Les maladies virulentes : le choléra des poules

Louis Pasteur, La Nature N°353, 6 mars 1880 et N°354, 13 mars 1880
Dimanche 8 mars 2009 — Dernier ajout mercredi 8 avril 2020

Les maladies virulentes comptent parmi les plus grands fléaux. Pour s’en convaincre, il suffit de nommer la rougeole, la scarlatine, la variole, la syphilis, la morve, le charbon, la fièvre jaune, le typhus, la peste bovine. Cette liste, déjà si chargée,est loin d’être complète. Toute la grande pathologie est là.

Aussi longtemps qu’ont régné les idées de Liebig sur la nature des ferments, les virus furent considérés comme les substances livrées à un mouvement intestin, capable de se communiquer aux matériaux de l’organisme et de transformer ces derniers en virus de même nature. Liebig n’ignorait pas que l’apparition des ferments, leur multiplication et leur puissance de décomposition offrent avec les phénomènes de la vie des rapprochements saisissants ; mais ce n’est là, disait-il dans l’introduction de son Traité de Chimie organique, qu’un mirage trompeur.

Toutes les expériences que j’ai communiquées depuis vingt-trois ans à l’Académie des Sciences ont concouru, soit directement, soit indirectement, à démontrer l’inexactitude des opinions de Liebig. Une méthode, pour ainsi dire unique, m’a servi de guide dans l’étude des organismes microscopiques. Elle consiste essentiellement dans la culture de ces petits êtres à l’état de pureté, c’est-à-dire dégagés de toutes les matières hétérogènes mortes ou vivantes qui les accompagnent. Par l’emploi de cette méthode, les questions les plus ardues reçoivent parfois des solutions faciles et décisives. Je rappellerai une des premières applications que j’en ai faites (1857-1858). Les ferments, disait Liebig, sont toutes ces matières azotées de l’organisme, fibrine, albumine, caséine, etc., dans l’état d’altération qu’elles éprouvent par l’effet du contact de l’air. On ne connaissait pas de fermentation où de telles matières ne fusent présentes et agissantes. La spontanéité était partout invoquée, dans l’origine et la marche des fermentation" comme dans celles des maladies. Afin de démontrer que l’hypothèse du savant chimiste allemand n’était, à son insu, pour me servir de son expression, qu’un mirage trompeur, je composais des milieux artificiels comprenant seulement de l’eau pure avec les substances minérales nécessaires à la vie, des matières fermentescibles et les germes des ferments de ces diverses matières. Dans ces conditions, les fermentations s’accomplirent avec une régularité et une pureté, si l’on peut dire ainsi, qu’on ne trouvait pas toujours dans les fermentations spontanées de la nature. Toute matière albuminoïde se trouvant écartée, le ferment apparaissait comme un être vivant qui empruntait à la matière fermentescible tout le carbone de ses générations successives et au milieu minéral l’azote, le phosphore, le potassium, le magnésium, éléments dont l’assimilation est une des conditions indispensables de la formation de tous les êtres, grands ou petits.

Dès lors, non seulement la théorie de Liebig n’avait plus le moindre fondement, mais les phénomènes de la fermentation se présentaient comme de simples phénomènes de nutrition, s’accomplissait dans des conditions exceptionnelles, dont la plus étrange et la plus significative, sans doute, est l’absence possible du contact de l’air.

La médecine humaine, comme la médecine vétérinaire s’emparèrent de la lumière que leur apportaient ces nouveaux résultats. On s’empressa notamment de rechercher si les virus et les contages ne seraient pas des êtres animés. Le docteur Davaine (1863) s’efforça de mettre en évidence les fonctions de la bactéridie du charbon, qu’il avait aperçue dès l’année 1850 ; le docteur Chauveau (1868) chercha à établir que la virulence était due aux particules solides antérieurement aperçues dans tous les virus ; le docteur Klebs (1872) attribua les virus traumatiques à des organismes microscopiques ; le docteur Koch (1876), par la méthode des cultures, obtint les corpuscules-germes de la bactéridie, semblables de tout point à ceux que j’avais signalés dans les vibrions (1865-1870), et l’étiologie de plusieurs autres maladies fut rapportée à l’existence de ferments microscopiques, Aujourd’hui, les esprits les plus rebelles à la doctrine de la théorie des germes sont ébranlés. Mais quelle obscurité pourtant voile sur plusieurs points la vérité !

