Les grands mouvements de l’atmosphère.

L. de Djéri, La Revue Scientifique — 29 octobre et 3 décembre 1892
Vendredi 3 juillet 2015

Les courants

Chaque jour le soleil, échauffant d’une façon inégale les différentes parties de l’atmosphère, y produit des courants qui renouvellent sans cesse les molécules en contact avec le sol. Bien que cette action du soleil paraisse, au premier abord, s’exercer avec irrégularité pour entraîner les déplacements de l’air, surtout dans nos régions, il n’en est pas moins vrai que son action, dans l’ensemble toujours identique, aux mêmes époques de l’année, détermine à ces mêmes époques une série de grands courants réguliers, troublés seulement parfois par de petits courants secondaires dus. à des influences locales et momentanées.

Les rayons solaires ne frappent pas de la même façon toutes les régions du globe ; les parties voisines de l’équateur, frappées verticalement, reçoivent une quantité de chaleur beaucoup plus considérable que les zones tempérées et surtout que les régions voisines du pôle à peine effleurées par eux.

Il en résulte un échauffement beaucoup plus grand des portions de l’atmosphère situées entre les tropiques ; là, les masses d’air voisines de la surface du globe, subissant à la fois l’action directe des rayons solaires et celle de la réverbération, s’échauffent davantage, elles se dilatent, deviennent plus légères et montent. Les couches d’air inférieures des contrées moins fortement soumises à l’action du soleil se précipitent pour combler le vide, et ainsi se produit, en permanence, un courant régulier allant des pôles vers l’équateur : c’est le courant des vents alizés.

Si la terre n’était pas animée d’un mouvement de rotation sur elle-même, ces vents souffleraient du nord au sud dans l’hémisphère boréal et du sud au nord dans l’hémisphère austral. La rotation de la terre autour d’un axe passant par ses pôles a pour effet de dévier ces deux courants aériens dans le même sens vers l’ouest du monde, et de les transformer en vents allant du nord -est au sud-ouest dans notre hémisphère, et du sud-est au nord-ouest dans l’hémisphère austral. Les molécules d’air, en effet, appelées par aspiration des pôles vers les régions équatoriales, rencontrent dans leur marche des parallèles animés d’un mouvement de rotation de plus en plus grand ; — tandis que la vitesse de rotation des parallèles voisins du pôle est presque nulle, celle de l’équateur atteint 1667 kilomètres à l’heure. — Les molécules d’air venant des régions circumpolaires ne prennent pas immédiatement la vitesse des parallèles qu’elles abordent, un retard. se produit et, tandis que les régions au-dessus desquelles soufflent les vents alizés marchent en réalité plus vite qu’eux, ce sont ces vents qui semblent rétrograder et infléchit vers l’ouest leur marche primitivement perpendiculaire aux tropiques.

Les vents alizés paraissent donc souffler du nord-est dans l’hémisphère boréal et du sud-est dans l’hémisphère austral. En se rapprochant de l’équateur, leur route s’infléchit de plus en plus, suivant les parallèles de la terre, et en même temps leur vitesse de marche du pôle vers l’équateur se ralentit, parce que s’ouvrent devant eux des parallèles de plus en plus larges, qui leur permettent de s’étaler sur des espaces de plus en plus grands.

À leur point de rencontre, dans le voisinage de la ligne équatoriale, les deux courants alizés du nord et du sud ont des directions de marche à peu près identiques et leur vitesse de translation est très faible ; aussi cette rencontre des deux masses atmosphériques en mouvement n’amène-t-elle ni déchaînement de tempêtes ni tourbillons ; elle donne lieu seulement à des phénomènes électriques nombreux et à leur cortège obligé, des pluies abondantes. Sous l’équateur, il est rare qu’une journée se passe sans qu’on entende gronder le tonnerre et il pleut constamment.

Les masses d’air inter-tropicales échauffées par les rayons solaires et la réverbération de la terre montent d’abord verticalement vers le zénith, puis, se refroidissant en se dilatant au fur et à mesure de leur ascension, - les gaz et les vapeurs se refroidissent par détente, - elles perdent leur force ascensionnelle ; bientôt elles cessent de monter et, refoulées par les nouvelles masses qui montent au-dessous d’elles, elles se déversent au nord et au sud vers les pôles.

D’autre part, l’air des régions tempérées et des pôles qui, voisin du sol, a été attiré vers les tropiques pour donner naissance aux alizés, a produit un vide bientôt comblé par les couches d’air plus élevées de ces régions. Ainsi dans les couches supérieures de l’atmosphère des contrées circumpolaires l’air se trouve raréfié ; il s’ensuit, à grande hauteur, un appel d’air vers le pôle, et comme, tout au contraire, les régions supérieures de l’atmosphère des pays inter-tropicaux ont une surabondance de fluide, cet air en excédent se précipite au nord et au sud vers les pôles boréal et austral. Deux courants supérieurs marchant en sens contraire, des alizés inférieurs s’établissent, l’un dans l’hémisphère boréal, l’autre dans l’hémisphère austral.

