme disait Lamarck, dans le but d’atteindre les branches des arbres élevés, mais simplement parce que toute variété douée d’un cou exceptionnellement long a pu trouver un supplément de nourriture au-dessus des branches accessibles à ses compagnes et leur survivre en temps de disette. De même que les couleurs de certains animaux, si parfaitement semblables au sol, aux feuilles ou à l’écorce qu’ils habitent, résultent de ce que, des variations de couleur s’étant certainement produites, les variétés que leur couleur dérobait le mieux à la vile de leurs ennemis ont dü survivre.
Combien l’esprit est mieux convaincu par ces rapprochements de faits indiscutables que par les raisonnements sur les besoins et l’habitude qui en résultent ! Et cependant, pour quelques modifications des plus importantes, on relit encore avec satisfaction certaines pages de Lamarck, par exemple ses considérations sur les poissons pleuronectes : « Les poissons qui nagent habituellement dans de grandes masses d’eau, ayant besoin de voir latéralement, ont leurs yeux placés sur les côtés de la tête. Mais ceux des poissons que leurs habitudes mettent dans la nécessité de s’approcher sans cesse des rivages, et particulièrement des rives peu inclinées ou à pentes douces, ont été forcés de nager sur leurs faces aplaties, afin de pouvoir s’approcher plus près des bords de l’eau. Dans cette situation, recevant plus de lumière en dessus qu’en dessous, et ayant un besoin particulier d’être toujours attentifs à ce qui se trouve au-dessus d’eux. ce besoin a forcé un de leurs yeux de subir une espèce de déplacement et de prendre la situation singulière que l’on connait aux yeux des soles, des turbots, des limandes, etc. » Combien Lamarckel1t été heureux s’il eût connu les recherches actuelles d’embryologie, nous montrant les yeux de’ ces poissons, placés d’abord symétriquement chez l’embryon, se déplacer graduellement pendant le développement, de sorte que celui qui appartient au côté sur lequel se couche l’animal va graduellement se porter du côté opposé et y rejoindre son congénère.
D’autre part, Lamarck a été bien prêt d’entrevoir la loi de Malthus, et par suite la sélection, comme en témoigne le passage suivant : « La multiplication des petites espèces d’animaux est si considérable, et les renouvèlements de leurs générations sont si prompts, que ces petites espèces rendraient le globe inhabitable aux autres, si la nature n’avait mis un terme à leur prodigieuse multiplication ; mais comme elles servent de proie à une multitude d’autres animaux, que la durée de leur vie est très bornée et que les abaissements de température les font périr, leur quantité se maintient toujours dans de justes proportions pour la conservation de leurs races et pour celle des autres. » Il est de mode, aujourd’hui, en retrouvant chez un auteur ancien une faible lueur de l’idée qu’un moderne a mise dans tout son éclat, de retrouver chez le premier un précurseur évident du second. Que dans ce passage de Lamarck on arrête sa pensée, non pas sur ce que la pullula d’une espèce rendrait le globe inhabitable aux au mais sur ce que sa multiplication croissante serait arrêtée par le fait même que la nourriture serait insuffisante à ses innombrables représentants, et on dira Lamarck a énoncé la loi de Malthus et le principe la sélection naturelle par la lutte pour l’exislence [2]. Nous nous garderons de cet enthousiasme maladroit. L’œuvre de Lamarck est assez grande pour qu’il inutile de la grossir en lui faisant dire plus qu’il dit. Il a conçu la transformation des espèces et l’évolution des formes ; il ne disposait pas d’observations suffisantes pour en donner la démonstration ; il n’a pu en expliquer le mécanisme, voilà la simple vérité. Cette impuissance était la conséquence de l’état peu avancé des sciences biologiques à son époque ; il a fait ce qu’il était possible de faire à cette époque. Si ces raisonnements par hypothèses étaient incapables porter la conviction dans l’esprit de ses contemporains, c’est qu’il n’avait pas les moyens dont disposa Darwin pour recueillir et accumuler les faits démonstratifs.