Dans la grande majorité des maladies virulentes, le virus n’a pu être isolé, encore moins démontré vivant, par la méthode des cultures, et tout se réunit pour faire de ces inconnues de la pathologie, des causes morbides mystérieuses. L’histoire des maladies qu’elles provoquent, présente également des circonstances extraordinaires, au nombre desquelles il faut mettre en première ligne l’absence de récidive. Quelle étrange circonstance ! C’est à peine si l’imagination trouve à hasarder de ce fait une explication hypothétique ayant une base expérimentale quelconque, N’est-il pas plus surprenant encore d’observer que la vaccine, maladie virulente elle-même, mais bénigne, préserve et de la vaccine et d’une maladie plus grave, la petite vérole ? Et ces faits sont connus dès la plus haute antiquité. La variolisation et la vaccination sont des pratiques connues dans l’Inde de temps immémorial, et, lorsque Jenner démontra l’efficacité de la vaccine, le peuple des campagnes où il exerçait la médecine savait que la picote des vaches, ou cow-pox, préservait de la variole. Le fait de la vaccine est unique, mais le fait de la non-récidive des maladies virulentes paraît général. L’organisme n’éprouve pas deux fois les effets de la rougeole, de la scarlatine, du typhus, de la peste, de la variole, de la syphilis, etc… ; du moins l’immunité persiste pendant un temps plus ou moins long.

Quoique l’humilité la plus grande soit une obligation en face de ces mystères, j’ose penser que dans les faits qui vont suivre on trouvera des éclaircissements inattendus sur les problèmes que soulève l’étude des maladies virulentes.

Parfois se déclare dans les basses-cours une maladie désastreuse qu’on désigne vulgairement sous le nom de choléra des poules, L’animal en proie à cette affection est sans force, chancelant, les ailes tombantes, Les plumes du corps, soulevées, lui donnent la forme en boule. Une somnolence invincible l’accable. Si on l’oblige à ouvrir les yeux, il paraît sortir d’un profond sommeil, et bientôt les paupières se referment ; et, le plus souvent, la mort arrive sans que l’animal ait changé de place, après Une muette agonie. C’est à peine si quelquefois il agite les ailes pendant quelques secondes, Les désordres intérieurs sont considérables. La maladie est produite par un organisme microscopique, lequel, d’après le Dictionnaire de Zundel, aurait été soupçonné en premier lieu par M. Moritz, vétérinaire dans la haute Alsace, puis mieux figuré en 1878 par M. Peroncito, vétérinaire de Turin, et enfin retrouvé en 1879 par M. Toussaint, professeur à l’École vétérinaire de Toulouse, qui a démontré, par la culture du petit organisme dans l’urine neutralisée, que celui-ci était l’auteur de la virulence du sang.

Dans l’étude des maladies parasitaires microscopiques, la première et la plus utile condition à remplir est de se procurer un liquide où l’organisme infectieux puisse se cultiver facilement et toujours sans mélange possible avec d’autres organismes d’espèces différentes. L’urine neutralisée qui m’avait servi avec tant de succès pour démontrer qu’une culture répétée quelconque de la bactéridie de Davaine était bien le virus charbonneux ( 1877, Pasteur et Joubert) remplit ici très mal le double but dont il s’agit. Mais un milieu de culture merveilleusement approprié à la vie du microbe du choléra des poules est le bouillon de muscles de poule, neutralisé par la potasse et rendu stérile par une température supérieure à 100° (110° à 115°). La facilité de multiplication de l’organisme microscopique dans ce milieu de culture tient du prodige. En quelques heures, le bouillon le plus limpide commence à se troubler et se trouve rempli dune multitude infinie de petits articles d’une ténuité extrême, légèrement étranglés à leur milieu, et qu’à première vue on prendrait pour des points isolés. Ces petits articles n’ont pas de mouvement propre ; ils font certainement partie d’un tout autre groupe que celui des vibrions. J’imagine qu’ils viendront se placer un jour auprès des virus, aujourd’hui de nature inconnue, lorsqu’on aura réussi à cultiver ces derniers, comme j’espère qu’on est à la veille de le faire.

