Le « Livre des feux » de Marcus Græcus

Albert Poisson, La Revue Scientifique — - 11 Avril 1891
Dimanche 12 mars 2017
Traduit intégralement en français pour la première fois, et commenté par M. Albert Poisson.

Ce petit traité.de pyrotechnie est le plus ancien que l’on connaisse ; c’est Hœffer qui en a le premier publié le texte latin d’après deux manuscrits de la Bibliothèque nationale, l’un du XIVe, l’autre du XVe siècle. Cependant il était connu avant Hœffer, car Porta et Cardan citent Marcus Græcus auquel ils empruntent diverses recettes. Quant à l’auteur lui-même du Livre des feux, c’est à peine si l’on peut dire à un siècle près l’époque à laquelle il a vécu. Marcus Græcus donne la recette du feu grégeois ; de plus, il emploie des termes arabes ; d’autre part, Mésué, médecin arabe, le cite. Mésué vivait au XIe siècle, le feu grégeois a été inventé au VIIe siècle : notre auteur a donc vécu vers le IXe siècle de l’ère chrétienne.

Le Livre des feux donne la composition du feu grégeois, de la poudre à canon, la préparation du salpêtre, la description du pétard et de la fusée, l’indication de moyens propres à se rendre incombustible, et enfin la construction d’une lampe à niveau constant. Mais à côté de ces données réellement intéressantes, on y trouve des recettes puériles ou dont l’effet est manifestement exagéré.

Le texte du Livre des feux est écrit dans un latin barbare, où solécismes et barbarismes abondent, ainsi spera pour sphera, lichnum pour lychnum, embotum pour embolum. On y trouve des mots arabes comme zambac, alkitran. Il est probable que l’original a été écrit en grec et qu’il fut plus tard traduit en latin.

Marcus Græcus ne cite que trois auteurs : Aristote, Hermès et Ptolémée, à propos de recettes qu’il leur attribue ; il y avait donc avant lui des traités sur les compositions incendiaires qui ne nous sont point parvenus,

Quoi qu’il en soit, ce traité est très intéressant, et plusieurs de ses recettes se retrouvent à peine changées dans des ouvrages des XVIe et XVIIe siècles.

La traduction qui suit a été faite sur le texte latin qu’Hœffer a publié dans son Histoire de la chimie (2 vol. in-8, 1842) à la fin du premier volume. Hœffer a traduit dans cet ouvrage plusieurs passages du Livre des feux, notamment ceux qui ont trait à la poudre à canon, au pétard et à la fusée.

Livre des feux de Marcus Græcus

1. Ici commence le Livre des feux, œuvre de Marcus Græcus, où l’on trouvera pour consumer les ennemis tant sur terre que sur mer des moyens merveilleux dont voici le premier.

2. Prenez de sandaraque pure [1] et d’une dissolution de sel ammoniac [2], de chacune une livre.

Ayant mélangé ces matières ensemble, vous les mettrez en un vase de terre verni, soigneusement bouché avec le lut de sagesse. Puis, vous le placerez sur le feu jusqu’à ce que la matière commence à fondre. La composition est bonne quand elle offre la consistance du beurre,. ce dont on s’assure en introduisant par l’ouverture supérieure une baguette de bois. Vous ajouterez alors quatre livres de poix liquide [3]. A cause du danger, on ne peut faire cette opération dans une maison.

3. Si vous voulez opérer sur mer avec cette composition, vous prendrez une outre en peau de chèvre et vous y introduirez deux livres de la composition. Si les ennemis sont assez rapprochés, vous en mettrez moins ; si, au contraire, ils sont à une bonne distance, vous en mettrez plus. Vous attacherez ensuite l’autre à une broche en fer et vous façonnerez une planche longue comme la broche. Vous enduirez de graisse la partie inférieure de la broche. Vous allumerez sur le rivage la planche dont on a parlé et vous placerez l’outre dessus. Alors la composition coulant le long de la broche sur la planche en feu, l’appareil se mettra en mouvement et consumera tout ce qu’il rencontrera.

4. S’ensuit une autre espèce de feu au moyen duquel on peut facilement incendier les maisons situées sur des collines ou ailleurs.

Prenez : naphte [4], une livre. Moelle de canna ferula [5], six livres. Soufre, une livre. Graisse de mouton fondue, une livre. Et de l’huile de térébenthine [6] ou de l’huile de briques [7] ou encore de l’huile d’aneth.