Mais son insuccès tint encore à d’autres causes ; il s’agit, en effet, d’examiner maintenant le troisième point de ce parallèle entre Lamarck et Darwin, à l’opposition systématique et passionnée que rencontra le premier, le concert éclatant d’adhésions qui ace le second.
Lamarck se préoccupa non seulement des transformations des espèces, mais encore de l’origine des premiers êtres, et il conclut hardiment en admettant la génération spontanée. C’était aborder une question irritante ; Darwin, qui l’a évitée avec soin, se borne à chercher si, étant donné un organisme souche, ou pour mieux dire, quelques espèces souches, celles-ci ont pu se modifier de façon à donner naissance à toutes les formes qui ont successivement peuplé le globe et qui le peuplent actuellement. Quant à Lamarck, il se lance dans une série d’hypothèses et de théories : pour lui, les moyens d’action de la nature sont de deux sortes, d’une part une puissance réunissante, coercitive ou attractive universelle, d’autre part les forces pénétrantes, expansives et répulsives, l’électricité et le calorique. La puissance réunissante ou attractive prend dans les eaux et les lieux humides les molécules éparses propres à constituer le corps vivant ; elle les rapproche, les agglutine, et ainsi sont formées de petites masses sur lesquelles agissent à leur tour les forces contraires. C’est-à-dire que les fluides expansifs s’emparent de ces masses formées, les pénètrent et agissent suivant leur nature spéciale, tendent à en éloigner les molécules, forment des vacuoles qui deviennent bientôt cavité utriculaire. Dès lors, la petite masse prend un caractère organisé, la cellule est formée. Tel est le mécanisme des générations directes, car Lamarck préfère ce mot à celui de générations spontanées.Les générations directes, dit-il, sont la formation de toute pièce, sans intermédiaire vivant, directement en un mot, des organismes les plus inférieurs ; les seuls Instruments que la nature emploie dans ce but sont calorique, l’eau et l’attraction.
C’est de celle première doctrine des générations directes que Lamarck fait découler toutes les conceptions philosophiques qu’il a professées On conçoit que le point de départ ait dû prévenir défavorablement ses contemporains sur ses déductions ultérieures. Mais ce n’est pas tout, car il nous faut relever ici, pour expliquer son insuccès, tous les côtés faibles de ses entreprises diverses. Du reste, Cuvier, dans ce qu’on appelle l’éloge historique de Lamarck , éloge qui inaugura, dit-on, le genre d’éloquence connu sous le nom expressif d’éreintements académiques, Cuvier a eu soin d’insister sur ces cotés faibles. C’est ainsi qu’il nous montre Lamarck occupant une habitation élevée et rêvant, en regardant passer les nuages, s’imaginer avoir trouvé les lois de la météorologie, lui permettant de prédire le temps. La vérité est que Lamarck, qui s’occupait volontiers de météorologie, eut l’idée, comme de nos jours Mathieu de la Drôme, de publier un annuaire météorologique. Le premier parut l’an VIII de la République (1799), et ils se succédèrent jusqu’en 1810, le début ayant été encouragé par Chaptal, ministre de l’intérieur. Mais Napoléon, dans une réception de I’Institut aux Tuileries, reprocha durement au vieux savant de faire concurrence à Mathieu Lœnsberg, et le plaisanta durement sur ses almanachs. Ce fut non seulement l’arrêt de mort des annuaires, mais encore le mot ,,’ordre pour l’appréciation de tous ses travaux : météorologie, génération spontanée, philosophie zoologique, tout fut traité de même ; tous ces travaux ne furent plus considérés que « comme une conception fantastique ; ses tentatives sur le transformisme comme un écart, une folie de plus ».
