Henri Sainte-Claire Deville, minéralogiste

Hautefeuille, la Revue Scientifique, 25 avril 1885
Vendredi 12 juin 2009 — Dernier ajout dimanche 9 juin 2019

Messieurs,

En prenant pour la première fois la parole dans cette chaire, je réponds à vos sentiments unanimes en me faisant l’écho des regrets exprimés par les auditeurs du cours de minéralogie, lorsqu’ils apprirent que M. Friedel allait les quitter.

Ils avaient tous apprécié sa science profonde, puisée aux sources pures de l’observation personnelle, sa parole mesurée, exprimant toujours les faits avec une minutieuse exactitude par habitude d’esprit et par respect de la vérité.

H. de Sénarmont, l’un des savants les plus complets que les sciences aient possédés, semblait revivre en M. Friedel, un instant son élève. La méthode et la clarté du célèbre professeur de minéralogie de l’École des mines se retrouvaient dans les leçons si fortement préparées que vous veniez ici entendre en grand nombre.

Les circonstances privent la minéralogie de l’un de ses professeurs les plus autorisés. Mais M. Friedel n’est pas perdu pour vous, car la Faculté lui a confié un grand enseignement - celui de la chimie organique : passion dominante de toute sa vie. C’est dans un autre amphithéâtre que vous le retrouverez et que vous pourrez à l’avenir entendre ses savantes leçons.

J’ambitionne de ne pas rester trop loin au-dessous d’un pareil maître, et de vous faire aimer une science, d’un abord un peu aride à la vérité, mais une science bien française par ses origines et ses développements. Je compte pour cela sur un courant sympathique entre vous et moi. Me rappelant quel culte les auditeurs de la Sorbonne gardent pour la science pure, j’ai confiance, mal gré la confusion bien naturelle d’avoir été choisi pour occuper une chaire illustrée par Haüy, Brongniart, Delafosse, des Cloizeaux, Friedel.

Je ne puis oublier que, dans cette même salle, j’ai soutenu, il y a vingt années déjà, une thèse de minéralogie pour le doctorat ès sciences, et que H. Sainte-Claire Deville, l’un des examinateurs, me prodiguait ses encouragements. Ils me sont bien précieux en ce moment pour me soutenir dans la tâche qui m’est confiée.

Je m’inspirerai des leçons et des conseils de mon vénéré maître, H. Sainte-Claire Deville, qui fut à la fois chimiste et minéralogiste.

L’éclat de ses travaux chimiques est si grand qu’il a en quelque sorte rejeté dans l’ombre ses recherches purement minéralogiques. Telle fut aussi la destinée de son illustre ami M. Pasteur, qui préluda à ses merveilleuses découvertes physiologiques par de remarquables travaux de cristallographie.

La postérité saura que Sainte-Claire Deville et Pasteur ont été membres de l’Académie des sciences dans la section de minéralogie.

Permettez-moi de payer à la mémoire de celui qui fut mon maître un tribut d’admiration et de reconnaissance en vous retraçant sa carrière minéralogique.

Cette page d’histoire vous fera connaître quelques-unes des méthodes que l’on emploie aujourd’hui pour analyser les minéraux, et les voies à suivre pour accroitre indéfiniment le champ des études minéralogiques par la découverte d’espèces nouvelles.

Reportons-nous à l’époque des débuts scientifiques de H. Sainte-Claire Deville : l’ère des grandes découvertes minéralogiques vient de se clore, Haüy et Weiss ont achevé leur œuvre. Mitscherlich a énoncé la loi de l’isomorphisme, véritable clef sans laquelle les résultats numériques de l’analyse des minéraux naturels demeurent indéchiffrables.

Pendant que M. Pasteur exécute ses remarquables recherches sur la dissymétrie moléculaire, que Sénarmont étudie les phénomènes de la double réfraction des cristaux, que M. des Cloizeaux détermine les propriétés optiques d’un nombre considérable d’espèces, H. Sainte-Claire Deville rend à la minéralogie des services qui, pour être d’une nature différente, ne sont pas moins grands.

Il applique à l’analyse des minéraux les méthodes de séparation des éléments qu’li a trouvées dans ses recherches de chimie pure ; il utilise, pour reproduire un grand nombre de minéraux, les réactions qui lui sont suggérées par ses études sur le bore, l’aluminium et les phénomènes de dissociation.

Les travaux minéralogiques de H. Sainte-Claire Deville sont d’abord purement analytiques ; ce n’est que vers 1852, après la mort du regretté Ebelmen, qu’il s’occupe de reconstituer les minéraux en partant de leurs éléments. Nous allons passer rapidement en revue les progrès que Sainte-Claire Deville a réalisés dans ces deux périodes successives de sa féconde carrière scientifique.

En 1847, à l’âge de vingt-neuf ans, Sainte-Claire Deville fait preuve d’un talent d’analyste hors ligne en découvrant simultanément la présence de la silice et celle des nitrates dans toutes les eaux courantes de la Franche-Comté.

Ce premier succès en chimie minérale semble’ avoir détourné Sainte-Claire Deville de la voie qu’il avait suivie à ses. débuts, marqués, comme vous le savez, par des découvertes en chimie organique. Cinq années se sont à peine écoulées que le jeune maître, installé depuis quelques mois dans son laboratoire de l’École normale supérieure, fait connaître une méthode d’analyse qui remplace avec avantage tous les procédés connus, pour séparer et doser les éléments des minéraux pierreux et en particulier des minéraux appartenant à la classe des silicates. Celle méthode est connue aujourd’hui sous le nom de méthode de la voie moyenne, par opposition aux procédés par la voie sèche et par la voie humide.

Les silicates sont presque tous des corps insolubles dans l’eau et inattaquables par les acides. Cette propriété crée une première difficulté. H. Sainte-Claire Deville a établi que toute attaque d’une matière insoluble doit être faite au moyen d’une substance facile à purifier, fixe, susceptible d’être pesée avant, et dosée rigoureusement après l’attaque, car l’analyse des silicates est alors considérablement simplifiée et peut être effectuée avec une grande précision.

La matière d’attaque choisie par Sainte - Claire Deville est la chaux. Celte base, ajoutée en petite quantité à un silicate, lui communique la propriété de fondre au rouge vif en un verre homogène.

L’obtention de ce verre permet de ramener l’analyse de tous les silicates, insolubles à celle d’un silicate décomposable par l’acide nitrique en sels solubles et en silice pure.

Les procédés de séparation des bases dans la méthode de la voie moyenne sont fondés sur les résistances très variées et nettement prononcées qu’offrent certains nitrates à leur destruction par le feu. Quant à la séparation de l’oxyde de fer et de l’alumine, oxydes presque toujours associés dans les minéraux, Sainte-Claire Deville la réalise, au rouge, en réduisant l’oxyde de fer par l’hydrogène et en soumettant le mélange de fer et d’alumine à l’action de l’acide chlorhydrique gazeux. Cet acide permet de séparer d’une manière absolue le sesquioxyde irréductible par l’hydrogène de l’oxyde métallique susceptible d’être transformé sous cette double influence en chlorure volatil.

H. Sainte-Claire Deville a décrit une méthode d’analyse immédiate, pour les. calcaires, fondée sur l’emploi des sels ammoniacaux. Le minéralogiste l’utilise pour dégager des gangues, sans être exposé à les altérer, certains silicates hydratés et certains phosphates.

