Le cadavre (médecine légale)

G. Tourdes — Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, tome 11
Samedi 30 décembre 2017 — Dernier ajout mercredi 20 mars 2024

G. Tourdes — Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, tome 11

Le cadavre, νεχρος, πτωμα, de cadere, caro data vermibus, suivant le hasard d’une étymologie, désigne d’une manière générale, tout organisme végétal ou animal, dont la vie est éteinte. Dans un sens plus restreint, c’est le corps d’un animal privé de vie, et, quand cette expression n’est suivie d’aucune autre indication, elle s’applique au corps humain. Au moment où la vie cesse, le cadavre commence ; la mort imprime aux organes une apparence caractéristique. L’état de cadavre, transitoire et se modifiant chaque jour, finit avec la destruction des parties molles ; quand il ne reste plus que les os c’est le squelette et non le cadavre.

I. Historique

L’étude du cadavre est une des bases de la médecine, elle fait connaitre la structure des organes et leurs lésions ; mais l’horreur de la mort et les préjugés religieux ont longtemps fermé cette source d’instruction. S’il est plus que douteux qu’Hippocrate et Aristote aient ouvert des corps humains, c’est à Érophile et à Érasistrate, de l’école d’Alexandrie, 300 et 280 avant notre ère, qu’il faut rapporter les premières dissections. Celse, Pline, Rufus d’Éphèse, Arétée de Cappadoce, avaient des idées d’anatomie qui font soupçonner l’inspection du cadavre ; mais Galien lui-même n’a réalisé ses remarquables progrès en anatomie que par l’inspection de corps d’animaux ; c’est par hasard qu’il a examiné des os humains, retirés de rivières, de tombes isolées, ou provenant de corps privés de sépulture. Il faut descendre jusqu’à la fin du moyen âge pour trouver l’origine des études anatomiques. L’année 1250 fournit le premier document, qui atteste une dissection régulièrement établie. Les corps des suppliciés sont alors livrés au scalpel des médecins ; Mundini de Luzzi, en 1516, à Bologne, les autorisations données à Montpellier en 1576, et à Paris en 1478, telles sont les dates célèbres enregistrées par la science. À Strasbourg, en 1519 et en 1528, des dissections ont lieu sur des suppliciés ; en 1556, « benigne patriæ patrum favore, ultimo supplicia affectorum corpora facultati medicæ tradita fuere, ut in is anatome ererceatur ». Vers 1601, le magistrat de la ville livra à l’université les cadavres de l’hôpital, pour servir aux études anatomiques. Les travaux de Vesale, Fallope, Bérenger de Carpi, Eustache, Massa, Servet, Sylvius, Colombo, etc., ont fondé l’anatomie normale, et bientôt l’anatomie pathologique est inaugurée par Fabricius (1592), Bartholin, Théophile, Bonnet, Morgagni, Lieutaud.

L’application médico-légale est plus tardive, son origine est toute moderne.

L’antiquité mosaïque nous offre les premiers exemples de l’examen du cadavre, dans le but de découvrir lui crime. Les formalités minutieuses et les manipulations qui, de nos jours encore, précèdent les funérailles chez les Israélites, rendent peu probable qu’une mort violente puisse échapper aux recherches, et protègent contre le danger des inhumations précipitées. À Rome, malgré l’autorité de Gericke, nous ne trouvons que des anecdotes, pour attester l’inspection des cadavres. La mort subite du tribun Genucius, au moment où il allait défendre les intérêts du peuple, est attribuée à la colère des dieux, parce que son corps ne présente aucune trace de violence ; le médecin Antistius compte les vingt-trois blessures de César et constate qu’une seule était mortelle ; l’exposition de Germanicus fournit une preuve d’empoisonnement suffisante pour faire condamner Pison ! Ce n’est qu’au seizième siècle que nous trouvons l’examen du cadavre sérieusement Introduit dans un but médico-légal. La constitution criminelle de l’empereur Charles-Quint, prescrit, en 1532 (art. 149), qu’à la suite d’une mort réputée violente, les cadavres, avant l’inhumation, seront soigneusement examinés. À côté de cette sage ordonnance, qui fonde la médecine légale en Allemagne, quelles discussions singulières et quelles incertitudes encore ! La cruentation occupe les médecins : est-ce que le sang jaillit des blessures d’un cadavre, en présence du meurtrier ? Libavius, en 1594 ; Horst, en 1608 ; Piètre, Jean, à Paris, en 1634 ; Abernethe, 1619 ; 1659, Pfauz, 1664 ; Fasel, 1665 ; Vogt, 1667 ; Kirchmeyer, 1669 ; Frenzel, 1675 ; Hundeshagen, 1679 ; Roth, 1684 ; Garrnann, 1709 ; Alberti, 1726 ; de nombreux auteurs, dont les bibliographes se sont plu à réunir les noms, ont discuté sérieusement cette hypothèse bizarre, pour arriver à cette conclusion, que, chez la victime vivante, l’indignation peut de nouveau faire saigner les blessures, en présence de leur auteur. On croirait difficilement que l’utilité de l’inspection des cadavres ait pu être contestée. Les dissertations de Bodin, 1725, de Leyser, 1725, réfutées par Bæhmer, en 1747, ont eu la célébrité qui parfois s’attache aux paradoxes ; elles montrent avec quelle lenteur les idées les plus justes sont acceptées, lorsqu’elles blessent des préjugés anciens. Mais, dans le dix-huitième siècle, la question est bientôt résolue ; en Allemagne, elle fait de rapides progrès ; en France, il faut 1789 pour que l’examen médico-légal du cadavre tienne la place qui lui appartient dans la justice criminelle. Plusieurs points de vue, dans l’histoire du cadavre, sont tour à tour mis en évidence ; ainsi la question des inhumations précipitées et de la certitude de la mort, a occupé la science à diverses époques et a passionné l’opinion, donnant lieu à des travaux remarquables qui se continuent encore. Bruhier, Durande, Winslow , Louis Thierry, Hufeland , etc. ont autrefois attiré l’attention, aussi vivement que de nos jours, les recherches de MM. Bouchut, Josat, Deschamps, Julia Fontenelle, Van Hasselt, Larcher, etc. Les noms les plus illustres de la médecine légale, depuis Zacchias jusqu’à Metzger, Mende, Henke, Louis, Chaussier, Orfila, jusqu’aux travaux de Meckel, de Friedreieh, Devergie, Tardieu, se rattachent à l’étude du cadavre, agrandie aujourd’hui par les conquêtes nouvelles de l’anatomie pathologique et de l’histologie.

II. Législation.

Des dispositions légales s’appliquent à la mort, comme à la naissance ; elles ont une grande importance religieuse, sociale, médicale ; elles touchent à la médecine légale, comme à l’hygiène publique. La nécessité de ces prescriptions a toujours été reconnue ; elles ont varié suivant les pays ; elles ont pour but de constater régulièrement le décès, de préserver du péril des inhumations précipitées, de déterminer le mode d’inhumation, d’établir l’identité du mort, de découvrir les crimes, de reconnaître les causes des morts subites ou violentes, de préserver la santé publique des dangers qui résultent de la décomposition des corps. La déclaration du décès, le délai, la vérification, le permis d’inhumer, les mesures accessoires relatives à l’autopsie, à l’embaumement, au transport des corps, la sanction pénale contre les infractions aux lois et règlements sur les inhumations, la police des cimetières, sont réglés par la législation française, dont voici les principales dispositions, que le médecin a intérêt à connaître.

« Aucune inhumation ne sera faite sans une autorisation sur papier libre et sans frais, de l’officier de l’état civil qui ne pourra la délivrer qu’après s’être transporté auprès de la personne décédée, pour s’assurer du décès, et que vingt-quatre heures après le décès, hors les cas prévus par les règlements. » (Code Napoléon, article 77.) « En cas de décès dans les hôpitaux militaires, civils ou autres maisons publiques, les supérieurs, directeurs, administrateurs et maîtres de ces maisons, seront tenus d’en donner avis, dans les vingt-quatre heures, à l’officier de l’état civil qui s’y transportera pour s’assurer du décès et en dressera l’acte, conformément à l’article précédent, sur les déclarations qui lui auront été faites et sur les renseignements qu’il aura pris. Il sera tenu en outre, dans lesdits hôpitaux et maisons, des registres destinés à inscrire ces déclarations et les renseignements. » (Ibid., art. 80). Des règlements ont appliqué au moulage, à l’autopsie, à toutes les opérations qui se pratiquent sur la cadavre, les dispositions relatives à la vérification, au délai et au permis. (Arrêtés du préfet de la Seine, du 6 septembre 1839 et du 21 janvier 1841.) Une circulaire du ministre de I’intérieur, du 8 août 1859, s’en référant à une autre du 26 thermidor an XII, qui établissait que « l’exercice du droit que les citoyens ont de faire transporter les corps de leurs parents d’un point à l’autre, doit être précédé de mesures nécessaires pour empêcher la putréfaction, » détermine les précautions à prendre et règle un point d’hygiène publique, dont l’importance a beaucoup augmenté depuis la facilité des transports par chemin de fer.