La culture de notre microbe présente des particularités fort intéressantes. Dans mes études antérieures, un des milieux de culture que j’ai utilisés avec le plus de succès est l’eau de levure, c’est-à-dire une décoction de levure de bière dans de l’eau, amenée par la filtration à un état de parfaite limpidité, puis rendue stérile par une température supérieure à 100°. Les organismes microscopiques les plus divers s’accommodent de la nourriture que leur offre ce liquide, surtout s’il a été neutralisé. Par exemple, vient-on à y semer la bactéridie charbonneuse, elle y prend en quelques heures un développement surprenant. Chose étrange, ce milieu de culture est tout à fait impropre à la vie du microbe du choléra des poules ; il y périt même promptement, en moins de quarante-huit heures. N’est-ce pas l’image de ce qu’on observe quand un organisme microscopique se montre inoffensif pour une espèce animale à laquelle on l’inocule ? Il est inoffensif, parce qu’il ne se développe pas dans le corps de l’animal, ou que son développement n’atteint pas les organes essentiels à la vie.

La stérilité de l’eau de levure ensemencée par le microbe qui nous occupe offre un moyen précieux de reconnaître la pureté des cultures de cet organisme dans le bouillon de poule. Une culture pure ensemencée dans l’eau de levure ne donne aucun développement : l’eau de levure reste limpide. Elle se trouble et se cultive, dans le cas contraire, par les organismes d’impureté.

Je passe à une particularité plus singulière encore de la culture du microbe auteur du choléra des poules. L’inoculation de cet organisme à des cochons d’Inde est loin d’amener la mort aussi sûrement qu’avec les poules. Chez les cochons d’Inde, d’un certain âge surtout, on n’observe qu’une lésion locale au point d’inoculation, qui se termine par un abcès plus ou moins volumineux. Après s’être ouvert spontanément, l’abcès se referme et guérit sans que l’animal ait cessé de manger et d’avoir toutes les apparences de la santé. Ces abcès se prolongent souvent pendant plusieurs semaines avant d’abcéder, entourés d’une membrane pyogénique et remplis du pus crémeux, où le microbe fourmille à côté des globules de pus. C’est la vie du microbe inoculé qui fait l’abcès, lequel devient pour le petit organisme comme un vase fermé où il est facile d’aller le puiser, même sans sacrifier l’animal. Il s’y conserve, mêlé au pus, dans un grand état de pureté et sans perdre sa vitalité. La preuve en est que, si l’on inocule à des poules un peu du contenu de l’abcès, ces poules meurent rapidement, tandis que le cochon d’Inde qui a fourni le virus se guérit sans la moindre souffrance. On assiste donc ici à une évolution localisée d’un organisme microscopique, qui provoque la formation de pus et d’un abcès fermé, sans amener de désordres intérieurs ni la mort de l’animal sur lequel on le rencontre, et toujours prêt néanmoins à porter la mort chez d’autres espèces auxquelles on l’inocule, toujours prêt même à faire périr l’animal sur lequel il existe à l’état d’abcès, si telles circonstances plus ou moins fortuites venaient ,à le faire passer dans le Sang ou dans les organes splanchniques, Des poules ou des lapins qui vivraient en compagnie de cobayes portant de tels abcès pourraient tout à coup devenir malades et périr sans que la santé des cochons d’Inde parût le moins du monde altérée. Pour cela, il suffirait que les abcès des cochons d’Inde, venant à s’ouvrir, répandissent un peu de leur contenu sur les aliments des poules et des lapins. Un observateur, témoin de ces faits et ignorant la filiation dont je parle, serait dans l’étonnement de voir décimés poules et lapins, sans causes apparentes, et croirait à la spontanéité du mal, car il serait loin de supposer qu’il a pris son origine dans les cochons d’Inde, tous en bonne santé, surtout s’il savait que les cochons d’Inde sont sujets, eux aussi, à la même affection. Combien de mystères dans l’histoire des contagions recevront un jour des solutions plus simples encore que celle dont je viens de parler ! Repoussons les théories que nous pouvons contredire par des fait, probants, mais non par le vain prétexte que certaines de leurs applications nous échappent. Les combinaisons de la nature sont à la fois plus simples et plus variées que celles de notre imagination .

