Biographies scientifiques de La Science Illustrée : Lavoisier

Alexandre Rameau : La Science Illustrée N°71 — 6 avril 1889
Dimanche 17 mai 2009 — Dernier ajout dimanche 1er mars 2015

Malgré la gloire qui environne le nom de Lavoisier, la vie du créateur de la chimie moderne n’a été l’objet d’aucune étude approfondie. Sauf ce que les courtes biographies de Lalande, de Fourcroy et de Cuvier nous ont appris, on ne sait rien de son existence si bien remplie et toute dévouée à la recherche de la vérité. On ignore ses vertus privées, son civisme, sa philanthropie intelligente, les services qu’il a rendus à son pays comme académicien, économiste, agriculteur et financier.

M. Edouard Grimaux, professeur à l’école polytechnique, a comblé cette lacune, en mettant à profit les papiers de Lavoisier conservés dans la famille de l’illustre savant aussi bien que dans les archives publiques. L’ouvrage qu’il vient de publier [1] est, semble-t-il, définitif.

La famille de Lavoisier est originaire de Villers-Cotterets. Antoine Lavoisier, mort en 1629, était un simple postillon, chevaucheur des écuries du roi ; son fils fut maître de poste, et ses descendants s’élevèrent peu à peu dans la hiérarchie sociale. L’un d’eux occupait à la fin du XVIIe siècle les fonctions de procureur au bailliage de Villers-Cotterets : Marié en 1705 à Jeanne Waroquier, fille d’un notaire de Pierrefonds, il envoya son fils Jean-Antoine faire ses études à la Faculté de droit de Paris et y prendre le titre d’avocat.

Jean-Antoine, né en 1713, succéda en 1741 à son oncle Waroquier, procureur au parlement de Paris et de son mariage avec Mlle Émilie de Punctis, fille de l’avocat Clément Punctis, naquit, le 16 août 1743, celui qui devait s’immortaliser dans la science : Laurent-Antoine Lavoisier. L’enfant fit de brillantes études au collège Mazarin. Il eut d’abord l’amour des lettres et rêva la gloire de l’écrivain, mais dès son année de philosophie il prit le goût des sciences. Avocat au parlement, il n’en étudia pas moins les mathématiques et l’astronomie avec le savant abbé de Lacaille, la botanique avec Bernard de Jussieu, la minéralogie avec Guettard. De plus, il suivait au Jardin du Roi les cours de Rouelle et s’exerçait dans le laboratoire de ce professeur aux manipulations chimiques. Au milieu de ces études variées, il cherchait sa voie ; d’abord, à vingt ans, il semble se vouer surtout à l’étude des mathématiques, en même temps qu’il est attiré par la météorologie. Dès ce moment, il commence dans sa maison du Four-Saint-Eustache les observations barométriques qu’il devait poursuivre toute sa vie avec la plus grande régularité ; il fait de nombreuses excursions, et en 1765 il présente à l’Académie des sciences des recherches originales sur les différentes espèces de gypse, recherches qui inaugurèrent la longue série de mémoires dont il enrichit pendant trente ans les recueils de la Compagnie. Après ce travail, il fut quelque temps détourné des recherches de chimie par des études sur l’éclairage des rues de Paris. Ce sujet avait été mis au concours par l’Académie, et Lavoisier remporta le prix (1766). Il s’était enfermé dans sa chambre qu’il avait fait peindre en noir et il y était resté plus de six semaines sans voir d’autre lumière que celle des lampes sur lesquelles il expérimentait. Bientôt après, il donna un Mémoire sur les couches des montagnes, et plusieurs études moins importantes sur le tonnerre,les aurores boréales, le passage de l’eau à l’état de vapeur, etc. Enfin, en 1768, à l’âge de vingt-cinq ans, il entra à l’Académie des sciences.

Comme il désirait se livrer avec indépendance aux recherches scientifiques, il sollicita et obtint en 1759 une place de fermier général, dont les revenus devaient lui permettre de subvenir aux dépenses de ses travaux. Non content de remplir ponctuellement ses fonctions, il s’efforça de perfectionner les rouages de l’administration et de rendre moins onéreuse la perception des impôts. Chargé de l’administration des fermes du Clermontois, il délivra les Juifs d’un impôt vraiment odieux : les Juifs obligés de traverser le Clermontois devaient, en effet, payer un droit dit de pied fourchu, qui les assimilait aux porcs !

Quelques années plus tard, Lavoisier fut nommé inspecteur général des poudres et salpêtres : ses recherches sur la poudre permirent l’introduction de plusieurs réformes importantes.

