Les aviateurs aux hautes altitudes et les expériences physiologiques de l’Institut aérotechnique.

Jacques Boyer — La Nature N°2422, 4 septembre 1920
Mardi 11 août 2009 — Dernier ajout dimanche 23 août 2015

Quo non ascendam semble aujourd’hui la devise des techniciens et des pilotes de l’aviation française. Mais aux hautes altitudes, les évolutions de nos modernes Icares sont infiniment moins aisées que les intrigues de Fouquet à la cour du Grand Roi ou sous les frais ombrages du Château de Vaux ! Si le turbo-compresseur inventé par Rateau a permis de suppléer à la carburation insuffisante des moteurs dans les régions élevées de l’atmosphère, nos aviateurs s’y trouvent en présence de phénomènes physiologiques autrement difficiles à surmonter. Comme nos lecteurs le savent, en effet, au fur et à mesure qu’on s’élève de terre, la pression atmosphérique diminue et par conséquent la quantité. d’oxygène renfermée dans un volume d’air identique devient plus faible, Un individu placé dans ces conditions d’ambiance, respire donc moins facilement qu’au niveau du sol. Il lui faut multiplier le nombre de ses inspirations pour fournir à ses poumons la quantité d’oxygène nécessaire, et, au cours de son élévation, il arrive un moment où l’accroissement de l’effort musculaire respiratoire ne peut plus compenser le déficit de l’oxygène contenu dans l’air. Des phénomènes asphyxiques déterminent l’écoulement du sang hors de ses vaisseaux et il en résulte des troubles graves de l’organisme, susceptibles de provoquer rapidement la mort de l’intrépide aviateur.

On conçoit donc l’intérêt pratique qui s’attache aux expériences physiologiques concernant la vie des hommes aux hautes altitudes et les dangers qui les menacent au cours de leurs vols téméraires pour battre les records d’altitude ! Aussi le capitaine Toussaint, actuellement directeur de l’Institut aérotechnique de Saint-Cyr et le Dr Garsaux, directeur du service médical de la navigation aérienne, ont-ils imaginé un caisson pneumatique permettant de placer les pilotes dans des conditions identiques à celles où ils se trouvent quand ils volent.

Déjà en 1875, Paul Bert avait réalisé une cloche pneumatique afin d’étudier les phénomènes qui se produisent dans l’organisme humain, lors des compressions et des décompressions barométriques. Dans sa chambre à air raréfié de la Sorbonne, le grand physiologiste se soumit à une décompression correspondant à celle d’une altitude de 8000 m sans inconvénients, grâce à des inhalations d’oxygène. Mais cet engin ne répondait plus aux nécessités de l’aviation moderne.

Au début, l’installation de Saint-Cyr, conçue en septembre 1917, avait seulement pour but d’étudier les appareils respiratoires destinés à faciliter la tâche de nos aviateurs. Par la suite, son champ d’action s’agrandit et on lui fit subir diverses modifications ou perfectionnements propres à obtenir une dépression rapide combinée à l’action du froid tout en renouvelant constamment l’atmosphère intérieure. Depuis cette époque, le Dr Garsaux et ses collaborateurs ont poursuivi à l’Institut aérotechnique de nombreuses études sur la manière dont se comporte l’organisme humain vis-à-vis de très fortes dépressions, de très basses températures, sous l’influence de rapides variations de pression, etc. Le caisson servit, en outre, à des essais divers : variations du débit des pompes à essence des moteurs d’avions suivant la dépression, mesures de la vitesse de combustion du pulvérin, etc.

Actuellement on voit à l’Instiitut Aérotechnique, deux grands cylindres en tôle ; le premier de 5 m. de longueur sur 3 m. de diamètre est en cours de montage ; le second mesure 3 m. 60 de long sur 2 m. de diamètre. Ce dernier caisson, figuré ci-contre, servit seul jusqu’ici aux essais et expériences que nous allons relater. A côté de lui se trouve la pompe à vide système Burckhardt et Weiss ; qui, actionnée par un moteur électrique marchant à la vitesse de 200 tours, peut aspirer’ un volume de 5,2 m3 par minute. La pompe, scellée sur socle en meulière et ciment, absorbe 6 HP à son régime maximum ; mais, à l’aide d’un rhéostat, on peut abaisser sa vitesse jusqu’à 80 tours par minute.