Le chef-d’œuvre expérimental du célèbre Berzélius est assurément d’avoir mené à bonne fin l’analyse d’un phosphate d’alumine fluoré et hydraté, la wawellite.

H. Sainte-Claire Deville, avec la collaboration de l’un de ses élèves, M. Fouqué, a réussi à fixer la composition de la topaze, minéral contenant de l’aluminium, du silicium, de l’oxygène et du fluor, c’est-à-dire des substances aussi difficiles à doser lorsqu’elles sont réunies que celles qu’on rencontre dans la wawellite. Sainte-Claire Deville et M. Fouqué ont démontré que la meilleure méthode d’analyse des minéraux fluorés qui ne con tiennent pas d’alcalis est de les chauffer au rouge vif jusqu’à cessation de perte de poids. Ils ont recueilli et analysé la matière volatilisée et démontré qu’elle consiste en fluorure de silicium. Les analyses de topaze effectuées par ces savants ont permis d’établir que les quantités de fluor et d’oxygène contenues ans ce minéral varient avec les échantillons ; mais que les deux corps se remplacent à la manière des corps isomorphes.

Sainte-Claire Deville et M. Debray ont mené à bonne des analyses plus difficiles encore que celles des minéraux fluorés : les analyses des osmiures et de la e de platine, produits naturels contenant du platine, de l’iridium, de l’osmium, du palladium, du ruthénium, du rhodium, de l’or et du fer. Pendant plus vingt ans, ces savants ont étudié les métaux de la mine de platine et ils ont perfectionné graduellement méthodes de séparation. De cet opiniâtre labeur sont nés des procédés d’analyse des osmiures d’iridium, aussi précis que ceux que l’on applique aux matières d’or et d’argent dans les hôtels des monnaies.

Sainte-Claire Deville a toujours eu une prédilection pour les travaux analytiques : on l’a vu consacrer ce qui lui restait de forces à déterminer, avec M. Debray, la composition des prototypes du mètre et du kilogramme en platine iridié par les méthodes créées pour l’analyse des osmiures.

Après les beaux travaux de Gay-Lussac, de Berthier, d’Ebelmen, de Sénarmont et de M. Daubrée sur la reproduction des minéraux. au moment où l’on croit que dans ce domaine scientifique, en apparence si restreint, il ne reste plus qu’à glaner quelques découverte secondaire, H. Sainte-Claire Deville obtient en minéralogie synthétique des succès éclatants.

Aimant avec passion les sciences naturelles et en minéralogie, tontes les fois qu’il a entrevu une réaction susceptible de donner naissance à une espèce cristallisée, il a entrepris des expériences. Elles furent si souvent heureuses qu’il me serait impossible de les rapporter toutes avec détails. J’essayerai cependant de vous faire comprendre l’originalité de ces expériences pour la plupart devenues célèbres. Je vous rappellerai en passant les découvertes des savants qui se sont occupés de la reproduction des minéraux, avant lui ou en même temps : ces derniers ont été presque élèves, et il serait difficile de faire apprécier les travaux du maître en les isolant de ceux qu’il a inspirés.

Les synthèses minéralogiques transforment les éléments des minéraux en espèces chimiques possédant la composition, les propriétés physiques et cristallographiques des minéraux naturels. La véritable difficulté que l’on ait à vaincre pour reproduire les espèces minérales consiste à réaliser un ensemble de conditions qui permettent à la substance amorphe de cristalliser en revêtant les formes du minéral qu’on veut obtenir.

On sait qu’il y a trois grandes méthodes de cristallisation : la fusion, la volatilisation et la dissolution.

Étudiées successivement, elles nous permettront de grouper systématiquement tous les essais de reproduction.

I. - La première méthode est souvent employée en chimie, elle fournit des cristaux prismatiques de soufre et du bismuth en trémies rhomboédriques présentant des interruptions et des inflexions qui imitent les dessins dits à la grecque.

En 1823, Berthier et Mitscherlich, en appliquant la méthode de fusion dans sa simplicité primitive ont obtenu le péridot magnésien et le pyroxène augite. Au rouge vif un mélange de silice, de magnésie, de chaux et d’oxyde de fer entre en fusion et cristallise avec la plus grande facilité pendant le refroidissement, sous la forme du péridot ou sous celle du pyroxène. Mais les cristaux soudés les uns aux autres sont si difficiles à déterminer, que les essais de ce genre furent peu multipliés.

Gaudin, en 1869, a fait cristalliser par fusion l’alumine, corps beaucoup moins fusible que les silicates. La source de chaleur qu’il a employée est le dard du chalumeau à gaz oxyhydrique. Les globules d’alumine ayant subi la fusion son t couverts de facettes cristallines ; ces cristaux rudimentaires possèdent la composition et la dureté du corindon.

Mitscherlich, en 1831, a préparé une variété de sulfure de cuivre octaédrique par fusion du sulfure de cuivre amorphe.

La cristallisation par fusion a été si souvent employée dans les laboratoires, que l’on croyait en avoir tiré tout le parti possible. Il n’en était rien cependant, car M. Gernez, en semant du soufre natif dans du soufre en surfusion, a pu obtenir des cristaux octaédriques au sein du soufre fondu, qui n’avait jusqu’alors donné que des cristaux prismatiques.

Il y a plus : M. Gernez, en frottant avec un corps dur les parois du tube contenant le soufre en surfusion, est parvenu à déterminer la formation de cristaux nacrés, qui constituent une espèce nouvelle de soufre. Le développement de ces cristaux dans le soufre en surfusion est très différent de celui que présentent les deux autres formes ; ainsi, tandis que les octaèdres ou les prismes semés dans le liquide le solidifient totalement, les baguettes nacrées s’allongent dans le liquide ambiant, comme le feraient des cristaux dans un liquide peu sursaturé.

La cristallisation du soufre sous cette forme nouvelle s’obtient d’autant plus facilement que le soufre a été antérieurement porté à une température plus voisine de 170° ; les baguettes nacrées représentent la forme cristalline de la partie modifiée du soufre, chauffé à la température à laquelle se produit, selon les expériences de M. Berthelot, la quantité maxima de soufre insoluble dans le sulfure de carbone.

On peut s’attendre a observer des phénomènes de cet ordre dans les matières fondues, qui, comme les silicates, passent à l’état pâteux avant de se solidifier, état qui est une espèce de surfusion accompagnée de transformations analogues à celles qu’éprouve le soufre fondu.

Dans les récentes expériences de MM. Fouqué et Michel Lévy, la cristallisation de la leucite, aux dépens du verre obtenu par la fusion de ce minéral, semble s’effectuer comme la cristallisation du soufre en baguettes nacrées. Les cristaux de leucite sont nombreux et de dimensions appréciables, lorsque leur développement est plus rapide que la solidification du verre : résultat que l’on obtient en maintenant plusieurs heures le verre fondu entre certaines limites de température. Dans la période de l’opération désignée par MM. Fouqué et Michel Lévy sous le nom de recuit préalable, la matière fondue, maintenue à une température voisine de la fusion de la leucite, subit une véritable transformation, qui modifie assez profondément le verre pour qu’il acquiert la propriété de cristalliser intégralement.

Lorsque le recuit préalable n’a pas été très long, on obtient une masse vitreuse contenant des cristaux de leucite. Dans ce cas, la cristallisation de la leucite rappelle encore la formation des baguettes nacrées dans le soufre surfondu ayant été porté à 170°. La portion transformée du silicate cristallise seule, comme c’est la portion transformée du soufre qui donne d’abord des cristaux nacrés.