Dans sa route vers le pôle, chacun de ces courants rencontre des parallèles dont la vitesse est de moins en moins grande : comme la vitesse propre de rotation de la masse d’air équatoriale était au début celle des parallèles voisins de la ligne, à chaque instant son mouvement de rotation autour de l’axe du globe est plus rapide que celui des parallèles traversés, et elle se trouve en avance dans la marche commune vers l’est.

Les vents venant de l’équateur et appelés contre-alizés paraissent donc, dans les régions tempérées, souffler de l’ouest avec tendance au sud-ouest dans l’hémisphère boréal, avec tendance au nord-ouest dans l’autre hémisphère.

Le soleil ne frappe pas la terre verticalement toujours suivant le même parallèle ; deux fois par an, à des époques invariables, chacun des parallèles situés entre les tropiques voit à son tour le soleil passer à son zénith. La zone des calmes équatoriaux, point de rencontre des deux alizés, suit ce mouvement annuel des rayons solaires ; pendant les mois d’été de notre hémisphère cette zone remonte vers le nord, pendant ses mois d’hiver elle descend vers le sud. Par suite de la façon inégale dont les continents et les mers contribuent à la création des courants alizés, — les premiers causent un échauffement beaucoup plus grand des couches inférieures de l’atmosphère équatoriale, — et par suite de la très inégale répartition des terres et des eaux à la surface des deux hémisphères dans le voisinage des tropiques, l’anneau circulaire des calmes équatoriaux n’oscille pas entre des parallèles situés à égales distances de l’équateur, mais suivant la marche du soleil il se déplace entre le 15° parallèle au nord et le 5° au sud en moyenne sur l’Atlantique même, il ne franchit jamais l’équateur et se maintient toujours entre les 5° et 18° de latitude nord.

Le système général des alizés et des contre-alizés suit naturellement ce mouvement de l’anneau des calmes, et la régularité de son souffle à la surface de chacun des hémisphères varie annuellement avec les saisons. Ainsi le souffle de l’alizé du nord-est se fait sentir avec une grande régularité, alors que l’anneau d’aspiration ou anneau des calmes est an sud de sa position moyenne, c’est-à-dire pendant les mois de novembre, décembre et janvier ; durant ce trimestre, l’alizé souffle sans interruption, et, à l’exclusion de tout autre vent, à la surface de toute la région inter-tropicale nord, amenant avec lui une période de beaux temps continus et de sécheresses, sinon absolue, du moins nettement caractérisée par des pluies très rares, sans orages, cyclones, tornades ni autres manifestations de troubles atmosphériques.

Dans l’hémisphère austral, au contraire, l’alizé du sud-est a sa plus grande régularité quand l’anneau d’aspiration est passé franchement au nord de l’équateur, et pendant trois mois, mai, juin, juillet, il amène le beau temps sur les régions comprises entre le tropique du Capricorne et la Ligne.

L’existence des vents alizés et contre-alizés à la surface des océans a été et est encore constatée journellement par les navigateurs. Ils utilisent les premiers pour faire route à la mer, et la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb est due, pour une large part, aux facilités de marche que lui donnèrent ces vents : lors de ses voyages à la conquête du nouveau continent, ils poussèrent ses caravelles vers l’ouest avec un beau temps d’une fixité telle et avec une telle régularité que ses équipages y croyaient voir de la magie.

L’existence des contre-alizés au-dessus des mers a été constatée également par les marins, dont les journaux de bord mentionnent unanimement une direction de marche des nuages élevés allant dans un sens opposé au souffle de l’alizé ; cette existence des contre-alizés a été aussi constatée au sommet des pics élevés, tels que le pic de Ténériffe, au faîte duquel un vent violent souffle sans interruption d’une direction diamétralement opposée à celle suivie par l’alizé.

Jusqu’ici, on n’avait pas cherché à se rendre un compte exact des transformations subies par ces vents (alizés et contre-alizés) dans leur traversée des grands continents inter-tropicaux. Bien que fréquemment les journaux des explorateurs et des colons eussent mentionné à la surface de ces continents des vents persistants ayant tous les caractères des alizés, aucun travail d’ensemble n’avait permis, en coordonnant ces résultats d’observation, de faire ressortir cette vérité que : les alizés et les contre-alizés soufflent à la surface des continents et des grandes îles avec la même régularité et dans les mêmes conditions qu’à la surface des mers, avec cette restriction cependant que les premiers sont parfois légèrement déviés de leur route par les accidents du sol, ou oblitérés par l’existence de certains foyers d’aspiration dont il sera parlé plus loin. Récemment, et dans une étude parue dans la Revue maritime et coloniale, ont été cités des extraits d’un grand nombre de ces rapports de témoins compétents : tous mentionnent unanimement l’existence, à la surface de la partie septentrionale du continent africain, de vents régnants d’est et de nord-est ; les opinions de météorologistes distingués ont été également collationnées touchant ce sujet, et de cet ensemble de documents, tous concordants, ressort la preuve de l’existence des alizés à la surface du continent noir. Pareille preuve pourrait sans doute être faite pour la plupart des continents et des îles placés dans le voisinage de l’équateur ; et ainsi, on pourrait arriver à conclure que sur toute la partie de notre planète située entre les tropiques règne, de part et d’autre d’un anneau circulaire de calmes, dits équatoriaux, caractérisés par des vents peu fréquents et variables, deux courants réguliers superposés : l’un nommé alizé, régnant à la surface du sol, souffle du nord-est dans l’hémisphère boréal et du sud-est dans l’hémisphère austral ; l’autre appelé contre-alizé, superposé au premier, à une altitude moyenne de 3000 mètres au-dessus de la surface des mers, souffle du sud-ouest dans l’hémisphère boréal et du nord-ouest dans l’hémisphère austral.