Ayant mélangé toutes ces drogues, vous remplirez de la composition obtenue des flèches dont la tête est partagée en quatre. Puis y ayant mis le feu, vous lancerez chaque flèche dans les airs à l’aide d’un arc. Dans le trajet, la graisse se fond et la composition s’enflammant, elle consumera tout ce sur quoi elle tombera.

5. Autre feu pour brûler les ennemis partout où ils seront. Prenez du baume [8], de l’huile d’Éthiopie, de la poix et de l’huile de soufre [9].

Ayant mis ces matières dans un vase de terre, vous l’enfouirez dans le fumier [10] pendant quinze jours. L’en ayant ensuite retiré, vous enduirez du mélange des javelots que vous lancerez dans le camp ennemi, au milieu des tentes. Au lever du soleil, partout où le mélange se sera fondu, il prendra feu. C’est pourquoi nous conseillons de jeter toujours les javelots avant le lever ou après le coucher du soleil [11].

6. Or voici comment se fait l’huile de soufre. On prend quatre onces de soufre, on les broie sur une table de marbre, on les réduit en poudre, on les mêle avec quatre onces d’huile de genévrier, et on les place dans un vaisseau jusqu’à ce que le mélange commence à distiller.

7. Autre manière de préparer l’huile de soufre. Prenez quatre onces de soufre brillant et cinquante jaunes d’œufs broyés ensemble ; faites chauffer à feu doux dans une poêle en fer. Dès que le mélange prend feu, on incline la poêle, et la partie qui coule est l’huile de soufre désirée.

8. Voici une autre espèce de feu, avec laquelle on peut, quand on veut, incendier les maisons ennemies du voisinage. Prenez de la poix liquide, de la bonne huile d’œufs, du soufre concassé, de chaque une once. Mêlez le tout. Remuez et placez sur quelques charbons ardents. Ces ingrédients ayant été bien mélangés, vous ajouterez au tout à peu près une once de cire vierge, pour en faire une sorte d’emplâtre. Lorsque vous voudrez vous en servir, vous prendrez une vessie de bœuf gonflée et, y ayant fait un trou, vous la remplirez du mélange [12], puis vous la boucherez avec de la cire. La vessie ayant été soigneusement ointe d’huile, vous allumerez une baguette de bois de marrube qui est le plus propre à cet usage, et vous l’introduirez dans la vessie par le trou.

La vessie, étant dépouillée des linges qui l’entouraient [13] et allumée, vous la placerez, une nuit où il fera du vent, sous le lit ou le toit de votre ennemi.

9. Partout où le vent poussera la flamme, l’incendie se propagera, et si l’on jette de l’eau dessus, il s’élèvera des flammes dangereuses.

1O. Sous prétexte de traiter de la paix, on enverra aux ennemis des hommes porteurs de bâtons creux l’emplis de la composition suivante. Ils répandront cette matière inflammable dans les rues, les maisons. Dès que le soleil donnera dessus, .un incendie dévorera tout. Prenez de la sandaraque et du bon tartre [14], de chaque une livre. Faites fondre en un vase de terre dont l’orifice aura été fermé. Ces matières étant fondues, tu ajouteras une demi-livre d’huile de lin et d’huile de soufre. On mettra alors le vase contenant le mélange dans du fumier de brebis, pendant trois mois, en ayant soin de renouveler le fumier trois fois par mois.

11. Voici un feu qu’inventa Aristote alors qu’il voyageait avec Alexandre dans des régions sombres, voulant y produire en un mois ce que le soleil y fait en une année, à l’aide d’une sphère d’orichalque. Prenez : cuivre rouge, une livre ; étain, plomb, limaille de fer, de chaque une demi-livre. Ayant fondu ces métaux, on en formera une plaque large et ronde en forme d’astrolabe [15]. Vous l’enduirez de la composition qui suit pendant dix jours et vous laisserez sécher ; vous recommencerez douze fois de suite. La composition allumée brûle une année entière sans déperdition ; elle pourra même durer plus d’un an. Vous pouvez en enduire un objet quelconque et le laisser sécher ; qu’une étincelle vienne à y tomber, le mélange brûlera longtemps, l’eau ne pourra l’éteindre.