Les premières synthèses minérales par fusion ont été obtenues, par la réalisation, dans le laboratoire, des conditions fortuites qui déterminent .la cristallisa lion des scories dans les foyers métallurgiques. Les expériences de M. Gernez, ainsi que celles de M. Fouqué, tous deux élèves de Sainte-Claire Deville, ont placé les corps fondus dans des conditions nouvelles, scientifiquement définies, et elles ont donné à cette méthode une importance qu’elle ne possédait pas avant leurs belles recherches.

II. - La seconde méthode employée pour faire cristalliser les corps est la volatilisation.

La condensation des vapeurs fournit souvent des cristaux. On sait que la distillation de l’arsenic permet d’obtenir des cristaux mesurables d’arsenic, que l’acide arsénieux sublimé se présente souvent en octaèdres réguliers, susceptibles d’acquérir des dimensions notables.

Les corps qui, en se condensant, prennent, comme le soufre, l’état liquide, peuvent cependant fournir des cristaux par volatilisation, mais à la condition de réaliser, en opérant dans le "Vide, la vaporisation et la condensation à une température inférieure à la température de fusion. Les cristaux de soufre préparés dans ces conditions sont, d’après les observations de M. Gernez, octaédriques, comme les cristaux de soufre natif.

La condensation d’un corps à l’état cristallisé n’exige pas toujours que le corps soit volatil : il peut se former aux dépens d’éléments gazeux. Les expériences faites en 1851 par Durocher réalisent ces conditions. Les produits cristallisés appartiennent à la catégorie des corps fixes : la condensation est la conséquence de réactions entre des vapeurs et des gaz.

Ces expériences font époque en minéralogie synthétique, car Durocher a préparé de véritables minéraux, la bismuthine, la blende, la chalcosine, le cinabre, la galène, la greenockite, la pyrite et la stibine, en faisant réagir dans un tube de porcelaine, porté au rouge, l’acide sulfhydrique gazeux sur les vapeurs des chlorures de bismuth, de zinc, de cuivre, de mercure, de plomb, de cadmium, de fer et d’antimoine.

L’hydrogène, en réagissant sur l’acide arsénieux et le chlorure de cobalt volatilisé, a donné à Durocher de la smaltine. L’acide sulfhydrique gazeux, en réagissant sur les vapeurs des chlorures d’arsenic, en présence du chlorure d’argent, a donné à Durocher de la proustite. Enfin, en ajoutant aux précédentes vapeurs ’du chlorure de cuivre, du chlorure de fer, du chlorure de mercure, ce savant a pu obtenir le plus complexe des minerais métalliques, la panabase.

Avant Durocher, Gay-Lussac avait fait réagir, ainsi qu’il le raconte dans ses réflexions sur les volcans, publiées en 1823, le chlorure de fer sur la vapeur d’eau, et avait obtenu un corps cristallisé, le fer oligiste. C’est donc à notre grand chimiste que revient le mérite d’avoir signalé un procédé de cristallisation qui devait permettre de préparer un grand nombre d’espèces. Mais ce procédé n’a acquis toute son importance qu’en 1861, le jour où Sainte-Claire Deville a transformé en fer oligiste le sesquioxyde de fer amorphe, en faisant passer sur cet oxyde, chauffé au rouge dans un tube de porcelaine, un courant d’acide chlorhydrique gazeux. Le fer oligiste, préparé par l’acide chlorhydrique, tapisse l’intérieur du tube, dans le voisinage de l’oxyde de fer. Comme dans l’expérience de Gay-Lussac, la cristallisation est la conséquence d’une réaction entre le sesquichlorure de fer et la vapeur d’eau, car, ainsi que l’on peut s’en assurer en refroidissant brusquement les gaz, ces deux corps se forment dans les parties les plus chaudes du tube, aux dépens de l’acide chlorhydrique et de l’oxyde de fer.

Sainte-Claire Deville a donné le nom d’agent minéralisateur à tout corps susceptible de jouer, dans une cristallisation, le rôle de l’acide chlorhydrique dans la production du fer oligiste. Il appelle volatilisation apparente le transport de l’oxyde de fer dans l’acide chlorhydrique, et, eu général, le transport de tout corps reconnu fixe à la température à laquelle on opère, en l’absence d’un agent minéralisateur.

Sainte-Claire Deville a réalisé un grand nombre de volatilisations apparentes, suivies de cristallisation. L’acide stanique amorphe se transforme, au rouge vif, sous l’influence de l’acide chlorhydrique gazeux, en beaux prismes quadratiques de cassitérite ; la magnésie se transforme dans ce gaz en périclase octaédrique , l’acide titanique prend la forme du rutile, etc.

M. Debray a utilisé la réaction de l’acide chlorhydrique gazeux sur les oxydes amorphes fortement chauffés pour préparer l’acide tungstique et le fer tungsté en beaux cristaux : le tungstate de fer se forme, avec des proportions quelconques d’acide tungstique et d’oxyde de fer, en cristaux identiques pour la forme avec ceux du wolfram.

L’acide fluorhydrique fonctionne comme agent minéralisateur à une température relativement peu élevée à laquelle l’acide chlorhydrique ne minéralise encore aucun oxyde. Je m’en suis servi pour reproduire des espèces qu’on ne peut obtenir par l’acide chlorhydrique seul, la brookite, l’anatase et le corindon.

H. Sainte-Claire Deville et M. Troost ont constaté en 1861, la volatilisation apparente des sulfures dans l’hydrogène. Cette volatilisation donne des cristaux de greenokite et des cristaux de sulfure de zinc en prismes hexagonaux, espèce alors nouvelle trouvée depuis dans la nature par M. Friedel, qui l’a appelée wurtzite.

J’ai observé avec M. Troost la volatilisation d’un corps simple réputé fixe, le silicium. Le silicium se volatilise rapidement au rouge vif dans le fluorure de silicium ou dans la vapeur de chlorure de silicium. Les réactions qui produisent le transport du silicium d’une région très chaude dans une région relativement froide diffèrent notablement des réactions qui transportent les oxydes et les sulfures. A très haute température, le chlorure de silicium se combine à du silicium, ce qui fournit une petite quantité d’un sesquichlorure décomposable au rouge sombre. Si rien ne vient troubler celle décomposition, le silicium mis en liberté cristallise ; si les gaz sont refroidis subitement, le sesquichlorure échappe à la décomposition.

Le fluorure de silicium peut aussi servir à transporter le silicium ; il se forme, au rouge vif, un sesquifluorure qui se décompose par abaissement de température en donnant des cristaux de silicium.

La cristallisation du sélénium dans l’hydrogène, observée par M. Ditte, s’explique également par la décomposition d’une fraction de l’hydrogène sélénié formé par l’union directe des éléments, dans les points les plus chauds, en des tubes scellés, contenant primitivement de l’hydrogène et du sélénium fondu.

Il est donc bien établi par l’expérience que, si la formation momentanée d’un composé volatil, aux dépens d’un corps amorphe et d’un gaz, est suivie d’une décomposition presque immédiate, le corps amorphe cristallise à distance ou se change sur place en cristaux.