La chimie, appliquée à l’agriculture, occupait aussi Lavoisier ; il possédait et cultivait 240 arpents de terre, et il améliora tellement les procédés de culture qu’en neuf ans la production de sa terre avait doublé. Lors de la convocation des états généraux, Lavoisier, nommé député suppléant, soumit à l’Assemblée le 21 novembre 1789 un compte rendu des opérations de la Caisse d’escompte, à laquelle il avait été attaché en 1788. Déjà, il avait présenté en 1787 à l’Assemblée provinciale de l’Orléanais des projets relatifs à la fondation de caisses d’escompte, d’épargne, de retraite et d’assurance pour toute la généralité d’Orléans. En 1790, il prit part aux travaux de la commission du système métrique. Enfin, en 1 791, il proposa pour la perception de l’impôt un plan dont la Constituante vota l’impression.

Ce savant si utile à son pays, si riche de gloire, si intègre même, finit pourtant sa vie sur l’échafaud révolutionnaire. La ferme générale avait soulevé non sans raison des haines passionnées, et Lavoisier ne fut pas épargné, bien qu’il fût indemne de tout reproche.

C’est le 5 mai 1794 que Dupin présenta à la Convention un réquisitoire qui aboutit au renvoi des fermiers généraux devant le tribunal révolutionnaire comme coupables de concussion.

Le 7 mai, Lavoisier subit un interrogatoire, et le 8 il comparut avec ses coaccusés devant le tribunal. Mais laissons la parole à M. Grimaux.

La condamnation n’était pas douteuse ; les jurés, disons-le pour l’honneur de l’humanité, étaient sans doute convaincus de la culpabilité des fermiers généraux, proclamée par le rapport de Dupin et par le décret de la Convention après un examen de comptes qui avait duré plus de cinq mois. Mais le tribunal révolutionnaire n’avait pas le moyen de frapper des crimes de concussion commis avant la Révolution. Quel article de loi pouvait être invoqué contre les fermiers généraux, à quel titre demander une condamnation ? Le génie retors de Coffinhal, ancien procureur au Châtelet, suppléa au silence de la loi par la forme qu’il donna aux questions posées au jury :

« A-t-il existé un complot contre le peuple français tendant à favoriser par tous les moyens possibles les ennemis de la France, en exerçant toute espèce d’exactions et de concussions sur le peuple français, en mêlant au tabac de l’eau et des ingrédiens nuisibles à la santé des citoyens, en prenant 6 et 10 pour 100, tant pour l’intérêt des différents cautionnements que pour la mise des fonds nécessaires à l’exploitation de la ferme générale, tandis que la loi n’en accorde que quatre, en retenant dans leurs mains des fonds qui devaient être versés au trésor national, en pillant et volant par tous les moyens possibles le peuple et le trésor national, pour enlever à la nation des sommes immenses et nécessaires à la guerre contre les despotes soulevés contre la République et les fournir à ces derniers ? »

Ainsi Coffinhal avait l’infamie d’accuser, sans aucun indice, les fermiers généraux de complicité avec l’étranger, crime digne de la mort ; il inventait des accusations nouvelles dont ne parlaient ni le rapport de Dupin ni le réquisitoire de Fouquier, et, dédaigneux de toute vraisemblance, prétendait que les intérêts abusivement prélevés évanti 780 privaient la nation des sommes nécessaires à la guerre de i794.

Le jury à l’unanimité déclara les accusés coupables ; l’heure pressait, les charrettes attendaient la fournée des condamnés pour les conduire à la place de la Révolution. La hâte des juges était telle que la déclaration du jury ne fut pas inscrite sur la minute du jugement, comme on peut le constater encore sur la pièce originale. Dobsen relèvera ce fait lors du procès de Fouquier-Tinville.

Coffinhal prononça le jugement : « La déclaration du jury portant qu’il est constant qu’il a existé un complot contre le peuple français tendant à favoriser, de tous les moyens possibles, le succès des ennemis de la France ; …

Que Clément Delage, Danger-Bagneux, Paulze, Lavoisier (suivent les noms des autres fermiers généraux) sont tous convaincus d’être auteurs ou complices de ce complot ;

Le tribunal, après avoir entendu l’accusateur public sur l’application de la loi, condamne les susnommés à la peine de mort, conformément à l’article 4 de la première section du titre 1er de la cinquième partie du code pénal dont il a été fait lecture, lequel est ainsi conçu : Toute manœuvre, toutes intelligences avec les ennemis de la France tendant, soit à faciliter leur entrée dans les dépendances de l’empire français, soit à leur livrer des villes, des forteresses, ports, vaisseaux, arsenaux ou magasins appartenant à la France, soit à leur fournir des secours en soldats, argent, vivres ou munitions, soit à favoriser d’une manière quelconque le progrès de leurs armes sur le territoire français ou contre les armées de force de terre ou de mer, soit à ébranler la fidélité des officiers, soldats ou des autres citoyens envers la nation française, seront punis de la peine de mort.