Voici la composition de ce feu. Prenez poix, colophane [16], soufre, safran, huile de soufre préparée avec des œufs. Vous broierez le soufre sur une table de marbre. Ceci fait, vous ajouterez l’huile et le reste. On prend un poids quelconque de cette composition, onen enduit les toits,

12. S’ensuit une autre espèce de feu avec lequel Aristote dit que l’on peut détruire les maisons bâties sur les montagnes et le sol lui-même. Prenez une livre de naphte, cinq livres de poix, d’huile d’œufs et de chaux vive, de chaque dix livres. Triturez la chaux avec l’huile jusqu’à en faire une masse épaisse. Enduisez de cette composition les pierres, les herbes naissantes, au temps de la canicule ; enfouissez-eu sous du fumier au même endroit. Si la pluie d’automne vient à tomber, la composition s’enflamme. Avec ce feu, Aristote détruit le terrain et les habitants. Cette composition, affirme-t-il, se conserve neuf ans [17].

13. Voici une composition inextinguible, facile à préparer et déjà expérimentée. Prenez du soufre vif [18], de la colophane, de l’asphalte, du tartre mélangé de poix des nautoniers, enfin de la fiente de brebis ou de pigeon. Pulvérisez finement ces matières avec du naphte, puis mettez-les dans une fiole de verre hermétiquement bouchée, que vous laisserez enfouie pendant quinze jours dans du fumier chaud de cheval. Vous retirerez alors la fiole et, ayant versé la composition huileuse qu’elle contient dans un alambic, vous distillerez, en plaçant l’appareil sur des cendres fines et chaudes à feu lent. Si vous trempez du coton dans cette composition et que vous y mettiez le feu, tous les objets sur lesquels il aura été lancé à l’aide d’une baliste ou d’un arc seront dévorés par le feu.

14. Remarquez que tout feu inextinguible peut être éteint ou étouffé par quatre choses qui sont : le vinaigre bien acide, l’urine putréfiée, le sable. Enfin la laine trempée trois fois dans le vinaigre et séchée autant de fois éteint aussi ces feux [19].

15. Notez bien la double manière de faire un feu volant : a. Prenez une partie de colophane, autant de soufre vif, deux parties de salpêtre. Puis ayant bien pulvérisé cette composition et l’ayant imbibée d’huile, vous la mélangerez à de l’huile de lin ou de lamier. Cette dernière vaut mieux. Mettez la composition dans -un jonc ou un bâton creux, allumez : soudain il s’envole vers le lieu que vous voulez et l’incendie. b. Autre manière de faire un feu volant. Prenez une livre de soufre pur, deux livres de charbon de saule ou de vigne, six livres de salpêtre [20]. Broyez ces trois substances dans un mortier de marbre, pour les réduire en poussière aussi subtile que possible. On prendra ce que l’on voudra de cette poudre et on la mettra dans une enveloppe destinée à voler en l’air ou à produire une détonation. Remarquez que si l’enveloppe est destinée à voler, il faut qu’elle soit grêle, longue et que la poudre qu’elle contient doit être bien tassée [21]. L’enveloppe destinée à produire une détonation doit être au contraire courte et épaisse, la poudre la remplira à moitié seulement, ses deux extrémités seront solidement liées par un bon fil de ter. Cette enveloppe doit présenter un petit trou par lequel on allumera en y introduisant une mèche. La mèche doit être mince aux extrémités, large en son milieu et pleine de poudre. L’enveloppe destinée à s’élever en l’air peut avoir plusieurs. tours. Celle destinée à produire une détonation en aura le plus grand nombre possible. On peut faire un double tonnerre ou un double feu volant, en en mettant deux dans la même enveloppe.

16. Le salpêtre est un minéral terreux ; on le trouve dans les rochers, sur les pierres ; vous le dissoudrez tel quel dans l’eau bouillante, vous laisserez reposer la liqueur, vous la filtrerez et vous la chaufferez un jour et une nuit entière. Vous trouverez au fond du vase le sel congelé en lames cristallines [22].