Les officiers de l’état civil, par interprétation de l’article 77, ont depuis longtemps délégué l’obligation de vérifier les morts à des personnes compétentes. Un service de vérification des décès, confié à des médecins, est établi dans la plupart des villes. La circulaire du ministre de l’intérieur, en date du 24 décembre 1866, étend la vérification des décès à toute la France, et en fait une obligation et une charge communale. Le maire de chaque commune fera choix d’un ou de plusieurs docteurs en médecine, ou, à leur défaut, d’officiers de santé qui seront chargés de constater les décès ; ces médecins seront assermentés. Cette circulaire indique les précautions à prendre après les décès et rappelle les signes les plus certains de la mort. Le délai des vingt-quatre heures compte non du moment de la mort, mais à partir de la déclaration. Un rapport du médecin constatera les conditions exceptionnelles ou préjudiciables à la santé des familles, qui peuvent faire abréger ce délai.

« Lorsqu’il y aura des indices de mort violente ou d’autres circonstances qui donneront lieu de le soupçonner, on ne pourra faire l’inhumation qu’après qu’un officier de police, assisté d’un docteur en médecine ou en chirurgie, aura dressé procès-verbal de l’état du cadavre et des circonstances y relatives, ainsi que des renseignements qu’il aura pu recueillir sur les prénoms, nom, âge, profession, lieu de naissance et domicile de la personne décédée. » (C. N., art. 81.) « S’il s’agit d’une mort violente ou d’une mort dont la cause soit inconnue ou suspecte, le procureur du roi se fera assister d’un ou de plusieurs officiers de santé, qui feront leur rapport sur les causes de la mort et sur l’état du cadavre. » (Code d’instruction criminelle, art. 44 .)

« En cas de décès dans les prisons ou maisons de détention, il en sera donné avis sur-le-champ, par les concierges ou gardiens, à l’officier de l’état civil qui s’y transportera, comme il est dit en l’article 80, et rédigera l’acte de décès (84). Dans tous les cas de mort violente, ou dans les prisons et maisons de réclusion, ou d’exécution, il ne sera fait sur les registres aucune mention de ces circonstances, et les actes de décès seront simplement rédigés dans les formes prescrit es par l’article 79 (85) ».

Le § 3 du livre III du Code pénal punit les infractions aux lois sur les inhumations : « Ceux qui, sans l’autorisation préalable de l’officier public, dans le cas où elle est possible, auront fait inhumer un individu décédé, seront punis de six jours à deux mois d’emprisonnement et d’une amende de seize francs à cinquante francs, sans préjudice de la poursuite des crimes dont les auteurs de ce délit pourraient être prévenus dans cette circonstance. La même peine aura lieu contre celui qui auront contrevenu, de quelque manière que ce soit, à la loi et aux règlements relatifs aux inhumations précitées. » (C. P., art. 558.) « Quiconque aura recelé le cadavre d’une personne homicidée, ou morte des suites de coups ou de blessures, sera puni d’un emprisonnement de six mois à deux ans, et d’une amende de cinquante francs à quatre cents francs, sans préjudice des peines plus graves, s’il a participé au crime. » (C. P., art. 559-) « Sera puni d’un emprisonnement de trois mois à un an et de seize francs à deux cents francs d’amende, quiconque se sera rendu coupable de violation de tombeaux ou de sépultures, sans préjudice des peines contre les crimes ou les délits qui seraient joints à celui-ci. » (Art. 360.)

La police des cimetières est réglée par le décret du 23 prairial, an XII ; elle se rapporte à l’hygiène publique ; la médecine légale n’y est intéressée qu’en ce qui concerne les exhumations. Les obitoires ou maisons mortuaires, vitæ dubiæ aefla, dont le premier a été établi en 1790, à Weimar, sous l’influence de Hureland, et dont ridée avait été exprimée en France, en 1785, par Thierry, institution répandue en Allemagne et diversement appréciée, n’ont eu chez nous qu’une existence éphémère, dans un arrêté du 21 ventose, an IX, créant à Paris six temples funéraires qui n’ont jamais été construits. Établis dans le but de faciliter la vérification des décès, et d’empêcher les inhumations précipitées, les obitoires ont, pour utilité principale, d’être un lieu de dépôt pour les morts appartenant à la population indigente des grandes villes, entassée dans des logements étroits, et de permettre l’enlèvement rapide des corps en cas d’épidémie ou de maladies contagieuses. Une salle d’autopsie, jointe à ces asiles, facilite les opérations de la médecine légale, comme les recherches de l’anatomie pathologique.

III. Questions médico-légales.

Les problèmes dont la médecine légale se compose se l’apportent à des individus vivants, à des corps privés de vie, à des objets inanimés ; en adoptant cette division, on voit toute l’importance que présente l’histoire médico-légale du cadavre ; elle comprend les questions suivantes : 1° la constatation des décès, la mort apparente, les signes de la mort ;

2° la détermination de l’époque de la mort, les modifications éprouvées par le cadavre, la putréfaction ;

3° les rapports des altérations putrides avec les lésions traumatiques, pathologiques ou chimiques, et leur influence réciproque ;

4° la détermination des causes de la mort, la nature des blessures, des maladies ou des intoxications auxquelles l’individu a succombé ;

5° le diagnostic différentiel des blessures faites après la mort ou pendant la vie ;

6° les caractères d’identité fournis par l’examen du cadavre, les moyens de rendre au corps son aspect altéré par la putréfaction ;

7° les opérations médico-légales qui se pratiquent sur le cadavre, la levée du cadavre, l’autopsie, l’exhumation judiciaire, la conservation, dans un but médico-légal, des pièces anatomiques.

Ces différentes questions étaient autrefois traitées à l’occasion de l’étude du cadavre ; le développement qu’elles ont pris oblige à les rapporter à des articles spéciaux, où elles trouvent leur place naturelle. Nous nous occuperons ici des caractères généraux du cadavre, des modifications principales et des périodes, envisagées au point de vue de la certitude du décès et de l’époque de la mort.

IV. Caractères généraux.

La mort imprime à la physionomie une expression caractéristique ; l’attitude ne l’est pas moins ; un œil exercé ne peut méconnaître le fait qui vient de s’accomplir.

L’abolition des fondions qui appartiennent à la vie, un état physique et chimique particulier, des modifications instantanées et continues dans la couleur, dans la température, la forme, le poids, le volume, dans la consistance des tissus ; les principes immédiats ramenés peu à peu aux combinaisons de la nature inorganique : tels sont les faits généraux qui caractérisent le cadavre.