Déclare les biens des condamnés acquis à la République ;

Ordonne qu’à la diligence de l’accusateur public, le présent jugement sera exécuté dans les vingt-quatre heures. »

C’est au moyen de cet article de loi que le tribunal frappait ses victimes ; c’est celui qu’on avait invoqué pour conduire les dantonistes à l’échafaud.

L’arrêt étant prononcé, les condamnés furent ramenés à la Conciergerie. L’huissier Nappier signifia le jugement au concierge Richard et lui remit vingt huit décharges individuelles, rédigées à la hâte et peut-être d’avance, et les vingt-huit condamnés furent abandonnés au bourreau. Les charrettes s’emplirent et s’acheminèrent vers la place de la Révolution ; à cette dernière heure,ceux que la mort allait frapper restèrent silencieux. Seul Papillon d’Auteroche, voyant sur son passage la foule en carmagnole, dit dédaigneusement par allusion à la confiscation de ses biens : « Ce qui me chagrine, c’est d’avoir de si déplaisants héritiers. »

Ils furent exécutés dans l’ordre de leur inscription sur l’acte d’accusation ; Lavoisier vit tomber la tête de Paulze, son beau-père et son ami, puis fut exécuté le quatrième. Tous subirent dignement la mort, sans faiblesse ; les injures de la populace leur furent épargnées ; le peuple, loin de les insulter semblait plutôt les plaindre, Il était cinq heures et l’huissier rédigeait, impassible, ses procès-verbaux d’exécution : « Je me suis transporté en la maison de justice dudit tribunal pour l’exécution du jugement rendu par le tribunal ce jourd’huy contre Lavoisier, qui le condamne à la peine de mort, et de suite je l’ai remis à l’exécuteur des jugemens criminels et à la gendarmerie, qui l’ont conduit sur la place de la Révolution, où, sur un échafaud dressé sur ladite place, ledit Lavoisier, en notre présence, a subi la peine de mort. »

Ainsi mourut Lavoisier ; ses restes furent jetés au cimetière de la Madeleine, le silence se fit autour de son nom ; seuls, quelques amis purent exhaler leurs regrets dans l’intimité. Le lendemain Lagrange disait à Delambre : « Il ne leur a fallu qu’un moment pour faire tomber cette tête, et cent années peut-être ne suffiront pas pour en reproduire une semblable. » Pour toute oraison funèbre, les insultes des journaux ; l’un deux opposait le sang qui ruisselait sur l’échafaud aux lits de pourpre sur lesquels les fermiers généraux étendaient leur mollesse.

Quelques jours après, la Décade philosophique, faisant l’éloge de l’lnstruction sur la fabrication du salpêtre, dont on venait de donner une seconde édition ; n’osait rappeler le nom de l’auteur, au moment même ou Carny utilisait, pour la défense nationale, les procédés de raffinage rapide du salpêtre dus à Lavoisier.

En présence de cette marche fatale des événements qui, par degrés insensibles, conduisit Lavoisier de la prison du Port-Libre à l’échafaud du 19 floréal, on se demande avec angoisses si le dévouement d’amis puissants n’aurait pu conserver cette précieuse existence ; on cherche des responsabilités, et l’histoire a le droit de reprocher leur inertie aux hommes de science qui avaient fréquenté Lavoisier, qui connaissaient la puissance de son génie, la noblesse de son caractère. Quelles démarches ont tenté pour le sauver ses anciens amis qui siégeaient à la Montagne et faisaient partie du club des Jacobins ? Mme Lavoisier était-elle injuste, dans l’irritation de sa douleur, en accusant les savants de la mort de son mari, et Lalande pensait-il à quelque rival de Lavoisier quand il écrivait cette phrase énigmatique : « Son crédit, sa réputation, sa fortune, sa place à la Trésorerie lui donnèrent une prépondérance dont il ne se servait que pour faire le bien, mais qui n’a pas laissé de lui faire bien des jaloux. J’aime à croire qu’ils n’ont pas contribué à sa perte ? »

Pendant cinq mois, du 4 frimaire au 19 floréal, aucun des élèves ou des collaborateurs de Lavoisier n’intervient en sa faveur : ni Monge, que ses rapports avec Robespierre compromettront après le 9 thermidor ; ni Hassenfratz, dont Lavoisier avait soutenu la candidature à l’Académie, et qui était devenu un des membres actifs du club des Jacobins, ni Guyton de Morveau, qui, aux jours de prospérité, lui adressait tant de lettres amicales ; ni Fourcroy, qui, par sa conduite ambiguë et timorée, s’attirera l’accusation injuste et sanglante d’avoir demandé la mort de son maitre.