La marche régulière de ces vents généraux des tropiques est modifiée fréquemment à la surface des continents ou dans leur voisinage par des influences locales qui, par une action secondaire au point de vue de l’étendue de sa zone d’action, mais puissante au point où elle agit, change la direction du courant général ou même l’oblitère complètement pour y substituer un vent local au domaine plus ou moins étendu.

Tantôt une haute chaîne de montagnes, dressée perpendiculairement à la marche de l’alizé, le relève et empêche, jusqu’à une grande distance à l’ouest, son action d’être ressentie ; ainsi l’alizé du sud-est, après avoir remonté d’un souffle régulier la vallée du fleuve amazone, vient se briser contre la haute muraille des Andes ; là, son courant se relève, de telle sorte que les navires qui croisent le long des côtes du Pérou ne ressentent pas son action, son aide bienfaisante leur manque pendant un certain temps pour faire voile vers l’occident.

Tantôt une mer étroite ou la vallée humide d’un grand cours d’eau, resserrées entre des bords élevés, donnent naissance à un vent local, véritable fleuve aérien au lit créé par la nature, et ce fleuve de l’atmosphère, plus puissant que l’alizé, se substitue à lui localement ; ainsi la mer Rouge, la vallée du Nil dans la basse Égypte, bien que toutes deux situées dans le domaine de l’alizé, sont parcourues par des vents dominants du nord et du sud ; courants locaux, dérivations importantes des vents des contrées voisines (vents étésiens de la Méditerranée, moussons de l’océan Indien), qui, s’engouffrant dans ces étroits couloirs, y acquièrent une force suffisante pour vaincre le courant puissant mais lent de l’alizé du nord-est.

Tantôt de vastes déserts de sable, fournaises au-dessus de la surface desquels l’atmosphère, fortement échauffée pendant le jour, monte vers le zénith d’un mouvement incessant et rapide, causent un violent appel de l’air des contrées voisines vers leur centre et créent dans ces contrées des vents locaux dont la direction diffère de celle de l’alizé.

En général, ces vents composent leur force et leur orientation avec le vent régnant, ce qui donne lieu il un courant de direction excentrique, moyenne des deux directions principales ; ainsi le voisinage du désert de Libye, aux sables brûlants et à l’étendue immense, crée dans le Fezzan des vents de .nord-ouest et du nord, résultats des directions combinées de trois vents prédominants : l’alizé du nord-est, les vents étésiens du nord et les vents d’ouest ; ces derniers sont causés uniquement par l’aspiration du désert.

Tantôt des massifs montagneux importants, véritables îles au milieu des plaines du continent, forcent les vents régnants à contourner leurs bases, transforment leur direction primitive en direction excentrique et modifient quelquefois profondément le sens de leur marche. Ces dernières modifications brusques du cours des immenses fleuves aériens venant se briser sur des obstacles rigides ne vont pas ordinairement sans causer dans leur sein de gigantesques remous, sources d’orages et de manifestations électriques des plus violentes. Ainsi agissent sur les alizés les massifs d’Abyssinie et de Cameroun, l’un à l’est, l’autre à l’ouest du continent africain.

Les courants secondaires, produits par des circonstances locales, peuvent être assez importants pour faire sentir leur, action sur une grande surface de pays et disputer à l’alizé, en ces contrées, le titre de courant principal.

Les plus importants de ces courants secondaires sont ceux qui règnent le long de presque toutes les côtes des continents inter-tropicaux ; ils portent le nom de mousson. Les moussons sont dues : soit à une déviation de l’alizé causée par une côte contre laquelle, après avoir circulé librement sur la mer, il vient briser ses ondes ; soit à l’existence d’un couloir maritime étroit, entre deux terres élevées, placées perpendiculairement à sa marche ; soit au voisinage d’un foyer secondaire d’appel d’air d’une force considérable ; soit à une conformation telle de hautes terres que l’alizé se trouve, par elles, ou dévié profondément de son cours normal, ou relevé vers le zénith, laissant place, au-dessous de lui, de l’autre côté de leur barrière, pour un vent plus éloigné qui se prolonge naturellement sans que rien vienne le contrarier.

Quelles que soient les perturbations subies par les alizés dans leur marche, leur action générale n’en reste pas moins nettement visible dans tous les pays situés entre les tropiques ; mais ils sont loin de s’avancer à leur surface avec la régularité des contre-alizés. Naviguant dans les couches supérieures de l’atmosphère ; ces derniers ne rencontrent devant eux aucun obstacle et se dirigent au-dessus des régions inter-tropicales de notre globe, d’un souffle tranquille.