On sera mieux convaincu de ce que j’avance si j’ajoute que quelques gouttes d’une culture de notre microbe, déposées sur du pain ou de la viande qu’on donne à manger à des poules, suffisent pour faire pénétrer le mal par le canal intestinal, où le petit organisme microscopique se cultive en si grande abondance que les excréments des poules ainsi infectées font périr les individus auxquels on les inocule. Ces faits permettent de se rendre compte aisément de la manière dont se propage dans les basses-cours la très grave maladie qui nous occupe. Évidemment les excréments des animaux malades ont la plus grande part à la contagion. Aussi rien ne serait plus facile que d’arrêter celle-ci en isolant, pour quelques jours seulement les animaux, lavant la basse-cour à très grande eau, surtout à l’eau acidulée avec un peu d’acide sulfurique, qui détruit facilement le microbe, éloignant le fumier, puis réunissant les animaux. Toutes causes de contagion auraient disparu, parce que, pendant l’isolement, les animaux déjà atteints seraient morts, tant la maladie est rapide dans son action.

La culture répétée du microbe infectieux dans du bouillon de poule en passant toujours d’une culture à la suivante par l’ensemencement d’une quantité pourrait ainsi dire infiniment petite, par exemple par ce que peut emporter la pointe d’une aiguille simplement plongée dans la culture, n’affaiblit pas la virulence de l’organisme microscopique non plus, ce qui revient d’ailleurs à la même chose, que la facilité de sa multiplication à l’intérieur du corps des gallinacés. cette virulence est si grande que, par l’inoculation d’une minime fraction de goutte d’une culture,vingt fois sur vingt, la mort arrive en deux ou trois jours, et le plus souvent en moins de vingt-quatre heures.

Par certain changement dans le mode de culture, on peut faire que le microbe infectieux soit diminué dans sa virulence. C’est là le point vif de mon sujet. Je demande néanmoins la liberté de ne pas aller, pour le moment, plus avant dans ma confidence sur les procédés qui me permettent de déterminer l’atténuation dont je parle, autant pour conserver quelque temps encore l’indépendance de mes études que pour mieux en assurer la marche.

La diminution dans la virulence se traduit dans les cultures par un faible retard dans le développement du microbe ; mais, au fond, il y a identité de nature entre les deux variétés du virus. Sous le premier de ses états, l’état très infectieux, le microbe inoculé peut tuer vingt fois sur vingt, Sous le second de ses états,il provoque vingt fois sur vingt la maladie et non la mort. Ces faits ont une importance facile à comprendre : ils nous permettent, en effet, de juger, en ce qui concerne la maladie qui nous occupe, le problème de sa récidive ou de sa non-récidive. Prenons quarante poules, inoculons-en vingt avec un virus très virulent : les vingt poules mourront. Inoculons les vingt autres arec le virus atténué, toutes seront malades, mais elles ne mourront pas. Laissons-les se guérir et revenons ensuite, pour ces vingt poules, à l’inoculation du virus très infectieux : cette fois, il ne tuera pas. La conclusion est évidente : la maladie se préserve elle-même. Elle a le caractère des maladies virulentes, maladies qui ne récidivent pas.