Certes, ce fut là une calomnie, œuvre d’un ennemi personnel, et aucun document ne permet de trouver à cette imputation le moindre indice de vérité.

« Pendant sept armées où nous l’avons connu,dit M. Chevreul, jamais il ne s’est présenté une circonstance de nature à nous le faire juger défavorablement ; comme homme public ou comme homme privé, il eut de nombreux amis qui lui restèrent fidèles. »

« Il fut accusé, dit Thibaudeau, d’avoir précipité vers l’échafaud ou laissé périr des savants qui étaient au premier rang de la carrière. Je voyais Fourcroy tous les jours, jamais je n’ai surpris une parole, un sentiment capable d’ébranler la haute estime que j’avais autant pour son caractère moral que pour ses grands talents. »

L’histoire nous le fait juger moins favorablement. Plein de vanité et d’ambition, avide d’occuper le premier rang, — et il l’occupa après la mort de Lavoisier, — Fourcroy dut sa haute fortune à la vivacité de son intelligence, à la facilité de sa parole, à l’art avec lequel il présenta les doctrines de la chimie pneumatique, à laquelle il s’était rallié en 1786. Chimiste de second ordre, il fut professeur sans égal. Par son enseignement, par ses remarquables écrits, le Système des connaissances chimiques, le Dictionnaire de chimie et l’Encyclopédie méthodique, il eut une influence capitale sur la diffusion des idées nouvelles. Il serait injuste de le méconnaitre ; mais sa réputation ne fut qu’un reflet de la gloire du maître, et les historiens, en les mettant sur le même plan, ont confondu le vulgarisateur habile et le génie créateur.

Tandis que Lavoisier était tout entier à son rôle plus obscur de membre des commissions scientifiques, Fourcroy s’avançait dans la carrière politique. Nommé à la Convention en 1793, il entrait immédiatement au Comité d’instruction publique, où il contribuait à la suppression de l’Académie des sciences, que défendait en vain Lavoisier soutenu par Lakanal et Grégoire. Partout son ardent civisme demandait des épurations : à l’Académie des sciences, à la Société de médecine, au Lycée de la rue de Valois. « Caractère faible, dénué de toute espèce de ressort », dit M. Chevreul ; « plein de versatilité », suivant Grégoire, son collègue au Comité d’instruction publique, Fourcroy était de ces gens qui, sans conviction profonde, sont en temps de révolution menés tour à tour par l’ambition et par la peur. Asservi au pouvoir, il fut jacobin fougueux et courtisan de Bonaparte ; le 18 frimaire an II (8 décembre 1793), pendant le scrutin épuratoire au club des Jacobins, il faisait étalage de ses sentiments de civisme, et, quinze ans après, il mourait de chagrin parce qu’il croyait avoir encouru la disgrâce de Napoléon.

Cependant il ne manquait pas de vertus privées ; pendant la Terreur, il sauva le chimiste Darcet, et eut la délicatesse de le lui laisser ignorer ; il prit une part active aux grands travaux du comité d’instruction publique, mais la faiblesse de son caractère l’a empêché de tenter des démarches qui eussent pu le compromettre. Il l’avoue lui-même quand, dans l’éloge de Lavoisier, il s’écrie : « Reportez-vous à ces temps affreux … où la terreur éloignoit les uns des autres même les amis, où elle isoloit les individus des familles jusque dans leur foyer, où la moindre parole, la plus légère marque de sollicitude pour les malheureux qui vous précédoient dans la route de la mort, étoient des crimes et des conspirations. »