La circulation, la respiration se sont arrêtées tout à coup ; la sensibilité est éteinte ; les dernières manifestations intellectuelles et morales avaient cessé pendant l’agonie. À la contraction ultime, succèdent l’immobilité, le relâchement de fous les muscles, des sphincters en particulier ; la pupille se dilate ; les paupières s’entr’ouvrent ; la mâchoire s’abaisse saillies musculaires s’effacent ; la peau se décolore, la face pâlit et prend une teinte jaunâtre et couleur de cire ; le nez s’effile ; la vacuité des capillaires, l’affaissement des muscles, la rétraction de la peau donnent à la physionomie une apparence caractéristique. Les yeux perdent leur éclat. C’est la face hippocratique, puis cadavérique. La coloration jaune est surtout prononcée à la paume des mains et à la plante des pieds. Le refroidissement s’étend des extrémités et de la face au tronc. L’attitude est celle qu’avait le corps au dernier moment de la vie et que détermine sa pesanteur ; le plus souvent c’est le décubitus dorsal ; la pointe du pied tournée en dehors, le pouce fléchi vers la paume de la main, avec l’aplatissement des parties sur lesquelles le cadavre repose. Une odeur particulière se développe, les parasites émigrent. Quelques moments encore, et une légère roideur se manifestera aux mâchoires, les colorations de l’hypostase commenceront à paraître aux parties déclives ; bientôt on voit se modifier les signes qui caractérisaient le premier moment de la mort ; la rigidité cadavérique se produit et la coloration verdâtre de l’abdomen complète la série des preuves qui attestent l’extinction de la vie. Le diagnostic immédiat se base sur l’arrêt des battements du cœur constaté par l’auscultation, sur la dilatation instantanée de la pupille, sur l’expression faciale et sur la résolution musculaire. À ces signes se joignent ceux que fournit le commémoratif, et la conviction du médecin est formée ; elle suffit, par exemple, pour autoriser l’hystérotomie qui n’a de chance qu’au moment même où la vie vient de s’éteindre ; mais, pour l’inhumation, il faut la série des caractères qui établissent le diagnostic définitif. Quand une auscultation attentive a constaté pendant quatre ou cinq minutes que le cœur a cessé de battre, il est bien rare, suivant la remarque de M. Bouchut, que la mort ne soit pas réelle ; on a cependant quelques exemples de cessation complète des bruits cardiaques pendant une demi-heure, une fois même pendant six heures, et dans lesquels les malades ont pu être ramenés à la vie. Il est probable que la circulation continuait, trop faible pour impressionner l’oreille. Chez les animaux qui périssent brusquement, ouvrant le cœur lorsque l’auscultation ne constate plus aucun bruit, on voit encore quelques contractions partielles de cet organe. Si l’immobilité caractérise la mort, quelques mouvements cependant peuvent se produire sur le cadavre. Nous ne parlons pas des contractions provoquées par une irritation mécanique ou par un courant électrique. Ainsi, en pinçant fortement un muscle, le biceps par exemple, dans les premières heures qui suivent la mort, on détermine la formation d’une nodosité, qui indique la persistance de la contractilité de l’organe. Mais on a vu aussi se produire après la mort des mouvements qui semblaient avoir quelque chose de spontané. L’utérus conserve une contractilité qui suffit parfois pour déterminer l’expulsion d’un fætus. On a de curieux exemples de ces naissances après la mort et dans le sépulcre, « de partu post mortom, de partu in sepulcre. » Les contractions intestinales, dans certains genres de mort, se prolongent après l’agonie ; nous avons vu dans une hémorragie pulmonaire subitement mortelle, le sang qui avait passé dans l’estomac être entraîné au-delà de cet organe ; les matières de la digestion peuvent continuer à cheminer dans le tube digestif. L’iris subit des changements de forme ; dilatée d’abord, contractée ensuite, se dilatant de nouveau, la pupille présente de véritables mouvements, qui changent l’expression de la physionomie. Les mouvements vibratiles de la muqueuse respiratoire existent encore douze ou quinze heures après la mort et peuvent se prolonger au-delà. La même remarque s’applique aux spermatozoaires, qui conservent leurs mouvements caractéristiques douze heures, vingt heures après la mort, et au-delà ; nous avons vu ces mouvements se produire avec une remarquable persistance, trente-six heures après la mort, dans l’éjaculation d’un pendu ; des cellules spermatiques se sont encore remuées après soixante-douze heures. Dans le cadavre, tout mouvement ne cesse pas ; la motilité se maintient dans quelques organes comme une des dernières manifestations de la vie. Mais ce ne sont pas seulement les muscles de la vie organique qui présentent ces traces de mobilité, elle se conserve aussi dans les muscles qui étaient soumis à l’empire de la volonté. On a cité des exemples de grimaces, de secousses des membres chez des morts, à la suite de certaines maladies, et notamment du choléra. Nous ayons recueilli à Strasbourg une observation de ce genre : « Dans le mois de septembre 1849, un homme, âgé de cinquante ans, succombe en quelques heures à une attaque de choléra asiatique. L’interne de garde, M. D. Kiener, est appelé une demi-heure après pour constater le décès. Le cadavre, couché sur le dos, était couvert d’un drap. L’interne, en s’approchant du corps, est frappé de voir ce drap se soulever légèrement à la place qu’occupent les pieds ; il découvre les extrémités inférieures, et au bout d’une minute environ, il remarque un mouvement subit d’extension des orteils sur les métatarsiens et de flexion du pied sur la jambe. Ce mouvement ne dura qu’un instant et fut suivi de résolution, mais il se répéta de deux en deux minutes pendant un quart d’heure. Les intervalles devinrent ensuite plus grands, et ce ne fut qu’au bout d’une heure que l’immobilité complète s’établit. L’attention se porta aussitôt sur les extrémités supérieures, où la même série de mouvements se produisait ; les doigts et les mains étaient agités des mêmes contractions convulsives, simultanément avec les pieds ou sans ceux-ci. La face, les yeux, le tronc, étaient dans une immobilité absolue. Dès le début de cette observation, l’interne rechercha avec le plus grand soin tous les indices de vie. Aucun battement dans les artères ; l’auscultation, pratiquée à diverses reprises, ne fait rien entendre ; un miroir froid, placé devant la bouche, ne se recouvre point de vapeur ; un flocon de duvet, sur les lèvres, n’est agité par aucun souffle. Le biceps, pincé à plusieurs reprises, présente un bourrelet saillant, et ce phénomène se produisit encore après que tous les mouvements avaient cessé. » Cette observation est un exemple de ces mouvements après la mort qui pourraient faire croire à la persistance de la vie, si des faits authentiques n’avaient démontré l’existence de ce phénomène singulier. À ces mouvements du cadavre, nous ajouterons ceux qui résultent de la putréfaction, lorsque des gaz dérangent l’équilibre ; un bras, par exemple, se déplace et tombe ainsi qu’on l’a observé dans un obitoire où ce mouvement, dû à la pesanteur, fit partir le carillon d’alarme. Des mouvements variés peuvent ainsi troubler I’immobilité du cadavre.

Les fonctions qui s’éteignent les dernières sont celles qui fournissent les signes les plus sûrs ; à ce point de vue, le système musculaire présente un intérêt particulier. Pendant toute la période d’affaissement, les muscles conservent leur contractilité ; cette propriété s’éteint dans un ordre qui a été déterminé avec le plus grand soin par Nysten, et qui sert à apprécier l’époque probable de la mort. La contractilité du ventricule aortique du cœur cesse peu de temps après la mort, et toujours plus promptement que celle des autres organes contractiles. Les intestins et l’estomac perdent ensuite leur faculté contractile dans cet ordre : le côlon, en quarante-cinq à cinquante-cinq minutes ; l’intestin grêle, quelques minutes plus tard ; l’estomac, peu après ; la vessie, presque en même temps que l’estomac, souvent un peu plus tard ; le ventricule droit du cœur, après une heure ; l’œsophage, après une heure et demie ; « les iris, qui sont très sensibles au galvanisme, perdent leur excitabilité souvent quinze minutes plus tard que l’œsophage. » Les muscles du tronc cessent en général d’être contractiles avant ceux des membres ; les muscles droits et obliques de l’abdomen, avant les muscles pectoraux ; la face présente à cet égard beaucoup de variétés ; les muscles des membres abdominaux, ayant ceux des membres thoraciques, mais il existe à cet égard des différences très grandes ; sept ou huit heures suffisent ordinairement pour abolir les contractions. Les oreillettes du cœur conservent la propriété de se contracter plus longtemps que les autres parties du système musculaire, et c’est dans l’oreillette pulmonaire que l’on constate les dernières traces de contractilité. Déjà l’observation directe avait reconnu cette persistance de la vie dans l’oreillette droite du cœur ; Hallet s’exprimait ainsi : « Ergo broc auricule reete ultimum morions a Galeno dicta est et Harveio. " L’état du sujet, le genre de mort, le contact de l’air extérieur, font varier notablement la durée de la contractilité. Chez les sujets non émaciés, morts de fièvres adynamiques ou ataxiques, la contractilité s’éteignait dix ou quinze heures après le décès ; àIa suite de pneumonies, c’était treize à quinze heures. Dans deux cas d’apoplexie, les iris restaient contractiles pendant six heures et six heures et demie. Une à deux heures formaient la limite minimum pour les sujets émaciés, infiltrés, affaiblis par des maladies chroniques ; quinze heures, vingt heures, vingt-sept heures même, ont été la durée maximum pour les hommes robustes, succombant à des maladies aiguës, et dont la nutrition n’était pas altérée. L’asphyxie par l’hydrogène sulfuré porte à la contractilité l’atteinte la plus forte ; elle s’éteint par l’action du sulfo-cyanure de potassium, comme l’action conductrice des nerfs moteurs par le curare. « Ce sont les organes les plus exercés pendant la vie qui deviennent le plus tôt insensibles après la mort. » De nombreuses expériences ont démontré que l’épuisement du muscle par une excitation violente anéantissait plus promptement les propriétés vitales. Un membre galvanisé d’une manière continue, perd plus vite sa contractilité que le membre correspondant, sur lequel on n’agit pas ; chez les animaux forcés à la chasse, la rigidité est plus précoce et moins durable. D’après les expériences de C. Bernard, la section de la portion cervicale du grand sympathique prolonge la durée de la contractilité ; la galvanisation du grand sympathique produit l’effet opposé. M. Brown-Séquard a établi comme loi que la durée et l’énergie de la contractilité musculaire et de la rigidité étaient en raison directe de la quantité de force contractile que possédait le muscle au moment de lu mort.

La contractilité s’affaiblit, elle ne se montre plus que sur des faisceaux isolés et le muscle éprouve d’autres modifications. L’état électrique change. Dans le muscle, à l’état de repos, le courant se dirige de la surface au centre ; l’une étant positive, l’autre négatif ; le courant se renverse pendant la con traction ; la rigidité commençante produit le même effet ; la putréfaction suspend le courant. (Mateucci.) Le muscle continue à absorber de I’oxygène, mais il exhale une plus forte proportion d’acide carbonique. Le changement qui se produit dans les propriétés chimiques peut être utilisé comme signe en médecine légale. Alcalin pendant la vie, le muscle présente bientôt une réaction acide, attribuée à l’acide lactique, et qui, coagulant la syntonine dans la fibre elle-même, détermine la production de la rigidité cadavérique. À quel moment commence cette réaction acide ? C’est un point important pour déterminer l’époque de la mort. Nous avons fait quelques recherches sur ce fait avec M. Hepp, pharmacien en chef de nos hospices civils, pendant l’été de I869. Une portion de muscle détachée du cadavre, en général toujours la même, le biceps, était étendue sur une plaque de verre, recouverte d’un papier non collé, neutre et légèrement humide, sur lequel on appliquait deux bandes de papier de tournesol bleu et rouge, d’une grande sensibilité. La réaction acide ou alcaline se produisait rapidement. Sur 44 cadavres, la réaction a été 14 fois alcaline et 30 fois acide.