17. Voici une composition qui, une fois allumée, ne s’éteindra pas ; si l’on jette de l’eau dessus, sa flamme augmentera. On fera une sphère d’airain d’Italie, puis l’on prendra : chaux vive, une partie, galbanum [23] et fiel de tortue, de chaque une demi-partie, ensuite vous prendrez autant que vous voudrez de cantharides auxquelles vous aurez coupé la tête et les ailes, avec une quantité égale d’huile essentielle ; vous broierez le tout et, l’ayant mis dans un vase en terre, vous l’enfouirez pendant onze jours dans du fumier de cheval, en renouvelant le fumier tous les cinq jours. Vous prendrez l’esprit fétide et jaune de l’huile, et vous en enduirez la sphère ; lorsqu’elle sera sèche, vous la recouvrirez de graisse et vous y mettrez le feu.

18. Voici une autre composition qui fournira un feu continuel. Écrasez des vers luisants avec de l’huile essentielle [24], mettez-les dans un globe de verre dont l’orifice aura été soigneusement luté avec de la cire grecque et du sel grillé, vous l’enfouirez comme ci-dessus, dans du fumier de cheval. L’ayant ensuite ouvert, vous enduirez de cette composition, avec une plume, une sphère de fer indien ou d’orichalque, vous l’enduirez et la sécherez deux fois de suite ; si alors vous allumez, le feu ne s’éteindra jamais ; si la pluie tombe dessus, la flamme devient plus brillante.

18. La composition suivante donne un feu de longue durée. Prenez des vers luisants lorsqu’ils commencent à voler ; les ayant broyés avec partie égale d’huile de jasmin, vous mettrez quatorze jours dans le fumier de cheval. Vous retirerez alors la composition et vous y joindrez un quart de partie de fiel de tortue, six parties de fiel de belette, une demi-partie de fiel de furet, remettez comme ci-dessus dans le fumier. Puis, dans un vase quelconque ou dans une lampe de bois, de cuivre jaune, de fer ou d’airain, de n’importe quelle forme, versez de cette huile et vous aurez une flamme qui durera fort longtemps. Hermès et Ptolémée se portent garants de ce secret prodigieux et admirable.

19. Suit un autre genre de composition qui, dans une maison ouverte ou fermée, dans l’eau même, ne s’éteindra pas. Prenez du fiel de tortue, du fiel de lièvre marin ou de loutre (avec lequel on fait la tyriaque) [25].

Ayant mélangé ces drogues, vous y ajouterez quatre fois autant de vers luisants auxquels vous enlèverez la tête et les ailes j vous mettrez le tout dans un vase en plomb ou en verre, que vous enfouirez dans du fumier de cheval, comme il a été dit précédemment. Vous recueillerez l’huile formée. Puis, mêlant parties égales des fiels mentionnés plus haut et de vers luisants, vous enfouirez le mélange dans du fumier pendant onze jours, en renouvelant le fumier chaque jour. Puis vous prendrez l’huile déjà extraite, vous en ferez une pâte avec les racines de l’herbe nommée cyroga leonis [26] et des vers luisants, vous ajouterez au l’este une demi-partie de cette pâte. Si vous le préférez, vous mêlerez toutes ces drogues dans un vase en verre et vous opérerez comme précédemment. Jetez de cette composition où vous voudrez et elle formera un feu continu [27].

20. Voici une composition qui allumée fera paraître une maison resplendissante comme si elle était d’argent. Prenez des lézards verts ou noirs. Coupez-leur la queue, et faites-la dessécher, car dans ces queues vous trouverez la pierre du vif-argent. Vous y tremperez une mèche, et, l’ayant tordue, vous la placerez dans une lampe de fer ou de verre, vous allumerez, et bientôt la maison prendra la couleur de l’argent, et tout ce qui se trouvera dans cette maison paraîtra argenté [28].

21. Pour faire paraître une maison verte. Prenez de la vervelle de petit oiseau, roulez-la dans un morceau d’étoffe avec une mèche et un baton. Vous mettrez cette pâte dans une lampe verte [29] avec de l’huile d’olives fraîche. Allumez.

22. Pour pouvoir manier Je feu sans se blesser. Dissolvez de la chaux dans de l’eau de fèves chaude, ajoutez-y un peu de terre de Messine, puis un peu de mauve et de glu. Ayant mêlé ces drogues ensemble, quand vous voudrez vous en servir, oignez vos mains et laissez sécher.

23. Pour que quelqu’un paraisse brûler sans danger. Mêlez de la mauve avec du blanc d’œufs, enduisez-en votre corps et laissez sécher. Puis faites cuire des jaunes d’œufs, mêlez en écrasant sur un morceau de toile de lin. Jetez dessus du soufre en poudre et allumez [30].