Dans sa partie cylindrique, la chambre à dépression proprement dite se compose de plaques de tôle rivées de 5 mm. d’épaisseur et aux extrémités, dans les parties planes, de panneaux également en tôle rivés mais d’épaisseur double. En outre, ces tôles se trouvent renforcées intérieurement, dans la partie cylindrique, par 3 cornières circulaires et à chaque bout par 2 fers en I. A l’une des extrémités du caisson, se monte la porte d’entrée sur des charnières dont les axes pivotent dans des trous ovalisés afin de reposer plus parfaitement sur leurs points d’appuis. D’autre part, une bande de caoutchouc épousant le pourtour de la porte permet à celle-ci de s’appliquer très hermétiquement sur le panneau du caisson. En outre, une fois la porte fermée, 4 traverses en fer boulonnées sur elle viennent compléter son étanchéité.

Sur chaque côté de la chambre pneumatique se trouvent 4 hublots de 25 cm de diamètre, disposés à la hauteur d’homme afin de permettre au physiologiste de surveiller ce qui se passe à l’intérieur au cours des expériences. Nous apercevons un de ces hublots sur la photographie. Il existe encore 2 soupapes réglables par des volants à main et permettant la rentrée de l’air dans la chambre à la vitesse voulue : l’une commandée de l’intérieur, l’autre de l’extérieur. Enfin l’ensemble du caisson repose horizontalement sur un bâti en bois, et une couche de liège, aggloméré au brai de 10 cm d’épaisseur, l’enveloppe complètement.

A la chambre pneumatique, se trouvent annexés divers instruments, appareils et organes accessoires : d’abord à l’intérieur un baromètre de Fortin, un altimètre enregistreur et un manomètre Richard , puis, au-dessus du rhéostat de commande de la pompe, se.voit le tableau des signaux constitué par une série de lampes électriques de couleurs différentes dont l’allumage se commande du dedans du caisson. Le double de ce tableau est installé à l’intérieur afin de pouvoir contrôler le bon fonctionnement des dits signaux. En outre, un téléphone et une double sonnerie rendent possibles les communications du sujet avec le mécanicien chargé de surveiller la pompe. Quant aux appareils à froid, ils comprennent un compresseur et un détendeur système Claude capable de fournir, à l’heure, environ 200 m3 d’air réfrigéré à 97°. L’abaissement de température dans le caisson s’obtient en laissant pénétrer l’air extérieur dans un récipient auxiliaire où il se mélange à l’air refroidi avant d’être aspiré dans la cloche pneumatique. Enfin 2 tubes d’oxygène comprimé de 540 litres chacun communiquent directement avec l’intérieur de cette dernière et l’expérimentateur peut les ouvrir instantanément de l’extérieur au cas où l’une des personnes soumises aux essais se trouverait indisposée. D’autre part, comme la photographie permet de s’en rendre compte, plusieurs appareils respiratoires automatiques sont à la disposition des passagers ainsi qu’une bouteille de 540 litres d’oxygène pouvant s’ouvrir instantanément en cas d’urgence.

Dans ce laboratoire pneumatique, M. Garsaux a exécuté de nombreuses expériences. Il y a travaillé avec une dizaine d’aides ou de sujets à la fois et jusqu’à des dépressions de 8000 à 9000 m. Et même récemment Jean Casale a pu « s’élever » ainsi théoriquement jusqu’à 12 000 m. Cet aviateur s’enferma dans le caisson de l’Institut aérotechnique et on ramena progressivement la pression barométrique à 150 mm. de mercure. A partir de 4600 m. il commença à respirer de l’oxygène à J’aide du masque respiratoire automatique dont nous parlons plus bas. Le Dr Garsaux et le Dr Mathieu de Fossey l’observaient par un des hublots ; en 47 minutes notre « as » exécutait son « ascension » sans le moindre malaise, la pression lui fut rendue petit à petit en 20 minutes, au bout desquelles il sortit de sa prison aussi dispos - ou presque - qu’il y était entré.