Ne nous laissons pas éblouir par la singularité de ces résultats. Tout n’y est pas aussi nouveau qu’on pourrait le croire au premier abord. Ils ont cependant, sur un point capital, une nouveauté bien réelle qu’il s’agit de dégager. Avant Jenner, et lui-même a longtemps pratiqué cette méthode, comme je le rappelais précédemment, on variolisait. C’est-à-dire qu’on inoculait la variole pour préserver de la variole. Aujourd’hui, dans divers pays, on clavelise les moutons pour les préserver de la clavelée ; on inocule la péripneumonie pour préserver de cette très grave affection de l’espèce bovine. Le choléra des poules vient de nous offrir l’exemple d’une immunité du même genre. C’est un fait digne d’intérêt, mais qui n’offre pas une nouveauté de principe. La nouveauté vraiment réelle des observations qui précèdent, nouveauté qui donne beaucoup à réfléchir sur la nature des virus, c’est qu’il s’agit ici d’une maladie dont l’agent virulent est un parasite microscopique, un être vivant, cultivable en dehors de l’économie. Le virus varioleux, le virus vaccin, le virus de la morve, le virus de la syphilis, le virus de la peste, etc., sont inconnus dans leur nature propre. Le virus nouveau est un être animé, et la maladie qu’il provoque offre avec les maladies virulentes proprement dites ce point de contact inconnu jusqu’ici dans les maladies virulentes à parasites microscopiques : le caractère de la non-récidive. Son existence jette en quelque sorte un pont entre le terrain propre aux maladies virulentes à virus vivant et celui des maladies à virus dont la vie n’a jamais été constatée.

Je ne voudrais pas laisser croire que les faits présentent la netteté et la régularité mathématiques que j’ai invoquées. Ce serait ne pas se rendre compte de tout ce qu’il y a de variabilité dans les constitutions d’animaux pris au hasard dans un groupe d’animaux domestiques et dans les manifestations de la vie en général. Non, le virus très virulent du choléra des poules ne tue pas toujours vingt fois sur vingt ; mais, dans les faits qui ont passé sous mes yeux, il a tué au minimum dix-huit fois sur vingt dans les cas où il n’a pas tué vingt fois. Non, le virus atténué dans sa virulence ne conserve pas toujours la vie vingt fois sur vingt. Dam les cas de moindre conservation, ç’a été dix-huit et seize fois sur vingt. Il n’empêche pas davantage d’une manière absolue, et par une seule inoculation, la récidive de la maladie. On arrive plus sûrement à cet non-récidive par deux inoculations que par une seule.

Si nous rapprochons des résultats qui précèdent le grand fait de la vaccine dans ses rapports avec la variole, nous reconnaitrons que le microbe affaibli qui n’amène pas la mort se comporte comme un vaccin relativement à celui qui tue, puisqu’il provoque, en définitive, une maladie qu’on peut appeler bénigne, du moment qu’elle n’amène pas la mort et qu’elle préserve de la maladie sous sa forme mortelle. Que faudrait-il pour que ce microbe, de virulence atténuée, fût un véritable vaccin, comparable au vaccin du Cow-pox ? Il faudrait, si je puis ainsi parler, qu’il fût fixé dans sa variété propre et qu’on ne fût point contraint de recourir toujours à sa préparation d’origine quand n veut en user. En d’autres termes, on retrouve ici cette crainte qui, pour un temps, préoccupa Jenner. Lorsqu’il eut démontré que le cow-pox inoculé préservait de la variole, il crut que, pour empêcher cette maladie, on devrait toujours s’adresser au cow-pox de la vache. C’est, à tout prendre, le point où nous en sommes, touchant L’affection du choléra des poules, avec cette différence considérable, que nous savons que nous savons que notre vaccin, à nous, est un être vivant. Jenner reconnut bientôt qu’il pouvait se passer du cow-pox de la vache et faire passer le vaccin de bras à bras. Nous pouvons faire une tentative analogue en faisant passer notre microbe, être vivant, de culture en culture. Reprendra-t-il une virulence très active ou conservera-t-il sa virulence discrète ? Pour étonnantes qu’elles doivent paraitre, les choses arrivent conformément à cette secondes supposition. La virulence, du moins, dans le petit nombre de cultures successives que j’ai tentées, ne s’est pas exaltée, et, en conséquence, on peut croire que nous avons à faire à un véritable vaccin. Bien plus, un ou deux essais sont favorables à l’idée que le virus atténué se conserve tel en passant dans le corps des cochons d’Inde. En sera-t-il de même à la suite de plusieurs cultures et de plusieurs inoculations ? Des expériences ultérieures pourront seules répondre à ces questions.