Au fur et à mesure que ces vents s’éloignent de l’équateur, ils perdent leur primitive température élevée, qui seule leur donnait la possibilité de se soutenir à une grande hauteur ; les rayons solaires les traversent sans les échauffer, la réverbération du sol n’est plus là pour leur renvoyer les rayons qu’ils ont laissé passer, et pendant la nuit leur rayonnement vers les espaces interplanétaires, dont seule une couche d’air de faible densité les sépare maintenant, leur enlève et au delà le peu de chaleur emmagasinée par eux durant le jour.

Devenus plus lourds, les contre-alizés s’abaissent et descendent à la surface du sol où ils viennent former ces vents d’ouest et de sud-ouest qui règnent sur les côtes d’Europe en face de l’Océan.

Quand une cause quelconque a déterminé la chute du contre-alizé, alors qu’il avait à peine dépassé la ligne du tropique, il descend à l’aplomb du Sahara, — sous les méridiens de l’Europe, — et donne lieu à des vents brûlants du sud. Le contre-alizé, descendu ainsi prématurément à la surface du sol, et sans avoir eu le temps de se refroidir par un séjour prolongé dans les hautes régions de l’atmosphère, aborde les sables embrasés du désert et s’échauffe encore en parcourant la portion du Sahara placée au nord du tropique.

Quelquefois le contre-alizé ne se fait pas sentir dans nos régions ; alors l’alizé naissant étend son action jusqu’à elles, et donne lieu à des vents du nord et du nord-est, plus fréquents dans le centre et à l’occident de l’Europe.

Pour les seules raisons ci-dessus exposées, les vents régnants des régions tempérées de notre hémisphère seraient loin de présenter la même régularité que ceux des régions inter-tropicales ; cette régularité est encore troublée par d’autres causes, celles-là locales, qui amènent souvent des modifications profondes dans la répartition des courants principaux, soit en déviant les vents généraux comme peuvent le faire les grandes chaînes de montagnes, soit en créant de nouveaux vents, souvent plus énergiques que les alizés et les contre-alizés. De cette dernière façon agissent les grands courants marins, qui, semblables à des fleuves géants, sillonnent les mers sur des milliers de lieux sans mêler aux flots de l’Océan leurs eaux de température sensiblement différente.

Avant d’atteindre les côtes de France, les contre-alizés, vents de l’ouest et du sud-ouest, ne rencontrent aucun obstacle à leur marche, aussi sont-ils vents régnants de la majeure partie du territoire de notre patrie ; les départements où l’on ressent moins fréquemment leur souffle sont ceux qu’abritent des accidents locaux du sol.

Les vents du nord et du nord-est sont, eux aussi, très fréquents en France ; ils sont la manifestation de l’alizé naissant, et rien non plus ne les a arrêtés dans leur course jusqu’à nous. Ils dominent plus particulièrement dans le bassin du Rhône et sur les côtes méditerranéennes ; en ces points, les montagnes du centre n’ont pas rompu leur violence, et la latitude plus basse rend moins fréquente la descente du contre-alizé, leur rival.

Outre ces vents généraux, d’autres vents se font encore sentir en France, soufflant, il est vrai, pendant de courtes durées, mais assez fréquemment pour qu’il soit nécessaire de les mentionner.

En premier lieu, on ressent sur les côtes mêmes des brises de terre et de mer causées par l’inégale façon dont le soleil échauffe les terres et les eaux ; ces brises presque journalières suivent les variations de position du soleil ; elles soufflent perpendiculairement à la côte, et leur zone d’action très limitée s’éteint à une faible distance du littoral, aussi bien en mer que dans l’intérieur du continent.

En second lieu, des vents, ayant tous les caractères des vents locaux, mais qui soufflent sur de grands espaces de territoire, et, à ce titre, méritent de prendre place parmi les vents principaux de France, sont produits par le voisinage du Gulf-Stream.

Le Gulf-Stream, ou courant du golfe, fleuve marin qui roule ses eaux chaudes à travers l’océan Atlantique, prend naissance dans le golfe du Mexique et de là remonte vers le nord en inclinant vers l’est, comme le contre-alizé et pour les mêmes raisons que lui ; dans le voisinage du banc de Terre-Neuve, il rencontre un courant froid venu des côtes du Groenland et en marche vers le sud-ouest ; de ce point, s’infléchissant de plus en plus vers l’orient, il se divise en deux branches dont l’une vient passer non loin des côtes de France et baigne l’Irlande, ainsi que le littoral occidental de la Grande-Bretagne.

Ce gigantesque fleuve d’eau chaude élève la température de l’air en contact avec lui, le sature de vapeurs et lui donne une force ascensionnelle grâce à laquelle se produit un courant ascendant de l’atmosphère ; l’air des régions voisines se trouve donc constamment attiré vers le fleuve marin, et par là s’explique l’existence de vents régnants d’est dans le pays de Galles et les Cornouailles.

