Du vol des oiseaux (1re Partie)

E.-J. Marey, la Revue des cours scientifiques — 14 août 1869
Vendredi 23 octobre 2009 — Dernier ajout lundi 4 mars 2024

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Pour comprendre la production si rapide du mouvement dans les muscles de l’oiseau, il faut admettre que les actions chimiques qui ont lieu dans la substance même du muscle, et y engendrent, comme dans nos machines, la chaleur et le mouvement ; que ces actions, dis-je, naissent et se propagent plus facilement dans les muscles des oiseaux que dans toute autre espèce animale. C’est ainsi que les différentes poudres de guerre présentent des durées variables dans leur déflagration, et par suite impriment des vitesses très-différentes aux projectiles qu’elles lancent.

Permettez-moi d’insister, à ce propos, sur les phénomènes moléculaires dont les muscles sont le siège ; nous y trouverons des éclaircissements pour le sujet qui nous occupe.

Les physiologistes modernes, étendant aux êtres organisés le principe de la conservation de la force, ainsi que l’équivalence du travail mécanique et de la chaleur, admettent que dans les muscles, comme dans le foyer de nos machines, il se produit une combustion. Celle combustion ou décomposition chimique, rompant certains équilibres moléculaires, met en liberté les forces qui les retenaient et les rend sensibles sous deux formes : la chaleur et le travail mécanique, qui sont en quelque sorte complémentaires l’une de l’autre. De sorte que si un muscle excité se contracte sans soulever de poids et sans faire de travail, il s’échauffera sensiblement ; s’il est chargé d’un poids et qu’il fasse du travail, ce muscle s’échauffera moins, et cette perte de chaleur, si l’on pouvait la mesurer, devrait correspondre à l’équivalent mécanique du travail qui a été produit.

Assurément, on ne saurait évaluer exactement la chaleur que dégage un muscle vivant pendant qu’il se contracte, car la circulation du sang,. suivant qu’elle y est plus ou moins active, vient y apporter en plus ou moins grande abondance la chaleur qui se produit aux différents points de l’organisme. Toutefois les expériences de Béclard, de Heidenhain, de Hirn, etc., tendent à prouver que la production dc chaleur diminue lorsque la quantité du travail mécanique augmente. C’est assez pour légitimer l’admission, en physiologie, du principe de la conservation de la force, d’autant plus que ce principe est de ceux dont l’existence s’impose le plus impérieusement à la raison.

Toutefois il reste encore deux manières de comprendre la production du travail par les actions chimiques qui ont lieu dans les muscles. Ou bien l’action chimique que nous avons appelée combustion met en liberté des forces qui se traduisent immédiatement, partie en chaleur et partie en travail mécanique ; ou bien, ainsi que cela se passe dans nos machines, la chaleur se produit d’abord pour se transformer partiellement en travail. Certains faits rendent cette dernière hypothèse extrêmement probable.

On peut, en certains cas, surprendre dans un muscle la transformation de la chaleur en travail mécanique. Chargez d’un poids un muscle encore vivant, puis élevez la température du muscle, vous le verrez se raccourcir et soulever le poids ; un travail mécanique aura donc été produit aux dépens de la chaleur.

C’est un physiologiste russe, J. Chmoulevitch, qui découvrit, il y a quelques années, cette action de la chaleur sur les muscles.

Voici dans quelles conditions le phénomène se manifeste. Lorsqu’on détache un muscle de grenouille et qu’on provoque en lui des secousses par l’électricité, tout en le soumettant à une élévation graduelle de température, on voit que l’amplitude des mouvements qui se produisent va toujours en décroissant à partir d’un certain point, et qu’il arrive un instant où le muscle ne réagit plus du tout. C’est au delà de 33 degrés centigrades que se produit ce tic perte d’irritabilité musculaire. Si l’on refroidit ensuite graduellement le muscle, on le voit peu à peu reprendre son irritabilité. Que s’est-il passé ?

Si l’on a soin d’enregistrer les unes à côté des autres les secousses du muscle graduellement échauffé, on voit que la décroissance de leur amplitude tient à ce que le muscle, après s’être raccourci, ne revient plus à sa longueur normale s’il reçoit de la chaleur. Les minima des courbes s’élèvent de plus en plus, annonçant que le poids soulevé par chaque secousse ne redescend pas complètement ; le travail effectué pendant le raccourcissement musculaire ne se défait pas entièrement dans le relâchement incomplet qui le suit, et il reste une certaine quantité de travail accompli dont la cause paraît être la pénétration de la chaleur dans le muscle. Et quand le muscle chauffé au delà de 33 degrés paraît inerte, c’est qu’il a obtenu par l’action de la chaleur toutle raccourcissement dont il est susceptible, c’est qu’il a exécuté tout le travail dont il est capable. La figure 66 montre les différentes phases de ce phénomène.

Dans la période de refroidissement du muscle, l’inverse se produit, la soustraction de chaleur équivalant à un travail négatif, c’est-à-dire au relâchement du muscle et à la chute du poids qu’il avait soulevé.

Le caoutchouc jouit de propriétés très-analogues à celles du tissu musculaire, au point de vue de la transformation de chaleur en travail mécanique. Prenez un fil de caoutchouc non vulcanisé, chargez-le d’un poids, il s’allonge, un travail négatif se produit, et conformément à la théorie mécanique de la chaleur, vous pourrez percevoir un échauffement très notable du fil. Inversement, soumettez ce fil chargé d’un poids à une élévation de température, et vous verrez, avec Thompson, le fil se raccourcir et soulever le poids. Mais, dans ces conditions, la quantité de travail produite par le caoutchouc est très faible ; voici un moyen de la rendre très-considérable.

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