Le Choa et le Harar

Gustave Regelsperger, La Science Illustrée N°553 — 1898
Vendredi 28 août 2020 — Dernier ajout samedi 13 août 2022

Notre établissement définitif à Djibouti, où se trouve aujourd’hui le centre des services administratifs de notre colonie de la mer Rouge a une importance considérable en vue de la pénétration commerciale dans le Choa et le Harar. Ces pays peuvent offrir à notre commerce d’importants éléments d’échange.

Le Choa, dont la capitale est Aukobar, et dont les villes principales sont Angolola et Gallane, a une population d’environ 200 000 habitants. Il se divise en deux régions, la plaine et les plateaux. On avait cru longtemps que les communications y seraient presque impossibles, mais les voyages de Soleillet, de M. Chefneux, de M. Arnoux, ont fait découvrir une route commerciale d’Obock à l’intérieur du Choa, par Aoussa, le lac d’Aoussa et le fleuve Haouche, qui a 250 km de longueur et conduit près d’Ankobar.

Mais c’est encore plus dans le Harar que notre commerce peut trouver des avantages. La capitale de ce pays, nommée aussi Harar, est située à 1860 m d’altitude et jouit d’un climat tempéré. En hiver, il y a au moins 12°C, en été 30°C au plus. Le pays est parcouru par de nombreux torrents, Ville sainte pour les musulmans de l’Afrique orientale, Harar est en outre une cité commerçante.

La principale culture cette région est le caféier ; il est de qualité identique à celui de Moka. L’exportation se chiffre déjà par plusieurs centaines de mille de kilogrammes par an.

Les habitants du Harar sèment le caféier grain à grain dans un terrain parfaitement fumé et arrosé. Dans les pays Gallas, à Kaffu, dans le Gouragué, l’arbuste naît et grandit naturellement au milieu des forêts.

On récolte encore le sorgho, qui est consommé par les indigènes ; une sorte de safran, qui est exporté à Mascate et en Perse où les femmes et les enfants s’en teignent le corps et le visage et dont on se sert aussi pour la teinture des étoffes de coton ; des piments, de l’indigo, du coton. L’espèce primitive de coton cultivée en Abyssinie est le Gossypium herbaceum, espèce qui résiste bien à la sécheresse et peut prospérer sans irrigation artificielle.

Les produits d’origine animale du Harar sont les peaux de bœuf, de chèvre et de mouton. Les chevaux sont assez abondants. Il faut ajouter le musc et l’ivoire. On pourrait aussi y faire l’élevage des vers à soie, les mûriers y réussissant très bien. On a signalé le plateaux du Tchertcher, situés à 1800 m d’altitude environ, comme pouvant convenir particulièrement à cette culture.

Un rapport officiel a évalué à un chiffre de 25 à 30 millions de francs la valeur des produits exportés chaque année du Harar.

A 300 km au sud de Harar se trouve le pays d’Ogaden, pays fertile, couvert d’acacias gommiers. L’Ogaden est habité par le peuple barbare des Somalis qui occupent tonte l’immense pointe orientale de l’Afrique et dont le pays produit des bœufs, des moutons, des chevaux, des cuirs secs, du beurre, des écailles de tortues, des gommes, de l’encens, des résines.

Le commerce du pays Galla se concentre il Harar ; celui de l’Ogaden va soit à Harar, soit directement à la côte.

Les routes qui conduisent de la mer au Choa et au Harar sont au nombre de cinq :

1e La voie italienne de Massaouah ; elle n’arrive aux pays Gallas qu’en traversant le Tigré et l’Asmara.

2e La voie italienne d’Assab, qui traverse en partie une [région volcanique sans eau et sans végétation, en partie les plaines pestilentielles de l’Aoussa. Longue de 900 km, elle est à peu près abandonnée.

3e La voie anglaise de Zeïla par laquelle les caravanes doivent traverser le désert de Menda, aride et sans eau, et sont exposées aux attaques de tribus dangereuses.

4e La voie anglaise de Berbera par Boulhar, peu fréquentée des caravanes du Harar, car elle traverse des pays continuellement en guerre, Berbera n’a d’ailleurs que peu de relation avec le Harar et avec le Choa, mais il trafique avec d’autres pays de l’intérieur, comme l’Ogaden.

5e La voie française de Djibouti, qui, placée entre les deux voies italiennes et les deux voies anglaises, traverse une région relativement plane, fournissant sur tout le parcours de l’eau et de l’herbe pour la nourriture des bêtes de somme. Cette route est la plus courte et la plus. commode ; elle arrive au Choa en 750 km, au Harar en 250 seulement. Celle voie est celle que suivra la ligne ferré française qui prochainement unira Djibouti au Harar. M. Chefneux, qui est le directeur de ce chemin de fer, est parti il la fin de février pour s’occuper des travaux de construction de la ligne.

La pénétration commerciale de la France au Harar pourra être réalisée ainsi d’une façon sûre et fructueuse. En même temps que quelques explorations commerciales françaises avaient été dirigées vers le Harar, des maisons italiennes avaient tenté aussi, depuis une vingtaine d’années, de s’établir dans le pays. Les circonstances actuelles assurent la prépondérance au commerce français.

La faveur du négus se manifeste à l’égard des français non seulement en ce qui touche les entreprises commerciales, mais aussi au profit des missions religieuses.

Dès 1881, l’évêque français du pays Galla, Mgr Taurin-Cahagne, vint s’établir à. Harar. Il y fit d’importantes plantations de vignes et d’arbres fruitiers, et fit construire des bâtiments pour la mission. On y recueille et on y élève les enfants gallas abandonnés. La mission de Harar vient de recevoir tout récemment des Lazaristes français, ceux-ci ayant obtenu de remplacer en Abyssinie les capucins de la Société de Florence. M. Coulbeaux, supérieur de la mission, est entré à Harar le 8 décembre dernier. En route, il a rencontré M. de Poncius qui faisait la chasse aux antilopes et aux fauves.

M. Coulbeaux ne fait pas de Harar une peinture bien séduisante : « Ceinte d’une mauvaise muraille destinée à la protéger contre les surprises des Bédouins des déserts somalis ou gallas, la ville forme un pâté de maisons adossées, entassées les unes sur les autres. Et par dessus la difformité de ce bloc, sa teinte générale de terre brune, lui imprime un aspect des plus choquants au regard désappointé. Trois monuments en émergent : les deux hautes tours ou minarets de la mosquée, la nouvelle église des Abyssins vainqueurs et le palais duras Makonnen, haute maison blanche toute neuve aussi, et encore belle et fraîche jusqu’à sa facile et prochaine dégradation sous les intempéries. »

Les ruelles de Harar sont étroites, jonchées d’immondices, creusées de casse-cous. Les hyènes, heureusement, se chargent, la nuit, du service de la voirie. On aimerait pouvoir respirer l’air pm des campagnes environnantes, mais aucun’ européen ne peut sortir de la ville sans une autorisation du gouverneur. "L’Europe aura bien à faire, dit M. Coulbeaux, pour modifier et transformer tout cela en une ville d’un séjour possible. » Il faut espérer cependant que nos compatriotes y parviendront.

Gustave Regelsperger

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