Ainsi le Gulf-Stream, cause puissante de vents locaux dans l’Europe occidentale, y amène des vents d’est plus fréquents que ceux qu’on devrait normalement y constater. Cependant, telle est la prédominance de l’action de l’alizé et du contre-alizé que, — sauf en Grande-Bretagne, — ces vents d’est règnent rarement avec quelque continuité à la surface des pays situés à l’ouest de l’Europe.

Quand deux ou plusieurs des vents principaux dont nous venons de parler, savoir :

  • Contre-alizés de l’ouest et du sud-ouest,
  • Alizés du nord et du nord-est,
  • Vents d’est dus au Gulf-Stream,
  • Vents du sud, prolongement du contre-alizé,

viennent à souffler simultanément, leur direction résultante donne lieu à des vents de direction moyenne, dont la fréquence dépend de la fréquence avec laquelle l’action simultanée des deux vents composants peut se faire sentir.

Les contre-alizés, vents d’ouest, et les alizés, vents du nord, étant les plus communs, nous devons nous attendre à constater à la surface de la France l’existence de courants fréquents du nord-ouest.

Au contraire, les vents dérivés du contre-alizé, vents du sud, et ceux dus au Gulf-Stream, vents d’est, étant les moins fréquents parmi les vents principaux, ce qui précède amène à conclure que les vents de sud-est sont les plus rares de tous ceux qui soufflent à la surface de notre pays.

Ces déductions purement théoriques cadrent de tout point avec la réalité, comme chacun peut s’en rendre compte en observant la direction des vents à durée persistante en un point quelconque de la France et en particulier à Paris, ville des mieux situées au point de vue de l’indépendance des influences locales sur la direction des vents.

La vérité des déductions qui précèdent éclaterait plus nettement encore aux yeux, si un facteur puissant, dont nous avons déjà parlé à propos des continents inter-tropicaux, ne venait, ici comme là, jeter constamment le trouble dans l’orientation des courants aériens à la surface du sol. Les accidents du sol et sa constitution géologique influent, en effet, en certains points, d’une façon considérable sur la direction du souffle des vents ; mais, une étude d’ensemble le montre, les troubles ainsi apportés à la marche des grands courants aériens sont purement locaux, c’est-à-dire concernent l’atmosphère d’une faible étendue de pays sur une faible hauteur au-dessus de sa surface ; plus loin, les grands courants reprennent leur régularité, soumis aux lois générales qui les régissent.

Parmi ces causes de troubles, les unes sont permanentes : telles sont celles qui produisent journellement les brises de terre et de mer ; d’autres sont accidentelles ou encore ne tendent à modifier qu’une seule direction de courant aérien : ainsi une contrée bordée du côté de l’ouest par une chaîne montagneuse importante ressentira rarement les vents venant de cette direction, et ces vents, après avoir contourné la barrière des monts, se transformeront momentanément en vents du nord et du sud.

La nature du sol pourra encore donner naissance à des courants locaux dont la présence tendra à modifier l’aspect des ’vents généraux de la contrée ; ainsi de vastes plaines crayeuses ou sablonneuses, agissant à la façon des déserts de l’Afrique du Nord, créeront pendant le jour un appel qui fera converger vers elles l’air des régions voisines et donnera lieu à leur surface, ainsi que dans un rayon plus ou moins étendu, à des courants locaux fréquents tout différents des vents principaux.

La capitale de la France, par sa situation géographique, échappe à la plupart de ces causes perturbatrices du régime général des vents ; aussi, pour étudier comment la théorie précédente des vents de France et les conclusions qui s’en déduisent naturellement concordent avec la réalité des faits, nous baserons-nous sur les tableaux de la direction des vents établis pour Paris par l’Annuaire de l’Observatoire de Montsouris. Ces tableaux, dressés pour chaque mois et chaque année, donnent le nombre de jours pendant lesquels a soufflé un vent de direction donnée pendant la période considérée.

En particulier, le tableau suivant relatif à l’année 1889 donne ces renseignements pour chacune des saisons de cette année et pour cette année entière :

VENTSHiverPrintempsÉtéAutomneAnnée
Nord 13 jours 13 jours 5 jours 9 jours 40 jours
Nord-est 18 - 15 - 8 - 12 - 53 -
Est 3 - 3 - 3 - 9 - 18 -
Sud-est 3 - 0 - 5 - 5 - 13 -
Sud 11 - 14 - 7 - 16 - 48 -
Sud-ouest 19 - 17 - 27 - 18 - 81 -
Ouest 13 - 16 - 24 - 12 - 65 -
Nord-ouest 9 - 6 - 8 - 3 - 26 -
Variables 2 - 8 - 5 - 6 - 21 -

Ce tableau nous apprend que, conformément à nos déductions, les vents d’ouest et de sud-ouest, produits par le contre-alizé descendu à la surface de la terre, sont les plus fréquents, surtout pendant l’été, époque à laquelle l’anneau d’aspiration équatorial se trouvant le plus rapproché de la France, les contre-alizés ne sont pas descendus à la surface du sol suivant un parallèle voisin des tropiques.

