Un arbre qui produit du beurre : l’avocatier

Victor Forbin, Sciences et voyages N°232 - 7 février 1924
Mardi 5 mai 2009 — Dernier ajout mercredi 20 mars 2024

Victor Forbin, Sciences et voyages N°232 - 7 février 1924

C’est l’avocatier,qui croit dans l’Amérique tropicale. Sa découverte est due au ministère de l’agriculture des États-Unis qui a organisé une mission qui parcourt en ce moment le globe à la recherche des arbres et des fruits nouveaux.

La plante que nous allons étudier ici n’a pas la moindre relation avec ce produit que le commerce vend à nos ménagères sous le nom de beurre végétal. Mais elle seule aurait droit à cette expression, car les fruits de l’avocatier fournissent une pulpe qui, par son goût, sa saveur et sa consistance, comme aussi par ses principes nutritifs, peut se comparer très avantageusement au beurre véritable, au beurre animal !

Ces fruits sont fort peu connus en France. Tandis que certains fruits tropicaux, comme la banane et l’ananas, supportent bien le long voyage, l’avocat se refuse à toute expatriation.

La raison de cette différence n’est pas difficile à découvrir. La banane, par exemple, jouit de cette propriété qu’elle mûrit lentement, après avoir été détachée de sa tige. Dans les pays de production, le paysan n’attend jamais sa maturité pour la cueillir.

Il tranche la grappe de bananes (ou régime) quand il juge, par certains indices, qu’elle a atteint son complet développement, et il l’accroche toute verte à un support, soit dans l’intérieur de sa chaumière, soit en dehors.

Peu à peu, les bananes jaunissent, et deviennent mangeables. Et c’est sur ce principe qu’est basée l’exportation des bananes : on les embarque dans les cales du navire avant leur maturité.

Au contraire, l’avocat doit être cueilli mûr. Comme sa chair est très délicate, et qu’elle n’est protégée que par une écorce très fine, il s’ensuit qu’il se gâte rapidement.

Nous devons ajouter que l’arbre ne s’est pas encore acclimaté hors de son habitat naturel, qui est l’Amérique tropicale. Cependant, les savants arboriculteurs du ministère de l’agriculture des États-Unis ont découvert des variétés de cette précieuse plante qui s’accommodent fort bien du climat sub-tropical de plusieurs régions du Sud et du Sud-Ouest de la vaste république.

Nous rappellerons que ce ministère a organisé scientifiquement l’exploration agricole du globe, comme d’autres organes publics en ont poursuivi l’exploration géographique, géologique, ethnographique ou zoologique.

Son Bureau of Plant Industry envoie, dans toutes les parties du monde, des botanistes expérimentés qui poursuivent systématiquement la recherche de plantes nouvelles, susceptibles d’augmenter les ressources naturelles des États-Unis.

C’est l’un de ces vaillants agricultural explorers, M. Wilson Popenoe, qui, après avoir parcouru de vastes régions de l’Amérique centrale, a fini par découvrir les variétés d’avocatier qui pouvaient s’acclimater aux États-Unis.

« Nous avons maintenant, nous écrivait-il le mois dernier, près de 1 000 acres (une acre valant un peu plus de 4 000 mètres carrés) plantées en avocatiers, tant en Floride qu’en Californie.

Nous avons bon espoir que cette récolte deviendra avant peu d’une grande importance commerciale.

L’avocat possède un pouvoir nutritif si élevé, et l’on peut le produire en si grande quantité, par comparaison avec d’autres récoltes alimentaires, que nous avons la conviction qu’un avenir plein de promesses attend cet arbre dans notre pays … »

Pour décrire l’avocatier, nous aurons recours un peu à nos souvenirs personnels, et beaucoup aux écrits de M. Wilson Popenoe, qu’il a bien voulu nous communiquer, en même temps que les très intéressantes photographies prises par lui, au cours de ses explorations agricoles, et dont nous avons le plaisir d’offrir ici la primeur à nos lecteurs.

Avocatier est une adaptation du mot aouïcate dont les Caraïbes, indigènes des Antilles, désignaient cet arbre. Les populations de langue espagnole- emploient le mot avocado ou abocado.

Il appartient au genre des lauracées-cinnamomées. C’est un bel arbre dont la hauteur peut atteindre une vingtaine de mètres, avec une largeur à la base de plus d’un mètre. Le feuillage, qui est très épais, forme une masse d’une vingtaine de mètres de largeur, chez un arbre de ces dimensions.

