Lecoq de Boisbaudran : son œuvre et ses idées

A. de Gramont, La Revue Scientifique — 21 janvier 1913
Jeudi 5 décembre 2019

François Lecoq de Boisbaudran (1838-1912) dont l’irréparable perte vient d’attrister la science française ne bénéficia pas, comme tant d’autres, de l’instruction supérieure que dispensent maintenant avec tant de libéralité les facultés et les grandes écoles ; des raisons d’intérêt familial l’empêchèrent même d’acquérir aucun grade universitaire.

A cette époque les ressources scolaires étaient rares à Cognac, et ce fut le centre familial de haute culture où il vivait qui fournit à François de Boisbaudran l’éducation première. Sa mère lui enseignait les lettres classiques, l’histoire et les langues étrangères, tandis que son oncle Scœvola, s’arrachant à sa comptabilité commerciale, venait lui apporter l’écho des enseignements reçus jadis à l’École Polytechnique.

Son père, esprit cultivé et surtout artiste, lui donnait aussi ses leçons dans l’intervalle des fréquents voyages en Angleterre que lui imposait le développement de son commerce. Dès l’âge de quinze ans, François Lecoq de Boisbaudran dût occuper sa place dans les affaires de la maison ; les capacités qu’il ne tarda pas à y montrer lui firent confier la représentation des intérêts commerciaux à l’étranger, en Angleterre notamment, où sa connaissance parfaite de l’anglais et sa valeur personnelle lui permirent de se créer, dans les milieux élevés de la société, de précieuses amitiés qui lui restèrent fidèles. Entre temps, il utilisait ses moindres loisirs, abrégeant son sommeil pour se consacrer aux sciences, étudiant seul les cours de l’École Polytechnique dont il avait pu se procurer les feuilles. Il réussissait à acquérir, d’autre part, une instruction scientifique très générale, dont il a donné les preuves les plus frappantes par la multiplicité des sujets que, dans la suite, il a abordés avec succès en de nombre uses communications faites à l’Académie des Sciences. Mais c’étaient la chimie et les rapports de celle-ci avec la physique qui l’attiraient le plus.

Avec de très modestes ressources et les moyens de fortune dont une grande ingéniosité et une extrême habileté manuelle lui permettaient de disposer, il se plaisait à reproduire les phénomènes, les expériences et les méthodes d’analyse qu’il venait d’étudier dans les livres. Grâce à la libéralité d’un de ses oncles il put faire construire un petit laboratoire et cesser d’exécuter ses manipulations en plein air, dans la cour de la maison familiale. C’est dans cette nouvelle et bien simple installation qu’il poursuivit les recherches couronnées par la découverte du gallium.

Les affaires commerciales prospérèrent peu à peu. A la suite d’une intervention de l’oncle qui avait été touché de sa persévérance à l’étude, son père, rassuré sur l’avenir de ses enfants, ne mit plus d’obstacles à la poursuite de ses travaux et au commencement des investigations qui devaient illustrer son nom. Il aimait à rappeler ces débuts difficiles et cette vocation si longtemps contrariée ; il parlait aussi avec émotion de la forte éducation morale donnée dans sa famille, où l’on avait surtout cherché à développer en lui la bonté, la droiture, la rectitude de jugement et le sentiment de la responsabilité personnelle : chacun ne comptait, pour l’avenir, que sur son travail. Dans cette famille chrétienne, dont les ascendants avaient tout sacrifié au devoir et à leurs convictions, l’autorité paternelle très respectée admettait cependant les enfants à partager les préoccupations des parents : les décisions, même les plus graves, étaient prises en commun. Ainsi se formèrent chez François Lecoq de Boisbaudran les fortes qualités de patience, de ténacité, de souci scrupuleux, non seulement de la vérité, mais de l’exactitude précise dans les moindres détails, qui se montrèrent à un si haut degré dans toute l’œuvre scientifique dont nous nous proposons d’indiquer les grandes lignes et les idées directrices. Nous essaierons de les retrouver dans ses notes à l’Académie, dans les rares mémoires d’ensemble qu’il a publiés, dans nos souvenirs de ses conversations, et enfin dans les notes manuscrites que sa famille a bien voulu nous confier [1].

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Les recherches de Lecoq de Boisbaudran se sont portées sur un très vaste champ des sciences physiques, et même un peu au delà de celles-ci, puisque quelques-unes de ses notes à l’Académie, après avoir traité de la pesanteur, dés trombes, des bolides, se sont étendues, à plusieurs reprises, aux questions de la destruction du phylloxera et de la transplantation de la truffe, sur laquelle les propriétés importantes qu’il avait acquises en Périgord attirèrent son attention.

Ses premiers travaux, ou du moins ceux qu’il publia en premier lieu, et auxquels il continua toute sa vie à s’intéresser, furent consacrés à la physico-chimie, dont il fut l’un des précurseurs. Il débuta (1866) par d’importantes études sur les phénomènes de sursaturation des solutions salines, et sur la formation des cristaux dans celles-ci. Il a montré ainsi que la sursaturation d’un sel cesse par le contact d’un de ses isomorphes à l’état cristallisé, et que le phénomène de la sursaturation n’est pas une propriété particulière aux sels hydratés. De ses études sur les sulfates de la série magnésienne, il résulte l’existence d’un dimorphisme général de ceux-ci dont cinq sels peuvent s’obtenir, vers 15 ou 20 degrés, en cristaux soit orthorhombiques soit clinorhombiques, tout en conservant 7 molécules d’eau de cristallisation. Postérieurement, il indiqua un second cas d’isodimorphisme dans la même série, car il a fait cristalliser les sulfates de nickel, de zinc et de magnésium sous deux formes incompatibles et destructibles rune par l’autre, mais contenant également 6 molécules d’eau. D’autre part, il montrait qu’avec une même dissolution de sulfate de fer évaporée à l’air libre et à la température ambiante, on peut obtenir, tour à tour, quatre sulfates de fer différents, hydrates métastables, obtenus en touchant la dissolution avec des germes cristallisés de forme et d’hydratation différentes. La stabilité des cristaux ainsi produits à une même température est très différente, et la stabilité relative de deux formes cristallines peut se déterminer par ce fait que les cristaux de la plus stable détruisent ceux de la moins stable. De deux formes cristallines, la plus stable est celle qui exige pour se former la moindre sursaturation. Il nous faudrait ci ter tout entier son admirable Mémoire sur la sursaturation, qui parut aux Annales de Chimie et de Physique en 1869.

Plus tard, en 1874 et 1875, considérant plus spécialement ces questions sous l’aspect de la cristallogénie, Lecoq de Boisbaudran mit en lumière l’importance de la vitesse de cristallisation sur la formation des faces des cristaux, et il en tira une théorie de l’apparition des facettes secondaires dérivées de la même forme primitive. Il pouvait disposer pour ses expériences, dans sa maison de Cognac, d’Une cave profonde où les variations de température étaient de l’ordre du centième de degré. Prenant pour type les cristaux d’alun d’ammoniaque qui présentent soit les faces du cube, soit celles de l’octaèdre, il montra qu’à 15° celles-ci sont moins solubles en solution alcaline que celles du cube. Dans ces conditions, la solution, saturée vis-à-vis de la forme cubique qui est stable, est sursaturée par rapport à la forme octaédrique, alors instable vis-à-vis de celle du cube. Par conséquent, si l’on place un octaèdre d’alun dans une solution saturée pour la forme cubique seulement, les faces de l’octaèdre se recouvriront rapidement du pointement trièdre qui donnera le cube. On a donc là l’interprétation simple et élégante de la cicatrisation des cristaux.