Dans l’ordre de fréquence viennent ensuite les vents du nord et du nord-est, premières manifestations de l’alizé. Ces vents sont surtout communs pendant l’hiver, alors que les alizés de l’hémisphère boréal soufflent avec la plus grande régularité sur les régions comprises entre le tropique du Cancer et l’Équateur.

Puis viennent les vents du sud, prolongement du contre-alizé descendu jusqu’à terre dans le voisinage du tropique ; ces vents se font sentir avec plus de persistance en automne, alors que les autres vents ont une force moindre par suite de l’éloignement de leurs foyers producteurs.

Enfin les vents composés du nord-ouest et du sud-est suivent dans l’ordre de fréquence celui de leurs vents composants ; les premiers soufflent de six à sept fois plus souvent que les seconds, car ils résultent de la composition de deux courants principaux, tandis que les vents du sud-est sont la résultante de deux courants secondaires.

Les troubles

Envisagé à un point de vue général, le mot trouble atmosphérique indique tout phénomène qui entraîne un état anormal de l’atmosphère.

L’atmosphère peut se trouver troublée par un certain nombre de phénomènes distincts dans leurs effets, mais d’origines généralement communes et qui vont rarement les uns sans les autres : les aies peuvent être agités et se déplacer avec une vitesse anormale ; les vapeurs en suspension peuvent se condenser sous forme de nuages, brouillards, pluies, neige ou grêle ; l’état électrique de l’atmosphère peut être tel que des décharges se produisent dans sa masse.

Les troubles ainsi définis ont des noms spéciaux suivant les caractères particuliers qu’ils présentent ; les troubles dus à une agitation inusitée des airs, accompagnée ou non de condensations de vapeurs et de manifestations électriques, ont reçu les noms de : tempêtes, orages, trombes ou tornades.

Les tempêtes sont caractérisées par un déplacement rapide de masses d’air considérables couvrant de grandes étendues de pays. Elles sont dites tempêtes cycloniques ou cyclones quand le déplacement de la masse d’air s’effectue par rotation autour d’un centre qui lui-même marche lentement suivant une courbe de grand rayon ; presque toutes les tempêtes affectent la forme cyclonique.

Les orages sont des coups de vent généralement locaux, accompagnés de manifestations électriques puissantes et le plus souvent de pluies abondantes ; il est rare que les cyclones ne soient pas accompagnés d’orages.

Les trombes et tornades sont caractérisées par le déplacement d’une masse d’air de faible volume couvrant un espace restreint et animée d’un mouvement de rotation qui peut atteindre une vitesse supérieure à 100 mètres à la seconde ; ce sont les plus terribles des phénomènes atmosphériques, heureusement leur zone d’action est limitée à une faible étendue, au plus quelques kilomètres carrés ; ces troubles accompagnent souvent les orages des pays tropicaux.

Les causes déterminantes de la formation des cyclones sont peut connues, et les lois qui régissent cette formation et l’entretien de leurs mouvements le sont encore moins ; cependant il est admis que la condensation d’énormes masses de vapeurs d’eau est la cause créatrice ordinaire des cyclones.

La condensation brusque des vapeurs suspendues dans l’atmosphère détermine une diminution de pression en même temps qu’un courant ascendant de l’air échauffé par la chaleur latente dégagée par cette condensation. Les couches d’air voisines se précipitent pour combler le vide ainsi formé ; mais, qu’elles viennent du nord ou qu’elles viennent du sud, la direction de leur mouvement se modifie bientôt, comme celles des alizés et des contre-alizés et pour la même cause, — les vitesses inégales de rotation des divers parallèles de la Terre, — elles sont déviées de leur route primitive, et bientôt cette déviation est telle que le sens de leur marche devient presque perpendiculaire à celui de l’appel, cause primitive de leur mouvement ; alors, semblables aux corps célestes qui, sous l’action de l’attraction universelle, gravitent les uns autour des autres, les molécules d’air tournent autour du centre d’aspiration, le centre du météore. Le cyclone une fois formé, de nouvelles condensations se produisent qui entretiennent son énergie en créant un appel d’air constant.

Les cyclones se forment presque uniquement dans les pays inter-tropicaux ; là seulement les condensations de vapeur ont assez d’énergie pour déterminer leur formation. Tandis que la masse d’air qui constitue la tempête cyclonique tourne avec une grande rapidité autour du centre, ce centre se déplace lentement suivant une direction toujours la même pour chacun des hémisphères de notre globe. Les cyclones de l’hémisphère boréal décrivent une parabole dont l’axe principal est voisin du tropique et la concavité tournée vers l’Orient : ils marchent donc sensiblement du sud-ouest vers le nord-est au sud du tropique du Cancer, du sud-est vers le nord-ouest au nord de ce même tropique. Le sens de la rotation des masses d’air cycloniques, invariable pour un même hémisphère, est dans le nôtre inverse de celui des aiguilles d’une montre. Le diamètre des cyclones augmente lentement dans sa traversée de la zone inter-tropicale et s’agrandit considérablement dans la zone tempérée. La vitesse de rotation diminue et la vitesse de translation croît au fur et à mesure que le cyclone se rapproche du pôle.