24. Composition qui s’allumera aussitôt si quelqu’un la tient les mains -ouvertes et qui s’éteindra de suite si on les tient fermées. On pourra répéter cela mille fois si l’on veut. Prenez un marron d’Inde ou châtaigne, broyez-la avec de l’eau de camphre, enduisez-en vos mains et le phénomène se produira aussitôt.

25. Pour faire un liquide semblable au vin qui s’enflammera si l’on jette de l’eau dessus. Prenez de la chaux, vive, mêlez-y un peu de gomme arabique, de soufre brillant et d’huile dans un vase. Il se formera une espèce de vin qui s’enflammera si l’on jette de l’eau dessus. Si vous mettez de cette composition sur une maison et qu’il vienne à pleuvoir, l’incendie consumera la maison.

26. Vous mettrez dans votre maison la pierre dite salpêtre mélangée à la pierre que l’on nomme Albacarrimum [31]. C’est une pierre noire et ronde, parsemée de taches blanches, de laquelle s’échappe, sous forme de rayons doucement resplendissants, une lumière semblable à celle du soleil. Si vous mettez de ce mélange dans vos maisons, vous aurez une lumière qui ne le cède en rien à la clarté des chandelles de cire. Elle n’en resplendira que mieux si on la place sur un lieu élevé et qu’on l’humecte d’eau.

27. Vous ferez le feu grégeois de cette façon. Prenez du soufre brillant, tartre, sarcocolle, poix, salpêtre fondu, huile, naphte, huile de brique. Faites bien bouillir tout cela ensemble. Puis trempez-y des étoupes et allumez-les. Vous pourrez en mettre à l’éperon d’un navire comme nous avons dit plus haut. Les étoupes enduites de cette composition ne pourront être éteintes qu’avec de. l’urine, du salpêtre ou du sable [32].

28. Vous ferez ainsi l’eau ardente. Prenez du vin vieux noir et épais ; pour un quart de ce vin vous ajouterez deux onces de soufre brillant finement pulvérisé, deux livres de tartre provenant d’un bon vin blanc, deux onces de sel ordinaire ; mettez ce mélange dans une cucurbite bien plombée et, ayant ajouté le chapiteau, vous distillerez une eau ardente que vous devrez conserver dans un vase en verre bien bouché [33].

29. Secret admirable grâce auquel un homme peut traverser les flammes sans danger ou même porter du feu ou un fer chaud à la main. Vous prendrez du suc de mauve double, du blanc d’œuf, de la graine d’herbe aux puces, de la chaux. Pulvérisez le tout. Rajoutez-y du blanc d’œuf, du suc de raifort. Mêlez. Vous oindrez de cette mixture votre corps et vos mains, vous laisserez sécher, vous vous oindrez de nouveau et alors vous pourrez sans danger affronter les flammes. Si vous voulez paraître brûler, vous allumerez du soufre sur vous et il ne vous nuira pas.

30. Voici une composition qui donne une flamme telle qu’elle consume les cheveux et les vêtements de ceux qui la tiennent. Prenez de la térébenthine, distillez-la dans un alambic, vous obtiendrez une eau ardente qui brûle sur le vin quand on l’enflamme avec une chandelle. Prenez de la poix finement broyée et de la colophane et projetez dans le feu ou à la flamme d’une chandelle [34]

31. Il y a trois manières de faire un feu volant dans l’air : 1e manière : on prend du salpêtre, du soufre, de l’huile de lin, on broie le tout et on le met dans un jonc creux. On allume. Le jonc pourra s’élever en l’air.

32. Vous ferez un feu volant de la manière suivante : prenez du salpêtre, du soufre brillant, du charbon de sarment ou de saule. Mêlez et mettez le tout dans une enveloppe de papyrus, allumez et bientôt vous le verrez s’élever en l’air. Remarquez que, par rapport au soufre, il doit y avoir trois parties de charbon, et par rapport au charbon, trois parties de salpêtre [35].

33. Pour faire une escarboucle lumineuse. Prenez le plus possible de vers luisants, écrasez-lez dans une fiole de verre, enfouissez dans du fumier de cheval, laissez-la demeurer quinze jours. Ensuite ayant retiré la pâte vous la distillerez à l’alambic, et le liquide qui aura distillé sera versé dans une coupe en cristal.