La réaction alcaline existait, en général, à une époque rapprochée du décès ; souvent aussi elle a persisté sans être remplacée par la réaction acide, et elle a continué pendant un grand nombre d’heures ; examinant plusieurs fois le même cadavre, nous avons constaté la réaction alcaline 7 fois depuis 1/2 heure jusqu’à 8 heures après la mort ; 11 fois entre 10 et 28 heures ; 7 fois de 29 à 52 heures ; une fois après 109 heures ; chez ce dernier sujet, âgé de 5 ans, l’alcalinité existait déjà 13 heures après la mort. Cette réaction s’est manifestée surtout chez des enfants, sur des sujets affaiblis, à la suite de tuberculisations, d’hydropisie, de gangrène, dans les cas où la rigidité avait été faible et passagère. Ainsi, la réaction alcaline n’indiquera pas toujours une époque voisine du décès ; on tiendra compte, en l’interprétant, de l’état du sujet et du genre de mort.

La réaction acide a été le fait le plus général, quand on s’éloignait du moment de la mort. Nous avons observé :

1° De deux à neuf heures après la mort : six cas d’état neutre ou légèrement alcalin, devenant rapidement acide, avec rigidité commençante ;

2° De dix à vingt-quatre heures : quatorze cas, avec rigidité plus ou moins forte ;

3° De vingt-cinq à quarante-huit : six cas d’acidité ;

4° De quarante-neuf à quatre-vingts : trois cas de rigidité affaiblie ou ayant cessé ;

5° Après dix-huit jours, chez un enfant noyé, putréfaction très avancée et acidité persistant encore, avec des fibres musculaires, altérées, granuleuses, et dont les stries avaient disparu.

Les âges étaient les suivants : 16 mois, un cas ; de 7 à 15 ans, cinq ; de 15 à 30, neuf ; de 30 à 60, sept ; de 70 à 73, cinq ; de 73 à 96, trois ; une femme de 96 ans présentait une forte réaction acide du biceps dix-sept heures après la mort. Sur trente sujets, on comptait dix-neuf hommes et onze femmes. On a noté, comme genres de mort : trois cas d’affections cérébrales, trois de phthisie pulmonaire, deux de pneumonie, trois de maladies du cœur avec hydropisie, quatre de marasme, deux morts subites par hémorrhagie pulmonaire et perforation de l’estomac, un cancer de l’utérus, un purpura, une arthrite, cinq noyés et deux morts par fulguration ; dans ces deux derniers cas, la réaction était acide, et la rigidité était générale, vingt-deux heures après la mort.

La réaction acide du muscle a donc une certaine valeur, comme indice d’une mort qui date de quelques heures ; elle se prolonge pendant toute la durée de la rigidité cadavérique et au delà ; le muscle rougissait le papier de tournesol, après dix-huit jours de submersion, en été ; nous n’avons pas vu reparaître l’alcalinité qui a été indiquée comme annonçant un degré avancé de putréfaction, au moment où l’ammoniaque domine.

La rigidité cadavérique envahit le système musculaire ; elle commence par la mâchoire inférieure et par le tronc, elle s’étend ensuite aux extrémités supérieures, puis aux inférieures. Louis, Nysten, Sommer ont déterminé cet ordre, qui n’est pas sans exceptions. La mâchoire intérieure, la nuque, le visage, le tronc, le membre supérieur, le membre inférieur, telle est la marche habituellement observée. Au moyen de cet ordre, on distingue la rigidité qui commence de celle qui finit. Il peut arriver que les extrémités se roidissent presque simultanément ; la rigidité se développe promptement dans les mains, et elle y persiste longtemps. Chez un supplicié, le 7 mai 1850, au bout de quatre heures, tous les muscles se contractaient encore par le pincement ; après dix heures, la roideur commençait aux bras et aux jambes ; quelques fibres du biceps se contractaient encore ; en vingt-huit heures tout était roide ; en cinquante-trois heures, les brus étaient redevenus souples, les jambes conservaient leur roideur. M. Larcher considère comme plus habituel l’ordre suivant : mâchoire inférieure, membres inférieurs, cou, membres supérieurs. On remarquera la longue persistance de la rigidité de la mâchoire. Les muscles de la vie organique présentent le même phénomène ; dans le cœur, la rigidité commence par le ventricule gauche. Cette roideur donne au cadavre un aspect caractéristique ; elle modifie L’expression des derniers moments de la vie, elle immobilise l’attitude qui existait à l’instant de la mort. Il peut arriver qu’une contraction commencée pendant la vie se continua après la mort, jusqu’à se confondre avec la rigidité ; c’est ainsi qu’on explique comment l’arme, restée dans la main d’un suicidé, y semble tenue avec une grande force. La rigidité cadavérique suffit pour produire cet effet ; nous avons fait placer un pistolet dans la main d’un cadavre, au moment même de la mort, en appliquant la main sur l’arme au moyen d’une bande ; le lendemain, la rigidité était complète et l’arme était maintenue avec assez de solidité pour qu’on pût manier le bras sans la faire tomber ; il fallut un effort pour la retirer. Deux jours après, la main avait encore son attitude caractéristique, les trois derniers doigts fléchis vers la paume, et l’index recourbé pour toucher la gâchette.

La roideur une fois commencée, continue sa marche progressive ; la fibrine musculaire ou syntonine se coagule au moment où s’établit la réaction acide du muscle. On peut s’opposer à la rigidité en faisant sortir par la pression cette syntonine liquide. (Van Hasselt.) La rigidité commençante peut être momentanément vaincue par la flexion du membre (Malle), puis elle reprend son cours ; trois ou quatre fois on peut reproduire cette alternative de souplesse et de roideur. Les belles expériences de Kay, de Brown-Séquard ont démontré qu’une injection de sang rétablissait la souplesse et la contractilité des muscles, déjà atteints par la rigidité on a fait alterner ces phénomènes, en supprimant et en rétablissant, tour à tour, la circulation.

Combien de temps après la mort apparaît la rigidité ? On a ici une moyenne et des extrêmes ; le plus souvent, c’est quelques heures après la mort, six à douze heures environ ; que la rigidité commence ; vingt-quatre à trente-six heures après le décès, elle est dans sa force, puis elle diminue pour cesser au bout de soixante à soixante-douze heures ; les doigts et les orteils restent roides longtemps encore, quand les autres parties sont déjà redevenues souples. La rigidité est parfois un peu plus prompte d’un côté que de l’autre.

La rigidité est précoce ou tardive, avec un écart de temps considérable. Elle peut même commencer avant que la vie soit complètement éteinte ; ainsi, chez un homme épuisé par une fièvre typhoïde, le cœur ne battant plus que vingt fois par minute, des traces de rigidité parurent trois minutes avant que la circulation ne s’éteignît. (Brown-Séquard.) Une contraction pathologique peut persister après la mort et se continuer avec la rigidité, sans qu’on puisse saisir d’intervalle entre les deux états. Nous avons observé le fait suivant : une jeune femme, le 21 février 1861, succombe à un tétanos spontané ; la roideur, devenue générale et portée au plus haut degré, avait déterminé l’asphyxie ; cette roideur persiste au moment de la mort ; deux heures a près, elle est la même ; un courant électrique ne développe aucune contraction ; quatre heures et six heures après la mort, même état ; au bout de sept heures, la roideur est un peu moins forte et, en pinçant les muscles du mollet, on obtient une légère contraction. Après vingt heures, la roideur est toujours générale, les muscles sont un peu moins fermes ; quarante-six heures après la mort, cet état est tellement prononcé qu’on déchire les biceps, en étendant les bras. Ainsi la roideur musculaire, excessive pendant la vie, n’a pas cessé au moment de la mort ; la contraction tétanique et la rigidité cadavérique se sont confondues, sans qu’on ait pu marquer de transition. Dehaën a constaté un cas de roideur tétanique et de rigidité non interrompues, pendant quarante-huit heures.

Dans l’empoisonnement par le strychnine, la rigidité est prompte, et peut aussi succéder sans transition aux contractures. Ici la rigidité se prolonge, bien qu’elle soit hâtive. Dans un empoisonnement par la strychnine, sur un enfant de sept ans, la rigidité, qui avait été immédiate, n’était pas encore éteinte au bout de soixante-douze heures ; elle était à son maximum aux doigts et aux orteils. Sur un homme de 60 ans, deux heures après la mort, on injecte 100 grammes de chloroforme dans l’artère crurale droite ; presque aussitôt nous voyons le membre se roidir, de manière à rendre très prononcées toutes les saillies musculaires. Les autres muscles sont souples et se contractent quand on les pince. Sept heures après la mort, la rigidité envahit à peu près simultanément les bras et la jambe gauche ; la droite est toujours la partie la plus roide du système musculaire ; vingt-six heures et cinquante heures après la mort, tout est encore roide, la jambe injectée plus que tout le reste. La roideur produite par le chloroforme s’est continuée sans interruption avec la rigidité cadavérique.

