La Transmission sans fil de l’énergie

R. Villers, La Nature N°2408 - 29 Mai 1920
Jeudi 23 avril 2009 — Dernier ajout dimanche 3 juin 2012

Depuis que l’on connait les effets de l’induction électrique, on peut dire que les inventeurs ont rêvé. au problème de la transmission sans fi de l’énergie. La découverte des ondes hertziennes, le développement des radiocommunications ont fait naître de nouveaux espoirs. Voici de nombreuses années déjà que Tesla a proposé et même expérimenté divers dispositifs pour résoudre pratiquement le problème. Jusqu’ici les efforts tentés n’ont pas eu de succès.

La télégraphie sans fil, la téléphonie sans fil, la télémécanique sont bien,si l’on veut, des transmissions d’énergie sans fil, mais dont le rendement est extrêmement faible. Il n’est pas actuellement possible de transmettre économiquement par des’ procédés de ce genre une puissance utilisable par exemple dans un moteur récepteur.

Nous trouvons dans un récent article de M. Benson, publié par l’Electrical Experimenter de New York. l’exposé d’une conception toute différente et fort audacieuse. Il ne s’agit, pour l’instant et pour longtemps sans doute.que d’une simple spéculation, et non d’une réalisation pratique. Mais l’idée est assez originale pour mériter d’être exposée.

Elle a été suggérée à son auteur par les travaux d’un chercheur anglais, M. Hettinger ; celui-ci cherche. à réaliser des postes de télégraphie sans fil à grande portée sans antennes matérielles. On sait que tout poste radioélectrique comporte essentiellement un générateur de courants à haute fréquence, et un système conducteur, antenne ou cadre métallique, relié à la terre par une extrémité, isolé à l’autre, qui sert à rayonner à travers l’espace l’énergie oscillante qui lui est communiquée par le générateur. On sait que pour les postes à grande puissance, il faut des . antennes de très grandes. dimensions et très élevées au-dessus du sol.

Or les métaux ne sont pas les. seuls conducteurs électriques dont nous disposions. Les gaz eux-mêmes dans certaines circonstances, notamment sous l’action des faisceaux intenses de rayons ultra-violets, deviennent conducteurs de l’électricité. On dit qu’ils sont ionisés. M.Hettinger propose donc d’utiliser comme antenne, un cylindre vertical ,d’air atmosphérique ionisé au moyen d’une source puissante de rayon ultra-violets : lampe à arc ou à vapeur de mercure. Ce dispositif est représenté sur la figure 1. Une lampe à rayons ultra-violets, envoie ses rayons à travers un écran métallique perforé qui sert à établir la connexion entre le faisceau de gaz ionisé et la terre. On a ainsi un ensemble conducteur qui peut servir d’antenne. Une disposition semblable est reproduite au poste récepteur. Les rayons ultra-violets sont rapidement absorbés par l’air atmosphérique ; la hauteur du cylindre de gaz, conducteur et par suite la portée du poste seront d’autant plus grandes que l’intensité de la source productrice de rayons ultra-violets sera plus forte.

Il y a donc là une méthode, toute théorique, il est vrai, pour débarrasser les grands postes des constructions métalliques qui les encombrent aujourd’hui.

M. Benson reprenant l’idée de M. Hettinger, la développe audacieusement et imagine des sources de rayons ultra-violets assez puissantes pour é me tt r e des faisceaux capables de franchir toute l’épaisseur de notre atmosphère, en l’ionisant sur leur parcours. Et voici le parti qu’il envisage d’en tirer.

L’atmosphère terrestre, dit-il, comporte deux parties : la première au voisinage immédiat de notre sol s’étend sur une hauteur d’une quinzaine de kilomètres, et est composée d’air assez dense pour former isolant électrique ; mais aux altitudes supérieures, où l’air se trouve à un état de plus en plus raréfié, les observations montrent que les couches atmosphériques sont ionisées et par suite conductrices de l’électricité ; cet état d’ionisation est dû très vraisemblablement aux rayons ultra-violets émis par le soleil et absorbés dans les hautes régions de l’atmosphère terrestre. Ainsi notre globe apparaît comme formé de deux immenses conducteurs électriques, Je sol d’une part, la haute atmosphère d’autre part séparés par une couche isolante.

Si l’on réussit à établir des liaisons conductrices entre le sol et la haute atmosphère, on disposera de gigantesques circuits conducteurs sur lesquels on pourra transmettre telle puissance électrique que l’on voudra. Ces liaisons conductrices M. Benson les imagine réalisées au moyen de faisceaux de rayons ultra-violets capables de franchir toute l’épaisseur non conductrice de l’atmosphère.

Ceci admis, on pourra transmettre l’énergie sans aucun conducteur matériel de la façon suivante (fig, 2) : une station génératrice d’énergie A, émet un faisceau B de rayons ultra-violets qui atteint la couche conductrice de l’atmosphère ; elle peut transmettre, sur ce faisceau conducteur d’énergie électrique, des courants électriques qui seront recueillis en un point quelconque du circuit, même fort éloigné de la station à condition que, en ce point, la station émettrice puisse fermer le circuit, ce qu’elle fera également au moyen d’un conducteur formé par un cylindre d’air ionisé par des rayons ultra-violets.

Un navire par exemple, porteur de puissants projecteurs à vapeur de mercure, fermera par ce moyen un circuit récepteur d’énergie parlant de la station centrale, passant par le faisceau ultra-violet de cette station, la haute atmosphère ionisée, et venant se relier au sol en passant par les faisceaux récepteurs du navire.

Un dirigeable pourrait se servir du même procédé, et serait dispensé d’emporter à bord les puissants moteurs nécessaires à sa propulsion.

Une question capitale se pose cependant. Quelle est la puissance nécessaire pour réaliser dans l’atmosphère des faisceaux ionisants de 16, 20 km de portée ? M. Benson ne l’a pas examinée. Et nous ne savons pas si l’énergie à mettre en jeu pour réaliser ces séduisants conducteurs gazeux ne représente pas un chiffre rédhibitoire, supérieur par exemple pour un navire, à la puissance nécessaire pour réaliser la propulsion par les vulgaires moyens d’aujourd’hui.

R. Villers

Revenir en haut