C’est ainsi que l’on peut expliquer la transformation de la craie en marbre dans la célèbre expérience de Hall. Ce n’est pas par fusion du carbonate de chaux, mais par des dissociations et des recompositions presque immédiates et sur place que le calcaire amorphe prend une structure cristalline. Les plus petites variations de température se traduisent au rouge vif par des décompositions et des recompositions de ce carbonate : le phénomène étant limité à chaque instant par les tensions de dissociation fixées par M. Debray.

Les agents minéralisateurs gazeux sont nombreux ; les plus importants sont l’acide chlorhydrique, l’acide fluorhydrique, l’hydrogène, l’acide sulfhydrique, l’acide carbonique et le fluorure de silicium. Sainte-Claire Deville a choisi le fluorure de silicium pour caractériser le mode spécial d’action des agents minéralisateurs capables d’effectuer des synthèses minérales.

Quand on fait passer du fluorure de silicium sur de l’alumine placée dans un tube de porcelaine chauffé au rouge blanc, on la convertit en un silicate cristallisé exempt de fluor, et il se dégage du fluorure d’aluminium. En disposant des couches alternatives et cylindriques d’alumine et de silice dans le tube de porcelaine, les couches d’alumine se transforment en silicate avec production de fluorure d’aluminium, qui, en rencontrant la silice de la couche suivante, est entièrement absorbé, car il se forme un silicate cristallisé, et le fluorure de silicium est régénéré. Il s’ensuit que, après toutes ces transformations, il sort du tube de porcelaine autant de fluorure de silicium qu’il en est entré. Le fluor, ne se fixant nulle part, a servi à transporter l’une sur l’autre les deux substances les plus fixes que nous connaissions : l’alumine et la silice.

Au rouge vif, le fluorure de silicium transforme des couches alternatives de zircone et de silice en zircon ; le fluorure de silicium en réagissant sur la zircone, le fluorure de zirconium en réagissant sur la silice. La minéralisation s’est faite sans que le fluor se soit fixé nulle part. Le zircon ainsi préparé est en beaux cristaux octaédriques, incolores et transparents, mesurables, et présentant la plus complète analogie avec le zircon de la Somma.

Ces dernières expériences suffiraient pour établir qu’il existe des gaz qui, sans se fixer sur aucune des substances qu’ils touchent, les transforment en matières minérales qu’on ne saurait distinguer des minéraux que l’on rencontre dans la nature.

Sainte- Claire Deville a fait remarquer que ces agents minéralisateurs sont compatibles avec l’eau. Le fluorure de silicium même ne fait pas exception. La vapeur d’eau n’annule et n’amoindrit jamais leur action spéciale : circonstance qui permet de les faire entrer dans les hypothèses de la géologie.

En dernière analyse, la cristallisation par la volatilisation est le résultat de deux effets inverses qui se produisent dans un sens ou dans l’autre, suivant que la température s’élève ou s’abaisse.

Les belles lames de corindon, obtenues par Sainte-Claire Deville et Caron en décomposant le fluorure d’aluminium par l’acide borique volatilisé, cristallisent en présence du fluorure de bore, composé susceptible de régénérer facilement, aux dépens du corindon, le fluorure d’aluminium et l’acide borique. De même, si les synthèses de Durocher ont fourni de beaux cristaux, c’est que, outre la réaction de l’acide sulfhydrique sur le chlorure, il peut se produire une réaction inverse, susceptible de régénérer le chlorure et l’acide sulfhydrique aux dépens des cristaux eux-mêmes, qui se déplacent et grossissent alors comme s’ils étaient réellement volatils.

Si cette condition de deux combinaisons inverses n’est pas réalisable, le produit d’une réaction est généralement amorphe, comme l’est la silice provenant de la décomposition du chlorure de silicium par la vapeur d’eau : on sait que l’acide chlorhydrique est à toutes les températures sans action sur la silice.

III. - La troisième méthode employée pour faire cristalliser les corps est la dissolution.

Le dissolvant peut être l’eau, l’eau chargée d’acide carbonique. ou d’acide sulfhydrique, les acides ou les alcalis fondus, les sels en fusion ignée et les métaux fondus.

La voie sèche et la voie humide vont nous offrir des exemples de cristallisation par évaporation, par variations de solubilité et par réactions inverses plus ou . moins complexes déterminées par les oscillations de la température : phénomènes liés à la solubilité de l’un au moins des produits des actions chimiques susceptibles de se produire entre les corps en présence.

Jamais la cristallisation n’est, dans cette méthode, la conséquence de la fusion au sein d’un dissolvant : cette fusion, quand elle se produit accidentellement, entrave la cristallisation par dissolution : cristallisation qui s’effectue toujours à une température inférieure à la température de fusion du corps que l’on cherche à préparer.

C’est Ebelmen qui, le premier, a employé avec succès les dissolvants de la voie sèche. Dans presque toutes ses expériences, Ebelmen a évaporé une partie du dissolvant et enlevé, par un acide, ce qui n’avait pas été volatilisé à la haute température des fours de la manufacture de porcelaine de Sèvres.

Les cristaux de corindon préparés par ce savant ont été considérés comme les plus beaux produits de la synthèse minérale. En dissolvant l’alumine dans le borax ; on obtient le corindon en rhomboèdres basés j en dissolvant l’alumine dans le carbonate ’de soude, on l’obtient en lames hexagonales. Ebelmen a obtenu de petits cristaux hexagonaux en dissolvant les éléments de l’émeraude dans l’acide borique. On Ct admis que ces cristaux avaient la composition de ce minéral.

L’acide borique a permis à ce savant de préparer les aluminates octaédriques et un aluminate de glucine en longs cristaux orthorhombiques, maclés à la façon de la cymophane. L’acide titanique a également cristallisé dans l’acide borique : les cristaux sont transparents et d’un jaune d’or, ils appartiennent à l’espèce rutile.

L’acide borique et la potasse caustique ont permis à Ebelmen de faire cristalliser le péridot et le pyroxène. Un mélange de silice et de magnésie, de composition intermédiaire entre celle de ces minéraux, donne à la fois les deux silicates.

Nous avons vu que Sainte-Claire Deville a obtenu, par volatilisation apparente, presque tous les composés décrits par Ebelmen. Les cristaux de corindon, de cymophane, de rutile, préparés. en quelques heures par cette méthode, sont plus beaux que ceux qui ont pris naissance dans un dissolvant, à la température élevée et longtemps soutenue des fours de la manufacture de Sèvres.

Ebelmen n’avait pas épuisé la liste des dissolvants utilisables pour la reproduction des minéraux.

IVI. Debray a constaté que les phosphates d’alumine et d’urane, chauffés à très haute température avec un excès de sulfate alcalin, donnent un phosphate alcalin qui se volatilise en partie, et dans lequel cristallisent l’alumine et l’oxyde salin d’urane. Ce dissolvant

vient d’être étudié par M. H. Grandeau : il a permis à ce jeune savant de préparer de beaux échantillons d’oxydes et de phosphates.

Les chlorures fondus ont été souvent employés pour obtenir des cristaux.

Manross a obtenu, en 1849, la scheelite en traitant le tungstate de soude par le chlorure de calcium, et, en 1852, l’apatite de chaux, en chauffant au rouge un mélange de phosphate de soude et de chlorure de calcium.

Forchhammer a employé dans le même but le phosphate de chaux tribasique et le chlorure de sodium. Enfin, Sainte-Claire Deville et Caron ont obtenu l’apatite et la wagnérite en traitant le phosphate de chaux par le chlorure de calcium, additionné de fluorure de calcium.