Voici un moyen ingénieux pour faire une lampe brûlant longtemps. On fera un coffre de plomb ou d’airain rempli d’huile. Du fond de ce coffre partira un tuyau menu qui conduira l’huile à un candélabre, et la lumière durera tant qu’Il y aura de l’huile dans le coffre [36].

Ici finit le Livre des feux.

Albert Poisson

[1Sandaraque, Ce n’est pas la résine qu’il faut entendre ici, mais l’arsenic rouge, réalgar Ou bisulfure d’arsenic, Pline en parle en ces termes : « La sandaraque se trouve dans les mines d’or et d’argent ; la meilleure est rouge, odorante, brillante, friable. » (Histoire Naturelle, liv. XXXIV, ch. XVIII.) Le terme de sandaraque désigna, jusqu’au siècle dernier, le réalgar ; dans le Dictionnaire mytho-hermétique de Pernety, nous trouvons : « Sandaracha grœcorum : arsenic brûlé ou orpin rouge réduit en poudre. »

[2Dioscoride dit quelques mots d’un produit naturel qu’il appelle ammoniac, mais ce qu’il en dit n’est pas suffisant pour affirmer que les anciens connaissaient le sel ammoniac. Au contraire, il est décrit très explicitement dans les ouvrages de Geber.

[3Il y a dans le texte : alkitran, résine, poix en arabe. « Alchitram, le même qu’Alchieram. On trouve ce nom dans quelques chimistes pour signifier l’huile de genièvre, la poix liquide … » (Pernety, Dictionnaire mytho-hermétique.) Nous retrouvons ce mot, sans l’article al, dans la magie naturelle, de Porta : « Poix résine, poix liquide, que tous appellent kitra. » (Porta, la Magie naturelle, trad. franç, abrégée ; Lyon, 1678.) Ici ce mot a donc le sens de poix. Plus tard, il fut détourné de sa signification primitive, et l’on entendit par alchitram ou alcitram l’huile de genièvre et certaines préparations d’arsenic. Ainsi Planiscampi, qui vivait au XVIIe siècle, explique alchitram par : arsenic préparé.

[4Le texte porte petroleum. Les Romains connaissaient les différents bitumes : bitumes solides ou asphaltes, bitumes liquides, pissasphalte, naphtes, pétrole. Pline, au livre XXXV, ch. XV, nous apprend qu’on tirait le bitume solide de la mer Morte et de la Syrie. Le bitume liquide provenait de Sicile, de l’île de Zanthe et de Babylone. Vitruve parle aussi du bitume liquide de Babylone : « A Babylone, il se trouve un très grand lac nommé Lymné Asphaltis, sur lequel nage un bitume liquide que Sémiramis employa pour joindre les briques dont elle bâtit les murailles de la ville. » (Vitruve, De l’architecture, liv. VIII, ch. III.) Cardan prend, comme synonymes ; bitumen et petroleum. « Et le feu qui est excité et allumé par eau est composé de poix de navire et grecque, de soulphre, de lie de vin qu’ils appellent du tartre, de sarcocola, de halinitrum, qui est une espèce de bitumen qu’ils appellent du petroleum ; ce a esté apporté à Marcus Græchus. » (Cardan, les Livres de Hiérosme Cardanus, médecin milanois, intitulez : de la Subtilité. Traduits du latin en français, par Richard le Blanc ; Rouen, 1642.)

[5Ferula, Plante citée dans Pline, liv, XIII, ch. XXII. D’après ce qu’il en dit, la ferula est une plante voisine du thapsia et riche en résine, en sorte qu’elle s’enflamme facilement et brûle longtemps.

[6Huile ou essence de térébenthine.

Plus loin, Marcus Græcus l’appelle eau ardente, terme générique applicable à tous les liquides inflammables. Les Romains et les Grecs connaissaient l’huile ou essence de térébenthine. Pour la préparer, on mettait dans un vaisseau de métal de la résine, on fermait l’orifice par des linges de laine et l’on chauffait fortement, l’essence se condensait dans la laine, et, pour la recueillir, il ne restait qu’à exprimer fortement les linges. Mais à l’époque de Marcus Græcus, on connaissait les appareils distillatoires, et on n’avait plus recours à ce procédé primitif.