Comme on le voit, Lecoq de Boisbaudran fut l’un des précurseurs de la chimie physique, et ses travaux, très en avance sur l’époque, n’eurent ni l’influence ni le retentissement qu’ils méritaient. Il fut aussi parmi les premiers à préconiser l’emploi du courant électrique pour la séparation et le dosage des métaux ; dès 1871, il réalisait, comme partout où il a passé, une technique d’usage facile et parfaitement définie, qui est appliquée depuis dans l’électrochimie analytique avec de légères modifications.

Avant d’exposer les brillantes découvertes d’éléments nouveaux qui l’ont illustré, je crois utile de tenter d’exposer ici les idées qui l’ont guidé et les méthodes d’investigation dont il avait su s’armer pour d’aussi laborieuses entreprises : idées sur la constitution des spectres, et sur la classification des éléments permettant le calcul des poids atomiques de corps simples encore inconnus, méthodes nouvelles et complètement étudiées pour la recherche des éléments par l’analyse spectrale.

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Dès 1869, Lecoq de Boisbaudran faisait observer, en comparant entre eux les spectres des métaux alcalins, que l’ensemble de chaque spectre parait reculer d’autant plus du côté du rouge que le poids atomique du métal qui l’émet est plus élevé. Par exemple les trois groupes de quatre raies paraissent se correspondre exactement dans K, Rb, Cs, et l’augmentation de longueurs d’ondes des centres des groupes correspondants est proportionnelle à l’accroissement des poids atomiques. En passant du potassium au rubidium, puis au césium [2], l’écartement des raies de chaque couple, aussi bien que l’écartement des deux couples, croissent rapidement. Par suite de cette déformation des régions homologues des spectres comparés, il est nécessaire que les comparaisons numériques soient faites entre les centres des couples, et non point entre les raies homologues des groupes. Revenant sur la question dans une communication à l’Académie des Sciences en 1871, « Sur la constitution des spectres lumineux », il donnait des extraits d’un pli cacheté déposé par lui en 1865, et exposait ainsi ses idées sur les causes de l’émission des raies spectrales : cherchant à expliquer mécaniquement comment la molécule plus lourde devait produire des longueurs d’ondes plus grandes que la molécule plus légère :

« Il est reconnu que les molécules qui vibrent en produisant de la lumière ont des périodes d’oscillation isochrones puisqu’elles donnent naissance à des raies de longueurs d’ondes déterminées et constantes pour chaque substance … La force qui tend à ramener la molécule vers son centre de mouvement est la réaction de l’éther sur la molécule, réaction constante pour une « même vitesse et une même masse de la molécule, mais qui varie lorsque le rapport des masses éther et molécule vient lui-même à changer.. La molécule plus lourde sera donc ramenée vers son centre d’équilibre avec moins d’énergie que l’autre, et conséquemment elle emploiera plus de temps à accomplir une oscillation autour de ce point ; sa longueur d’onde sera plus grande. Dans la production de la lumière c’est bien la molécule entière qui vibre ; aussi, lorsqu’un composé chimique résiste à une haute température, il produit des raies spectrales différentes de celles de ses éléments. Dans ce cas, comme dans celui des corps simples, les raies les moins réfrangibles doivent être formées par le composé le plus lourd, lorsque les composés sont de même constitution chimique … »

Il ajoutait ensuite les conclusions suivantes de ses recherches plus récentes et de l’ensemble de ses études Sur la constitution des spectres :

1° Les raies d’un spectre dérivent d’une ou plusieurs raies primitives, formant un groupe élémentaire, qui, par des augmentations ou diminutions successives de longueur d’onde, se répète sur l’échelle lumineuse sans changer d’aspect général.

2° Pour une même famille naturelle la longueur d’onde moyenne des groupes élémentaires est fonction des poids atomiques. La forme générale des spectres subsiste donc en passant d’un corps de même type chimique à l’autre, elle est seulement modifiée sous l’influence du changement de masse des molécules.

3° Dans une série de spectres analogues, les harmoniques qui, comme pour les ondes sonores, reproduisent les vibrations lumineuses, ont des longueurs d’ondes moyennes d’autant plus grandes que les poids des molécules similaires sont plus considérables.

Lecoq de Boisbaudran ne dissimulait pas son espérance que le progrès de la science nous permettrait de faire, un jour, l’histoire chimique d’un corps inconnu, par la seule étude de son spectre, et de prévoir ainsi les propriétés physiques et chimiques de corps séparés de nous par des milliards de lieues dans les spectres stellaires.

Ce sont ces recherches sur la constitution des spectres qui méritèrent à leur auteur le Prix Bordin, décerné par l’Académie des Sciences en 1872. Il les avait réunies dans un mémoire Sur la constitution des spectres lumineux publié à la Rochelle en 1870, dans les Annales de la Société des Sciences naturelles de la Charente-Inférieure ; les tirages à part en sont introuvables maintenant.

Les études de cet ordre l’ont préoccupé toute sa vie et presque jusqu’à ses derniers jours. Il y était spécialement revenu en 1909, en publiant aux « Comptes Rendus », un travail de considérations numériques sur la comparaison des spectres de bandes du baryum et de l’aluminium, et sur la délicate question, non encore résolue, de savoir si certaines bandes cannelées peuvent être considérées comme remplaçant des raies du spectre de lignes, dont leur centre de gravité occuperait la place.

Dans les papiers qu’il a laissés, nous trouvons toute une longue suite de calculs de ce genre, malheureusement sans que des lois ou des conclusions générales puissent en être tirées,

Au sujet des relations qu’il avait observées, soit entre les poids atomiques, soit entre les raies spectrales, nous retrouvons dans ses notes manuscrites, le passage suivant :

« J’ai souvent trouvé de semblables relations qui me paraissaient indiquer l’existence de lois simples, mais d’autres relations, de même valeur apparente, venaient ensuite infirmer les premières, ou du moins, étaient incompatibles avec elles sur certains points. Ces relations étaient-elles toutes inexactes ? Chacune d’elles contenait-elle une part de vérité ? De nouvelles déterminations de poids atomiques, de nouvelles observations spectrales, permettraient peut être de faire un choix entre ces relations : peut-être aussi d’en compléter, ou rectifier quelques-unes. Il ne sera donc pas absolument inutile de connaître les relations que j’ai cru observer. »