Ces dernières expériences ont .montré une fois de plus que des minéraux composés des mêmes éléments, mais en proportions diverses, peuvent se former dans le même dissolvant en fusion.

M. Ditte a précisé les conditions de la formation des deux séries de chlorophosphates.

En traitant le phosphate de chaux par un grand excès de sel marin en fusion vers 1000°, on a des cristaux d’apatite [Pho5, 3 Ca0, 1/2 Ca CI] et le sel marin contient du chlorure de calcium et du phosphate de soude. Cc phosphate de soude réagit sur le chlorure de calcium pour reproduire le sel marin et le phosphate de chaux. Il y a donc, au sein de la masse fondue, deux réactions inverses, susceptibles de se limiter l’une l’autre. Dans cette expérience, il ne se produit pas de wagnérite ou chlorophosphate riche en chlorure de calcium, car une grande quantité de sel marin décompose la wagnérite [Pho5, 3 Ca0, Ca CI] en apatite et chlorure de calcium.

Dans un bain de chlorure de sodium et de chlorure de calcium, contenant 70 pour 100 de ce dernier sel, les deux chlorophosphates de chaux peuvent cristalliser. Le chlorure de calcium est en assez grand excès pour transformer l’apatite en wagnérite, et le chlorure de sodium est assez abondant pour décomposer la wagnérite en apatite et chlorure de calcium. Il s’établit donc entre ces deux réactions un équilibre un peu variable avec la température, et l’on obtient des cristaux d’apatite et des cristaux de wagnérite.

Enfin, en opérant avec du phosphate de chaux et du chlorure de calcium, sans chlorure de sodium, on peut obtenir des cristaux de wagnérite exempts de cristaux d’apatite, à la condition d’employer une très forte proportion du dissolvant par rapport au phosphate de chaux.

M. Lechartier a utilisé les chlorures de calcium, de magnésium, de fer et de manganèse pour préparer des silicates de chaux, de magnésie, de protoxyde de fer et de protoxyde de manganèse en cristaux beaucoup plus nets que ceux qu’avaient obtenus Mitscherlich et Berthier.

M. Ditte a fait cristalliser les borates dans les chlorures fondus, et M. Bourgeois a obtenu des carbonates cristallisés dans ces mêmes sels en fusion ignée. MM. Rousseau et Saglier ont obtenu des manganates cristallisés en décomposant les permanganates dans un chlorure en fusion.

M. Joly a préparé un grand nombre de niobates et de tantalates, en maintenant pendant plusieurs heures, dans un creuset de platine, de l’acide niobique ou de l’acide tantalique, en contact avec un chlorure anhydre, à une température comprise entre la fusion et la volatilisation de ce dernier. Ces sels renferment, pour l’équivalent d’acide, 1, 2, 3 équivalents de base, et même 4 équivalents pour la magnésie. Le niobate de magnésie tétrabasique est le plus facile à préparer, il se présente en belles lames hexagonales. M. Joly a aussi abordé avec succès la reproduction des yttrotantalites, des niobites et d’un niobate fluoré naturel, le pyrochlore, par l’action combinée d’un chlorure et d’un fluorure fusibles sur les éléments de ces minéraux.

Les chlorures le plus souvent employés sont le chlorure de sodium, le chlorure de calcium et le chlorure de magnésium : l’action plus énergique de ce dernier chlorure tient à la facilité avec laquelle la vapeur d’eau le décompose partiellement.

Les expériences de M. Margottet et les miennes ont montré le parti qu’on peut tirer du chlorure de lithium comme dissolvant minéralisateur.

Ce chlorure nous a permis de préparer du quartz, de la tridymite et plusieurs silicates de lithine cristallisés.

Le chlorure de lithium, bien exempt d’oxychlorure, n’agit sur la silice libre qu’avec une très grande lenteur, en la transformant, si l’on opère au rouge très sombre, en quartz bipyramidé assez voisin du quartz des filons ; si l’on opère au rouge vif, en tridymite aussi belle que celle qu’on obtient à très haute température par le sel de phosphore suivant la méthode de G. Rose.

La cristallisation du quartz et de la tridymite dans le chlorure de lithium en fusion semble se faire par voie de dissolution simple, tandis que la cristallisation des silicates de lithine serait le résultat de deux réactions chimiques se limitant l’une l’autre. Les deux modes d’action de ce chlorure peuvent s’observer dans une même expérience, si le chlorure fondu n’est pas soustrait à l’action des gaz humides. Le chlorure fonctionne d’abord comme dissolvant de la silice ; puis, dès qu’il contient des traces d’oxychlorure, les réactions chimiques entrent en jeu ; le caractère de la cristallisation change : au quartz se joint un silicate de lithine, 5 Si 0², Li 0, en lamelles clivables analogues au mica.

Ces deux phases successives peuvent s’observer même avec le chlorure de calcium , ainsi j’ai constaté, en 1864, que l’acide titanique, chauffé avec le chlorure de calcium fondu dans un gaz inerte tel que l’azote, donne des aiguilles de rutile et que le rutile, baigné par le chlorure de calcium, est transformé, lorsque l’on fait intervenir la vapeur d’eau, en pérowskite ou titanate de chaux.

Quand un corps prend une forme géométrique dans nos expériences, nous ne nous bornons plus, comme on le faisait avant que Sainte-Claire Deville eut découvert les agents minéralisateurs et leur mode spécial d’action, à invoquer la dissolution ; nous nous demandons si les cristallisations dans les sels fondus sont la conséquence de variations de solubilité ou de réactions chimiques.

Le chlorure de calcium en fusion agit sur l’acide titanique dans la reproduction du rutile, à la façon de l’eau dans la cristallisation des sels ; mais les oxychlorures, les phosphates, les tungstates, les vanadates et les molybdates alcalins fondus, qui m’ont permis de reproduire les silicates alumineux, se conduisent tout autrement : des réactions chimiques suppléent au défaut de solubilité. La cristallisation dans ces sels s’effectue par voie d’échanges chimiques ; la dissolution n’est qu’apparente.

Les sels qui sont susceptibles de jouer le rôle de dissolvant apparent sont généralement les sels capables de former des sels acides : de là la possibilité de remplacer ces sels les uns par les autres.

Ils ont cependant chacun des propriétés spéciales qui les rendent plus propres, les uns à la cristallisation des minéraux caractéristiques des roches acides, les autres à la cristallisation des composés alumineux les moins silicatés.

C’est ainsi que les tungstates alcalins sont les agents minéralisateurs les pl us puissants de la tridymite et du quartz, de l’orthose et de l’albite ; mais ils ne permettent pas de préparer un silicate alumineux moins silicaté que l’oligoclase.

Les phosphates alcalins ne donnent aussi que le quartz, la tridymite et les feldspaths les plus riches en silice.

Les vanadates alcalins sont les réactifs qui peuvent faire cristalliser les silicates alumineux : les plus variés. L’amphigène et la néphéline ont été obtenus par ces sels aussi facilement que l’albite et l’orthose. Ils ne donnent pas de silice nettement cristallisée, mais ils permettent de préparer le silicate naturelle plus riche en silice, la pétalite ou castor.

Le choix du dissolvant apparent se fait, dans chaque cas particulier, en tenant compte de sa fusibilité à l’état de sel neutre et de sel acide, et de la facilité avec laquelle il cède son alcali, qui est l’agent de l’attaque des éléments amorphes ou des cristaux déjà formés, tandis que le sel acide détermine, en reprenant l’alcali qu’il avait cédé à haute température, la précipitation sous forme de cristaux.