Comme il pousse assez rapidement, et qu’il a terminé son développement en une quinzaine d’années, on le plante dans les plantations de caféier pour fournir de l’ombrage aux jeunes plants, car le caféier est un arbre capricieux qui exige de la chaleur, mais qui ne supporte pas les rayons directs du soleil.

Avant de parler de la culture de l’avocatier, nous consacrerons une description aux fruits, que nos créoles des Antilles appellent parfois des « poires d’avocat ». Ainsi qu’on le constatera par l’une des belles photographies de M. Wilson Popenoe, le véritable avocat ressemble bien à une de ces grosses poires dites de curé qui croissent abondamment dans la région de I’île-de-France.

Mais la ressemblance ne s’applique qu’à l’extérieur. Dès que l’on ouvre l’avocat, on s’aperçoit bien qu’il diffère considérablement de son sosie.

L’écorce, mince et résistante, et dont la couleur varie du vert au violet pourpre, s’enlève. chez le fruit mûr, sans l’aide du couteau.

Sous cette écorce apparaît la chair, qui a une saveur si spéciale qu’il est très difficile de la décrire. C’est une pulpe qui donne l’impression de fondre dam la bouche. comme le ferait un morceau de beurre.

L’impression s’explique par ce fait que la chair de l’avocat ne renferme pas la moindre trace de fibre. Elle ne laisse donc pas de ces résidus que rencontrent les dents, lorsqu’elles mâchent une poire ou une pomme, dont le cœur contient une matière plus ou moins cartilagineuse qui enveloppe les pépins.

Le centre du fruit est occupé par un énorme noyau, recouvert d’une sorte de peau très fine, et qui affecte la forme même du fruit. Ce noyau, qui n’adhère pas à la chair, se détache pour ainsi dire de lui-même, dès que l’on a ouvert le fruit.

L’avocat, partout où il croît, est une ressource alimentaire de très grande importance. Il présente cet avantage très appréciable que sa maturité s’espace sur un intervalle de cinq à six mois, qu’il se vend à très bon marché, et que, grâce aux graisses et au sucre que contient sa pulpe, il peut remplacer dans un repas la viande et les fruits.

Dans plusieurs régions du Guatemala visitées par M. Wilson Popenoe, on peut obtenir, en dehors des grandes villes, deux avocats pour un sou. Si l’on songe qu’un seul de ces fruits pèse de deux à trois livres, on voit que la dépense est médiocre !

« Bien des Indiens. écrit l’auteur, considèrent qu’ils ont fait un excellent repas, lorsqu’ils ont mangé un avocat et quatre ou cinq tortillas (petites galettes de mais), le tout arrosé d’une tasse de café.

« Le coût d’un pareil festin dépasse rarement deux cents, ou centimes de dollar (soit dix centimes de franc). »

Dans les Antilles, et aussi dans différentes contrées de l’Amérique du Sud que j’ai visitées, on trouve presque toujours des tranches d’avocat sur les tables des restaurants : c’est un article dispensable, et qui ne s’inscrit pas plus sur le menu que le pain ou le sel.

On le mange « nature », soit au commencement du repas, soit à la fin. On peut aussi l’accommoder en salade. Quel que soit le mode employé, c’est une nourriture savoureuse à condition que le fruit ait été cueilli au bon moment, et nous verrons plus loin qu’il ne l’est pas toujours !

Au Guatemala, les Indiens cassent le fruit en deux moitiés, sans se servir du couteau, et, parfois, saupoudrent de sel la pulpe, avant de l’attaquer. A l’aide d’un morceau de tortilla, ils « tapent dans la masse », comme nous en agirions avec un morceau de pain et une motte de beurre.

Dans les restaurants, on trempe des tranches d’avocat dans la soupe, au moment de la servir. Elle y gagne une saveur toute spéciale,

Enfin, en écrasant complètement la pulpe et en la pétrissant avec du vinaigre, du sel, du poivre et des oignons finement hachés, on obtient un plat des plus savoureux.

On tire de l’avocat une huile qui s’emploie avec succès pour guérir les brûlures. Les Indiens du Guatemala ont la conviction que la pulpe frottée sur les cheveux et le cuir chevelu arrête la calvitie.

Le noyau, qui est très riche en tanin, est réduit en une poudre que l’on fait bouillir dans un peu d’eau. Le remède est très efficace contre la dysenterie et les dérangements intestinaux.

Quant au bois,il n’a de valeur, ni comme bois de construction, ni comme bois de chauffage. Mais nous avons vu déjà que l’arbre, à cause de son feuillage touffu, rend des services sur les plantations de caféier.