Sur des muscles épuisés, la rigidité se produit peu de temps après la mort ; ainsi Louis avait déjà constaté qu’au bout d’une demi-heure, et parfois même dans un temps plus court, ce phénomène se produisait chez le vieillard ; il en est ainsi chez les enfants affaiblis et tombés dans le marasme. Ces rigidités précoces sont éphémères ; au bout de quelques heures, de huit à dix heures et même moins, elles ont cessé ; elles sont assez faibles et assez peu durables pour qu’on puisse, comme Haller, dans un cas resté célèbre, méconnaître la production de ce phénomène. L’insensibilité du muscle à tout stimulant indique que cette période est passée. D’autres fois la rigidité est tardive ; elle ne se développe qu’au bout de seize heures, de vingt heures ou même plus tard. Sa durée est aussi variable, le plus souvent en rapport avec l’époque de son apparition ; la rigidité précoce dure peu, à moins d’influences pathologiques ou toxiques spéciales, comme celles du tétanos ou de la strychnine ; quand elle est tardive ou contraire, elle se prolonge longtemps. La durée moyenne peut être évaluée à vingt-quatre ou trente-six heures souvent plus ; huit ou dix heures forment un minimum au-dessous duquel se trouvent encore des cas exceptionnels ; quarante-huit et soixante-douze heures ne sont pas des limites très rares ; Nysten a vu la rigidité se prolonger jusqu’à six ou sept jours.

Cette roideur appartient à la fibre musculaire, elle est comme la réaction qui caractérise la présence du muscle. Peut-elle manquer ? Les observations si concluantes de Louis sur 500 cadavres, de Nysten et de Sommer sur plus de 200, autorisent à en douter. Laennec et d’autres observateurs ont constaté la rigidité dans toute la série animale, chez les insectes, les crustacés, les mollusques. Quelques auteurs cependant, M. Larcher entre autres, croient qu’elle peut faire défaut.

Le muscle paralysé, à moins de transformation graisseuse, éprouve celte modification. Le fœtus est atteint de rigidité dans l’utérus même ; Mende et Casper disent que la fibre ne se roidit pas dans l’embryon qui est au-dessous de l’époque de la viabilité ; dans un cas récent à Strasbourg, sur des jumeaux nés à cinq mois et demi et qui avaient donné des signes de vie, la rigidité a été reconnue. Fouquet pensait que la rigidité manquait à la suite de la congélation ; Blosfeld l’a vue se produire dans ce genre de mort, après que le cadavre avait été dégelé. (Van Hasselt.) Il a été affirmé que la rigidité faisait défaut dans l’empoisonnement par les champignons, par les cyanures, par l’acide hydre-sulfurique, dans la mort par fulguration. Nous l’avons vue se produire dans ces trois derniers genres de mort ; deux militaires frappés par la foudre, le 15 juillet 1869, étaient en pleine rigidité cadavérique, vingt heures après l’accident. Ce sont les rigidités éphémères ou tardives qui ont fait croire à l’absence de ce phénomène.

Les influences organiques, l’âge, la constitution, le genre de mort, l’intégrité ou l’épuisement du système musculaire, les dégénérescences de la fibre, modifient la marche de la rigidité ; nous devons en tenir compte pour évaluer approximativement l’époque de la mort. Les influences extérieures ont beaucoup moins d’effet que les conditions internes ; la rigidité se produit dans l’eau chaude, comme au froid. Le séjour du corps dans un lit chaud, suivant la remarque de van Hasselt, ne parait guère retarder l’apparition de la roideur. Les températures très élevées ou très basses hâtent le développement de celte roideur, qui, d’après Sommer, serait plus courte dans le premier cas et plus prolongée dans le second.

Les recherches modernes ont agrandi l’histoire de la rigidité, à laquelle se rattachaient déjà les noms de Morgagni, Haller, Louis, Nysten, Hanter, Sommer, Burdaeh, Valentin ; la question a été éclairée par les travaux de Brücke, Funcke, Kælliker, Külme, Kussmaul, Albers, Pagel, Pelikan, Fuchs, Ilorris, Preyel, Vaureal, Larclier ; elle a été l’objet de savantes analyses dans nos traités de médecine légale. Mais s’il reste encore quelque incertitude sur des points de détail, pratiquement la valeur du phénomène n’est plus à contester. Lorsque la rigidité s’étend à tout le système musculaire, elle ne laisse aucun doute sur la réalité du décès ; d’autres signes qui coïncident, confirment cette conclusion. La roideur cadavérique sert encore à déterminer d’une manière approximative, à quelques heures près, l’époque de la mort.

Le muscle, pendant la rigidité cadavérique, éprouve des modifications physiques et chimiques ; il devient un peu plus épais, plus dur et plus saillant. Nysten ne pense pas que ce changement soit assez prononcé pour diminuer sa longueur et opérer le moindre déplacement des parties auxquelles le tendon s’insère ; Sommer croit qu’un très faible redressement peut se produire à la mâchoire ; M. Bouchut émet la même opinion ; on a cru voir un peu de flexion s’opérer aux extrémités. Dans une expérience de Valentin, un bout d’intestin étant rempli d’eau avant la rigidité, le liquide remontait dans le tube lorsque la couche musculaire s’était roidie. Nous ayons constaté ce qui suit : l’intervalle entre les deux mâchoires, mesuré au moment de la mort, diminue pendant la rigidité ; le rapprochement a été de 1 centimètre chez une femme ; dans un autre cas, de 8 millimètres. Un morceau de cire ramollie par de la stéarine, a été placé entre les deux mâchoires une heure après la mort ; quatre heures après, il était déjà fortement serré, et quand, au bout de 24 heures, on le détacha, il offrait à ses deux faces l’empreinte des dents (morsus mortuorum) à une profondeur de 2 millimètres. Le disque de cire chez trois sujets tenait avec une force remarquable, et chez l’un d’eux, 48 heures encore après le décès. Le pouce et l’index étant placés, au moment de la mort, à un centimètre de distance, cet espace s’effaça successivement jusqu’à ce que les doigts, au bout de cinq heures, se touchèrent. Nous n’ayons plus aucun doute sur la réalité de ces déplacements que détermine la rigidité cadavérique, en modifiant les dimensions du muscle.

L’élasticité des fibres diminue par la rigidité ; la résistance du muscle vivant est supérieure à celle du muscle roidi ; Ranke a fait des expériences à cet égard, montrant que les nerfs et les cartilages conservaient au contraire la même résistance après la mort. Cette fragilité est à prendre en considération en médecine légale ; il suffit d’un médiocre effort pour déchirer des muscles pendant la rigidité cadavérique.

L’histologie des muscles peut aussi fournir des signes. M. le professeur Michel, dans sa thèse de concours sur la contractilité (1849), s’est occupé des modifications histologiques que la fibre musculaire présente après la mort. La surface de certains faisceaux est fortement striée ; ils subissent pendant la rigidité un élargissement dans le sens transversal et un raccourcissement. L’apparition successive de stries transversales est bientôt suivie de celle des stries longitudinales. L’aspect devient ensuite plus foncé ; les stries subissent un véritable épaississement : la membrane d’enveloppe semble s’altérer, des granules noires se déposent dans le faisceau. Les Libres musculaires se déchirent ensuite, entraînant avec elles les débris de l’enveloppe qui s’est rompue. Les faisceaux se déforment, ils sont aplatis, granuleux, fendus dans plusieurs points ; ils se mêlent ensuite aux produits des autres organes décomposés.

Nous avons examiné, avec M. le docteur Feltz , l’état de la fibre musculaire sur un certain nombre de sujets à divers époques après la mort, pendant la période d’affaissement, pendant la rigidité cadavérique, après qu’elle avait cessé et que la putréfaction s’emparait du corps. Ces recherches comprennent une période qui s’étend du moment de la mort jusqu’un vingt-septième jour. Les muscles observés étaient le biceps et quelquefois les gastrocnémiens. Nous avons constaté les faits suivants :

1° lorsque le muscle est encore souple, dans les premières heures qui suivent la mort, on trouve beaucoup de fibres pâles et transparentes, sans stries ou à peine striées ;

2° pendant la rigidité cadavérique, de six à sept heures après la mort, les stries transversales se prononcent et deviennent de plus en plus saillantes ;

3° un peu plus tard, quand la rigidité est à son déclin ou a cessé, dans un cas soixante-quatre heures après la mort, les stries transversales ressemblent à de véritables disques qui s’empilent et se détachent des parois de la fibre ;

4° plus tard, la forme de la fibre est conservée, mais on n’y voit plus de stries ; elles sont remplacées par des granulations noirâtres qui occupent le centre de la fibre ; sur un noyé de dix-neuf jours, les fibres encore visibles étaient remplies à leur centre de ces granulations, et des globules de graisse se voyaient autour ; quelques fibres se divisent et s’étalent en houppe à leur extrémité ;

5° bientôt on ne voit plus que des filaments séparés, des fibres connectives, et autour des granulations fines, des cristaux, des globules graisseux, qui eux-mêmes disparaissent ; quelques stries granuleuses représentent encore l’ancienne fibre ; les granulations fines et irrégulières sont les plus résistantes.