C’est généralement vendant le refroidissement que les cristaux grossissent ; il y a des exceptions.

M. Parmentier en a signalé une en précisant le mode d’action de l’un de ces dissolvants apparents, le bimolybdate de potasse. Quand on maintient l’alumine ou l’oxyde de fer avec le bimolybdate de potasse, à une température voisine de la fusion de ce sel, ces oxydes se dissolvent et forment des sels doubles. Quand on élève la température du mélange, le phénomène change. Il y a décomposition des sels doubles et formation de corindon ou de fer oligiste. La quantité des oxydes cristallisés augmente avec la température, et on peut, en chauffant suffisamment la matière, arriver à précipiter la totalité des oxydes. Si, après avoir fait cristalliser ces oxydes, on abaisse lentement la température, le phénomène inverse se produit : les minéraux formés se dissolvent. On voit donc que, suivant la température, on a des sels doubles ou un oxyde cristallisé. L’accroissement des cristaux est du, comme dans tous les cas de ce genre, à des alternatives d’abaissement et d’élévation de température, produisant une série alternée de compositions et de décompositions.

Les silicates en fusion sont également des agents minéralisateurs.

MM. Fouqué et Michel Lévy ont observé qu’un magma vitreux, qui passe par des températures graduellement décroissantes, peut fournir plusieurs espèces : les premières qui cristallisent sont naturellement les moins fusibles. Ce phénomène de départ au sein d’un silicate vitreux n’est pas assimilable à une cristallisation par fusion : c’est mi cas particulier de la cristallisation dans un dissolvant en fusion ignée. Les réactions chimiques se manifestent clairement dès que le verre est ferrugineux, car alors, comme l’ont remarqué MM. Fouqué et Michel Lévy, la cristallisation d’un silicate est accompagnée de la production de fer oxydulé et parfois de picotite. Ces savants ont pu obtenir, par un lent refroidissement d’un magma vitreux, la plupart des minéraux des roches éruptives.

On doit rapprocher des expériences de MM. Fouqué et Michel Lévy, les essais sur la dévitrification du basalte fondu de Gregory Watt en 1804, qui conclut de ses expériences que la fluidité n’est pas nécessaire à la cristallisation ; les essais de dévitrification de la lherzolithe par M. Daubrée en 1866. M. Daubrée a obtenu des aiguilles de statite, et il a fait le premier pas décisif dans la reproduction des météorites, sujet traité récemment par MM. Fouqué et Michel Lévy avec grand succès.

On peut rattacher à ces expériences sur la dévitrification par réactions chimiques la production du rutile réalisée par Deville et Caron, aux dépens d’un titanate de protoxyde d’étain fondu et des parois d’un creuset siliceux : le rutile se trouve à la fin de l’expérience dans une couche vitreuse de silicate d’étain, et la production du corindon, réalisée par MM. Fremy et Feil, aux dépens d’une dissolution d’alumine dans le fluorure de baryum : les cristaux de corindon sont associés à des cristaux d’un silico-aluminate de baryte.

Il me reste encore à vous signaler un dissolvant de la voie sèche :le protosulfure de fer. Sainte-Claire Deville et M. Debray ont réalisé la reproduction des espèces de la mine de platine en employant comme agent minéralisateur le protosulfure de fer en fusion.

En fondant de la pyrite de fer avec du ruthénium divisé, on obtient, en effet, un sulfure de ruthénium découvert dans les osmiures de Bornéo par Wöhler : la laurite.

Le platine, traité de la même manière, peut fournir des cristaux d’un alliage contenant 11 à 12 pour 100 de fer, et qui se rapproche du platine ferrifère naturel, car il est, comme lui, dépourvu de propriété magnétique appréciable à l’aiguille aimantée.

M. Debraya constaté que l’iridium et l’osmium, traités séparément par le sulfure de fer au rouge vif, cristallisent en octaèdres réguliers. L’osmium et l’iridium peuvent cristalliser ensemble en toutes proportions dans ce sulfure. Ces mélanges isomorphiques appartiennent au système cubique, ils rappellent certaines variétés d’osmiures naturels.

Les dissolvants de la voie humide sont aussi nombreux que ceux de la voie sèche, ils ont permis d’obtenir beaucoup d’espèces minérales.

L’évaporation de l’eau des lacs a fourni des produits cristallisés du ressort de la minéralogie, le borax et le sel marin, par exemple. Mais la plupart des minéraux son t si peu solubles dans l’eau que nous ne pouvons les obtenir par évaporation. Leur cristallisation doit être le plus souvent attribuée aux variations de température qui, en modifiant la solubilité, transforment en cristaux une matière amorphe, si elle n’est pas complètement insoluble. Les premiers cristaux formés grossissent, car c’est toujours sur les cristaux, et non sur les parois des vases, que s’opère le nouveau dépôt toutes les fois qu’une cristallisation est suffisamment lente et déterminée par des changements de température.

Ainsi les belles cristallisations réalisées par Becquerel et attribuées à des actions lentes ne réussissent elles qu’a la condition de ne produire à chaque instant que la quantité du composé qui peut rester en dissolution. Becquerel et M. Frémy ont atteint ce résultat par diffusion, par dialyse, ou en établissant le contact de deux dissolutions à travers des vases fêlés. La liste des cristaux obtenus par ces procédés est très longue ; je citerai le sulfate de baryte, le spath fluor et la calcite.

Becquerel a employé avec succès les courants électriques faibles pour produire des minerais métalliques tout à fait insolubles dans l’eau. Ces synthèses sont, comme la cristallisation des métaux et des hydrures métalliques par l’électrolyse des dissolutions salines, des cas particuliers de la cristallisation par décomposition chimique.

L’emploi de l’eau pure ou additionnée d’un acide, d’un alcali ou d’un sel à une température supérieure à 100°, a permis de reproduire les minéraux des filons concrétionnés.

C’est Sénarmont qui, en 1850, a obtenu les premiers résultats décisifs. Ce savant opérait dans des tubes de verre à une température comprise entre 120° et 250° environ ; il a obtenu un grand nombre de minéraux considérés comme insolubles, le quartz, le spath fluor, des carbonates et des sulfures : parmi les sulfures, la blende et la galène, par doubles décompositions ou dissolution dans l’eau chargée d’acide sulfhydrique ; les sulfures d’antimoine et d’arsenic, ainsi que leurs combinaisons avec le sulfure d’argent, par réactions de ces sulfures amorphes sur le bicarbonate de soude.

M. Daubrée a porté les dissolutions aqueuses à une température plus élevée que ne l’avait fait Sénarrmont, ce qui lui a permis d’observer la corrosion rapide des tubes de verre et la transformation de leur couche interne en minéraux variés par l’action de l’eau sans addition de réactif. Parmi les beaux résultats obtenus dans ces conditions nouvelles de température, je citerai la cristallisation de la silice sous la forme du quartz, et celle d’un pyroxène à base de chaux et de fer, transparent et à peine coloré, que ce savant a décrit sous le nom de diopside.

MM. Friedel et Sarrasin, grâce à l’emploi d’un tube de platine, ont pu opérer à plus haute température encore et utiliser l’eau rendue alcaline par la potasse ou la soude. Ils ont préparé des cristaux de quartz, de tridymite et d’orthose : ces .deux derniers minéraux n’avaient pas encore été reproduits par la voie humide.