L’avocatier ne commence à produire qu’au bout de cinq ans, et M. W. Popenoe croit qu’il continue à produire abondamment jusqu’à l’âge de soixante ans.

D’après certains planteurs, les meilleurs seraient produits par des arbres de vingt à vingt-cinq ans, Mais, comme la culture de cet arbre n’a jamais été entreprise au Guatemala d’une façon rationnelle, elle présente encore beaucoup de points obscurs.

La récolte que fournit un avocatier est d’une abondance fantastique. M. Popenoe nous apprend qu’un seul arbre peut produire en saison 1 000 fruits pesant chacun de 550 à 600 grammes, ou, dans les variétés à petits fruits, 3 000 avocats pesant chacun de 250 à 300 grammes.

Mous avons noté que ces arbres sont assez élevés. Pour cueillir les fruits, on les abat tout simplement en lançant un lourd bâton. dans branches, ou encore en les cognant avec une longue perche.

Par bonheur, le fruit, en tombant à terre, ne s’abîme pas, comme le font, en pareils cas, les poires et les pommes de nos pays, qui perdent leur valeur de « fruits à couteau » dès qu’elles ont subi un choc.

Nous avons dit que le moment favorable à la cueillette est assez difficile à déterminer. Si le fruit est cueilli trop tôt, sa chair n’a pas encore acquis son « fondant ». et sa saveur. S’il l’est trop tard, cette pulpe devient si molle que le fruit n’est plus transportable et doit être mangé sur-le-champ.

Pour certaines variétés, le problème n’est pas difficile à résoudre, car l’enveloppe extérieure se revêt d’une nuance qui indique la maturité. Pour les autres, le fruit ne changeant pas de couleur, il est de règle d’attendre que l’arbre soit en complète floraison avant de commencer la cueillette.

Et c’est une des particularités de l’avocatier que ses fruits sont si solidement attachés qu’ils ne se détachent jamais d’eux-mêmes, comme le font la poire et tant d’autres fruits.

La saveur des avocats augmente considérablement, lorsqu’on les conserve quelques jours dans une caisse remplie de paille ou de foin, et placée dans une pièce exposée au soleil. Les Indiens obtiennent des résultats plus rapides en rangeant les fruits sur des claies placées, assez haut au-dessus du foyer de leur hutte.

L’avocatier présente cette autre particularité fort remarquable qu’il croit et prospère à des altitudes très variées, à condition qu’il reste sous les tropiques.

Une espèce, originaire des Antilles, ne prospère qu’à une altitude inférieure à 300 mètres. C’est exprimer qu’il lui faut le maximum de chaleur, et d’un bout de l’année à l’autre.

D’autres espèces ne donnent pas de fruits dans les terrains élevés à moins de 300 ou 350 mètres au-dessus du niveau de la mer. A mesure que l’altitude s’élève, on rencontre d’autres variétés acclimatées à d’autres conditions climatériques.

M. Wilson Popenoe a même découvert une espèce qui donne de beaux et nombreux fruits à une altitude de 8 500 pieds, soit environ 2800 mètres, c’est-à-dire dans une région sujette à des gels, bien que située sous les tropiques.

Il va de soi qu’à cette variété d’altitudes correspond une variété dans les époques de maturité. Et c’est ce qui explique pourquoi, dans un pays chaud et montagneux comme l’est le Guatemala, on peut trouver des avocats mûrs d’un bout à l’autre de l’année.

Par exemple, les arbres poussant à plus de 2 000 mètres donnent leur récolte de mai à août, alors que ceux qui poussent à moins de 1 000 mètres fournissent des fruits de novembre à février.

On voit que cette plante joue bien un rôle providentiel dans ces régions tropicales, rôle que l’on pourrait presque comparer à celui de la banane pour d’autres parties de l’Amérique, ou à celui de la datte pour le littoral africain de la Méditerranée.

M. Wilson Popenoe est d’opinion que l’avocat est destiné à faire concurrence à l’orange, dans toute l’étendue des États-Unis. C’est très possible. Déjà, un New-Yorkais peut obtenir pour dix sous un avocat de bonne taille.

Quand la culture de cet arbre se sera développée en Floride et en Californie, le prix actuel diminuera automatiquement. L’avocat n’est pas de ces fruits tropicaux dont un blanc doit « faire son apprentissage » avant de leur trouver bon goût : il plaît à tous les palais !

Une fois de plus, nous aurons montré ici les services éminents que les agricultural explorers du ministère de l’Agriculture américain rendent à leur pays, en découvrant de nouvelles espèces qui ajoutent bientôt à ses ressources et à ses richesses.

V. FORBIN

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