Cette série de transformations nous a paru assez régulière pour pouvoir être utilisée comme signe de l’époque de la mort. Les muscles conservés en dehors du cadavre, comme on devait s’y attendre, s’altèrent beaucoup plus promptement que ceux qui restent dans le corps intact. Un état pathologique peut modifier ces caractères ; nous ayons rencontré l’altération granuleuse de la fibre chez des enfants dans le marasme, dont le système musculaire avait été condamné à une longue immobilité par une paralysie, par une coxalgie, par une fièvre typhoïde.

La température du corps commence à baisser pendant l’agonie, le refroidissement continue plus rapidement après la mort ; deux ou trois heures après le décès, on a déjà au front et aux extrémités la sensation de ce froid glacial, de ce froid de marbre qui appartient au cadavre. Huit à douze heures, quinze à vingt heures en général suffisent pour que l’égalité s’établisse entre la température extérieure et celle du corps. Il faut ici noter des exceptions qui ont leur importance en médecine légale ; la température de l’agonie peul monter rapidement et dépasser le point que le thermomètre avait atteint pendant le cours de la maladie : les cas recueillis par Wunderlich en donnent la preuve ; la température s’est élevée à 41°, 42° et même au delà. La chaleur augmente parfois au moment même de la mort, quelques minutes et même une heure après, Nous avons vu le fait se produire à la suite d’une méningite tuberculeuse. Le 9 février 1870, chez un homme qui succomba par suite d’une affection cérébrale, le thermomètre marquait 40,8°, douze minutes après la mort ; après quinze minutes, c’étaient 41° ; après vingt minutes, 41,4°, au bout de trente et de cinquante minutes, 41°,6 ; puis est venue la décroissance, mais soixante-dix minutes après la mort, le thermomètre marquait encore 41,1°. C’est dans le choléra asiatique que se remarquent fréquemment les élévations de température post mortem : on les a constatées aussi après le typhus et le tétanos : un cas de ramollissement cérébral a présenté à Wunderlich le maximum de température au moment de la mort, 43,75°. Douze heures encore après le décès, dit cet auteur, on a vu la température être supérieure à celle de l’homme sain. Mais à part ces cas exceptionnels, que l’on a observés à la suite de varioles, de scarlatines, de typhus, de tétanos, d’insolation, le refroidissement du corps suit une marche régulière, en rapport avec la température extérieure et avec les conditions organiques du sujet, et la situation où est placé le corps. Les individus maigres et épuisés se refroidissent plus vite ; une couche épaisse de graisse conserve la chaleur ; le temps nécessaire pour que l’équilibre se rétablisse varie tout naturellement suivant la quantité de matière à refroidir. Pour les enfants et les personnes âgées, peu d’heures suffisent à un refroidissement complet. Le genre de mort n’est pas sans influence ; le refroidissement est rapide à la suite des maladies chroniques, il est plus lent dans les morts subites et notamment après l’asphyxie : dans ces derniers cas, après quarante heures, le refroidissement n’était pas complet. Taylor et Wilks, au Guy’s Hospital, ont mesuré la température sur quatre séries de cadavres, à diverses époques après la mort ; ils ont constaté les résultats suivants :

Température 2 à 3 heures après la mort (76 observ.) 4 à 6 heures après la mort (49 observ.) 6 à 8 heures après la mort (20 observ.) 12 heures après la mort (35 observ.)
Maximum 34,44 ° 30 ° 26,67 ° 26,11 °
Minimum 18,89 ° 16,67 ° 18,89 ° 13,33 °
Moyenne 25 ° 23,33 ° 21,11 ° 20,56 °

L’équilibre avec la température extérieure s’établissait entre quinze et vingt heures.

Le médecin, pour apprécier l’époque probable de la mort, doit rechercher si l’équilibre existe, et tenir compte des conditions qui ont pu hâter ou retarder ce moment. L’ordre dans lequel le refroidissement s’opère est aussi à noter ; les extrémités et la face se refroidissent d’abord ; il y a souvent une différence de 12° à 15° entre la température des extrémités et celle du tronc ; de toutes les parties extérieures du corps, l’épigastre est celle qui conserve le plus longtemps sa chaleur ; la température y reste notablement plus élevée qu’à l’aisselle ; c’est en ces points qu’on cherche les derniers vestiges de chaleur. Elle se conserve sous les masses musculaires du rachis ; la graisse du canal vertébral peut encore être liquide vingt-quatre heures après la mort. Mais la thanatométrie doit être faite d’une manière régulière et scientifique ; on s’assurera avec soin de la température extérieure, et le thermomètre pénétrera dans les cavités pour apprécier les modifications profondes de la température et déterminer si réellement l’équilibre s’est rétabli en dedans comme au dehors. Le thermomètre doit être introduit dans la partie inférieure du gros intestin, ou même dans l’estomac ; cette dernière exploration moins pratique a donné lieu à l’invention d’instruments particuliers, du thanatomètre de Nassé, dont ce médecin faisait usage comme du moyen le plus sûr de constater la mort. Un autre instrument, nommé abiondeiktys, avait aussi été proposé par Van Hengel pour explorer le côlon, mais ici le thermomètre suffit.

Quelles sont les conclusions que l’on peut tirer de cet abaissement de la température ? Constaté au thermomètre, ce signe a une réelle valeur. En général, le refroidissement le plus considérable compatible avec la vie ne dépasse pas 14° ; c’est dans le choléra, dans le sclérème des nouveau-nés, à la suite de l’inanition, que l’on a observé ces abaissements exceptionnels de la température ; certains empoisonnements occasionnent aussi une algidité extraordinaire ; la température de l’homme vivant n’a guère qu’un écart possible de 13° à 14°, avec un minimum de 32° et un maximum de 44,75°. (Wunderlich). Dans le choléra, la température de la bouche et celle du creux de la main étant à 28°, le thermomètre placé dans l’anus marquait encore 35°. Ainsi une perte de température de 15°, le thermomètre à 21° dans l’estomac ou dans l’anus, serait un signe certain de mort. Ce caractère est d’ailleurs subordonné à diverses conditions ; il ne pourrait servir pour un individu congelé ; mais scientifiquement établi par des mensurations régulières, il a une réelle valeur comme indice de la réalité et de l’époque du décès.

La peau est pâle ; la cyanose des derniers moments peut persister aux lèvres, aux oreilles, à l’extrémité des doigts, et se maintenir en forme de taches sur diverses régions ; le plus souvent, ces congestions de la peau et des muqueuses, la rougeur des blessures et celle des éruptions, disparaissent ou s’atténuent notablement au moment de la mort. Dans l’asphyxie par submersion, par suffocation, par la vapeur de charbon, ces colorations se maintiennent. Bientôt les phénomènes de l’hypostase, les lividités cadavériques, commencent à se produire ; elles peuvent devancer la mort, dans les agonies qui se prolongent. Elles se forment d’autant plus rapidement, et elles sont d’autant plus considérables, que le sang est plus fluide. On peut dire que ce phénomène ne manque pas, et qu’il est un des caractères du cadavre ; les lividités se forment, même à la suite de la mort par hémorragie. Sur les parties déclives du corps, apparaissent des colorations rougeâtres et bleuâtres ; des vergetures, des taches, de formes diverses, isolées, confluentes, striées, irrégulières, occupent une large surface, dont l’aspect est modifié par la pression des objets sur lesquels repose le cadavre ; la peau reste d’un blanc mot aux régions comprimées. La dissection fait voir la ligne bleuâtre des veinules sous-cutanées distendues par du sang liquide, au-dessous du derme plus ou moins piqueté. À l’intérieur, le sang, accumulé dans le système veineux, se porte aussi vers les régions déclives des organes ; ce phénomène commence pendent l’agonie et se continue après la mort, prononcé surtout dans les poumons, mais évident pour tous les organes, les parties ainsi imbibées de sang se colorent, se ramollissent ; la sérosité s’infiltre dans le tissu cellulaire. Les lividités sont un signe de mort ; elles indiquent l’époque du décès ; elles font connaître dans quelle attitude le cadavre s’est refroidi. Nous avons recherché à quelle époque paraissaient les lividités cadavériques, et combien de temps après la mort on pouvait encore les modifier ou les faire disparaître, les transporter sur une autre région, en changeant l’attitude du sujet. Les plus fortes lividités cadavériques occupant les extrémités inférieures nous ont été présentées par un pendu, qui n’avait été détaché que le neuvième jour. Quatre heures et demie après là mort, nous avons vu les lividités se produire à la partie postérieure du tronc ; cinq heures après la mort, elles étaient très prononcées, mais leur intensité variait suivant les sujets : elles étaient très faibles sur un enfant de 7 ans, mort dans le rnarasme ; très considérables, au contraire, après quatre heures et demie et cinq heures, chez deux vieillards de 72 et de 76 ans ; elles ont plusieurs fois précédé la rigidité cadavérique. Commençant à se montrer vers la cinquième heure, elles vont en augmentant ; au bout de douze à quinze heures, elles atteignent leur maximum.