C’est donc bien la peur qui a retenu Fourcroy, et on ne saurait, pour l’excuser, admettre avec M. Chevreul que toute démarche pour sauver Lavoisier eût été inutile. Certes, à la dernière heure, le jour du jugement, il était trop tard ; mais la mort de Lavoisier n’a pas été un de ces coups de foudre qu’on ne pouvait prévoir ; des dévouements puissants, des amitiés ardentes auraient eu le temps de se montrer. Si les membres de la Convention, amis ou disciples de Lavoisier, s’étaient réunis pour agir auprès de Robespierre, du comité de salut public, du comité de sûreté générale ou du rapporteur Dupin, s’ils avaient rappelé les grandes découvertes de Lavoisier, les services rendus à la patrie, signalé les progrès réalisés dans la production du salpêtre et la fabrication de la poudre, s’ils avaient hautement déclaré qu’il était urgent de le mettre en réquisition pour le service de la République, qui dit que leurs voix n’auraient pas été écoutées ? Borda, suspect comme ex-noble, Haüy, prêtre insermenté, ont protesté contre l’arrestation, et Monge, et Hassenfratz, et Guyton, et Fourcroy sont restés silencieux ! Hallé et les autres membres du bureau de consultation témoignent en faveur de la grande victime, même auprès du tribunal révolutionnaire, et aucun conventionnel ne se joint à eux ! Dupin promet à Pluvinet, homme obscur, d’arracher Lavoisier au supplice, et il aurait été rebelle aux instances de ses collègues de la Convention ! Lavoisier n’aurait-il pu être sauvé quand il a suffi d’un désir de Robespierre pour que Fouquier-Tinville effaçât de son acte d’accusation le fermier général Verdun ?

Tel est le récit que fait M. Grimaux des derniers moments de Lavoisier.

Une pareille fin est d’autant plus déplorable que l’œuvre scientifique de Lavoisier est de premier ordre et que cet illustre Français a fait faire à la science chimique d’immenses progrès après l’avoir créée. Sa principale découverte est celle de l’oxygène. Pour arriver à cette découverte, Lavoisier prit une cornue contenant du mercure, et mit le col en communication avec une éprouvette en partie pleine d’air ; il nota la hauteur du mercure dans l’éprouvette, puis chauffa pendant douze jours celui de la cornue. Il vit alors la surface du métal chauffé se couvrir de lamelles rouge orangé ; c’était de l’oxyde rouge de mercure. Après le refroidissement, il mesura la hauteur de l’air dans l’éprouvette, et constata que l’air avait diminué d’environ 1/6. Lavoisier vit une bougie allumée s’éteindre dans le gaz de l’éprouvette et les animaux y mourir ; il donna le nom d’azote au gaz qui restait après l’opération, nom impropre qu’il a cependant conservé. Puis il prit l’oxyde rouge de mercure et le chauffa dans une cornue, qui bientôt ne contint plus que du mercure métallique, après un dégagement de gaz incolore, dans lequel un charbon allumé brûlait à la façon du phosphore. De là il conclut que l’air était formé de deux gaz : l’un, l’azote, impropre à la combustion et à la vie ; l’autre, l’oxygène, agent indispensable de ces deux phénomènes. Lavoisier parvint même à reconstituer l’air ordinaire en mélangeant en proportions convenables les deux gaz qu’il avait isolés. Puis, multipliant les expériences, il reconnut que l’oxygène entre dans la composition des acides et des bases, et ce fait, d’une portée immense, le conduisit à établir, avec Guyton de Morveau, une nomenclature chimique aussi simple que facile.

En 1766, Cavendish avait découvert le gaz hydrogène : Lavoisier étudia les propriétés du nouveau corps. Il reconnut que ce gaz, en brûlant, donne de l’eau, et il fut porté à penser que l’eau était une combinaison de ce gaz et d’oxygène ; il donna même au gaz inflammable le nom d’hydrogène, pour exprimer cette propriété.

Au mois de septembre 1777, Lavoisier déposa à l’Académie des sciences un mémoire où il établit que les mots air, vapeurs, fluides aériformes ne désignent qu’un mode particulier de la matière ; puis, il montra que, si la chaleur volatilise les corps, toute pression apporte à ce changement une résistance qu’on peut évaluer. On peut donc dire que Lavoisier est le premier chimiste qui ait sérieusement abordé l’étude des gaz ; aussi est-ce à juste titre qu’on lui a donné le nom de fondateur de la chimie pneumatique.

Ses travaux, pendant les quelques années qui précédèrent sa mort, se portèrent surtout vers la chimie appliquée à la physiologie. On lui doit la fameuse théorie de la respiration, qui, légèrement modifiée, est encore acceptée aujourd’hui. En 1785, il donnait un mémoire, où il avançait que la respiration n’est pas une simple combustion du carbone, mais qu’il y a aussi de l’hydrogène brûlé, avec formation de vapeur d’eau.

Alexandre RAMEAU.

[1Lavoisier, par Ed. Grimaux, Paris, Félix Alcan, éditeur 1 vol. in-8 avec gravures hors texte.

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