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Dans son admirable atlas des Spectres lumineux et dans le volume de texte qui l’accompagne, il a réuni les études auxquelles il s’était livré auparavant, et dont une partie avait fait l’objet de notes à l’Académie, relativement aux spectres susceptibles d’être produits aisément, dans des conditions bien définies, et applicables à la recherche des éléments connus, principalement dans les solutions. Cette ètude étai t limitée à la région visible du spectre, et à l’emploi du modèle de spectroscope à un prisme. Cet ouvrage, de première importance, donne, avec des attributions scrupuleusement contrôlées et au moyen de substances purifiées avec le plus grand soin, les spectres des flammes obtenus avec le bec Bunsen ordinaire, mais surtout des spectres d’étincelle des liquides, ainsi que quelques spectres d’absorption. Ils sont précédés, afin d’éviter toute erreur, des spectres de l’air obtenus avec des étincelles de pôles et de longueurs différents et du spectre de la flamme bleue du gaz sans matières étrangère s introduites dans celle-ci. Le plus grand nombre des spectres ainsi publiés était obtenu avec l’étincelle de la bobine de Rhumkorff. M. Lecoq de Boisbaudran avait renoncé à l’emploi des tubes clos que la chaleur de l’étincelle remplit très vite de vapeur d’eau, et aussi à cause de la pulvérisation du liquide sur les parois du tube. Il faisait simplement éclater l’étincelle de la bobine, sans intercalation de bouteille de Leyde, à la surface du liquide contenu dans un petit tube court, ouvert, de contenance double de celle d’un dé à coudre, et traversé, à la partie inférieure, par un fil de platine reliant la solution au pôle négatif de la bobine. L’étincelle jaillissait ainsi entre la surface du liquide et un fil de platine, plus gros, formant l’électrode positive. On obtient ainsi soit des spectres de lignes seules dues à l’élément, soit des spectres mixtes où, à celles-ci, viennent s’ajouter des bandes dues au composé non ou incomplètement dissocié. C’est par cette technique des spectres des liquides au perfectionnement de laquelle il avait consacré de longues années et qui fut son procédé habituel, qu’il poursuivit sa recherche du gallium, le découvrit, et en suivit l’enrichissement dans la séparation qui devait aboutir à son isolement.

Plus tard, en 1885, avec le même dispositif, mais par simple renversement de l’étincelle, en changeant le sens du courant, et en rendant le liquide positif, M. de Boisbaudran a obtenu des spectres dits de renversement qui fournissent des bandes de phosphorescence. Celles-ci sont particulièrement caractéristiques de certaines terres rares, des terbines surtout. Il a caractérisé ainsi par les désignation Zα, Zβ, Zζ les spectres de cet ordre de trois éléments nouveaux, le dysprosium, le terbium, et l’europium.

C’est cette découverte des spectres de renversement, spectres de phosphorescence des solutions liquides, qui conduisit M. de Boisbaudran à l’étude des spectres de phosphorescence cathodique des solides pulvérisés placés dans le vide. Ce sont de véritables solutions solides dont il a été le premier à introduire la notion dans la science (Comptes rendus, 27 août 1866) par une note dont le titre seul fut inséré, à une époque où son nom était encore inconnu. Il obtint plus tard d’en faire réimprimer des extraits (14 décembre 1891), après la publication de ses belles recherches sur la fluorescence, de 1886 à 1890. A cette occasion, il écrivit d’intéressantes conceptions sur l’isomorphisme approché, qu’il étendait non seulement à la dissolution de certains solides les uns dans les autres, mais à la dissolution de beaucoup de liquides entre eux ; et de toutes les vapeurs entre elles. Sir William Crookes, le premier, a fait l’étude des spectres de phosphorescence cathodique des solides, et les résultats obtenus par lui furent interprétés à nouveau par Lecoq de Boisbaudran dans un sens différent du sien ; les opinions de ce dernier prévalurent. Celui-ci ne se borna pas, comme on l’avait fait jus-que là, à l’étude de la phosphorescence des seules terres rares, mais il s’attacha ensuite à celle des métaux communs : fer, manganèse, cuivre… qui, au lieu de bandes nettes de phosphorescence, donnent au spectroscope de larges bandes diffuses.

Au cours de toutes ces recherches, il montra que le spectre produit est bien dû au corps dissous, actif dans le dissolvant solide. Nous lui devons les lois principales de ces phénomènes, ou, tout au moins, les bases qui ont permis de les dégager dans la suite, comme la loi de l’optimum de M. Urbain, aux travaux duquel nous ne saurions mieux faire que de renvoyer pour l’élude de ces questions, et dont le remarquable mémoire Sur la phosphorescence cathodique des terres rares (Ann. de Chim, et de Phys, 8e série, t. XVIII, 1909) a magistralement exposé les travaux de Lecoq de Boisbaudran et sa discussion critique des interprétations de Crookes. Cette discussion, portant en grande partie sur la théorie des méta-éléments, abandonnée depuis par Sir William Crookes, a été close par la publication d’une brochure en anglais et en français intitulée : Remarques sur un discours de M. W. Crookes relatif à l’histoire des terres rares, par M. Lecoq de Boisbaudran.

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Il m’a semblé intéressant d’exposer ici, avec quelques détails, les idées qui ont conduit M. de Boisbaudran dans sa recherche de corps simples nouveaux. Jamais il n’en a donné un exposé suivi ; elles .sont éparses dans ses différents travaux, et c’est surtout dans ses conversations qu’il les faisait connaître. Elles prenaient forme, et s’affirmaient plus spécialement dans sa classification des éléments. Celle-ci différait notablement du système périodique de Mendeleeff, et lui était bien personnelle. Depuis qu’il s’occupait de chimie, son attention s’était toujours portée sur la question philosophique de la classification des éléments. Il s’attacha à découvrir de nouveaux rapprochements soit par la comparaison des poids atomiques des éléments, soit en observant la répartition des raies dans les spectres comparés des corps de même famille. Il tira ainsi, de relations encore inconnues, des déductions intéressantes qu’il consigna en des plis cachetés déposés à l’Institut. Il les exposa à plusieurs reprises, et plus en détail, dans des conversations avec M. Dumas et avec M. Friedel, et aussi avec d’autres autorités scientifiques, don t le témoignage, réitéré et donné sans hésitation, établit bien leur antériorité à la publication du tableau de Mendeleeff en 1869. Comme dans celui-ci, les essais de classification chimique de Lecoq de Boisbaudran, laissaient des places vides dans des séries naturelles, et permettaient de prévoir approximativement les propriétés d’éléments encore inconnus. Malgré l’importance de ces spéculations, il ne voulut pas les publier sans les avoir soumises au contrôle de l’expérience et sans avoir réussi à leur faire produire des résultats positifs. Aussi ne fût-ce qu’après ses découvertes du gallium (1875). du samarium (1879), du dysprosium (1886) qu’il se décida à donner dans les Comptes rendus de l’Académie des Sciences des « Remarques sur les poids atomiques », et « sur la classification des éléments chimiques. » En ajoutant aux exposés qui y sont donnés les exemples et les calculs que j’ai trouvés dans ses papiers, qui ont été libéralement mis à ma disposition par les siens, il est possible de présenter ici comme il suit la classification des corps simples de Lecoq de Boisbaudran :

Dans chaque famille bien établie existe un corps typique, résumant en lui pour ainsi dire, les propriétés caractéristiques de cette famille ; c’est le nœud, point de départ de la classification. Les nœuds sont rangés sur une même ligne horizontale, où se trouve donc le corps central de chaque famille, et dont le poids atomique subit, d’un côté deux accroissements successifs vers le haut, et d’autre part deux décroissements successifs vers le bas. Quand ces décroissements conduisent à des poids atomiques négatifs, ceux-ci se trouvent correspondre à des corps imaginaires, mais la famille se complète toujours à cinq membres par la formation d’éléments réels représentant les imaginaires, et venant se placer alors au-dessus des deux éléments placés en haut du nœud. Voici le tableau qu’il présentait en 1895 (Comptes vendus, t, CXX, p. 1097) ; j’ai ajouté les qualifications par lesquelles il désignait les lignes des corps se correspondant dans chaque famille, et inscrit les différences ainsi que les « bascules ) dont nous verrons la signification.