Quoi qu’il en soit, nous possédons aujourd’hui une maladie à parasite microscopique qu’on peut faire apparaître dans des conditions telles qu’elle ne récidive pas, malgré son caractère parasitaire. En outre, nous connaissons une variété de son virus qui se comporte vis-à-vis d’elle à la manière du vaccin vis-à-vis de la variole.

Il résulte de ce qui précède qu’on peut facilement se procurer des poules malades de l’affection que l’on désigne sous le nom de choléra des poules, sans que la mort soit une conséquence nécessaire de la maladie. Cela revient à dire qu’on peut assister à la guérison de tel nombre de ces animaux qu’on voudra. Or, je ne crois pas que la clinique chirurgicale ait jamais rencontré des phénomènes plus curieux que ceux qui se manifestent dans ces conditions de retour à la santé à la suite des inoculations faites dans les gros muscles pectoraux, le microbe se multiplie dans l’épaisseur du muscle comme il le fait dans un vase. En même temps, le muscle se tuméfie, durcit et blanchit à sa surface et dans son épaisseur. Il devient tout lardacé, rempli de globules de pus, toutefois sans suppuration. Ses éléments histologiques se rompent avec une grande facilité, parce que le microbe, qui les imprègne par îlots nombreux, les altère et les désagrège en se nourrissant d’une partie de leur substance. Je donnerai plus tard des figures coloriées représentant ces curieux désordres qu’entraine la vie du microbe dans les cas de guérison. Le parasite est arrêté peu à peu dans son développement et disparait, en même temps que la partie nécrosée du muscle se rassemble, durcit et se loge dans une cavité dont tonte la surface ressemble à celle d’une plaie bourgeonnante de très bonne nature. La partie nécrosée finit par constituer un séquestre si bien isolé dans la cavité qui le renferme, qu’on le sent sous le doigt, à travers la peau, dans l’intérieur ou à la surface du muscle, et que, par la moindre incision, on peut le saisir avec une pince et l’extraire. La petite plaie faite à la peau se cicatrise tout de suite, et la cavité où le séquestre était logé se remplit peu à peu des éléments réparés du muscle.

J’ai hâte de terminer par une explication, qui paraitra à tous très légitime, du fait de la non-récidive de la maladie virulente qui nous occupe. Considérons une poule très bien vaccinée par une ou plusieurs inoculations antérieures du virus affaibli. Réinoculons cette poule. Que va-t-il se passer ? La lésion locale sera pour ainsi dire insignifiante, tandis que les premières inoculations, la première surtout, avaient provoqué une altération si grande du muscle qu’un énorme séquestre se sent encore sous les doigts. La cause des différences des effets de ces inoculations, réside tout entière dans une grande facilité relative du développement du microbe à la suite des premières inoculations, et, pour la dernière, dans un développement pour ainsi dire nul ou très faible et promptement arrêté. La conséquence de ces faits saute aux yeux, si l’on peut ainsi dire : le muscle qui a été très malade est devenu, même après guérison et réparation, en quelque sorte impuissant à cultiver le microbe, comme si ce dernier, par une culture antérieure, avait supprimé dans le muscle quelque principe que la vie n’y ramène pas et dont l’absence empêche le développement du petit organisme. Nul doute que cette explication, à laquelle les faits les plus palpables nous conduisent en ce moment, ne devienne générale, applicable à toutes les maladies virulentes.

Il me paraitrait superflu de signaler les principales conséquences des faits que je viens d’exposer. Il en est deux cependant qu’il n’est peut-être pas sans utilité de mentionner : c’est, d’une part, l’espoir d’obtenir des cultures artificielles de tous les virus, de l’autre, une idée de recherche des virus vaccins des maladies virulentes qui ont désolé à tant de reprises et désolent encore tous les jours l’humanité, et qui sont une des grandes plaies de l’agriculture dans l’élevage des animaux domestiques.

C’est un devoir et un plaisir pour moi d’ajouter, en terminant, que dans ces délicates et longues études j’ai été assisté, avec beaucoup de zèle et d’intelligence, par MM. Chamberland et Roux.

Louis Pasteur

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