Sénarmont avait eu un précurseur : Wöhler était parvenu, en 1847, à faire cristalliser l’apophyllite pulvérisée dans l’eau chauffée à 1800, expérience remarquable pour l’époque. Sainte-Claire Deville s’est servi avec succès, en 1862, des réactions en tube scellé. Quoique peu nombreux, ses essais dans cette voie sont très importants. Il a obtenu des cristaux de lévyne, en chauffant à 2000 environ une dissolution de silicate de potasse avec une dissolution d’aluminate de soude ; le précipité gélatineux qui se forme à froid se transforme en lamelles hexagonales, et il peut ne rester dans la liqueur alcaline ni silice ni alumine. A une température supérieure à 200°, la lévyne est détruite, fait -du plus haut intérêt, et il se forme de nouveaux produits : ce sont ceux que MM. Friedel et Sarrasin ont pu faire cristalliser en employant un tube en platine, et parmi lesquels on devait espérer trouver l’orthose.

M. de Schulten a fait varier les conditions de l’expérience de Sainte-Claire Deville. En opérant sur le silicate de soude et l’aluminate de soude, il a préparé l’analcime en beaux cristaux ; ce sont des trapézoèdres d’une régularité parfaite, quoique chacun d’eux soit formé par l’assemblage de huit cristaux rhomboédriques. La même expérience, faite en présence d’un lait de chaux, donne encore des cristaux d’analcime, mais ils appartiennent au système cubique.

Avant ces dernières recherches, M. Daubrée a décrit , ,des zéolithes (chabasie et harmotome) formées aux dépens des briques et des ciments calcaires, sous l’action prolongée de l’eau minérale de Plombières. Ce , métamorphisme contemporain s’effectue dans des conn1 dirions analogues à celles que nous réalisons en chauffant, au-dessus de 100°, des silicates basiques en présence de l’eau liquide.

Une température supérieure à 100° ne réalise pas toujours les conditions les plus favorables à la reproduction des espèces minérales.

M. Debray a préparé par la voie humide et à la température ordinaire le carbonate bleu de cuivre, appelé azurite, que Sénarmont avait tenté vainement d’obtenir vers 200° par la méthode qui réussit pour les autres carbonates. M. Debray ne s’est pas borné à décrire le produit cristallisé, il a analysé les réactions qui produisent l’azurite en partant de l’azotate de cuivre et du carbonate de chaux. Ce carbonate transforme l’azotate de cuivre en azotate tribasique vert avec dégagement de gaz carbonique ; comme on opère en vase clos, il se forme du bicarbonate de chaux. Ce bicarbonate réagit lentement sur l’azotate tribasique et le transforme en cristaux mamelonnés d’azurite.

M. Debray a obtenu, par un choix convenable, des réactifs de la voie humide à des températures comprises entre 70° et 200°, plus de trente phosphates et .arséniates.

Parmi ces sels, nous remarquons un certain nombre d’espèces minérales qui n’avaient pas été reproduites, telles sont : l’haidingérite ou arséniate de chaux hydraté, la chalcolite ou phosphate double d’urane et de cuivre, l’olivénite ou arséniate de cuivre, la Iibéthénite ou phosphate de cuivre hydraté, espèce reproduite de nouveau plus récemment, en 1879, par MM. Friedel et Sarrasin ; enfin les apatites de chaux et de plomb, qui sont encore aujourd’hui les seuls chlorophosphates qui aient été reproduite par la voie humide, et le chloroarséniate de chaux, premier terme d’un genre nouveau de sels étudiés par M. Lechartier.

Dans le cours de ses recherches sur les phosphates, M. Debray a observé la transformation lente, au contact des liquides générateurs, des précipités gélatineux que l’on obtient en mélangeant des dissolutions de sels métalliques et des phosphates alcalins. L’un de ces produits de transformation est la vivianite ou phosphate bleu de fer.

La cristallisation s’explique assez facilement, car ces précipités ne sont pas absolument insolubles dans les liquides générateurs. Une élévation de température détermine la dissolution d’une partie de la substance amorphe qu’un abaissement de température fait cristalliser. Une série de variations dans le pouvoir dissolvant du liquide transporte la matière amorphe tout entière sur les premiers cristaux formés. La dissolution saline, acide ou alcaline, dans laquelle le précipité prend naissance, est l’agent minéralisateur. Bien entendu, cette solubilité du précipité est réelle ou apparente : le plus souvent, elle sera apparente ; - les réactions chimiques inverses les unes des autres sont aussi favorables à la cristallisation que les variations de solubilité. C’est, en particulier, la solubilité apparente que l’on doit invoquer pour expliquer les reproductions minérales réalisées par Sénarmont, la reproduction de la dolomie par M. Sterry-Hunt, celle de la smithsonite par G. Rose. Les variations de la tension de l’acide carbonique, en modifiant la solubilité ou la stabilité des bicarbonates, peuvent ici remplacer les variations de la température dans l’acte de la cristallisation.

On peut espérer que l’étude des réactions, qui permettent de créer les espèces minérales dans des conditions expérimentales d’une réalisation difficile, conduira à trouver des conditions plus simples pour les reproduire. M. Baubigny a obtenu récemment des sulfures cristallisés aux dépens d’une dissolution métallique très étendue et & des températures inférieures à 100°. Les expériences de ce savant réalisent un progrès bien grand, car Sénarmont, pour préparer les mêmes sulfures cristallisés, avait dû employer des dissolutions d’acide sulfhydrique plus chargées de ce gaz que ne peuvent l’être les eaux naturelles, et avait dü opérer il des températures que possèdent rarement les sources thermales. M. Baubigny a observé qu’une dissolution de sulfate de nickel, quel que soit son degré de dilution, lorsqu’elle est acidulée par un acide très faible, n’est plus précipitable immédiatement à la température ordinaire par l’acide sulfhydrique. Mais. après quelques jours, apparaissent sur les parois du vase des grains noirs, qui grossissent lentement et deviennent l’origine de concrétions cristallines de millérite. Il a également fixé les conditions de la transformation, par réactions .au-dessous de 100°, de plusieurs sulfures amorphes en sulfures cristallisés, qu’on n’avait encore pu minéraliser que dans des tubes scellés, chauffés à plus de 150°.

On peut regarder ces cristallisations comme une heureuse application des observations de M. Berthelot, sur l’influence de la dilution, dans le renversement du signe thermique des réactions, entre l’acide sulfhydrique et les sels métalliques.

M. Berthelot a décrit une expérience très élégante pour mettre en évidence le renversement de ce genre de réactions. Le sulfure de plomb. traité par l’acide chlorhydrique concentré, est attaqué ; mais la dissolution limpide contient les éléments susceptibles de régénérer le sulfure. En étendant d’eau peu à peu cette dissolution, on atteint le terme où la réaction se renverse, et l’on voit apparaitre un précipité noir de sulfure. Les conditions à réaliser pour obtenir un sulfure cristallisé ne diffèrent souvent que par la température des conditions qui, dans cette expérience, donnent un sulfure amorphe.

On pourrait, après chacune des reproductions minérales réalisées par la voie humide, répéter l’explication donnée par M. Debray de la transformation des précipités amorphes en cristaux, et rappeler comment Sain le-Claire Deville a interprété la transformation d’un oxyde amorphe en oxyde cristallisé, sous l’action d’un agent minéralisateur gazeux. Ces deux interprétations sont connexes, et on peut affirmer que c’est en nous laissant guider par les considérations qui en découlent que nous imiterons les phénomènes naturels ; comme c’est en se pénétrant des lois de la thermochimie exposées dans la mécanique chimique de M. Berthelot, que l’expérimentateur découvrira les réactions qui permettront de reproduire une espèce minérale donnée.