Les conceptions primitives de l’auteur se rattachaient à l’hypothèse de Prout, chaque famille dérivant de l’hydrogène par son premier corps. Dans la suite, il supposait les éléments chimiques constitués de fractions très inférieures à l’atome d’hydrogène, et considérait comme un maximum à employer dans ses calculs le 1/128e de la masse atomique de celui-ci.

Les éléments d’atomicité paire ou impaire alternent régulièrement, les métalloïdes occupant le centre, les métaux les extrémités.

Il fut amené dans la suite à supposer un élément inconnu au-dessous du Gl, et des éléments à poids atomiques « négatifs » au-dessous des autres familles. En réalité, ces éléments négatifs seraient représentés par des corps à très gros poids atomiques et placés à un niveau supérieur : celui de Bi, Pb et Tl : ce sont ceux qu’il nomme les « Extra hauts ». J’ai trouvé dans ses papiers toute une série de notes et de calculs mettant en évidence des rapports curieux, empiriques il est vrai, mais permettant avec une assez grande approximation de faire le calcul des poids atomiques des éléments « extra hauts ». Des calculs analogues ont amené leur auteur à ajouter une rangée nouvelle, celle des « sur extra-hauts », à la partie supérieure de ses tableaux, de classification dont celui qui précède n’est qu’un premier exemple. M. de Boisbaudran appelle bascule la différence entre le poids atomique d’un élément et la moyenne des poids atomiques des deux éléments qui forment un couple pair impair. Les familles ainsi associées sont dites familles compagnes. J’ai inscrit sur le tableau les bascules entre les éléments de chaque couple pair impair.

Cette classification avait donné à son auteur le poids atomique du gallium avec une exactitude satisfaisante et lui avait permis de corriger très heureusement le poids atomique du germanium déterminé provisoirement par M. Winkler sur une matière encore impure. Lors de la découverte de l’Argon en 1895, elle lui permit de prédire [3] que ce corps faisait partie d’une famille nouvelle dont aucun terme n’était encore connu, de nature métalloïdique, et comprenant des éléments privés de la faculté de se combiner aux autres éléments, dont il donnait à l’avance les poids atomiques obtenus par ses méthodes de calcul. Voici les valeurs ainsi calculées à l’avance placées en regard des plus récentes déterminations.

Calculé Mesuré
Hélium (?β) 3,9 3,99
Néon (?γ) 20,09 20,2
Argon (?δ) 36,40 39.88
Krypton (?ε) 84,01 82,92
Xénon (?ζ) 132,71 130,2

Il me paraît intéressant de faire observer que d’autres places vides du tableau de Boisbaudran ont été comblées. La place vide au-dessus du baryum a été remplie par le radium dont le poids atomique 226,5 donne avec le corps précédent un accroissement de 89,4. Pour compléter la famille compagne, au-dessus du cérium, si l’on admet un accroissement de 90,3 qui existe dans la famille correspondante symétrique, d’éléments. métalliques, entre l’indium et le thallium, on obtient un poids atomique de 223,3 pour un corps inconnu. Or, la densité du niton, l’émanation du radium, récemment déterminée par Gray et Ramsay par la microbalance, permet d’attribuer à cet élément temporaire un poids atomique voisin de 223. Si nous tenons compte d’autre part de la constatation nouvelle d’une faible radioactivité du potassium et du rubidium, la position du niton au sommet de leur famille ne nous étonnera plus.

En somme, à la base de la classification de Lecoq de Boisbaudran semble se trouver l’idée que les poids atomiques des éléments peuvent être calculés non plus seulement en partant de celui de l’hydrogène, mais aussi de celui de l’oxygène.

Cette observation, faite depuis longtemps pour la famille du soufre, dont les poids atomiques sont grossièrement voisins de multiples de 16, a été étendue par lui aux autres familles, et l’on voit que, dans son tableau, ce même nombre est à peu de chose près égal à la différence entre les poids atomiques des nœuds et des sous-nœuds, puis des sous-nœuds et des inférieurs. Soit ε la différence positive ou négative entre les poids atomiques réels marqués sur le tableau et un multiple de 16, on pourra dire que la différence entre les poids atomiques des nœuds et des sur-nœuds, puis des sur-nœuds et des supérieurs, est égale à (3 X 1) ± ε, La différence entre les poids atomiques des supérieurs et des extra hauts est égale à (5 X 16) + ε , mais cette fois la valeur de e est beaucoup plus considérable, et souvent le poids atomique pourrait être aussi bien, ou mieux exprimé par (6 X 16) — ε.

C’est à la détermination du nombre que j’ai désigné par ε , que M. de Boisbaudran a consacré de longues recherches. Il avait réussi à établir, pour chaque famille, des règles empiriques, mais relativement simples, qui lui permettaient de calculer, à moins d’une unité près, les poids atomiques de la plupart des corps simples absents de son tableau tel que nous l’avons donné.

On verra plus loin, à propos du gallium, comment le poids atomique du nouveau métal put ainsi.être exactement calculé à l’avance par deux méthodes différentes, et comment sa détermination expérimentale apporta une confirmation tout à fait satisfaisante de celles-ci.

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Telles étaient les idées générales qui dirigeaient Lecoq de Boisbaudran, et les méthodes d’investigation spectrale qu’il avait entre les mains pour la recherche de corps simples nouveaux, lorsqu’il entreprit les opérations qui l’amenèrent à découvrir le gallium. Les spéculations théoriques dont, nous avons tenté de donner quelque idée étaient entachées d’indécision ; et l’incertitude de réactions chimiques, calculées à l’avance, d’un corps hypothétique d’après sa seule position dans une série naturelle, rendait sa recherche bien hasardeuse. Aussi M. de Boisbaudran imagina-t-il « une marelle particulière de l’analyse minérale, telle qu’une erreur portant soit sur les propriétés des corps recherchés, soit même sur celle des éléments connus n’empêcherait pas la réussite finale ». Malheureusement cette marche, généralement applicable à l’élimination successive de tous les éléments connus, n’a jamais été exposée par son auteur, et rien dans ses publications, ni dans ses papiers inédits ne nous permet de la reconstituer.

