Henri Lecouturier (1819—1860)

Samedi 5 juin 2021
Je viens de découvrir sur gallica cette Notice biographique de Henri Lecouturier qui, s’il n’est pas le créateur de la première revue de vulgarisation scientifique, est certainement l’un des premiers en France à avoir voulu vulgariser la science dans la presse.
NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR HENRI LECOUTURIER,

Rédacteur scientifique du MONITEUR UNIVERSEL, Membre de L’ASSOCIATION NORMANDE ;

PAR UN MEMBRE DE L’ASSOCIATION.

Extrait de l’Annuaire de l’Association normande pour 1861.

CAEN,

CHEZ A. HARDEL, IMPRIMEUR-LIBRAIRE ;

Rue Froide, 2.

1861.

Henri Lecouturier est né, en 1819, à Condé-sur-Noireau (Calvados). Son père était un de ces héroïques soldats de l’Empire sortis de familles obscures, qui, pendant vingt ans, ont tenu l’Europe en échec et qui, suivant le hasard des batailles, arrivaient à la plus haute fortune ou succombaient sans murmure aux côtés de Napoléon. Il fut une des victimes de ces guerres gigantesques. Une grave blessure, reçue à Eylau, ne lui permit pas d’assister aux dernières luttes de nos armées ; il revint dans sa ville natale et vit, dans une inaction forcée, s’accomplir les derniers faits de l’épopée impériale. Un majorât, qui devait plus tard devenir improductif, fut la récompense de ses services trop tôt interrompus.

Le soldat de l’Empire mourut jeune. Henri se trouva de bonne heure livré à lui-même ; sa mère était morte à peu près vers la même époque. On voulut, dans sa famille, qu’il se fît recevoir avocat. Quelque répugnance qu’il eût pour des études qui convenaient aussi peu à son esprit philosophique, avide de certitude et de concordance, il vint à Caen, en 1840 : il se plongea dans le chaos des lois et des conventions humaines, et prit le grade de licencié en Droit ; mais il ne voulut jamais plaider ni même faire son stage d’avocat.

Comme la plupart des jeunes gens, Lecouturier aimait les vers, et il en faisait. Les loisirs que lui laissait l’étude aride du Droit étaient consacrés à cette occupation favorite. Le premier fruit de sa veine fut un petit ouvrage formé de pièces détachées et intitulée : Les poètes malheureux. Le peu de succès de ce recueil, publié aux frais de l’auteur, fut pour lui un cruel désappointement. Mais, loin de se décourager, le poète conçut et exécuta le plan d’un roman ou poème tragi-comique, qui a pour titre : Philopen, ou le Sauvage breton. Le drame se passait en Bretagne, vers la fin du dernier siècle ; et le héros, qui n’est pas purement imaginaire, était en effet, comme l’indique le sous-titre, une espèce de sauvage qui vivait alors dans les rochers de Penmark. Auteur consciencieux, Lecouturier alla sur les lieux mêmes interroger la tradition et chercher des inspirations. Accompagné d’un ami, il parcourut les rivages brumeux de la vieille Armorique. Si la vogue des œuvres de l’esprit se mesurait aux soins qu’elles ont coûtés, nul doute que Philopen ne méritât au moins un succès d’estime : par malheur, le sujet était mal choisi, le plan défectueux ; et quelques beaux vers, des passages heureux, ne pouvaient compenser le manque d’intérêt. Quand le poème parut, l’auteur ne fut ni surpris ni chagrin de l’indifférence du public : il avait déjà fait ses adieux a la Muse.

Il se rendit à Paris en 1846. Les cours de la Faculté des sciences lui révélèrent un monde d’idées tout nouveau vers lequel il se sentait attiré.

À partir de ce moment, les sciences occupèrent exclusivement son esprit. Infatigable au travail et voulant toujours d’autant plus savoir qu’il avait plus appris, il étudia successivement la chimie, la physique, l’histoire naturelle et l’astronomie, qui fut pour lui la science favorite. En quelques années, il devint l’un des hommes les plus instruits de notre temps.

Vous êtes si jeune et vous savez tant de choses, lui disait plus tard un des membres les plus distingués de l’Institut !

La Révolution de 1848 le surprit au milieu de ces paisibles études. Dans l’effervescence des idées qu’on vit alors éclater, un homme de talent ne pouvait garder le silence. Trop modeste pour affronter la tribune, trop sceptique pour être un homme d’action, Lecouturier se renferma dans la spéculation philosophique.