Toutes les synthèses minérales ont été des acquisitions précieuses pour la minéralogie. Tantôt elles ont permis de fixer ou de contrôler la composition de certaines espèces minérales, en fournissant des cristaux exempts des corps qui s’y introduisent par voie d’isomorphisme, si on ne les écarte pas absolument au moment de la cristallisation ; tantôt elles ont permis de compléter des familles naturelles, ou même de créer des familles dont on n’a pas encore rencontré les représentants dans les gîtes minéraux. Ainsi Ebelmen a, par ses reproductions, enrichi la liste des spinelles et rattaché à cette famille celles des ferrites et des chromites. Deville et Caron, dans leur travail sur les chlorophosphates, out complété la famille des apatites et celle des wagnérites : on ne connaissait que l’apatite de chaux, la pyromorphite et l’eisen-apatite ; ils ont ajouté à cette liste l’apatite de baryte et l’apatite de strontlane, la famille des wagnérites n’était représentée que par le fluophosphate de magnésie, ils out décrit la wagnérite de chaux, la waguérlte de l’oxyde de fer et la wagnérite d’oxyde de manganèse.M. Debraya créé la famille des chloroarséniates qui comprend aujourd’hui, grâce aux belles recherches de M. Lechartier, un grand nombre d’espèces. Dans un travail sur la vanadinite, j’ai indiiqué l’existence d’un chlorovanadate de chaux ; depuis, M. Ditte a donné des procédés pour préparer tous les termes possibles de la famille des vanadates chlorés et fluorés. J’ai montré qu’il existait des titanates corresspondant aux monosilicates et aux bisilicates , M. Joly a découvert plusieurs classes de niobates et de tantalates qui jettent quelque lumière sur la constitution commpliquée des niobates et des tantalatas naturels. MM. Friedel et Guérin ont, par la préparation du sessquioxyde de titane cristallisé, complété la famill e de l’ilménite et du fer oligiste. M. Margottet, par d’intéresssantes expériences, a complété le groupe des sélééniures et celui des tellurures naturels. Enfin, les expériences de MM. Fouqué et Michel Lévy, ainsi que les miennes, ont donné une extension inattendue à la famille des feldspaths.

Les cristallisations réalisées dans le laboratoire ont permis de multiplier les exemples de polymorphisme et d’étudier ce curieux phénomène.

Elles ont mis en évidence l’influence de la température sur la forme cristalline des corps. Tout le monde connaît les expériences faites sur le soufre par M. Deebray et par M. Gernez, celles de M, Pasteur sur l’oxyychlorure d’antimoine qui, au contact prolongé de l’eau froide, se transforme en petits cristaux cubiques d’oxyde d’antimoine, tandis que l’on obtient au-dessus de 100° des prismes orthorhombiques. M. Debray a constaté que l’acide arsénieux qui se dépose sur des parois maintenues à plus de 250° possède la forme rhomboïdale, tandis que ce sont des cristaux octaédriques qui se produisent au-dessous de cette température.

Le polymorphisme de l’acide titanique peut être dû, d’après mes expériences, aux conditions spéciales de la cristallisation à des températures différentes ; car, dans plusieurs milieux fonctionnant comme agents minéralisateurs gazeux ou dissolvants, le rutile se produit à haute température, l’anatase au rouge très sombre, et la brookite à une température intermédiaire.

II en serait de même pour la silice, car, par des procédés variés, j’ai toujours obtenu de la tridymite à haute température et du quartz au ronge naissant. La zircone et l’acide stannique peuvent cristalliser à notre gré sous plusieurs formes d’après MM. Michel Lévy et Bourgeois. Le phosphate de silice, que j’ai découvert avec M. Margottet, cristallise spontanément sous quatre formes cristallographiques incompatibles entre elles et constituant, par conséquent, quatre espèces : des cristaux hexagonaux se forment au-dessous de 300°, des lamelles ressemblant à la tridymite vers 360°, des octaèdres réguliers entre 700 et 800°, et des prismes clinorhombiques entre 800 et 1000°.

Les conditions qui président au dimorphisme du carbonate de chaux sont plus complexes : G. Hose les a étudiées, en 1837 et en 1859, sans pouvoir les définir d’une façon complètement satisfaisante.

Sénarmont a insisté, dans son mémoire touchant la formation des minéraux par la voie humide, sur la nécessité de retrouver, dans l’opération de laboratoire, les conditions compatibles avec toutes les circonstances où l’opération naturelle a laissé des traces caractéristiques. C’est H. Sainte-Claire Deville qui, le premier, a précisé ces conditions vaguement entrevues, en faisant connaître le rôle de l’acide chlorhydrique dans la cristallisation des oxydes, ainsi que le rôle qu’il convient d’assigner à l’acide carbonique dans la formation des carbonates cristallisés. .

Sainte-Claire Deville a montré que les agents minéralisateurs qui ont été signalés dans les filons sont tous compatibles avec l’eau qu’on rencontre, en effet, partout. Les agents minéralisateurs qu’il convient d’utiliser de préférence sont donc ceux qui ne sont pas décomposés par l’eau, à la température où doit se manifester leur action spéciale.

Je ne voudrais pas vous laisser cependant sous cette impression que les cristallisations réalisées dans ces conditions particulières sont les seules utiles à la science.

Le minéralogiste peut tirer partie de l’étude des cristaux préparés dans des conditions très différentes de celles qui ont présidé à leur formation dans les roches ou dans les filons. Car c’est en s’écartant volontairement des conditions de production naturelle, qu’on peut obtenir des détails complètement nouveaux sur la structure intime et multiplier le nombre des corps polymorphes.

Ainsi l’analcime naturelle est clinorhombique et l’analcime préparée par M. de Schulten est, au gré de cet expérimentateur, rhomboédrique ou cubique. Des faits de ce genre ont un intérêt tout à fait indépendant des procédés de préparation.

Nous voyons, par tout ce qui précède, quels sont le nombre et la variété des services que les expériences de synthèse ont rendus et peuvent rendre à notre science. Nous voyons en même temps quelle large place il convient d’accorder à la minéralogie synthétique parmi les différentes branches de la minéralogie générale.

La minéralogie synthétique est une science toute française. Née des travaux d’Ebelmen, elle a été renouvelée, développée d’une manière inattendue par les découvertes de Sainte-Claire Deville et en quelque . sorte fécondée par l’influence prépondérante qu’a exercée ce savant sur les travaux de ses contemporains et de ses successeurs.

Les titres de Sainte-Claire Deville à l’admiration des minéralogistes sont de l’ordre le plus élevé. Il a, comme autrefois Berzélius, et avec non moins de succès, perfectionné les méthodes d’analyse des minéraux ; il a, comme plus récemment Ebelmen, reconstitué des minerais et des silicates au moyen de leurs éléments. Plus heureux que cet ingénieux expérimentateur, Sainte-Claire Deville a pu travailler assez longtemps pour former, par ses exemples et ses conseils, de nombreux disciples, et pour créer des méthodes synthétiques réalisant un ensemble de conditions compatibles avec le jeu des phénomènes naturels.

P. Hautefeuille.

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