Ces traitements de recherche, repris et abandonnés à plusieurs reprises, durèrent une quinzaine d’années. Avec les progrès de la minéralogie et les perfectionnements de l’analyse chimique, il ne fallait pas espérer trouver de nouveaux éléments dans des matières dont ils seraient des constituants essentiels, mais au contraire on pouvait les rencontrer, à l’état de traces, parmi des masses considérables de matières étrangères. En février 1874, il entreprit le traitement de 52 kilogrammes de blende [4] de Pierrefitte (Hautes-Pyrénées) apportée à cette intention dès 1868. Le sulfure de zinc impur, dissous dans l’eau régale, lui fournit, au cours des précipitations et des redissolutions auquel il fut soumis, un dépôt blanc au contact de lames de zinc ; ce dépôt remis en solution chlorhydrique, la solution fut précipitée par l’ammoniaque, et celle-ci évaporée. Le liquide ainsi obtenu, soumis à l’action de l’étincelle, laissa voir au spectroscope, en outre de nombreuses raies connues, la très faible trace d’une raie violette située vers 417,0 de l’échelle des longueurs d’ondes. Cette raie, étrangère à tous les spectres étudiés par l’auteur dans ces conditions, lui parut appartenir à un élément nouveau, dont il vit ainsi les premiers indices le 27 août 1875, et qu’il nomma « gallium » en l’honneur de la France (Gallia) [5]. La quantité de gallium contenue dans le liquide ainsi examiné ne dépassait pas un centième de milligramme. En continuant le traitement chimique, une seconde raie violette de longueur d’onde 403,1 apparut, nouvelle aussi et appartenant au gallium. Ces deux raies très sensibles et faciles à observer, aussi bien sur la plaque photographique qu’avec l’œil, ont été souvent reconnues depuis. Elles ne sont pas présentes dans les flammes ordinaires telles que celles du bec Bunsen, mais elles sont très sensibles dans celle du chalumeau oxyhydrique au moyen duquel M. W. Hartley a pu constater l’extrême diffusion du gallium dans la nature, et dans beaucoup de produits métallurgiques. Le même auteur en a constaté la présence dans le spectre solaire. Dans des recherches en cours sur les spectres produits au moyen du chalumeau oxyacétylénique, j’ai observé ces deux raies dans un grand nombre de minéraux, principalement dans les silicates alumineux tels que les feldspaths et les micas. Le gallium, si difficile à obtenir, est en réalité excessivement répandu. dans l’Univers, mais partout en faibles quantités.

Grâce à ces premiers essais, Lecoq de Boisbaudran avait acquis la certitude de l’existence d’un nouveau corps simple, il en prépara environ un dixième de milligramme qui lui servit à en étudier quelques réactions fondamentales qu’il décrivit dans un pli cacheté remis à l’Académie des Sciences et ouvert le 20 septembre 1875. Ce fut la première publication relative au nouvel élément. Au bout de trois semaines, son analysé générale étant activement poussée, il était arrivé à posséder 2 à 3 milligrammes de chlorure de gallium. Quittant alors son modeste laboratoire de Cognac, où il avait su mener à bien une aussi importante découverte, il exécuta, au laboratoire de M. Wurtz, alors à la Faculté de Médecine, devant la section de chimie de l’Académie des Sciences, une suite d’expériences démontrant l’individualité du gallium. — Il s’agissait désormais d’arriver à isoler une quantité notable du nouveau métal, et divers minerais de zinc furent soumis aux essais : seules deux autres blendes se montrèrent un peu plus riches en gallium que celle de Pierrefitte : la blende jaune transparente des Asturies, et la blende noir-brun de Bensberg. L’extraction fut entreprise sur plusieurs centaines de kilogrammes de blende de Pierrefitte, opération de longue haleine, où le minerai broyé et attaqué par plus de 1500 litres d’eau régale, fut traité par le zinc à chaud, et le précipité obtenu, dissous par l’acide chlorhydrique, précipité à nouveau par le gaz sulfhydrique. Une série de fractionnements par le carbonate de soude est alors effectuée, en suivant la marche des opérations au moyen du spectre d’étincelle du liquide par la présence de la raie Gaα 417,0. Après avoir préparé le sulfate de gallium, puis le sulfure, et enfin l’oxyde de gallium, on dissout celui-ci dans la potasse, et la solution est enfin soumise à l’électrolyse pour avoir le gallium métallique. Celui-ci fut isolé pour la première fois en novembre 1875, en une couche solide adhérant aux électrodes de platine, mais M. de Boisbaudran ne l’obtint à l’état de pureté, et en quantité suffisante pour en reconnaître les curieuses propriétés physiques, qu’en février 1876. Quel ne fut pas son étonnement en constatant que le gallium séparé de la solution potassique était formé d’innombrables petits globules liquides. Il en obtint ainsi près d’un gramme, sur 430 kilogrammes de blende traitée, et il put ainsi établir les propriétés suivantes du nouveau métal :

Le gallium est un métal gris-blanc, d’un bel éclat, mais se ternissant légèrement à l’air humide par suite d’une oxydation superficielle.

Il se liquéfie à la chaleur de la main, son point de fusion étant à + 30,15°. Il reste facilement en surfusion, même jusqu’à zéro, mais cette surfusion cesse au contact de la plus petite parcelle du métal solide. Il cristallise en octaèdres réguliers basés. Sa densité à 23° est de 5,94 à l’état solide. Il est intéressant de remarquer que le corps hypothétique qui semblait correspondre au gallium dans la classification périodique de Mendeleïev devait présenter, d’après les prévisions de celui-ci, une densité de 5,9. En revanche les propriétés du métal hypothétique de M. Mendeleïev doivent présenter, d’après celui-ci, la moyenne entre celles de l’aluminium et celles de l’indium, or, ceci est contredit première-ment par la facile fusibilité de ce métal, et secondement par plusieurs réactions et qualités du nouveau métal. Mais un grand nombre de ses propriétés le rapprochent cependant de l’aluminium, et d’autre part aussi du glucinium. Le chlore, le brome et l’iode l’attaquent très lentement. Il se dissout dans une solution de potasse en dégageant de l’hydrogène. Son principal oxyde est le sesquioxyde Ga2O3, la galline (par analogie avec l’alumine), corps blanc, fixe, et infusible, réductible au rouge en un protoxyde. Il donne deux chlorures GaCl2 et Ga2Cl3, ce dernier très déliquescent, fusible à +75° et bouillant à 215°. Parmi ses principaux sels, nous citerons l’alun de gallium : Ga2(NH4)2(SO4)4 24H2O, isomorphe de l’alun ordinaire et cristalli san t en cuboctaèdres réguliers.

Avec la collaboration de M. Jungtleisch, Lecoq de Boisbaudran entreprit le traitement, à l’usine de Javel, de 4300 kg de blende, et, avec le sulfate de zinc ainsi préparé, les deux savants purent extraire 62 grammes de gallium, quantité qui leur permit d’en préciser les propriétés physiques.

M. de Boisbaudran a donné, en plus de nombreuses notes à l’Académie des Sciences sur le même élément, un mémoire d’ensemble sur le gallium, dans les Annales de Chimie et de Physique (5e série, t. X, 1877), où l’on trouvera historique, les propriétés, les réactions, l’extraction et la purification de ce métal. Dans un second mémoire (Ann. de Chim. et Phys. 6e série, t. II, 1884), il a fait connaître les procédés de séparation du gallium d’avec les autres éléments. Dans ce travail très considérable, qui avait nécessité plus de six ans d’études continues, il passe en revue tous les corps simples connus, et il expose les méthodes analytiques propres à les séparer quantitativement du gallium, les procédés de séparation portant sur plus de soixante substances différentes. Ce mémoire, qu’on peut citer comme un modèle de ce genre de travaux, fournit pour chacun de ces éléments plusieurs moyens de séparation exacte, dans les cas où le composé gallifère contient à la fois plusieurs corps à éliminer. Ces séparations étaient suivies, bien entendu, en observent les spectres d’étincelle des liquides jusqu’à disparition de la raie Gaα 417,0.

