Le professeur Filhol s’est éteint le 28 avril 1902.
Pierre-Antoine-Henri Filhol est né à Toulouse en 1843. Son père, maire de Toulouse sous l’Empire, chimiste éminent, correspondant de l’Institut, professeur à la Faculté des sciences, directeur de l’École de médecine, fondateur du Muséum d’histoire naturelle, a joué dans le midi de la France un rôle important, il a initié son fils à l’étude de l’histoire naturelle, et a collaboré avec lui au début de ses recherches dans les cavernes des Pyrénées.
L’existence d’Henri Filhol offre un curieux exemple d’activité scientifique. Il fait ses premières études à Toulouse, puis il vient à Paris prendre les grades de de docteur ès sciences et de docteur en médecine. Il apprend qu’une mission est organisée par M. Bouquet de la Grye pour observer à Campbell le passage de Vénus devant le soleil. Campbell, c’est notre antipode, une île isolée dans l’océan Austral. Combien la vie doit y être différente de celle de Paris ou de Toulouse ! Quels mystères peuvent se cacher dans ces régions lointaines ? Filhol demande à partir, et il part avec M. Bouquet de la Grye, M. Hatt et M. Courrejolles, plus tard devenu amiral. Je suis sûr que tous quatre étaient d’aimables compagnons, ayant bon cœur et bel esprit, car ils sont restés amis très chers.
Un dicton de Filhol est revenu souvent à leur pensée pour leur rappeler son ardeur ; quand ils voulaient l’arrêter dans des recherches trop fatigantes ou périlleuses, il répondait : On ne va pas deux fois à Campbell. M. Bouquet de la Grye, en annonçant à l’Académie des sciences, dont il est aujourd’hui président, la mort de son ancien compagnon, a témoigné un profond chagrin. De l’île Campbell, Filhol a été à l’île Stewart, à la Nouvelle-Zélande, aux îles Fidji et dans la Nouvelle-Calédonie ; il est retourné par l’Amérique.
Rentré en France, en même temps qu’il rédige les comptes rendus de ses voyages, il explore les gisements du Quércy, de Saint-Gérand, du Puy-en-Velay. En 1879, il est nommé professeur de zoologie à la Faculté des sciences de Toulouse. En 1883, il s’embarque sur le Talisman avec Alphonse Milne-Edwards, de Folin, Vaillant, Edmond Perrier, Fischer, Brongniart, Poirault ; on peut dire que le bord était bien composé. Nos naturalistes draguent les fonds des mers le long du Portugal, de l’Afrique, autour des Canaries, des îles du cap Vert et des Açores [1] . En 1885, Filhol devient sous-directeur d’un laboratoire des hautes études au Muséum d’histoire naturelle ; le Muséum le charge deux années de suite de faire des fouilles à Sansan, dans la colline que Lartet a illustrée. Depuis 1894, il est professeur d’anatomie comparée au Muséum et organise l’admirable galerie que tous connaissent ; on a dit qu’il avait su, avec de simples ossements, faire des vitrines aussi belles que celles des joailliers. Il est élu, en 1897, membre de l’Académie des sciences. Toutes ses missions, ses fonctions ont été remplies avec un tel dévouement, il a publié tant de livres et de notes qu’on prétend que cela a abrégé sa vie.
Cette somme immense de travail produite par Filhol résulte d’une haute compréhension de la nature. Dans la seconde moitié du siècle dernier, l’histoire naturelle a changé de face : l’embryogénie, l’histologie, la bactériologie excitent justement l’admiration de tout homme de science. Mais, à côté des merveilles que révèlent les études faites dans les laboratoires, il ne faut pas oublier celles de ce laboratoire de la nature entière, qui embrasse toutes les régions depuis le sommet des montagnes jusqu’au fond des Océans, et depuis les temps géologiques où la vie a commencé jusqu’à l’époque actuelle. Il y a là des spectacles d’une beauté et d’une grandeur incomparables.
Filhol a voulu aller à nos antipodes pour avoir une idée des manifestations de la vie dans l’ensemble du monde. Il s’est demandé d’où venaient les créatures de l’île Campbell, perdue dans l’Océan austral, sans traces de lien avec les autres pays. Ses Phoques, ses étranges Manchots, ses Crustacés, ses Mollusques, ses Plantes, ses Roches ont captivé son esprit, avide de vues nouvelles ; il les a décrits avec amour, après en avoir rapporté de précieuses collections. Quand il a cessé leur étude, ayant besoin de trouver toujours de l’inconnu, il a prié M. Grandidier de l’associer à ses recherches sur Madagascar., et il a fait une importante publication sur les Lémuriens.
Non content de suivre les êtres dans les plus lointains espaces, il a tâché de les suivre dans les profondeurs des Océans ; quand, à bord du Talisman, il retirait de ces profondeurs d’innombrables et belles créatures, il n’avait pas seulement à admirer leurs dessins, mais aussi leurs couleurs ; dans son livre la Vie au fond des mers ; il a écrit : « L’observation est venue montrer que les animaux des grands fonds étaient parés de couleurs aussi vives, aussi variées que sont celles dont la nature a orné les animaux de surface. »
Quelles que soient les magnificences du monde actuel, elles ne donnent qu’une idée très incomplète de la création ; il faut pénétrer dans les temps géologiques. C’est surtout à la paléontologie que Filhol a consacré sa vie ; c’est à elle qu’il doit sa renommée. Dans ses fouilles à Sansan. il a prouvé que les membres du Macrotherium étaient du même animal que la tête du Chalicotherium, ce qui signifie que des quadrupèdes d’ordres différents comme les Édentés et les Pachydermes ont des caractères communs.
Il a décrit les Lophiodons d’Issel, les Carnivores de la Grive-Saint-Alban, les mammifères de Ronzon et ceux de l’admirable gisement de Saint-Gérand-le-Puy, dont Milne-Edwards avait étudié les oiseaux et M. Vaillant les reptiles. Son œuvre capitale est certainement son travail sur les animaux des phosphorites du Quercy : Dacrytherium, Prodremotherium, Quercytherium, Necrolemur, Adapis, Hyænodon, Édentés énigmatiques, Carnivores variés, etc. ; les Cynodictis ont offert tant de passages entre Chiens et Civettes qu’on ne sait plus où Civette finit, où Chien commence. C’est aussi dans les phosphorites que Filhol a fait l’étonnante découverte de Grenouilles et de Serpents conservés avec leur peau. Tous ses ouvrages sont accompagnés de planches. Personne n’a décrit et figuré un aussi grand nombre de Mammifères fossiles propres au sol de la France.
En vérité, nous éprouvons de la reconnaissance pour ce chercheur infatigable. En rendant des services à la science, il en a rendu à notre pays, car la vue du grand et du beau, qui apparaissent partout dans la nature, ne peut manquer d’élever les intelligences.
Filhol a épousé la fille de l’illustre Péligot. Puisse cette femme, charmante et dévouée, sentir sa douleur un peu atténuée, à la pensée que le nom de Filhol restera un titre d’honneur pour elle et pour ses enfants !
Albert Gaudry, de l’Institut.