Les essais physiologiques, poursuivis à l’Institut aérotechnique de Saint-Cyr. permirent entre autres de s’assurer de la hauteur moyenne à laquelle les aviateurs peuvent se maintenir sans danger pour leur organisme et sans perdre de leurs aptitudes physiques. Celte altitude maxima varie naturellement selon les tempéraments, mais pour les hommes les plus résistants elle ne dépasse guère 6000 mètres, sauf exceptions, d’après les constatations expérimentales.

Grâce au caisson pneumatique M. Garsaux put encore analyser les échanges respiratoires aux différentes altitudes et déterminer par suite l’altitude à laquelle l’inhalation d’oxygène devient utile (3500 à 4000 m). Avec l’oscillomètre de Pachon, il y mesura la tension artérielle en montée et en descente, aux différentes altitudes, avec ou sans oxygène ; il étudia également l’influence de la dépression sur la durée des réflexes psycho-moteurs, l’action de la dépression et de la recompression sur les oreilles, etc.

Toutes ces expériences aboutirent à la mise au point des différents organes des appareils respiratoires automatiques mis en service dans les escadrilles alliées peu avant l’armistice, pour les vols à hautes altitudes : Détendeur automatique, capsule barométrique, réservoirs à gaz, masques, etc., dont nous rappellerons, en quelques mots, les caractéristiques principales.

Le détendeur à membranes comprend un réservoir cylindrique en aluminium étanche divisé en 2 compartiments : le compartiment inférieur ou de détente proprement dite dont un jeu de leviers ouvre et ferme l’orifice d’admission du gaz à haute pression par l’intermédiaire d’un pointeau. Quant au compartiment supérieur, il renferme un ressort régulateur de la pression du compartiment de détente. Sous l’action de la poussée du gaz à haute pression, le pointeau s’ouvre et le gaz pénètre dans le compartiment inférieur du détendeur où s’établit une pression d’environ 170 grammes par suite de l’action de la membrane et des leviers qui commandent le pointeau.

Le détendeur, solidaire du réservoir d’oxygène, se dispose à n’importe quel endroit de la carlingue ou du fuselage selon les types d’avions.

La capsule barométrique, amovible et interchangeable, est un petit réservoir d’air à la pression atmosphérique normale constitué par une calotte et une face mobile en cuivre. Une soupape permet d’équilibrer la pression atmosphérique au sol. Le débit de l’appareil respiratoire commence à l’altitude de 3500 m (35 litres à l’heure pour un passager) et augmente progressivement jusqu’à 150 l à l’heure à 8000 m. Quant au masque adopté par l’aéronautique militaire française en 1918, il se compose d’une petite calotte en aluminium, dont les contours munis d’une bordure en caoutchouc épousent la partie inférieure du nez et le pourtour de la bouche. A la partie inférieure, se trouve ménagé un orifice de 2 cm de diamètre par lequel s’opère la respiration normale et par où s’écoule la vapeur d’eau de condensation. Un tuyau d’aluminium prolonge cet orifice et maintient l’intérieur du masque à l’abri des courants d’air. L’arrivée de l’oxygène à l’intérieur de l’appareil se fait par l’intermédiaire d’une petite tubulure en cuivre percée de trous et qui diffuse le gaz de chaque côté des narines. D’autre part, le masque se fixe à l’aide d’élastiques comme des lunettes.

On le voit par cette énumération, fort écourtée du reste, le caisson pneumatique de Saint-Cyr a déjà apporté de très intéressantes contributions aux progrès de la physiologie aéronautique. Ses dimensions ont facilité des expériences presque irréalisables antérieurement et nécessitant la présence simultanée de plusieurs personnes dans l’air raréfié et réfrigéré. De même, le fort débit de la pompe permet de laisser constamment ouverte une des vannes d’admission de l’air en sorte que celui-ci se renouvelle constamment tout en se maintenant au degré de raréfaction voulue. Nul doute que la nouvelle chambre en cours de montage et dont les dimensions seront encore plus imposantes ne rende possible l’accès d’altitudes inconnues jusqu’ici aux plus audacieux de nos pilotes !

Jacques Boyer

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