Avant qu’aucune détermination expérimentale n’en eut été faite, Lecoq de Boisbaudran avait calculé le poids atomique du gallium par deux méthodes différentes, au moyen de données théoriques pour un corps intermédiaire entre l’aluminium et l’indium. Les considérations fondées uniquement sur la classification des éléments dont nous avons parlé précédemment le conduisirent à une valeur moyenne de 69,82. D’autre part, il appliqua la loi spectrale déjà proposée par lui, à savoir « que les variations des longueurs d’ondes des raies correspondantes sont, pour une même famille naturelle, des fonctions très simples des variations des poids atomiques », et de la comparaison du spectre du gallium avec ceux de l’aluminium et de l’indium d’abord, puis avec les spectres du potassium, du rubidium et du césium, il obtint pour le poids atomique du gallium la valeur, très voisine de la précédente, de 69,86. Ces comparaisons de longueurs d’ondes spectrales portaient sur deux raies dans chacun des spectres, raies réellement homologues, celles qui furent depuis reconnues comme les plus sensibles de toutes, et appelées maintenant « raies ultimes ».

La détermination expérimentale du poids atomique du gallium fut entreprise ensuite par Lecoq de Boisbaudran par calcination, d’abord de l’alun gallo-ammoniacal, puis par celle du nitrate de gallium provenant d’un poids connu du métal. La première méthode lui donna 70,03 et la seconde 69,70. La moyenne de ces deux nombres c’est-à-dire 69,86, coïncide avec les valeurs déduites des considérations théoriques, et d’une manière rigoureuse avec celle que les comparaisons spectrales avaient permis d’obtenir.

La valeur officiellement admise par la commission internationale des poids atomiques pour 1913 est encore 69,9.

La découverte du gallium, d’abord accueillie avec beaucoup de réserve et même contestée, eut un grand retentissement. Elle valut à son auteur de brillantes récompenses, la croix de chevalier de la Légion d’Honneur en 1876, le titre de Correspondant de l’Institut en remplacement de Malaguti en 1878, la grande médaille Davy décernée par la Société Royale de Londres en 1879, et enfin le prix de chimie de 10.000 francs de la fondation Lacaze, qui lui fut attribué la même année par l’Académie des Sciences, La Société chimique de Londres et d’autres Sociétés savantes tinrent à se l’associer comme membre honoraire. Dans la suite, ses amis de la section de chimie l’encouragèrent à poser sa candidature il une place de membre titulaire de l’Académie, mais il déclara, à plusieurs reprises, se contenter de son titre de Correspondant qui ne l’astreignait point à résider à Paris. Il n’accepta point, non plus, que des démarches fussent faites pour sa promotion au grade d’officier de la Légion d’Honneur.

• • •

L’étude complète du gallium et de ses principaux sels n’était pas encore terminée, que, sans abandonner sa tâche, il allait explorer, et avec quel succès, un nouveau champ d’activité scientifique, celui des terres rares. On sait que ce terme désigne les oxydes de tout un groupe de métaux qui se rapprochent de l’aluminium par leurs sesquioxydes et leurs chlorures, mais qui s’en éloignent en ne donnant pas d’aluns. D’autres caractères tels que la basicité des oxydes, la nature des sulfates, l’insolubilité de leurs oxalates les rapprochent aussi des alcaline-terreux, tandis que des relations d’isodimorphisme relient les sels d’une partie d’entre eux à ceux du bismuth. Il y a peu d’années encore on les extrayait seulement de certains minéraux très peu répandus, provenant des syenites ou des gneiss de Norvège.

Les terres rares présentent entre elles une extrême analogie qui déroute les méthodes habituelles des, séparations analytiques. On n’arrive à isoler ces oxydes qu’en répétant des séparations imparfaites, par des précipitations basées sur de faibles différences de solubilité, ou des cristallisations réitérées. La détermination du poids atomique, lorsque celui-ci reste constant, la persistance des spectres produits par les méthodes variées, permettent seuls de supposer que ces longs « fractionnements » ont conduit à l’isolement d’un corps pur. Lecoq de Boisbaudran entreprit de débrouiller le chaos qu’offrait alors cette branche, à juste titre considérée comme la plus difficile, de la chimie minérale. Mais ses moyens matériels étaient restreints : il se plaisait même à raconter que son laboratoire se trouvant encombré, il avait dû poursuivre parfois ses fractionnements sur le marbre de sa cheminée. Il opérait d’ailleurs Sur de faibles quantités de matières, cherchant surtout à délimiter avec rigueur les divers caractères spectraux, et à s’assurer de l’invariabilité de ceux-ci, les substances étudiées étant arrivées à un suffisant degré de pureté. Devant les multiples difficultés et la complexité extrême des questions qui se posaient à lui, il lui fallait des identifications spectrales certaines, capables de définir un corps nouveau en le différenciant des éléments voisins avec lequel on le confondait, et qui, jusqu’alors, masquaient ses propriétés. Sa connaissance approfondie de l’analyse spectrale, les méthodes nouvelles qu’il y avait su créer, ou utiliser d’une manière plus parfaite, lui permirent de suivre, avec une exactitude inconnue jusque là, l’enrichissement de ses fractionnements. Il est bon de rappeler que deux caractères pris, l’un dans un spectre d’étincelle, l’autre dans un spectre d’absorption ou de phosphorescence, n’ont aucun rapport apparent et peuvent néanmoins s’appliquer à un même élément, aussi bien qu’à deux corps différents. Aussi ce sont des caractères nouveaux, et non pas nécessairement des éléments nouveaux, que Lecoq de Boisbaudran a désignés par des notations provisoires, qui, dans la suite des découvertes, se sont trouvées représenter finalement les identifications suivantes :

Terbium spectre de renversement
. . . . . . .d’absorption
Dysprosium . . . . . . . de renversement
. . . . . . .d’étincelle
Europium . . . . . . . de renversement
. . . . . . .d’étincelle

Nous rappellerons qu’on divise les terres rares en deux groupes : le groupe cérique, dont le cérium est le type, et dont les métaux, en solution concentrée, donnent, avec le sulfate de potasse en solution saturée, un précipité de sulfate double, peu soluble dans les acides, et d’autre part le groupe yttrique, formé de métaux qui, comme l’yttrium, ne donnent pas de précipité avec le sulfate de potasse en solution. A ce dernier groupe appartiennent les trois métaux dont il vient d’être question.

C’est en 1879 que Lecoq de Boisbaudran fit sa première communication sur ce difficile sujet en montrant que le didyme extrait de la « Samarskite », niobotantalate de terres rares des deux groupes, différait du didyme de la « Cérite », silicate des oxydes du groupe cérique.

Continuant ses recherches sur les substances extraites de la Samarskite, il en fit l’étude spectrale ; dans celle du nitrate de didyme, il eut pour collaborateur le savant américain Lawrence Smith, bien connu, lui aussi, par ses travaux de chimie minérale et de minéralogie, et avec lequel il resta en correspondance et en relations d’amitié ; enfin, poursuivant seul son travail, il annonça à l’Académie des Sciences, le 18 juillet 1879, l’existence du Samarium, radical d’une terre nouvelle extraite de la Samarskite. C’est par ses bandes d’absorption qu’il a d’abord défini le samarium, il avait alors trop peu de matière et elle était trop impure pour qu’on put fixer un poids atomique. L’individualité du samarium, dont l’oxyde offrait une basicité plus faible que celle du didyme, n’en était pas moins certaine.

