Télémètre électrique de M. G. Le Goarant de Tromelin, Enseigne de vaisseau

Gaston Tissandier, La Nature N°353 - 6 mars 1880
Lundi 9 mars 2009 — Dernier ajout dimanche 25 août 2019

Le nouveau télémètre que nous allons décrire, en reproduisant les dessins de La Lumière électrique est une solution très élégante du problème suivant : déterminer, par une simple lecture, exactement, rapidement et à chaque instant, la distance d’un objet mobile, éloigné et inaccessible.

Le principe de l’appareil est représenté fig. 1. On vise de deux observatoires 0,0’ placés à une distance connue, 1200 mètres, par exemple, le point N, dont on veut connaître la distance à l’observatoire O. Si, par un procédé quelconque, nous obligeons une droite Aa, tournant autour du point A,à rester toujours parallèle à l’axe de la lunette O’L de l’observatoire O’, nous formerons deux triangles semblables OAn et OO’N. Si la distance OA est de 1,20 m, le côté 00’ ayant 1 200 mètres, il en résultera que chaque millimètre sur le côté On correspondra à une longueur de un mètre sur le côté 0N et que, en lisant la distance On exprimée en millimètres sur une règle graduée R, ce nombre sera l’expression en mètres de la distance ON. Maintenir toujours le parallélisme entre la droite Aa, et l’axe de la lunette O’L’, tel est le rôle de l’électricité dans le télémètre de M. de Tromelin.

L’appareil se compose donc de deux parties distinctes, un manipulateur placé en O’ ; il a pour effet de distribuer des courants électriques qui dépendent du mouvement de la lunette L’ , et d’un récepteur, qui utilise ces courants pour faire mouvoir l’aiguille Aa. L’ensemble constitue une sorte de télégraphe à deux fils.

Manipulateur. Il se compose d’une lunette L’ (fig. 1), portant un secteur denté S mis en mouvement par une vis tangente V, reliée à une manivelle M. En tournant cette manivelle dans un sens ou dans l’autre, on fait tourner la lunette à droite ou à gauche, ce qui permet de suivre l’objet mobile.

Sur l’axe de la vis tangente est placé le distributeur de courants, représenté figure 2, et dont nous allons étudier la fonction.

Une roue à 8 cames est fixée sur l’axe de la vis. un galet g, relié à une tige r formant ressort, s’appuie constamment sur cette roue.

Lorsque le galet est dans un creux, le ressort r ne touche pas la pointe d et le courant venant de la pile F ne passe pas dans le fil relié à la borne B" du récepteur. Si on tourne la manivelle de droite à gauche, le plateau tournera ; il y aura un contact en d, et par suite une émission de courant, chaque fois qu’une des cames du plateau sera en face du galet g.

Pour chaque tour de la vis sans fin il y aura huit émissions de courant, le récepteur recevra huit fois le courant électrique,l’aiguille Aa se mouvera sous l’influence de ces courants, comme nous le verrons tout à l’heure.

Sur l’axe de la vis sans fin, est fixé un immerseur I monté à frottement sur cet axe ; Cet inverseur est relié par un fil à la borne B du récepteur ; lorsqu’on tourne la manivelle de droite à gauche, la tige I vient toucher en B, et le courant qui traverse ce fil est positif car il vient de Ia pile C ; si l’on tourne de gauche à droite, l’inverseur entraîné par le frottement touche la borne B" et l’on envoie un courant négatif venant de la pile D.

En résumé, le manipulateur produit les effets suivants :

1° En tournant M de droite à gauche, le fil B1 reçoit un courant continu positif, et le fil B2 des courants intermittents, à raison de huit pour chaque tour de manivelle.

2° En tournant M de gauche à droite, le fil B1 reçoit un courant continu négatif, et le fil B2, des courants intermittents comme dans le premier cas.

3° Au repos, le fil B2 ne reçoit aucun courant, le galet g se logeant dans la gorge des cames et la tige I de l’inverseur , conserve sa dernière position.

Récepteur. Les courants arrivent par deux fils aux bornes B1 et B2 (fig. 3).

Le récepteur se compose d’un mouvement d’horlogerie M qui, par une série de roues S2S3 transmet son mouvement à une roue d’angle N reliée à l’axe des roues e et S3 par un joint à la Cardan. Le courant venant de B2 traverse un électro­aimant devant lequel est placé une armature A2, qui par une disposition facile à concevoir, mais non représentée pour ne pas compliquer le dessin, vient agir sur la roue dentée e et laisse échapper une dent chaque fois qu’il se produit une émission de courant. La roue e et par suite la roue d’angle N entraînée par le mouvement d’horlogerie, tourne d’une dent et toujours dans le même sens, à chaque émission de courant venant du manipulateur par le fil B2.

Le fil B1 traverse un second électro-aimant E1, devant lequel est une armature polarisée A1, armature polarisée par un aimant en fer à cheval NS. Suivant le sens du courant qui traverse l’électro­aimant E1 cette armature prend deux positions différentes, à cause des attractions ou des répulsions produites par les pôles de nom contraire ou de même nom.

Cette armature, en prenant une de ses deux positions, entraîne l’axe z de la roue N qui engrène alors avec la roue H, comme dans le cas du dessin, ou avec la roue K dans le cas contraire, il en résulte que le mouvement de la vis V se fait dans un sens ou dans l’autre suivant que le courant qui traverse E1l est positif ou négatif. Comme la vis V est reliée à un cercle denté S1 analogue à celui du manipulateur, la règle Aa fixée sur ce secteur suit tous les mouvements. Par cette disposition, un peu difficile à expliquer , mais très ingénieuse, tous les mouvements de la lunette L’ du poste O’ se transmettent électriquement à la règle Aa, il n’y a qu’à lire la distance sur la règle graduée de la lunette L.

Chaque mouvement de l’aiguille Aa correspond à un déplacement angulaire de 1’52",5 , ce qui permet d’obtenir la distance avec une très grande approximation.

Cet appareil est appelé à jouer un grand rôle dans la défense des passes, car il permettra de déterminer très rapidement la vitesse d’un navire et facilitera le lancement des torpilles Whittehad ; il sera aussi très utile aux forts de l’artillerie des côtes, qui ont à tirer souvent sur des buts mobiles et très éloignés.

Ce système a été expérimenté à Lorient et a été l’objet d’un rapport favorable de la part d’une Commission spéciale nommée par M. le ministre de la marine.

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