Son premier Essai : Paris incompatible avec la République, trouva des acheteurs. Il dut cette bonne fortune moins au mérite de la forme qu’à la nouveauté des idées et aux attaques passionnées de la critique. L’auteur en donna une seconde édition sous cet autre titre : Le Paris des rois et le Paris du peuple. Peu de temps après, parut La Cosmosophie, résumé de ses études en politique : on y reconnaît la marque d’un esprit ardent et convaincu qui n’hésite pas à pousser son système jusqu’aux dernières conséquences et à chercher la vérité dans le paradoxe. Bientôt Lecouturier fit de ce livre, aujourd’hui très rare, un abrégé populaire sous un nouveau titre : La science du socialisme universel.

La science est comme la poésie : elle doit se créer elle-même des lecteurs. Aucun libraire n’avait voulu éditer La Cosmosophie : en 1850, Lecouturier en fit lui-même la publication ; il y dépensa ses dernières ressources. Inconnu, sans appui dans la presse, il attendit vainement la réalisation de ses espérances. Il devait, hélas ! apprendre à quel prix se conquiert souvent la faveur du public. Son livre ne se vendit pas. Au bout d’un an, un libraire voulut bien prendre au rabais le reste de l’édition, qui s’écoula rapidement et dont les derniers exemplaires se vendaient très cher.

La lutte avait commencé pour Lecouturier. Il voyait enfin la voie qu’il lui fallait suivre : il Voulait écrire. Il venait d’épouser une femme sans fortune, qu’il perdit quand les chances lui redevinrent favorables. Ses épreuves furent pénibles, son courage fut toujours supérieur à tout. Pendant deux ans, il fut obligé de se livrer à des travaux obscurs ; mais il ne perdit, pas de vue le but de ses premiers efforts. En 1854, le journal Le Pays lui offrait la place de rédacteur scientifique. Il pouvait enfin débuter avec la certitude d’avoir des lecteurs.

Dès ses premiers articles, Lecouturier fit preuve d’un sérieux talent d’écrivain ; il prit à tâche de vulgariser, dans un langage simple et intelligible pour tous, les éléments des questions les plus ardues. On ne le vit jamais soutenir une hypothèse vide ou fausser le sens des faits : il faisait approuver tout ce qu’il faisait comprendre. Ses premiers travaux furent remarqués. Il fut appelé à la rédaction du Moniteur universel, où il était surtout chargé de traiter les questions d’astronomie et de physique du globe. La plupart de ses articles du Moniteur ont été reproduits dans un grand nombre de journaux ; il n’est pas besoin de dire combien ils étaient goûtés du public.

Préoccupé des services que pouvait rendre une publication scientifique à bon marché, à la fois populaire et sérieuse, Lecouturier fonda en 1856, avec M. Collonge, La Science pour tous ; il se trouva bientôt à l’étroit dans le cercle qui lui était tracé. Au mois de mai de la même année, il créa le Musée des sciences sur le même plan, mais avec l’assurance de réaliser en entier son projet ; un homme instruit, un écrivain de talent, M. Félix Belly, était son digne coopérateur.

Est-ce à ses lecteurs qu’il convient de dire quel zèle infatigable, quelle prodigieuse variété de connaissances, quelle netteté de talent il a montrés dans ce journal, où son nom est devenu populaire ? Le Musée des sciences fut son œuvre de prédilection, c’est tout dire ; mais ce fut aussi un surcroît de travail qui a trop hâté le moment de sa mort.

Lecouturier est mort dans toute la maturité du talent, quand on pouvait encore attendre de lui de précieux travaux. Il s’était attaché plus spécialement, dans les dernières années de sa vie, à l’étude de l’astronomie, et il a enrichi cette science d’une magnifique carte de la lune et d’un ouvrage malheureusement inachevé, le Panorama des mondes, dont il n’a pu faire que le premier volume, consacré à l’astronomie planétaire. Le second devait traiter de l’astronomie stellaire.

Il laisse en manuscrit un livre de météorologie que ses amis désirent vivement voir publier.

On connaît sa vie quand on connaît ses travaux. Ce savant modeste et laborieux fut un homme simple et aimable, un excellent ami. Il était homme d’étude dans son cabinet, homme du monde partout ailleurs. On retrouvait dans sa conversation l’auteur de tant de récits clairs et saisissants. Son esprit élevé et délicat était aussi à l’aise dans les causeries littéraires que dans les plus sérieuses discussions philosophiques. L’étude des sciences, ou pour mieux dire la contemplation du vrai, avait fortifié son cœur et l’avait mis au-dessus de toutes les défaillances. Ceux qui ont joui de son intimité peuvent s’associer à cet éloge que lui adressait un écrivain de talent : « Vous avez le plus admirable courage que j’aie jamais connu. »

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