[7Huile de briques. Cette préparation a été très longtemps en honneur au moyen âge et jusqu’au XVIIIe siècle. D’après Nicolas Lefebvre, on la prépare en éteignant des fragments de briques chauffés au rouge, dans de l’huile d’olive. On laisse reposer plusieurs jours et on distille ; le liquide que l’on recueille constitue l’huile de briques. (Voyez : Chymie de Nicolas Lefebvre, cinquième édition, 1751.) Hanzelet (1630) et Frezier (1747), dans leurs Traités de pyrotechnie, parlent aussi de l’huile de briques, qui entrait surtout dans des compositions destinées à brûler dans lI’eau ou inflammables par l’eau. L’huile de briques servait aussi comme remède.

[8Synonyme de pétrole, bitume liquide.

[9De même que l’huile de briques, nous la retrouvons dans les traités de pyrotechnie antérieurs au XIXe siècle. Frezier, dans son Traité des feux d’artifices pour le spectacle, donne un procédé analogue à celui que va nous indiquer Marcus Græcus. Seulement l’huile de genévrier peut être remplacée par l’essence de térébenthine ou l’huile de noix. On obtient, après digestion à chaud du soufre dans ces liquides, une huile rouge servant à peu près aux mêmes usages pyrotechniques que l’huile de briques.

[10Le fumier de cheval. C’était un moyen que les alchimistes employaient chaque fois qu’ils voulaient obtenir, pendant plusieurs jours, une chaleur douce et constante. De nos jours, le fumier est encore employé pour fournir une élévation de température dans la préparation de la céruse par le procédé hollandais.

[11Porta donne, dans sa Magie naturelle, une recette à peu près semblable. Porta connaissait probablement le Livre des feux. Au livre XII, ch. X, il dit, en parlant d’une composition incendiaire : « Ou en rapporte l’invention à Marcus Græchus . » Beaucoup de ses recettes sont identiques à celles de cet auteur. (Voir : Porta, Magiœ naturalis libri viginti,. Francofurti, 1597.)

[12Le membre de phrase entre parenthèses ne se trouve pas dans le texte.(?)

[13On devait donc conserver la vessie dans des linges avant de s’en servir. M. Græcus n’en a rien dit. Il y a évidemment quelque lacune dans cette recette.

[14C’est du tartre, au sens ordinaire, dont il s’agit ici ; plus loin, il est dit : Prenez du tartre de bon vin blanc (voir n° 28). Le tartre entrait aussi dans la composition du feu grégeois.

[15Instrument astronomique inventé par Hipparque, deux siècles avant l’ère chrétienne. Plus tard, on entendit par astrolabe un simple disque gradué portant une ou deux règles à pinnules, mobiles sur pivot.

[16Ce terme désigne actuellement le résidu de la préparation de l’essence de térébenthine. Les Byzantins connaissaient certainement ce produit.

[17Cette composition s’enflamme à la pluie, parce que la chaux vive en s’hydratant fournit un dégagement de chaleur suffisant pour faire entrer le mélange en ignition.

[18Soufre vif. C’est du soufre natif, qui était assez pur pour n’avoir pas besoin de purification. Les anciens tiraient le soufre, principalement, de la Sicile.

[19C’est aussi l’opinion de tous les anciens stratégistes. Æncas, le tacticien, recommande d’éteindre le feu, quand il prend aux machines de guerre, avec du vinaigre ; il s’éteindra aussitôt, dit-il, Et ne reprendra que fort difficilement. De même, plus tard, les Vénitiens dans leurs guerres contre Byzance, pour se garantir du feu grégeois, garnissaient leurs vaisseaux d’étoupes trempées dans du vinaigre. Les matières incendiaires, ne pouvant s’y attacher, retombaient dans l’eau où elles brûlaient sans danger pour le vaisseau.

[20La poudre actuelle, qui se rapproche le plus par sa composition de la poudre de Marcus Græcus, est la poudre de chasse qui a pour composition : salpêtre pur, 76,9 ; charbon pulvérisé, 13,5 ; soufre divisé, 9,6. Celle de Marcus Græcus représente en centièmes : salpêtre, 66 ; charbon de saule, 22 ; souffre,12.

[21C’est la fusée ; l’enveloppe destinée à produire une détonation correspond au pétard. Marcus Græcus les appelle plus loin feu volant et tonnerre.

