Les poires d’angoisse

La Science Illustrée N° 549, 4 Juin 1898
Samedi 28 février 2009 — Dernier ajout dimanche 13 juin 2010

La poire d’angoisse et le bâillon jouent, dans notre moderne roman-feuilleton, un rôle de première importance. Ils permettent à l’auteur de rendre muet momentanément son héros, qui assiste impuissant aux scènes les plus épouvantables. Cela vaut mieux que de le tuer, d’autant qu’on peut en avoir besoin plus tard pour le dénouement.

Malheureusement, la poire d’angoisse n’a pas toujours joué un rôle purement fictif ; elle figure dans l’horrible arsenal des instruments de torture inventés par l’homme pour se donner la satisfaction de voir ses semblables se tordre dans les plus atroces souffrances.

Ces instruments avaient la forme d’une poire allongée qu’on introduisait très aisément dans la bouche du patient, mais en pressant un ressort, les différentes parties dont elle était formée s’écartaient les unes des autres ; la bouche était maintenue ouverte et le patient ne pouvait pousser que des cris inarticulés ; ainsi les oreilles des tortionnaires.

Il n’étaient pas incommodées et l’on pouvait faire subir paisiblement au malheureux tous les genres de questions ordinaires et extraordinaires.

On conçoit que ces instruments soient aujourd’hui d’une grande rareté ; ils n’étaient pas d’un usage courant comme un couteau ou un casse-noisettes.

Nous reproduisons une poire d’angoisse qui fait partie des collections du Louvre ; elle provient de la donation Sauvageot. En bas et à gauche se voit le ressort qui en détermine l’ouverture. Cette poire, qui date du XVIe siècle, est en acier damasquiné ; c’est une véritable œuvre d’art.

Le besoin d’orner tous les objets d’usage quelconque était sans doute irrésistible au moyen âge et pendant la Renaissance. Le malheureux qui « avalait » la poire devait peu se soucier des arabesques et des feuillages ornés dont elle était couverte ; la sentir plus petite eût mieux fait son affaire ; d’un autre côté les juges et les bourreaux devaient être fort indifférents à la parure de leurs engins. Nous voyons mal aujourd’hui le sympathique Deibler faisant damasquiner son prisme d’acier ou sculpter les montants de sa machine.

Quand nous disons que le patient était éloigné de toute préoccupation d’art, nous parlons à un point de vue général. L’histoire a enregistré cependant quelques-unes de ces exceptions qui, suivant la sagesse des nations, confirment la règle et lui donnent plus de force.

C’est ainsi que, en 1490, un ménétrier, condamné au gibet pour « quelque honeste larcin peu subtilement faict », demanda qu’un de ses confrères accompagnât son exécution en jouant de son instrument favori sur l’échelle de la potence, et le curieux est qu’il l’obtint.

Les poires d’angoisse ne sont pas les seuls instruments de supplice dont l’art ait cherché à masquer l’aspect rébarbatif.

Les sabres des bourreaux du moyen âge étaient souvent ornés d’un travail délicat. Le musée de Cluny possède la badelaire d’exécution d’un bourreau du Grand-Châtelet du XIIIe siècle ; sur le pommeau est représentée cette prison. Parfois l’ornement porte sur la lame, qui est gravée ou damasquinée.

Sur un compte royal de 1476, on voit qu’il fut payé 60 sous parisis au bourreau de Paris « pour avoir acheté une épée à feuille » servant à décapiter les condamnés et pour avoir fait remettre à point et rhabiller la vieille épée qui « estoit » éclatée et ébréchée en faisant la justice de messire Louis de Luxembourg.

Il ne faut pas oublier la fameuse Vierge de Nuremberg, coffre métallique, surmonté d’un visage de jeune femme, dont l’intérieur était armé de pointes aiguës et de lames tranchantes. Deux appendices, formant bras, étaient destinés à presser contre ces instruments meurtriers le corps du supplicié qu’on dévouait à ce mortel embrassement.

Quant aux autres instruments de torture ; la roue, le pal, la potence, les chaînes et les carcans, ils étaient d’une aimable simplicité et se passaient du secours de l’art.

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