Combien de temps après la mort peut-on déplacer le siège des lividités ? Engel a montré qu’en les incisant et en les comprimant, on pouvait les faire disparaître. Le changement d’attitude exerce une influence notable qui se prolonge assez longtemps après la mort. Des lividités s’étant formées sur le dos, quatre heures et, demie après le décès, nous avons fait retourner le cadavre ; en une heure elles avaient diminué dus trois quarts, en deux heures elles étaient effacées, et elles s’étaient produites sur la face, au cou, et à la partie supérieure du thorax. Trente heures après la mort, le corps ayant été remis sur le dos, les lividités ont un peu pâli en avant, mais elles n’ont pas reparu en arrière. Quinze heures après la mort, on a pu atténuer les lividités du dos, et en produire de faibles à la région antérieure. Onze heures après la mort, chez un homme à sang très fluide, les lividités, considérables au dos, ont été affaiblies sans se déplacer. Douze heures après la mort, chez un autre sujet, les lividités dorsales ont été diminuées par le déplacement du cadavre, et il s’en est formé de très faibles en avant ; il restait manifeste que le cadavre avait d’abord été couché sur le dos. Sur un enfant de 5 ans, qui avait succombé à une diarrhée chronique, de faibles lividités dorsales n’ont pas été modifiées cinq heures et demie après la mort ; une légère trace s’est produite au haut du sternum sur le cadavre retourné. En déplaçant plusieurs fois le corps, on a pu, dans les premières heures, atténuer les lividités sur un point, les faire paraître sur un autre, les effacer presque sur les deux régions, rendues successivement plus déclives. Ainsi l’existence des lividités cadavériques indique que la vie s’est éteinte depuis quelques heures, quatre à sept heures environ, et dans les douze ou quinze premières heures on peut modifier le siège de ces lividités, et affaiblir leur couleur. Ici encore les conditions individuelles, l’âge, la quantité de sang et sa fluidité, influent sur l’apparition du phénomène. Le déplacement du corps a moins d’effet sur l’hypostase du poumon.

Les modifications présentées par le sang offrent aussi une réelle importance ; sa coagulation s’opère dans les vaisseaux quatre à six heures environ après la mort ; quelques gouttes de sang, extraites d’une veine et placées sur un verre de montre, donnent un indice, en se coagulant ou en restant liquide. Nous avons recherché, avec M. le docteur Feltz, les caractères histologiques que le sang pouvait fournir pour aider à reconnaître I’époque du décès. Nous avons constaté les faits suivants :

1° Dans les quatre ou cinq premières heures qui suivent la mort, les globules sont intacts, nummulaires, accumulés en piles ; ce dernier signe nous a paru surtout caractériser la période la plus voisine du décès ; deux heures, cinq heures après la mort, les globules étaient encore nummulaires et accumulés ; dans un cas, les piles se voyaient an bout de douze heures ; il en existait des traces après vingt et une heures, à la suite d’une mort subite, mais déjà des globules étaient altérés.

2° Une seconde période est caractérisée par la disparition de ces piles et par une déformation des globules, qui deviennent rugueux, ridés, parsemés à leur surface de petits grains blancs, formés sans doute par un dépôt de fibrine. Après une douzaine d’heures, cette altération était manifeste ; elle a tardé jusqu’à dix-sept ou vingt heures ; au début, elle pouvait coïncider avec les globules encore en pile ; dans deux cas, après cinq heures, elle commençait déjà. L’addition d’une goutte d’eau, rendant aux globules altérés leur forme sphérique, fournissait un indice de la durée de la lésion, par la facilité plus ou moins grande avec laquelle elle disparaissait. Après soixante heures, les globules redevenaient ronds et lisses, mais ils n’étaient plus en disques. Les globules blancs s’altéraient moins promptement que les rouges.

3° Plus tard, les globules se mêlent, se fondent, s’agglomèrent, ils forment une masse irrégulière, dans laquelle on découvre quelques globules blancs ; l’addition d’eau ne reproduit qu’un petit nombre de globules ; après quarante-huit et soixante-cinq heures, on constatait cet état.

4° L’organisation devient de moins en moins évidente ; un des signes de l’ancienneté du sang, c’est l’apparition de granulations et de petits bâtonnets, allongés, dont quelques-uns sont mobiles. Cent neuf heures après la mort, sur un noyé, les bâtonnets étaient déjà visibles, mêlés aux globules encore distincts, mais altérés ; avec du sang conservé hors des vaisseaux, les bâtonnets ont paru le cinquième jour, et ont disparu du douzième au quinzième ; ils semblent caractériser une des phases de la destruction.

5° Au delà, il ne restait que des grains irréguliers et très petits, avec des cristaux et des globules de graisse. Sur un noyé de dix-huit jours, enfant de 8 ans, au mois de juin, on ne constatait plus de traces de globules de sang ; c’étaient des granulations fines, des bulles de gaz, des globules graisseux, des cristaux en losanges, en touffes et en houppes irrégulières. Ces observations ont été faites en été, et continuées en automne, avec des résultats analogues. La persistance des globules en pile et de la forme nummulaire, la déformation des globules avec le dépôt de grains fibrineux à leur surface, la fusion par masses de ces globules altérés, l’apparition de bâtonnets mobiles, la destruction des dernières traces d’organisation, la dissolution du tout en granulations très fines, la présence de globules de graisses et de cristaux, telle est la série des modifications qui peut être utilisée, comme indice de l’époque de la mort.

L’œil fournit la succession de signes la plus remarquable. Cet organe, un des premiers, donne la preuve de l’extinction complète de la vie ; ses modifications impriment au cadavre un aspect caractéristique. Déjà, pendant l’agonie, la contraction de la pupille, l’insensibilité de la conjonctive ; puis celle de la cornée, avaient été des signes importants ; une dernière sécrétion de larmes coïncidant à la sueur glaciale du front, précède de quelques instants la mort, et au moment où elle s’accomplit les paupières s’entr’ouvrent, et la pupille se dilate. M. Bonchut a fait, à cet égard, des expériences pleines d’intérêt, qui autorisent à attribuer une grande valeur à cette dilatation instantanée de l’iris ; elle se produit au moment de la mort comme à celui du l’éveil. Nous l’avons vue s’effectuer brusquement chez une personne, qui succomba devant nous à la rupture d’un anévrisme de l’aorte. Cette dilatation ne dure qu’un certain temps ; puis, vers l’époque où la rigidité s’établit, la pupille commence à se rétrécir. Voici des exemples de ces modifications : quatre heures après la mort, Ie diamètre des deux pupilles est de 7 millimètres ; vingt-quatre heures après, c’est 4 millimètres à droite et 4 1/2 à gauche ; au bout de quarante-huit heures, c’est 2 et 3 ; après quatre jours 3 et 4 1/2 ; le cinquième jour, les pupilles sont affaissées et se déforment. La différence en quelques heures peut être de 3 à 4 millimètres ; la dilatation est souvent inégale dans les deux yeux. La déformation de la pupille est un des signes les plus certains de la mort, (Ripault.) L’iris conserve encore sa contractilité pendant quatre ou cinq heures sous l’influence d’un courant galvanique ; elle se dilate ou se contracte aussi, mais pendant un temps beaucoup moins long, par l’instillation d’atropine ou de fève de Calabar. M. Bouchut a utilisé cette propriété comme signe de mort. Ce même observateur, appliquant l’ophthalmoscopie à la détermination de la mort réelle, a constaté que l’arrêt subit de la circulation modifiait notablement le fond de l’œil ; la couleur rouge s’efface ; la papille du nerf optique n’est plus à reconnaître par sa couleur ; on remarque des tronçons veineux disposés en rayons. L’éclat et la résistance de l’œil ont diminué, parce que la circulation s’y est éteinte. Le genre de mort influe sur ce signe.

La cornée se trouble, et bientôt elle se couvre d’une toile glaireuse. Cette toile est formée d’une matière albumineuse et de débris d’épithélium provenant de la cornée, ramollie à sa surface, et de grains de poussière. Cette altération de l’épithélium se montre aussi pendant la vie ; nous l’avons constatée dans l’agonie, à la suite de méningite cérébro-spinale et de fièvre typhoïde. La toile glaireuse, dans un de ces cas, ne s’était formée que sur un seul œil ; on l’a observée aussi dans le choléra. Il est des cas où elle tarde longtemps à paraître ; elle se produit plus facilement, s’il y a une ulcération de la cornée, comme dons le marasme qu’entraîne la tuberculisation cérébrale chez les enfants. Frank a proposé de hâter la production de celte altération de la cornée, en appliquant sur les yeux des compresses mouillées. La sclérotique prend une teinte jaune peu de temps après la mort, puis elle présente des taches bleuâtres ou noirâtres, sur lesquelles Sommer a appelé l’attention, et qui ont été particulièrement décrites par M. Larcher. Cette tache commence au côté externe de l’œil, puis elle se montre à l’angle interne ; elle forme ensuite sous la cornée un segment d’ellipse à convexité inférieure. Au début, cette tache est ronde ou ovale ; elle précède parfois l’apparition de la rigidité et des lividités ; cependant nous l’avons vue postérieure à ces deux phénomènes ; elle aurait pour cause l’amincissement de la sclérotique imbibée par le pigment de la choroïde. Les progrès de la putréfaction, d’après Sommer, la feraient ensuite disparaître.