[22Les anciens connaissaient le salpêtre, mais ils ne le distinguaient pas du carbonate de potasse. Le terme de nitrum, dans Pline, désigne tantôt l’un, tantôt l’autre. Il faut remonter jusqu’aux Arabes pour trouver la distinction établie nettement, Geber préparait artificiellement le salpêtre, en dissolvant le carbonate de potasse dans l’eau forte et en faisant cristalliser. (Voyez Liber investigationis perfecti magisterii, imprimé dans la Bibliotheca chemica Mangeti ; Genève, 1702, 2 vol. in-folio.)

[23Résine. Elle est citée dans Discoride.

[24Il y a dans le texte zambac, terme arabe qui signifie huile essentielle, en général, et huile de jasmin, en particulier.

[25Tyriaque ou thériaque, antidote inventé par Andromaque, de Crète, médecin de l’empereur Néron.

[26Cyroga leonis, Plante inconnue ; ne se trouve citée ni dans Pline ni dans Théophraste. Peut-être faut-il lire syringa.

[27Remarquez que Marcus Græcus ne dit pas d’allumer la composition. Elle fournit un feu ou plutôt une clarté d’elle-même. Il se produit un phénomène de phosphorescence dû aux vers luisants et à des matières organiques en décomposition (les fiels).

[28Porta, qui copie parfois servilement Marcus Græcus, n’a eu garde d’oublier un si beau secret." Pour voir une maison argentée et lumineuse, vous en viendrez à bout en cette manière. Couppez les queües à plusieurs lézards noirds, et recueillez les gouttes de liqueur éclairante qui découleront d’icelles. Vous en joindrez et unirez plusieurs et en mouillerez un morceau de papier ou une petite branche de genest, et, s’il est possible, vous y meslerez de l’huile et vous verrez tout teinct de couleur argentine. » (Magie naturelle, édition française de 1678.)

[29Verte, c’est-à-dire vert-de-grisée. Phénomène des flammes colorées.

[30Cette recette, ainsi que la suivante et quelques autres, se trouve à peu de chose près reproduite dans le traité : De mirabilibus mundi, d’Othon de Saxe, disciple d’Albert le Grand. On y ajoute J’alun comme enduit protecteur.

[31Albacarrimum. Minéral phosphorescent inconnu. Peut-être aussi y a-t-il une faute dans le texte primitif, et s’agit-il d’une espèce de grenat, nommé carbunculus pyropus ou garamantinum par les anciens. « Cette pierre, dit Baccius, luit dans les ténèbres, en sorte qu’on voit jusque dans les moindres recoins d’une chambre comme s’il faisait jour. » (De gemmis et lapidibus preciosis ; Francofurti, 1603.)

[32Le feu grégeois a été inventé, au VIIe siècle, par Callinique, ingénieur syrien, qui en vendit le secret aux empereurs de Byzance. Il est probable que sa composition variait assez ; celle donnée par Marcus Græcus devait fournir un feu très violent, qui pouvait même brûler dans l’eau à cause du nitre qui fournissait l’oxygène nécessaire et des composes huileux qui préservaient la masse du contact immédiat de l’eau. Le feu grégeois ne présentait d’avantages réels que sur mer, et dans les sièges, pour brûler les ouvrages en bois que les assiégeants approchaient des murs.

[33Le produit de celte distillation est de l’alcool. Le soufre et le sel ne servent à rien dans cette expérience. li s’ensuit que l’alcool était connu avant Arnauld de Villeneuve, auquel on attribue généralement sa découverte.

[34La térébenthine, ou résine de pin était employée par les Romains pour donner un goût spécial au vin ; nous avons déjà trouvé plusieurs fois citée, dans le Livre des feux, la colophane, résidu de la distillation de la térébenthine.

[35Cette poudre représente à peu prés ; en centièmes : salpêtre, 67 ; charbon, 24 ; soufre, 8.

[36C’est une véritable lampe à niveau constant, application du principe des vases communicants. La description est brève, mais claire ; le récipient et la lampe communiquent par un tuyau menu, afin qu’il ne contienne pas trop d’huile qui serait perdue. Il est probable que le récipient ou coffre ne se trouvait pas dans la même salle que la lampe, en sorte que les curieux ne pouvaient trouver la raison du phénomène.

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