La Sécheresse de l’année 1906

Jean-Raymond Plumandon, La Nature N°1779 — 29 juin 1907
Jeudi 22 octobre 2009 — Dernier ajout mercredi 10 octobre 2018

Dans presque toute la France, l’année 1906 a été remarquable par la persistance du beau temps, par la rareté des pluies, par des chaleurs excessives et prolongées. Elle sera surtout mémorable grâce à une sécheresse dont la durée et l’intensité ont varié avec les localités ainsi qu’avec les époques, mais qui a néanmoins présenté un caractère général, et qui a eu, en bien des régions, des conséquences désastreuses.

Dans le Nord, dans l’Est et même dans l’Ouest, des averses plus fréquentes qu’ailleurs, sinon plus copieuses, l’ont atténuée à diverses reprises ; mais dans le Centre et dans le Midi, elle a pris une gravité tout à fait exceptionnelle.

C’est principalement depuis la fin de mai jusqu’au commencement d’octobre qu’elle s’est accentuée partout. Nous donnons ci-contre un diagramme dans lequel les traits verticaux indiquent les dates et les valeurs dés pluies constatées, depuis le 1er avril jusqu’au 30 novembre, dans quatorze stations du Service météorologique international. Ce diagramme permet donc d’apprécier l’importance de la sécheresse dans les diverses parties du territoire. Il met en outre en évidence, parmi beaucoup d’autres particularités :

  • 1° la sécheresse extrême de juin qui n’a pu fournir un peu de pluie que dans le nord et dans le nord-ouest de la France ;
  • 2° pour le littoral de la Méditerranée, la sécheresse de mai - juin - juillet - août - septembre, qui aurait été presque absolue, sans les pluies du commencement de juillet ;
  • 3° la simultanéité des averses, dans la plupart des stations, au commencement et à la fin de juillet, ainsi que vers le milieu des mois d’août, de septembre et d’octobre.

Les plus longues périodes sans pluie ont atteint : 56 jours à Clermont-Ferrand (24 mai-29 juin) ; 47 jours à Perpignan (16 mai-2 juillet : 50 jours à Lyon (15 mai-4 juillet) ; 59 jours à Marseille (14 août-12 octobre) ; 72 jours à Toulouse (24 août- 11 octobre) ; 75 j ours à Nice (6 juillet - 19 septembre).

Si l’on ne tenait pas compte de 52 millimètres d’eau pluviale tombés à Marseille le 14 août, de 4 millimètres tombés à Perpignan les 15 août et 17 septembre, on trouverait que le manque de pluie a duré 89 jours à Marseille (15 juillet-12 octobre), et 99 jours à Perpignan (7 juillet-14 octobre).

Lorsqu’on considère la période de huit mois qui s’étend du 1er avril au 30 novembre, c’est-à-dire celle que représente notre diagramme, les quatorze stations se rangent, en commençant par celle qui a reçu le moins de pluie, dans l’ordre suivant :

1. Clermont. 210 mm
2. Nancy 270
5. Toulouse 280
4. Lyon 286
5. Perpignan 296
6. Brest 320
7. Le Mans 327
8. Paris 375
9. Marseille 415
10. Bordeaux 440
11. Nice 471
12. Dunkerque 486
13. Besançon 488
14. Limoges 494

Si l’on s’en tient aux quatre mois juin - juillet - août - septembre, qui comprennent la sécheresse la plus forte et la plus générale, on obtient un ordre un peu différent :

1. Clermont 46 mm
2. Toulouse. 47
5. Lyon 57
4. Bordeaux 59
5. Marseille 60
6. Perpignan 67
7. Brest 68
8. Le Mans 77
9. Nice 109
10. Nancy 121
11. Paris 129
12. Dunkerque 165
13. Limoges 190
14. Besançon 208

Dans les deux cas, c’est Clermont d’abord, et ensuite surtout les stations du Midi qui ont reçu le moins de pluie, tandis que ce sont les régions de Besançon, Limoges et Dunkerque qui en ont recueilli le plus. Ce résultat, qui place Clermont en première ligne pour le minimum de pluie, paraît surprenant quand on le rapproche du précédent qui attribue aux stations du Midi le plus grand nombre de jours sans pluie. L’anomalie semble s’accentuer encore quand on remarque que Nice occupe le 10e et le 12e rang. Cela tient simplement à ce qu’en juillet, en octobre et même en août pour Marseille, les averses ont été, vers les côtes de la Méditerranée, beaucoup plus abondantes qu’ailleurs et surtout qu’à Clermont. .

A ce sujet, il convient de remarquer que, si les conditions météorologiques de l’année 1906 ont en général considérablement diminué la fréquence et même l’intensité des pluies, elles ont, au contraire, à certaines époques, favorisé d’une manière extraordinaire la production de copieuses averses. On peut en juger par la liste ci-dessous des averses qui ont fourni une couche d’eau de 30 millimètres au moins :

Avril 8 Perpignan 47mm
6 [1] Perpignan 39
13 Perpignan 50
19 Bordeaux 91
Mai 5 Besançon 45
21 Dunkerque 34
15 Marseille 32
15 Paris 33
Juin 11 Perpignan 34
12 Marseille 63
14 Lyon 33
14 Marseille 31
31 Nice 62
31 Marseille 81
Nov 1 Marseille 91
2 Paris 34
5 Brest 40
5 Nice 45
7 Nice 35
8 Clermont 35
8 Nice 59
8 Marseille 75
10 Nice 37
19 Limoges 30
19 Lyon 37
19 Nice 55
19 Perpignan 61

Dans quelques régions, ces pluies abondantes ont ramené à sa valeur normale la quantité annuelle d’ eau pluviale. Malheureusement elles n’ont pas suffi, au point de vue agricole, pour remédier au mal qu’occasionne toujours une trop longue sécheresse. C’est qu’en agriculture, l’opportunité des pluies joue un rôle capital, et qu’il ne faut pas attendre ces pluies bien longtemps pour que les compensations ne soient plus possibles.

D’ailleurs les mauvais effets de la sécheresse du sol, de l’abaissement des nappes d’eau souterraine, du tarissement des sources et des ruisseaux, ont encore été augmentés par des chaleurs fortes et prolongées, par une radiation solaire très vive et par un dessèchement extrême de l’air. Aussi, toutes les plantes culturales, sauf la vigne, ont énormément souffert et n’ont produit que des récoltes inférieures en qualité et en quantité.

Sous le rapport météorologique, ces faits ont coïncidé avec la persistance presque constante de basses pressions atmosphériques sur la Méditerranée occidentale, et de fortes pressions dans le nord-ouest de l’Europe. En France, les moyennes barométriques relatives aux six mois de sécheresse fournissent une pression de 761 millimètres pour la Provence, et une pression de 765 millimètres pour nos côtes de la Manche. Ce sont bien là, pour notre pays, les conditions ordinaires du temps beau, chaud et sec, mais il est extrêmement rare qu’elles durent aussi longtemps qu’en 1906.

Jean-Raymond Plumandon Météorologiste à I’Observatoire du Puy de Dôme,

[1Cette ligne ou la précédente contient une erreur. En effet les données sont placées par ordre chronologique. Ou les deux lignes ont été inversées ou l’une des dates n’est pas bonne.

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