Une intéressante exposition est ouverte depuis quelque temps dans l’aile du Palais de l’Industrie affectée à l’Exposition permanente des colonies. Il s’agit d’un certain nombre d’objets enlevés par le colonel Archinard du palais du roi Ahmahou, fils d’El Hadj Omar, le célèbre marabout conquérant, qui avait fait de Ségou la capitale de son vaste empire. Ségou-Sikoro est, avec Timbouctou, une des plus anciennes villes du Haut-Niger. Le premier voyageur européen qui l’ait visitée est l’Écossais Mungo Park en 1796. Depuis lors, plusieurs Français y ont pénétré, notamment le lieutenant Mage le colonel Galliéni qui y ont été retenus prisonniers par Ahmadou, M. Soleillet, etc.
La cité nègre est aujourd’hui sous notre protectorat direct ; nous y avons un résident qui contrôle les actes du massassi Bodian que nous avons fait roi du pays de Ségou et ceux de Madiemba que nous avons fait roi du pays de Sansanding. L’ex-roi Ahmadou, dont le fils, on le sait, est en France depuis quelques années, avait cherché un refuge dans le Macina où régnait son frère Mounirou. Nous apprenons qu’Ahmadou a assassiné Mounirou et s’est fait proclamer à sa place roi du Macina.
Il n’a pas eu le temps, lors de l’assaut de Ségou, donné par nos troupes, d’emporter les richesses entassées dans son palais. Elles sont tombées en notre pouvoir. Le colonel Archinard en dressa la liste. Il y avait une quantité prodigieuse de bijoux en ont en argent massifs. Il en fit deux parts : les pièces d’orfèvrerie offrant un intérêt artistique furent mises de côté pour l’Exposition permanente des colonies, où, l’on peut les admirer en ce moment. Les autres bijoux, qui n’avaient d’autre valeur que leur poids d’or et d’argent, furent envoyés à la fonte où vendus. Le poids total de l’or s’éleva à 74,692 kg et celui de l’argent à 90,623 kg. Il suffit d’un examen sommaire du trésor exposé au Palais de l’Industrie pour se convaincre que ses ornements ne sont pas tous de main-d’œuvre locale. Les artistes de l’endroit ne manquent pas d’habileté cependant, surtout dans les applications sur corne et dans les incrustations sur ébène. Avec les outils primitifs dont ils disposent, on est étonné des résultats auxquels ils arrivent et d’où se dégage une originalité primesautière. On trouve même dans le Bornou des graveurs sur pierres précieuses très ingénieux ; mais aucun d’eux n’est sûrement capable de ciseler certains des merveilleux bijoux qu’on a découverts à Ségou et qui sont dignes de servir de modèles aux artistes européens. Plusieurs sont de date très ancienne ; quelques-uns portent l’empreinte byzantine ; d’autres semblent provenir de l’Inde ; il en est même qui rappellent l’Assyrie. Tout cela vient du dehors :par les différentes routes que suivent les caravanes du Fezzan, du Darfour et de la vallée du Nil.
Sur les 96 bijoux exposés, on compte 22 colliers d’un admirable travail. Nous nous contenterons d’appeler l’attention sur les objets que nous représentons et dont on ne saurait se lasser d’admirer le goût et la délicatesse. Nous donnons dans le n°1 de la figure ci-contre (p. 280) une parure en or de toute beauté et une des étoiles vraiment belle ’faisant partie d’un collier en or (n°2).
Les bracelets, dont le nombre est considérable, sont en général d’un seul morceau massif d’or ou d’argent. Là plupart sont lourds, sans ornement, évidemment d’origine soudanaise. L’un d’eux, par exemple, qui est simplement tordu, pèse près de 900 grammes, soit près d’un kilogramme d’or pur ! Les bracelets d’argent sont ciselés avec plus d’art. Un seul nous montre l’alliage de trois métaux : or, argent, cuivre. Les bracelets gourmettes pour chevilles ont une forme d’anneau particulière : la partie qui touche la peau est plate, tandis que la partie extérieure est arrondie. Les bagues sont toutes en argent. En général, elles sont gravées avec beaucoup de soin. Ces bagues sont énormes, quelques-unes à double anneau. Il en est une dont la forme est tout à fait bizarre. Voir notre gravure(n°6).
On se demande pour. quelles oreilles ont été fabriquées certaines boucles, du poids prodigieux de 165 grammes. Nous en donnons le croquis(n°5).
Signalons aussi trois parures de tête, .qui ont un caractère à part.et dont-on chercherait vainement ailleurs le pendant.
La plupart des pièces d’orfèvrerie’ sont réunies entre elles par des courroies en cuir que les Soudanais excellent à travailler, et dont ils confectionnent des fourreaux de sabre, des poires à poudre, des sacoches etc., ainsi qu’on peut le voir dans les vitrines du Musée des colonies. Beaucoup de ces pièces sont montées en grigris, ce qui les dépare le plus souvent, Il est probable que ces amulettes ont été insérées après coup et qu’elles n’existaient pas dans l’œuvre initiale. Nous en dirons autant des pièces de monnaie, encastrées dans quelques bijoux. Quant aux boites à grigris, travaillées en filigrane et en perlage, elles sont d’un goût exquis.
