Le papayer

J. Dybowski, La Nature N°1581 - 12 septembre 1903
Dimanche 5 janvier 2014 — Dernier ajout mercredi 20 mars 2024

J. Dybowski, La Nature N°1581 - 12 septembre 1903

Lorsque l’on visite des serres d’amateurs et que l’on fait l’inventaire des plantes qui y sont cultivées on y constate des végétaux de tout ordre, dont un bon nombre n’a d’autre mérite que de présenter quelque particularité culturale ; quelque bizarrerie sans beauté ou qui même n’ont d’autre vertu que d’être très rares. Les amateurs de plantes sont encore quelque peu les « curieux » d’autrefois, c’est-à-dire des collectionneurs de raretés.

Il est très singulier de voir que leur curiosité ne se soit pas encore modernisée et qu’elle n’ait pas cherché à se donner un sens pratique, Elle trouverait à le faire des satisfactions bien plus grandes et plus élevées.

On peut leur conseiller dans ce sens l’essai de culture des plantes tropicales fruitières. Si celui-ci est bien dirigé et s’il est fait dans un sens suffisamment pratique, il peut aisément donner les plus réelles satisfactions. Certes, il faut proportionner l’effort aux conditions dans lesquelles on opère et ne pas trop demander, sous peine de n’obtenir rien. Mais pour peu que ces essais soient dirigés par une connaissance suffisante des choses, il y a une quantité de plantes qui peuvent, dans nos serres, fleurir, fructifier et fournir des fruits excellents. Et ce n’est pas une mince satisfaction que de voir se développer sous ses yeux des fruits inconnus et d’avoir le plaisir de faire déguster des produits qui peuvent être tout aussi savoureux que s’ils étaient venus soude ciel des tropiques favorisés par leur climat merveilleux.

Au nombre des plantes qui peuvent donner dans ce sens la plus complète satisfaction est le Papayer (Carica papaya). Il pousse, fleurit et fructifie avec la plus grande facilité dans nos serres ainsi qu’en témoigne la reproduction photographique que nous donnons ici. C’est un bel arbuste pouvant atteindre 5 à 6 mètres, mais restant souvent dans des dimensions moindres et fructifiant dès qu’il a atteint 1,50m, c’est-à-dire la deuxième année après le semis.

Le Papayer a une façon toute particulière de végéter. Sa tige reste simple, normalement, couronnée d’un bouquet de belles feuilles au limbe profondément découpé porté. sur un robuste pétiole. Plus rarement, la tige se ramifie, elle est dans tous les cas vigoureuse, épaisse et charnue. Le développement de la plante est très rapide ; les graines germent. aisément même lorsqu’elles sont expédiées à l’état sec et les jeunes plantes issues de semis, pour peu qu’on leur donne, de la nourriture, par des rempotages, poussent rapidement et au bout d’un an donnent déjà d’élégants petits arbustes. Si l’on continue à les cultiver en pots, leur végétation se ralentit pt devient chétive. Les feuilles sont peu abondantes et à mesure qu’il s’en forme celles de la base jaunissent et tombent.

Pour que la plante devienne vigoureuse et pousse normalement, il faut nécessairement la mettre en pleine terre dans une bâche de serre. Immédiatement de belles feuilles se forment et on voit les fleurs apparaître. Celle-ci sont de deux sortes, Il y a des pieds mâles et des pieds femelles, d’où l’obligation de cultiver nécessairement un certain nombre de plantes pour avoir au moins une plante femelle et une plante mâle pour assurer la fécondation.

Les fleurs mâles, portées sur de longues grappes composées ; sont d’un jaune pâle et très odorantes. Elles servent dans les Antilles à préparer des parfums et des liqueurs. Elles se montrent abondantes dans nos serres. Les fleurs femelles naissent à l’aisselle même des feuilles, elles sont courtes ; réunies par deux ou trois elles forment des bouquets d’aspect gracieux. Si on a le soin de féconder ces fleurs femelles avec les fleurs mâles dont la floraison est continue, on voit bien vite les fruits se former et grossir peu à peu pendant plusieurs mois. Ils restent accolés sur la tige qu’ils enveloppent même complètement lorsqu’ils sont abondants, ce qui est la règle. A partir de ce moment la fructification est continue, parce que de nouvelles floraisons ont lieu avant que les fruits ne soient encore mûrs et l’on peut voir un jeune arbuste porter, en même temps, des fruits de tous âges et de toute grosseur, au nombre de 40 à 50.

La plante dont nous donnons la figure a été obtenue d’un semis fait en novembre 1899. La fructification a commencé en 1891 et depuis elle ne s’est jamais arrêtée. En ce moment l’arbre porte, pour la quatrième fois, une série de beaux fruits mûrs.

Le fruit du Papayer ou papaye se présente sous des aspects très divers. Il en est de gros et allongés, d’autres au contraire sont sphériques, globuleux, de la grosseur des deux poings réunis. Ils pèsent dans ce cas environ un kilogramme. Mais il existe des variétés à gros fruits pesant jusqu’à six et même huit kilogrammes.

Ce fruit, d’abord vert, se colore peu à peu pour devenir d’un beau jaune orangé et même d’un orange foncé. C’est ce que l’on observe dans nos serres où ce fruit est plus coloré qu’il ne l’est au Congo d’où est originaire la variété cultivée au Jardin Colonial (fig. 1).

Lorsque le fruit est mûr on le détache de l’arbre, car il ne tombe pas seul. Si on vient à l’ouvrir on le trouve presque plein, dans les variétés à petits fruits, et creux dans celles à gros fruits. La paroi est épaisse, charnue, et a l’aspect du melon. Après elle sont adhérentes de nombreuses graines sphériques noires à saveur piquante. II existe, dans la Sangha (Congo français), une variété presque sans graines. de même que l’on trouve dans cette région une forme oilles fleurs mâles et les fleurs femelles sont réunies constamment sur le même pied.

La partie comestible est la chair orangée ; elle est douce, sucrée, d’une saveur agréable. On la mange à la cuiller comme celle du melon, mais elle diffère sensiblement de celle-ci par ce fait qu’au lieu d’être indigeste elle aide au contraire à la digestion en raison d’un principe qu’elle renferme et qui, désigné sous le nom de papaïne, a des propriétés analogues à celles de la pepsine.

Dans les colonies, quand on se sent la digestion lente et pénible, on mange après le repas un bon fruit de papayer et l’on se trouve, assure-t-on, immédiatement soulagé.

Cette plante précieuse s’est répandue partout. Elle a été importée en Afrique où les indigènes la cultivent près des villages comme le montre la figure ci-jointe. Au Congo elle est tellement abondante que tout le long de Ia route du Loango à Brazza ville et plus tard dans l’Oubangui mes hommes en consommaient des quantités prodigieuses.

Les indigènes estiment beaucoup ce fruit et en font une consommation régulière, car la maturation a lieu toute l’année. Nous ne saurions trop engager tous ceux qui possèdent une serre tempérée ayant 2 à 3 mètres de haut au moins à essayer cette intéressante culture qui leur donnera toute satisfaction. Ils en trouveront des graines ou des plants dans le commerce et, au besoin, le Jardin Colonial sera toujours heureux de leur venir en aide.

J. DYBOWSKI, Directeur du Jardin Colonial.

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