Si nous ne devions concentrer ici notre étude sur la grande figure de Lamarck, ce serait le moment de parler d’Étienne Geoffroy-Saint-Hilaire, le seul qui sut continuer l’Œuvre de Lamarck, sous la forme d’une conception moins vaste, il est vrai, mais aussi plus précise et basée, dans ses détails, sur des preuves plus exactes, sur des exemples mieux choisis, empruntés à l’observation directe et à l’expérimentation. Nous ne rappelons son nom que pour dire que sa tentative succomba, comme celle de Lamarck, sous les coups de Cuvier, dont l’influence s’est si longtemps prolongée, jusque dans des temps récents, sur de longues générations de zoologistes français. C’est assez insister sur les causes du discrédit de Lamarck, discrédit qui dut singulièrement attrister sa longue vieillesse, si assombrie déjà par la cécité. Du reste, il semble avoir prévu lui-même son insuccès, lorsqu’il dit, au début de sa Philosophie zoologique : « Quantités de considérations nouvelles, exposées dans cet ouvrage, doivent naturellement, dès leur première énonciation, prévenir défavorablement le lecteur, par le seul ascendant qu’ont toujours celles qui sont admises, en général, sur de nouvelles qui tendent il les faire rejeter. Or, comme ce pouvoir des idées anciennes sur celles qui paraissent pour la première fois favorise cette prévention, surtout lorsque le moindre intérêt y concourt, il en résulte que, quelques difficultés qu’il y ait il découvrir des vérités nouvelles, en étudiant la nature, il s’en trouve toujours de plus grandes encore à les faire reconnnaître. »
Combien différent fut l’accueil fait à l’origine des espèces : en Angleterre, Leyell, Je paléontologiste, Huxley, l’éminent biologiste, John Lubbock, se déclarèrent darwinistes. L’Origine des espèces fut aussitôt traduite en allemand et en français. En France si, comme le dit Huxley [3], la mauvaise volonté de quelques membres de l’Institut produisit pendant quelque temps l’effet d’une conspiration du silence, et si bien des années se passèrent avant que l’Académie fût mise à l’abri du reproche qu’on pouvait lui faire de ne pas compter ’Darwin parmi ses membres, du moins la science non officielle fit un accueil enthousiaste à la nouvelle forme de la doctrine transformiste. Ce qui se passait à ce moment dans un petit cercle particulier nous en donnera une idée suffisante, et nous intéressera d’autant plus qu’en nous montrant comment Je terrain était ici préparé pour le succès de Darwin, cette histoire nous rappel/era les faits qui ont amené la fondation de la Société d’anthropologie.
Le livre de Darwin, sur l’origine des espèces, est de 1859. Or, à la suite de discussions sur le monogénisme et le polygénisme, Broca, combattant la doctrine monogénisme, avait entrepris, deux ans avant cette date, une série d’études critiques et de recherches expérimentales destinés à juger la valeur de ce que les partisans de la permanence des espèces considéraient comme le critérium le plus absolu de l’espèce : il s’agissait de la question de la fécondité des métis ou hybrides. Broca avait rédigé sur la question trois mémoires, dont il commença la lecture en mai 1858 devant la Société de biologie ; mais il dut la suspendre, parce que la question, soulevant des doctrines philosophiques relatives à l’origine de l’homme, effrayait la prudence de quelques-uns des membres. Cependant quelques autres ne virent pas sans regret que le silence se fît sur cette importante question. A ce moment, l’ancienne Société d’ethnologie, dans laquelle la discussion eût été si bien à sa place, venait de s’éteindre. Il n’y avait donc plus qu’à se taire ou à fonder une nouvelle société : c’est ce dernier parti qui fut heureusement choisi, et Broca, soutenu par cinq de nos plus éminents biologistes (Godard, Brown-Séquard, Robin, Verneuil, Follin), traça le programme de la Société d’anthropologie, dont la première séance eut lieu le 19 mai 1859, il y a juste trente ans. C’était aussi le moment où paraissait le livre de Darwin.