Les cyclones qui ont pris naissance dans la zone torride atteignent rarement nos régions ; ceux dont on ressent en France les effets, toujours très atténués, sont nés aux environs des Açores ou des bancs de Terre-Neuve.

Près des bancs de Terre-Neuve, les eaux chaudes du Gulf-Stream, entraînant avec elles des masses d’air saturées de vapeur d’eau, se heurtent au courant marin froid venant du pôle, une condensation brusque de vapeurs se produit qui engendre des cyclones ; ceux-ci, suivant l’arc supérieur de la parabole dont il a été parlé plus haut, traversent l’Atlantique, et leur centre aborde l’Europe dans les environs des côtes d’Irlande ou d’Écosse.

Dans les environs des Açores, le courant du golfe arrêté dans sa marche cesse d’échauffer les masses d’air qu’il baignait, et là encore se produisent, mais plus rarement, des cyclones. Ces derniers atteignent l’Europe sur les côtes d’Espagne et de France.

La vitesse de marche des cyclones des régions tempérées ne dépasse que rarement 50 kilomètres à l’heure en moyenne.

Les causes de formation des orages sont peut-être encore plus incertaines que celles des cyclones ; ils paraissent accompagner une modification brusque de l’état électrique de l’atmosphère.

La tension normale de l’électricité atmosphérique est positive et est en moyenne voisine de + 50 volts ; la présence de nuages, la venue d’un vent sec et chaud, ou humide et froid, les chutes de pluie, de neige, etc., la font varier d’une façon considérable ; il n’est pas rare de la voir atteindre +400 volts, ou devenir négative et même avec des tensions extrêmement fortes, lorsque les unes ou les autres de ces causes perturbatrices entrent en jeu pour la faire varier. On conçoit que des changements brusques de cette tension électrique, par exemple la venue subite de nuages chargés d’électricité négative passant dans une atmosphère à forte tension positive, amènent des perturbations électriques puissantes et donnent lieu à des coups de foudre, échange violent des électricités de noms contraires.

La nature du sol et de sa végétation, ainsi que la disposition, des lieux ne doivent pas non plus être étrangères à la détermination de l’éclatement des orages, et pour ne citer qu’un exemple de cette influence des reliefs du sol sur l’atténuation ou même la suppression de la violence des orages, exemple probant, car la cause déterminante en est indiscutable, la presque totalité de la capitale de la France est, depuis l’édification de la tour Eiffel, à l’abri des manifestations électriques des orages venant du sud-ouest ; toute la zone de Paris située aux environs de la tour de trois cents mètres, ainsi qu’une zone de plusieurs kilomètres carrés au nord-est, ne voit, pendant ces orages, briller aucun éclair à son zénith.

Cette influence de la nature du sol et de ses accidents sur les orages explique pourquoi des régions de mêmes climats et voisines jouissent de manifestations orageuses de nombre et d’intensité toutes différentes ; mais le grand facteur des orages est le soleil, aidé de l’eau réduite en vapeur par ses rayons ; aussi les pays les plus fertiles en orages sont-ils ceux sur lesquels règnent les calmes équatoriaux et où l’atmosphère, saturée de vapeur d’eau, est constamment soumise à la chaleur d’un soleil vertical ; de même, dans nos régions, l’époque la plus abondante en manifestations orageuses est l’été, époque à laquelle le soleil fait sentir le plus vigoureusement son action.

La pluie résulte généralement de la réunion en gouttes d’un certain volume des vésicules d’eau dont .sont chargés les nuages humides. Ces vésicules d’eau tombent constamment de la partie supérieure du nuage vers le sol ; dans leur chute, elles rencontrent des couches d’air plus chaudes, qui les transforment en vapeurs ou les soulèvent et les font remonter ; si la couche d’air sustentatrice vient à se refroidir ou à être remplacée par un air plus froid, les vésicules continuent leur descente, se réunissent en gouttelettes et vont jusqu’au sol. Le degré de violence de la pluie dépend de la différence plus ou moins brusque de température subie par la couche d’air refroidie ; si le refroidissement est peu marqué, la pluie est fine et peut même cesser bientôt, la condensation des vapeurs amenant un réchauffement de l’air, par absorption de la chaleur latente de vaporisation restituée ; si le refroidissement est considérable, la pluie a une grande violence. Le volume des gouttes de pluie est le plus souvent fonction de la hauteur des nuages ; cette règle .est loin d’être absolue, cependant les nuages bas donnent presque toujours lieu à une pluie plus fine. Les pluies orageuses sont caractérisées par des gouttes volumineuses dont le grand volume peut tenir à l’état électrique des gouttelettes que facilite leur réunion.

Quelquefois la pluie se produit sans qu’aucun nuage soit au zénith ; ce phénomène, appelé « phénomène du serein », provient de la condensation directe, sans passage par l’état vésiculaire, de la vapeur d’eau contenue dans l’air.