Il montra à cette occasion à quel point ces spectres d’absorption peuvent varier sous les influences diverses, telles que la température, la concentration et le degré d’acidité des solutions. Se limitant comme toujours au spectre visible, il en dessina des planches que nous publierons prochainement : 1° absorption du chlorure SaCl2 sur la lumière solaire. et sur celle du platine incandescent, spectre qui varie beaucoup selon la richesse de la solution ; aussi fit-il trois dessins, pour des concentrations faible, moyenne et forte ; 2° spectre de fluorescence par renversement, étincelle sur solution de chlorure ; 3° spectre de phosphorescence cathodique au vide, avec l’alumine ou avec l’oxyde de gallium pour diluant. Le degré de calcination auquel le mélange (diluant plus matière active) a été soumis avant son introduction dans le tube à vide influe considérablement sur ces caractères spectraux ; aussi M. de Boisbaudran a-t-il dessiné les différents spectres de phosphorescence obtenus après avoir chauffé, à des températures très différentes, les mélanges soumis au bombardement cathodique. Une très forte calcination transforme les larges bandes diffuses en bandes étroites et vives, ressemblant à des raies de spectres d’étincelle, et à peu près équidistantes. On voit donc toute l’importance de préciser exactement les conditions où l’on a opéré.

La terre que Marignac avait obtenue postérieurement et qu’il avait désignée par Yβ fut identifiée avec le samarium. Le poids atomique du métal fut trouvé égal à 149,4, et les sels qui furent préparés présentaient une teinte jaune caractéristique.

M. de Marignac confia alors à M. de Boisbaudran un second oxyde, obtenu comme le premier en fractionnant les terres yttriques et qu’il avait provisoirement représenté par Yβ. Lecoq de Bosbaudran, ne lui trouvant pas de spectre d’absorption dans la région visible, caractérisa ce nouvel oxyde par son spectre d’étincelle, et c’est d’un commun accord entre eux que l’élément fut nommé Gadolinium (1889). M. de Boisbaudran poursuivit, pendant l’année suivante, l’examen des propriétés et du dosage de ce nouveau métal, dont il fixa le poids atomique à 156,2. En même temps, il continuait l’étude des terbines, qui l’occupa longtemps, puisqu’en 1904, il étudiait sous la désignation Zδ le spectre d’absorption que, dans la suite, M. G. Urbain reconnut comme caractéristique du terbium pur.

La découverte que fit Lecoq de Boisbaudran, en 1885, d’une nouvelle espèce de spectres, les spectres de renversement des liquides, dont nous avons déjà parlé, fut accomplie en étudiant les terres rares retirées des sulfates très peu solubles dans le sulfate de potasse. Il y observa une bande jaune citron d’une intensité toute particulière, et une bande verte, brillante elle aussi, mais dont l’intensité variait en sens inverse de celle de la bande citron, dans la marche des fractionnements parle sulfate de potasse. On se trouvait là en présence de deux corps mélangés à l’yttria, et qu’une nouvelle méthode spectrale permettrait de suivre et de séparer. Il désigna provisoirement par Zα la terre caractérisée par la bande citron, et par Zβ celle qui fournit la bande verte. Étendant le champ de ses investigations jusqu’à la substance où Soret avait reconnu un spectre d’absorption qu’il désignait par X, et où Clève (1880) avait isolé une base nouvelle, l’oxyde d’holmium, Lecoq de Boisbaudran parvint à scinder cette terre X de Soret, et à y reconnaître l’origine du spectre de renversement Zα à la bande citron, mais qu’il caractérisa surtout par son spectre d’absorption à bande de longueur d’onde 475,0. Il donna il ce nouvel élément (1886) ainsi défini le nom de Dysprosium, qui signifie « difficile à obtenir. »

Il dessina ensuite les très beaux spectres de phosphorescence cathodique que donne l’oxyde de Dysprosium avec différents diluants ; les belles planches qu’il en a faites seront prochainement publiées.

L’origine de la bande verte du spectre Zβ, reconnue pour appartenir au terbium, lui inspirait les réflexions suivantes que nous retrouvons dans ses papiers :

« Le spectre de fluorescence du terbium (spectre que j’avais désigné par le symbole Zβ) a été le sujet des discussions entre sir William Crookes et moi.

« Je l’ai attribué à un corps nouveau, distinct de l’Yttria, contrairement à l’opinion de Crookes. Ce spectre se renforçait à mesure que la terre devenait plus colorée, et il était au maximum d’éclat dans mes terbines d’un brun très foncé. L’identité de Zβ et de Tr était donc probable. M. Urbain, dans son beau travail sur les terres rares, travail qui a éclairé tant de questions, a montré que la fluorescence Zβ est bien, en effet, due au terbium et, en outre, que la bande d’absorption Zδ, que j’avais vue dans mes terbines très colorées, appartient aussi au terbium. Enfin, M. Urbain a fixé le poids atomique du terbium sur une terre laborieusement purifiée, et encore sensiblement plus foncée que celle que j’avais déjà obtenue. Ma préparation de terbine, d’un brun foncé, avait déjà confirmé l’indication de Mosander, attribuant la coloration jaune de sa terre à la présence d’un élément spécial. La découverte de nouveaux caractères de cette terre colorée ne pouvait également qu’appuyer l’indication de Mosander et nous engager à conserver à sa terre le nom de terbine. Du moment que M. Urbain n’a pas trouvé plusieurs terres colorées, entre lesquelles il eût pu répartir les divers caractères observés, il ne pouvait, à mon avis, que conserver le nom de terbine : pas simplement par respect pour la mémoire de Mosander, mais en se conformant aux faits et à l’équité. »

On voit donc bien ici l’opinion si nettement et si souvent exprimée par Lecoq de Boisbaudran dans ses conversations, à Savoir, qu’un nouveau nom ne doit pas être donné à un élément dont les caractères sont déjà connus et ont été publiés.

Il nous reste maintenant à parler du rôle de M. de Boisbaudran dans la découverte de l’élément que M. Demarçay nomma europium, et à examiner la part qu’il y a pris. Nous ne saurions mieux faire que de citer ses notes manuscrites sur cette délicate question :

« On ne peut dire que l’europium ait été découvert en 1901 Demarçay a donné, en 1901, le nom d’europium à l’élément qu’il avait reconnu posséder à la fois les caractères : Sδ(Crookes, fluorescence) et Zε (moi-même, raies électriques), caractères déjà décrits.