L’œil perd son éclat : « Constans est obsenxuio morienium oculos sum amitiere splendorem. " (Haller.) La transparence diminue à la cornée, comme à l’humeur vitrée et au cristallin. L’épreuve des trois images, décrite par Purkine et Sanson, montre la diminution qu’éprouve le pouvoir réflecteur de l’œil. Legrand a vu l’une des images postérieures, les deux parfois, disparaître pendant l’agonie, six à douze heures après la mort, la cornée cessait de réfléchir la première. Le cristallin, dans ses couches extérieures, et toute l’humeur vitrée perdent de leur transparence. L’évaporation de l’humeur aqueuse détermine une flaccidité du globe de l’œil, que Louis a considérée comme un des signes les plus certains de la mort. La putréfaction gazeuse peut rendre momentanément à cet organe un degré remarquable de tension et de rougeur ; mais la déformation de la pupille, la perte de transparence des milieux, ne permettent pas de croire à une turgescence vitale. Plus tard, la destruction du globe de l’œil, ouvert et vidé, du troisième au quatrième mois, est encore un indice de l’époque de la mort. Ainsi l’inspection de cet organe, depuis le moment du décès jusqu’à un degré assez avancé de putréfaction, fournit une série de signes d’une réelle valeur.

Bientôt se développent sur le cadavre les caractères évidents de la putréfaction. Le signe initial, si bien étudié par M. Deschamps, la coloration verdâtre de l’abdomen, commence au flanc droit, envahissant presque aussitôt les parties latérales du bas-ventre ; il paraît vers la vingtième heure, avant même ; il peut être hâté par une élévation de température ou par des applications de linges humides. Ce signe fournit une évidence de la mort, égale à celle que donne un plus haut degré de putréfaction, et il peut toujours être attendu sans inconvénients. C’est à l’article de la vérification des décès que seront exposées les différentes épreuves qui ont pour but d’attester la réalité de la mort. Elles ne sont qu’une interprétation plus ou moins ingénieuse des modifications que présente le cadavre, et de l’action exercée par les influences extérieures sur les tissus privés de vie.

V. Périodes ; époque de la mort.

L’aspect du cadavre ne reste pas identique ; il se modifie constamment et avec d’autant plus de rapidité, que l’on s’éloigne du moment où la vie a cessé. Ce sont ces changements qui permettent d’apprécier l’époque probable de la mort, et qui doivent être examinés dans leurs rapports avec les lésions pathologiques et traumatiques : cette étude est celle de la putréfaction. Ces phénomènes peuvent être divisés en un certain nombre de périodes qui donnent une idée approximative du temps qui s’est écoulé depuis le décès.

1° La période initiale est celle d’affaissement, de résolution musculaire, dans laquelle la contractilité se développe encore sous l’influence d’une irritation mécanique ; elle est caractérisée par la persistance de cette propriété, par la dilatation de la pupille, par les progrès du refroidissement, par fa transparence de la fibre musculaire, par la forme nummulaire des globules sanguins encore réunis en pile ; cette période comprend les six ou huit premières heures, de 5 à 15 ; elfe présente, dans la seconde moitié, la formation des hypostases, elle est limitée par l’apparition de la rigidité.

2° La seconde période est celle de la rigidité cadavérique ; elle se mesure par la marche de cette roideur, initiale, généralisée, décroissante ; la fibre est striée, les globules du sang sont sphériques, quelques-uns s’altèrent et se couvrent d’un dépôt granuleux ; l’équilibre avec la température extérieure se rétablit ; la pupille est contractée, l’œil présente les signes caractéristiques. Cette période comprend trente-six à quarante-huit heures ; elle se termine par le développement bien accusé des phénomènes putrides ; déjà dans la seconde partie la coloration verdâtre de l’abdomen avait été le stigmate de la mort.

3° Vient ensuite la période de coloration et de ramollissement. La teinte bleuâtre ou verdâtre, qui dans la putréfaction à l’air libre a commencé par les flancs, s’étend rapidement à la totalité de l’abdomen, pour gagner le thorax et envahir, avec des nuances variées de bleu, de vert, de rouge sombre ou de brun noirâtre, toutes les parties du corps. À la coloration verte, qui est le caractère spécial de cette période, se joignent les colorations qui dépendent de l’imbibition du sang et de la transsudation des divers liquides de l’organisme. Le ramollissement accompagne les changements de couleur ; l’odeur cadavérique se prononce et change de caractère. Cette période comprend les premières semaines ; la coloration verte reste limitée à l’abdomen pendant quelques jours, et la fin du premier septénaire est généralement marquée par l’imbibition rougeâtre des vaisseaux. La fibre du muscle devient granuleuse ; les globules du sang s’altèrent et se décomposent.

4° Une quatrième période, qui coïncide avec une partie de la précédente, est celle de la putréfaction gazeuse ; elle débute par le sang, et elle est à son maximum tant que ce liquide n’a pas été détruit. Ce sont d’abord des hydrogènes carbonés, des gaz inflammables, qui se produisent et qui s’épanchent dans le tissu cellulaire et dans les cavités séreuses. Ce développement produit des effets caractéristiques, des gonflements d’organes et des colorations variées. Pendant tout le cours de la décomposition putride, des gaz se produisent ; c’est l’atmosphère qui reçoit la plus grande partie des matières organiques décomposées ; l’eau, qui entre pour une si forte proportion dans les tissus, 70 à 80 pour 100, s’évapore ou s’écoule ; Chaussier, par la dessiccation, a réduit à 6 kilogrammes un cadavre de 60 ; la terre augmente peu dans les cimetières qui reçoivent tant de débris humains. La nature de ces gaz n’est pas la même aux diverses époques de la putréfaction ; ce sont des hydrogènes carbonés, de l’acide carbonique, de l’oxyde de carbone, des hydrogènes sulfuré, phosphoré, de l’azote, de l’ammoniaque. La période maximum de la putréfaction gazeuse, coïncidant avec la destruction du sang, s’observe dans les deux ou trois premières semaines qui suivent le décès ; si rapide chez les noyés, plus lente dans la terre, elle varie d’intensité suivant les saisons. Les épanchements séro-sanguinolents dans les cavités séreuses arrivent à cette époque. Le sang et la fibre musculaire ont perdu leurs caractères organiques.

5° La fonte putride est une cinquième époque, dans laquelle la décomposition du corps fait de rapides progrès. Les fermentations, qui ont commencé dans les périodes précédentes, prennent ici tout leur développement. Les moisissures et les infusoires, mycodermes, bactéries, vibrions, précipitent la destruction des organes. De larges érosions se forment à la surface du corps, ouvrent les cavités, mettent à nu les os ; ici, c’est par mois que la période se mesure, et l’approximation devient de moins en moins précise, subordonnée à de plus nombreuses influences. L’odeur à varié à toutes les époques, successivement causée par une matière organique volatile, par des hydrogènes sulfurés et phosphorés, par des produits ammoniacaux, par des acides gras butyrique et valérique.

6° La transformation en gras de cadavre peut arrêter la décomposition et constituer une période particulière ; elle fournit une date et indique un séjour de six à huit mois environ dans l’eau, de douze à quinze dans la terre, Le développement de l’adipocire, composée surtout de margarate d’ammoniaque, amène une espèce de momification qui conserve, soit tout le corps, soit le plus souvent une partie des organes, dont la durée se compte alors par années.

7° La dessiccation est une autre période apparaissant dans des conditions déterminées et exceptionnelles ; elle momifie le corps tout entier ou seulement quelques-unes de ses parties. Les tissus sont détruits alors par une combustion plus lente, et les moisissures prennent un grand développement.

8° Dans la période de destruction, se termine la série des fermentations putrides, simultanées ou successives, qui ont abouti à des produits de fermentation ammoniacale et butyrique ; il ne reste plus du corps humain qu’un terreau gras et noirâtre, dans lequel la chimie retrouve encore la présence des substances toxiques. Quelques indices sont fournis par l’ordre de destruction des organes ; ce sont d’abord les liquides avec les matières albuminoïdes, puis les cellules et enfin les fibres, qui disparaissent. Il faut de trois à cinq ans pour la destruction des parties molles ; pour les enfants, c’est beaucoup plus prompt ; en huit mois et demi, nous avons vu un nouveau-né, dans la terre et dans un cercueil, réduit à l’état de squelette. Cinq ans est le terme légal pour le renouvellement des fosses. Au bout de douze à quinze ans, la plupart des os ont disparu. Mais, ici, les exceptions sont très nombreuses ; diverses circonstances retardent indéfiniment la destruction du système osseux.

Plusieurs de ces périodes ne sont ni absolues, ni nécessaires ; aucune d’elles n’est limitée exactement ; le médecin qui doit déterminer l’époque de la mort se trouve en présence du problème le plus complexe. Les influences les plus diverses, organiques et extérieures, font varier la marche de la putréfaction ; l’âge, Ia constitution, le genre de mort, la température, l’humidité, le mode d’inhumation, le milieu, l’action des larves diverses, les organismes végétaux ou animaux, qui concourent â la destruction des corps, modifient les effets du temps et doivent être pris en considération pour déterminer l’époque du décès ; il est de toute évidence que l’expert n’arrivera qu’à des résultats approximatifs. C’est aux articles autopsie, exhumation, inhumation, mort, putréfaction, que sont renvoyés les développements et les applications qui se rapparient à la destruction du corps humain, que la science n’abandonne qu’après en avoir étudié les derniers débris.

G. TOURDES

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