On peut donc dire que notre société se trouvait fondée juste à point, et précisément dans des circonstances spéciales pour faire bon accueil au transformisme renouvelé par Darwin. Et comme notre société a eu à jamais en Broca sa plus haute personnification, il nous suffira, pour caractériser cet accueil, de rappeler que Broca n’a cessé de combattre la doctrine de l’espèce immuable, et qu’il n’a nullement reculé devant l’idée de voir le transformisme appliqué à l’origine de l’homme lui-même : « Quant à moi, disait-il (Mémoires d’anthropologie, tome Il l, p. 146), je trouve plus de gloire à monter qu’à descendre, et si j’admettais l’intervention des impressions sentimentales dans les sciences, je dirais que j’aimerais mieux être un singe perfectionné qu’un Adam dégénéré. Oui, s’il m’était démontré que mes humbles ancêtres furent des animaux inclinés vers la terre, des herbivores arboricoles, frères ou couusins de ceux qui furent les ancêtres des singes, loin de rougir pour mon espèce de cette généalogie et de cette parenté, je serais fier de l’évolution qu’elle a accomplie, de l’ascension continue qui l’a conduite au premier rang, des triomphes successifs qui l’ont rendue si supérieure à toutes les autres. »
Est-il possible de relire ces paroles sans se reporter à celles où Lamarck expose sa conception sur l’origine de l’homme ? Cette orientation nouvelle que le transformisme apporte à nos recherches, Lamarck l’avait nettement formulée, comme il avait marqué la voie selon laquelle la sienne doit remonter à l’origine réelle de tous les êtres. Mais, nous venons de le voir longuement, des circonstances diverses jetèrent le discrédit dès le début sur sa philosophie, et la firent longtemps oublier. C’est seulement après Darwin que les revendications commencèrent en faveur de Lamarck , elles ont été nombreuses, larges, impartiales. Nous avons pensé qu’il était digne de notre société de prendre sa part dans ce concert de justice tardive, et, si insuffisante que soit la manière dont nous l’avons fait aujourd’hui, elle a été également impartiale.
Mais nous ne saurions assez regretter l’oubli qui s’est si longtemps appesanti sur l’œuvre de notre grand transformiste français. La réparation a été tardive, elle est encore incomplète. Oublieuse de cette gloire, la France ne possède nulle part ni sa statue, ni même son buste. C’est seulement depuis 1875 que le Conseil municipal a songé à donner son nom à une des rues de Paris : la rue Lamarck est là-bas, sur la butte Montmartre, au XVllIe arrondissement, dans la zone des anciennes carrières, sans doute parce que toutes les places étaient prises par d’autres naturalistes pour la dénomination des rues voisines du Muséum. D’autre part, cet herbier dont Lamarck avait été forcé de se défaire, et qui avait passé à l’étranger, a été, grâce aux recherches et aux démarches du professeur Bureau, retrouvé et racheté ; ce trésor national est rentré au Jardin des Plantes en 1886. Enfin, dans ces toutes dernières années, un petit groupe de transformistes français s’est formé, sous le nom de Réunion Lamarck, grâce à l’initiative de MM. P. Nicole et G. de Mortlillet, avec la pensée de hâter le moment où justice complète serait rendue à notre grand naturaliste philosophe, une des plus pures et des plus grandes gloires de la France. L’oubli et la négligence à son égard avaient été tels que la date même de sa naissance, comme celle de sa mort, étaient données de façons contradictoires par les divers dictionnaires biographiques. Deux membres de la Réunion Lamarck, MM. Salmon et Mondière, ont fait à cet égard des recherches couronnées de succès, et dans une brochure qui est comme un pieux hommage à Ia mémoire de Lamarck [4], ces différents documents ont été réunis, ainsi que divers autres. Lamarck n’a aucun monument ; son buste n’est ni à l’Académie des sciences, dont il fut membre pendant près de quarante ans, ni au Muséum, où il professa pendant de longues années, C’est surtout cette injustice que la Réunion Lamarck s’est donné pour tâche de réparer. Sa pensée est de convoquer les transformistes français à un congrès prochain, dans lequel il sera facile de prendre les mesures nécessaires pour réparer ces oublis. Ma tâche modeste se borne à vous annoncer aujourd’hui ces projets, et je serai heureux si je suis parvenu à vous faire comprendre combien l’œuvre de Lamarck est digne d’exciter l’enthousiasme de tous les amis de la science et de la vérité.
MATHIAS DUVAL,