Le colonel Archinard, à la prise de Ségou, n’a pas fait seulement main basse sur le trésor du roi ; il s’est aussi emparé des principales pièces de la garde-robe et du mobilier d’Ahmadou. C’est ainsi que nous voyons, dans la Bibliothèque des colonies, à côté de la salle où sont exposés les bijoux, la grande tente d’El Hadj Omar, en toile blanche et bleue, de confection européenne, semble-t-il. À moitié émergeant de dessous la tente, on aperçoit le lit de repos d’Ahmadou, construit d’un seul bloc dans un tronc de cailcédra. Il est des plus primitifs, probablement l’œuvre d’un laobé, sans ornement aucun moins qu’on ne donne ce nom à quatre entailles en forme de M creusées sur les côtés, Six gros pieds très lourds, non chevillés, c’est-à-dire creusés dans le même bloc que le lit, le maintiennent à 22 cm du sol. Le tout ne pèse pas moins de 79 kg.
On remarquera dans la salle de la bibliothèque, plusieurs tabalas, sortes de grosses caisses dont toutes les tribus nègres sont pourvues et qu’elles défendent avec acharnement, car le sort de la tribu est lié à celui de la tabala. Ces grosses caisses jouent donc le rôle du drapeau du régiment, ou plus exactement du palladium des Grecs et du zaïmph des Carthaginois. Le colonel Archinard a dû payer chèrement la possession du tabala d’Ouossébougou, ainsi qu’il le raconte dans son remarquable rapport sur sa campagne au Soudan de 1890 à 1891. Chaque tabala est creusé dans un tronc d’arbre en forme de cuvette, que recouvre une solide peau de bœuf garnie de son poil et fortement tendue par dès courroies de nerfs de bœuf. Ils doivent durer plusieurs générations. Sur les quatre tabalas exposés, trois appartiennent au Ségou ; le quatrième, est celui d’Ouossébougou, du poids respectable de 48 kilogrammes.
Le sabre d’El Hadj Omar est dans la salle des bijoux, au-dessous des pagnes disposés en trophée. Le sabre, qui n’a de valeur que parce qu’il a été porté, attaché à l’épaule, par le fondateur de l’empiré toucouleur, est enguirlandé de courroies en cuir terminées par des glands et engainé dans un fourreau également en cuir, noirci par le temps.
Les trois vases en terre évasés, debout sur leurs coussinets en paille, sont des canaris, ustensiles de ménage d’un usage général au Soudan pour la conservation des liquides et la préparation du couscous. Le cuisinier d’Ahmadou ne devait pas les manier facilement, car l’un d’eux pèse 26 kg avec son couvercle. Il existe des canaris plus grands encore, qui portent le nom de lambaras.
Disséminés sur le support qui règne le long du mur, on remarquera plusieurs manuscrits arabes, à couvertures épaisses ornées de dessins ; une de ces couvertures affecte la forme d’une serviette d’avocat ; une autre recèle dans ses flancs un Coran relié à l’européenne et imprimé. en Allemagne avec les annotations de Gustave Fluegel.
On le voit, la bibliothèque d’Ahmadou est assez mal représentée à l’Exposition des colonies. Hâtons-nous de dire que ce n’est là qu’une infime partie des livres trouvés au palais de Ségou-Sikoro. Trois caisses pesant en tout 350 kilogrammes, ont été expédiées à l’école des Hautes-Études, croyons-nous, qui va pouvoir travailler longtemps sur ces richesses peut-être inconnues. Voici de quoi se compose la bibliothëque d’Ahmadou ; tout entière entre nos mains : 24 corans ; 124 livres religieux, 98 livres de droit, 12 d’histoire, 12 de sciences, 4 recueils de chansons, 1 méthode de chant, 145 volumes formés de feuillets mélangés provenant de divers ouvrages, 59 grammaires et dictionnaires.
Mentionnons, en outre, parmi les autres objets enlevés à Ahmadou et figurant au Palais de l’Industrie, deux bannières — l’une est en lambeaux — dont la perte a dû être très sensible au fils d’El Hadj Omar : le pavillon rouge, et blanc du Toro et le pavillon du Guennar, qui marchaient à la tête des deux plus vaillants corps de l’armée toucouleur : deux fusils à silex de Madani d’une longueur démesurée et d’un poids énorme, 29 pagnes, assortis de dimensions et de couleurs, tissés à Ségou, Timbouctou et Haoussa (la mère d’ahmadou était de ce dernier pays) ; 4 parasols, dont 5 pouvaient servir de tente, de différentes étoffes, brodées et non brodées ; 8 tablettes en bois de diverses grandeurs avec inscriptions arabes ; 2 paires d’étriers, dont l’une est à coffret avec clé et appliques de cuivre ; 20 objets de vannerie, dont deux chapeaux tressés forme Sokoto, etc. On trouvera, dans les deux salles affectées à Ségou, une série d’aquarelles d’après nature, de M. Roullet, relatives, au Sénégal ; la remarquable collection de photographies de la mission Binger, et les étoffes offertes par Béhanzin et Pomaré V au Président de la République.
Adrien Barbusse.