« J’ai désigné autrefois par le symbole Zζ l’élément producteur d’une fluorescence rouge, obtenue par renversement avec des terres riches en samarine (Comptes rendus, 14 mars 1892). Cette fluorescence semblait avoir (et possède en effet) un rapport d’origine avec la l’aie rouge Sδ que Sir William Crookes avait précédemment obtenue par son beau procédé de fluorescence au vide. Mais le célèbre physicien fut entraîné, quant à la cause réelle de cette fluorescence, à soutenir diverses théories qui ne s’accordaient déjà pas avec les faits alors connus ni avec la notion de l’élément tel qu’il est défini par les chimistes, et qui sont complètement abandonnées aujourd’hui. J’avais aussi obtenu (avec les samarines montrant la fluorescence Zζ) un spectre électrique à raies étroites, qui caractérisait un élément particulier que je désignai par le symbole Zε. Le spectre électrique Zε et la fluorescence Zζ, l’un et l’autre caractéristiques d’éléments nouveaux, en indiquaient-ils deux, ou un seul ? Disposant de très peu de matière, je ne parvins pas à trancher cette question. Plus tard (Comptes rendus, 23 mars 1896), Demarçay annonça l’existence d’un élément donnant un spectre électrique à raies étroites. Il le désigna par le symbole Σ ; mais il s’assura ensuite que son Σ était identique avec mon Zε (Comptes Rendus, 28 mai 1900). Les différences d’intensités relatives des raies électriques de Σ et de Zε provenaient simplement de ce que Demarçay employait sa bobine à court fil, tandis que je me servais de ma bobine à long fil (genre Ruhmkorff). A une certaine époque, Demarçay inclinait à penser qu’il pouvait y avoir deux éléments distincts correspondant respectivement aux caractères Zζ et Zε. Mais, dans ses dernières publications, il admit : d’une part que la fluorescence rouge (Zζ) et la raie anomale de Sir William Crookes sont bien dues au même corps et que, d’autre part, la fluorescence Zζ et le spectre électrique Zε (qu’il appelle alors Σ-Zε) dépendent d’un même élément, auquel il donna le nom d’« Europium », bien qu’il eût reconnu ne l’avoir point découvert le premier (Comptes rendus, 28 mai 1900). Demarçay, avec une persévérance et une habileté remarquables avait réussi à pousser déjà très loin la purification de cet élément. Les travaux de M. Urbain, sa méthode au bismuth et en général, ses grands et si parfaits fonctionnements de terres rares, ont confirmé l’identité d’origine de la fluorescence rouge et des raies électriques de l’europium ».

On voit que si Demarçay fut le premier à préparer une quantité importante d’un oxyde nouveau, intermédiaire entre le gadolinium et le samarium, Lecoq de Boisbaudran, et aussi Crookes, ont eu leurs parts de.précurseurs dans cette découverte, en précisant des caractères nouveaux du corps inconnu.

Lecoq de Boisbaudran a donc joué un rôle de première importance dans la chimie des terres rares, en débrouillant l’écheveau si compliqué de ce groupe dont il a isolé deux éléments, le samarium et le dysprosium, prenant, en outre, une part considérable à la découverte de deux autres, le gadolinium et l’europium. Disons, enfin, qu’on lui doit la découverte et la description du spectre d’étincelle du chlorure d’ytterbium qui fournit de belles bandes dans le jaune et le vert, et du spectre d’absorption des composés du même élément.

• • •

Après 1895, son activité scientifique parait subir un ralentissement, et ses notes à l’Académie deviennent plus rares. Des devoirs de famille, la gestion de ses propriétés de Périgord, et surtout l’état de sa santé l’absorbèrent de plus en plus. Mais sa pénétrante intelligence restait ardemment attachée aux préoccupations de l’homme de science. Des notes manuscrites importantes sur des calculs théoriques relatifs aux spectres et aux poids atoniques, témoignent de la persistance de ses efforts et de ses méditations. Elles débutent par les lignes suivantes :

« Me voyant empêché par diverses causes de continuer mes recherches expérimentales et les rêves théoriques dans lesquels mon esprit se complaisait, sans grand espoir d’ailleurs d’en tirer beaucoup de vérités, je désire noter quelques remarques faites pendant mes années d’étude, espérant qu’elles pourront servir, tout au moins, à susciter des travaux utiles à la Science que j’ai tant aimée pour elle-même, et non par ambition. Surtout en ce qui concerne les questions théoriques, je me garderai bien de poser des conclusions, et je me bornerai à signaler des relations que j’ai cru observer, en particulier soit entre les poids atomiques des éléments chimiques, soit entre les raies spectrales. »

Mieux que tout panégyrique, ces lignes montrent bien son âme passionnément éprise de Science jusqu’au dernier jour, désintéressée dans ses efforts, prudente dans ses affirmations.

J’avais pu le décider à réunir et à publier, en un second atlas du même genre que le premier, des dessins inédits, portant comme toujours sur la région visible du spectre, et qu’il avait faits, avec sa précision habituelle, au cours de ses découvertes d’éléments nouveaux. Les trois dernières années de sa vie furent consacrées à en rédiger le texte explicatif. Il avait bien voulu me proposer de le seconder, et, au cours de certaines vérifications que nous avions faites ensemble, nous avons été amenés à une étude des divers spectres de glucinium, qui fut sa dernière présentation de travaux à l’Académie(1911). Les planches du nouvel ouvrage dont il m’avait confié la publication, qui, je l’espère, pourra être prochaine, sont entièrement nouvelles. Elles sont, pour la plupart, consacrées aux divers spectres du gallium, et des terres rares dont il s’est occupé, c’est-à-dire aux spectres du samarium, du thulium de l’ytterbium, de l’erbium, du terbium et du dysprosium. On y trouvera des exemples des diverses méthodes dont il a fait usage : spectres d’étincelle des liquides, spectres de renversement, spectres de phosphorescence cathodique (qu’il désigne sous le nom de fluorescence au vide), spectres d’absorption, et presque tous répétés dans des conditions différentes pour en faire observer les variations. Rassemblant le peu de forces que l’âge et la maladie lui laissaient, il les voua à la rédaction du volume de texte et de tables de longueurs d’ondes, complément nécessaire de l’atlas, et ce labeur il l’a poursuivi avec une ténacité admirable, malgré une ankylose progressive qui avait fini par lui interdire les mouvements des bras, de telle sorte qu’il écrivait encore quand déjà il ne pouvait plus, pour manger, porter les aliments à sa bouche. Sans une plainte, avec un stoïcisme admirable, l’esprit toujours lucide, il se voyait envahi par un mal cruel, se sachant condamné. C’est au milieu de difficultés et de douleurs dont on a peine à se faire une idée, que furent ainsi terminés les derniers chapitres de son œuvre. Sentant sa fin approcher il me fit appeler pour me les remettre, et malgré sa faiblesse et ses douleurs, il tint à me donner encore des instructions qui témoignaient d’une entière possession de cette belle intelligence qui a tant fait pour la Science et la renommée glorieuse de son pays.

Il survécut encore quelques heures, résigné, plein de sérénité au milieu des souffrances, soutenu par une énergie qui ne l’abandonna jamais, donnant aux siens, dont l’inlassable dévouement l’a entouré et assisté sans relâche, des conseils et des encouragements empreints de la plus grande élévation d’esprit, leur rappelant à plusieurs reprises que les deux qualités essentielles de l’âme humaine doivent être la droiture et la bonté.

Ainsi s’éteignit, le 28 mai 1912, François Lecoq de Boisbaudran, terminant par la mort d’un sage une noble existence de labeur, dépourvue des ambitions les plus légitimes, et entièrement orientée vers le progrès de la science et la recherche de la vérité.

A. de Gramont

[1Je tiens à en exprimer ici toute ma reconnaissance à madame de Boisbaudran, sa veuve, et à M. François des Mesnards, son neveu et exécuteur testamentaire.

[2Dans le texte imprimé de l’article, il était écrit cœsium. Je me suis permis de moderniser l’écirutre de cet élément chimique.(note du webmaster.)

[3Comptes rendus, 18 février 189185.

[4Ce minerai de zinc formé de sulfure de ce métal, contient généralement des quantités notables de fer, de plomb, de calcium, etc …

[5Et non point en allusion à son nom (Gallus : coq) il tenait beaucoup à le faire observer.

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