Le chimiste allemand Fritz Haber (1868-1934)

Jacques Boyer, La Nature N°2925 — 15 mars 1934
Mardi 18 août 2009 — Dernier ajout jeudi 22 octobre 2009
Fritz Haber

Né à Breslau le 9 décembre 1868, Fritz Haber étudia les sciences physiques et chimiques aux Universités de Berlin et de Heidelberg puis à la « Technische Hochschule » de Charlottenburg et passa son doctorat en 1891. Ses premiers travaux se rapportent aux dérivés du pipéronal, principe odorant de l’héliotrope et à diverses questions d’électrochimie sur lesquelles il publia, en 1898, un excellent traité, qui lui valut sa nomination comme professeur de technologie chimique à Carlsruhe. Continuant alors ses recherches, il s’attaqua à la thermodynamique des réactions gazeuses et en 1910, il parvenait à effectuer la synthèse de l’ammoniaque d’une façon industrielle. La mise au point de ce procédé lui acquit une juste notoriété dans le monde entier. Aussi, dès l’année suivante, il prenait possession de la chaire de chimie physique à la « Friedrich-Wilhelms Universitat » de Berlin. Toutefois, si de nombreux élèves allemands ou étrangers : G. Just, L. Bruner , F. Richardt, G. van Oerdt, A. Moser, F. Goldschmidt, J.-E. Coates, Le Rossignol, J. Zawadzki et autres devinrent ses collaborateurs pour divers de ses travaux, ses cours n’attiraient pas, paraît-il, beaucoup d’auditeurs. Ses leçons érudites, mais diffuses, portaient, en effet , la lourde marque pédagogique d’outre-Rhin !

M. Matignon, professeur au Collège de France a, d’ailleurs, montré que divers savants avaient devancé Haber dans cette voie. Charles Tellier, en particulier, se révéla comme un véritable précurseur. Dès 1865, le célèbre « Père du Froid » proposa la synthèse de l’ammoniaque, reconnut le rôle de la pression et rechercha les catalyseurs, mais il se heurta à des difficultés pratiques. Tessié du Motay (1871), Ramsay et Yung (1884), Halvati (1895), la Christiana Minekompani (1896) et Le Châtelier (1901) échouèrent également dans leurs tentatives.

Mais, en 1904, un chimiste anglais, Perman, démontra que, selon la température, l’azote et l’hydrogène se combinent partiellement en ammoniaque et réciproquement celle-ci se décompose en ses deux constituants élémentaires. Or peu après, Haber et un de ses collaborateurs G. van Oerdt cherchèrent à déterminer, pour chaque température, les quantités d’ammoniaque ainsi réalisées et trouvant celles-ci très faibles, contrairement aux prévisions de la formule de Nernst, eurent l’idée de faire intervenir la pression. Violemment critiqué par les techniciens allemands pour cette façon d’opérer, Haber creusa davantage le problème et avec l’aide d’un de ses élèves anglais Le Rossignol entrevit la possibilité d’industrialiser la réaction en combinant l’azote de l’air à l’hydrogène, grâce à une haute température unie à une très forte pression.

Perfectionné par Bosh et Mittash, le procédé Haber fut appliqué dès 1913, par les soins de la « Badische Anilin und Soda Fabrik, » dans l’usine d’Oppau, qui fournissait déjà 20 tonnes d’ammoniaque synthétique par jour et dont la capacité fut décuplée pendant la guerre. En 1916, une autre fabrique, sise à Leuna, près Bitterfeld, augmenta notablement la production allemande et parvint à fournir aux armées impériales les explosifs nécessaires à leur résistance. On sait qu’après l’armistice le gouvernement français, soucieux de parer pour l’avenir à la disette d’engrais azotés pour les besoins de l’agriculture, fit l’acquisition des brevets Haber, propriété de la « Badische Anilin und Soda Fabrik » et se mit en devoir de les exploiter dans la poudrerie de Toulouse. De son côté, Georges Claude a proposé une autre méthode industrielle pour fabriquer l’ammoniaque synthétique, à l’aide de l’hydrogène tiré des gaz de fours à coke et plusieurs de nos mines (Béthune, Liévin, etc.), ont réalisé de puissantes installations qui s’efforcent de la mettre en œuvre actuellement.

Quant à Haber, indépendamment de cette originale synthèse chimique, il apporta un concours très actif à la préparation de divers gaz asphyxiants utilisés par l’armée allemande durant la Grande Guerre. Aussi quand l’Académie des Sciences de Stockholm lui décerna le Grand prix Nobel en 1919, l’opinion mondiale se montra quelque peu étonnée de ce geste, qui avait l’air de consacrer scientifiquement une entreprise anti-humanitaire ! Chose bizarre, l’Allemagne se montra peu reconnaissante pour le savant qui avait tant contribué par ses travaux à combattre la pénurie menaçante des explosifs pendant la lutte si terrible qu’elle dut soutenir contre les Alliés.

En 1933, Fritz Haber, en raison de son origine non aryenne, se vit forcé d’abandonner son poste de directeur de l’Institut électrochimique de Berlin. Il se réfugia à Bâle (Suisse) où il mourut, le 2 février 1934. Comme le soutient Le Dantec, l’égoïsme ne forme-t-il pas avec l’ingratitude, son inséparable compagne, la base de la société humaine !

JACQUES BOYER.

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