Le plus souvent, la pluie a son origine dans la condensation des vapeurs et des vésicules nuageuses suspendues dans un air chaud et humide, qui vient à rencontrer un courant d’air plus froid. Quelquefois, souvent sur les côtes, la pluie est due au refroidissement par la terre de vents plus chauds et chargés d’humidité qui viennent de traverser de grands espaces couverts par les eaux, à la température plus élevée que celle des terres ; ainsi s’explique pourquoi il pleut plus fréquemment sur les côtes des océans, dans les grandes îles et les grandes presqu’îles, surtout si ces dernières, comme l’Irlande et le pays de Galles, sont baignées par un courant marin à température élevée.

La production de la neige a les mêmes causes que celle de la pluie ; elle se forme sous l’influence d’un courant d’air assez froid pour entraîner la condensation à l’état solide des vésicules d’eau, mais cette condensation à l’état solide n’amène pas inévitablement la chute de la neige jusqu’au sol ; les vésicules glacées peuvent rester suspendues dans les airs, dans les mêmes conditions que lorsqu’elles se trouvaient encore à l’état liquide. Les nuages ainsi gelés ont un aspect particulier bien connu.

On ne sait rien de précis sur les causes de formation de la grêle ; elle se produit généralement quand l’état électrique de l’atmosphère est anormal.

Outre les orages locaux et dus à des causes accidentelles, il existe des orages dont la cause déterminante est mieux connue, ce qui permet de leur donner le nom d’orages à existence normale ; ces derniers sont ceux qui accompagnent le côté dangereux des cyclones.

Les cyclones tournant dans le sens contraire des aiguilles d’une montre, et allant de l’occident vers l’orient, dans nos régions, leur côté dangereux, c’est-à-dire celui pour lequel la vitesse de rotation s’ajoute à la vitesse de translation, rendant les vents plus impétueux, se trouve situé, sous nos parallèles, au sud du centre du cyclone. Par suite, en Europe, des orages à existence normale règnent au-dessus des pays que parcourt la partie sud d’un cyclone.

Les trombes et tornades sont phénomènes particuliers aux pays inter-tropicaux ; dans nos régions, des tourbillons de vent, quelquefois assez violents, accompagnent les orages ou se produisent par les temps orageux, mais leur cause déterminante ne semble pas être la même que celle des trombes ; la conformation des lieux parait avoir une grande influence sur leur production, tandis que les trombes et tornades semblent tirer leur origine d’un état électrique particulier des nuages.

En résumé, les troubles atmosphériques sont beaucoup moins violents dans les régions tempérées que dans les régions inter-tropicales ; la cause en est à la moins grande force du soleil, ce qui entraîne des variations moins brusques de température.

Les origines des grands troubles, de ceux qui affectent de vastes étendues de pays, sont pour la plupart à peu près connues ; celles des troubles à surface d’action plus restreinte sont moins connues : cela tient à ce que leurs causes déterminantes n’ont qu’un rapport éloigné avec les lois générales d’équilibre de l’atmosphère, et à ce que les principes fondamentaux du mode d’action de ces causes sont masqués ou contrariés par des règles particulières tenant à des influences locales.

La prévision du temps

Quelles que soient les causes qui déterminent un trouble des airs, ces causes ont pour conséquence première, surtout au point où elles agissent avec le plus de violence, un changement dans l’état d’équilibre de l’atmosphère ; on voit par là comment les variations du baromètre peuvent servir à prédire la venue d’un trouble atmosphérique. D’autre part, la présence d’un trouble bien caractérisé détermine dans les contrées voisines des troubles secondaires de natures définies ; enfin, les troubles importants se déplacent suivant des lois à peu près invariables ; cela permet de concevoir comment la coordination quotidienne des indications barométriques d’une grande étendue de pays peut amener à connaître, plus ou moins à l’avance, le temps qu’il fera, à une date ultérieure rapprochée, en certaines régions convenablement situées, par rapport aux observations météorologiques dont les indications servent à la prédiction.

Si les indications du baromètre, recueillies quotidiennement en un grand nombre de stations dispersées sur de grandes étendues de pays, peuvent être utilisées pour prédire le temps quelques jours et, le plus souvent, seulement quelques dizaines d’heures à l’avance, on s’exposerait à de graves erreurs si l’on appuyait une certitude absolue de prédiction sur les indications du baromètre, en une seule station ou même en un petit nombre de stations proches les unes des autres ; car, s’il est vrai qu’en général une variation barométrique d’une certaine nature corresponde à une série restreinte de phénomènes météorologiques, cette règle est loin d’être absolue, et, en outre, des influences locales peuvent l’entacher d’exceptions profondes ; de plus, la marche de l’aiguille du baromètre enregistreur subit des variations diurnes régulières ; même par les jours où l’état d’équilibre des airs est parfait ; la courbe qu’elle trace présente deux maximum et deux minimum d’un minuit à un autre minuit.

Seule, l’étude des variations subies quelques heures auparavant par le baromètre en divers points d’une étendue de pays considérable peut permettre d’indiquer, sinon avec certitude dans tous les cas, du moins avec présomption, le temps probable pour le lendemain. Pour faciliter cette étude journalière des variations barométriques, le Bureau central météorologique de Paris publie quotidiennement une carte de l’Europe occidentale sur laquelle les stations qui lui ont télégraphiquement accusé une pression barométrique identique sont jointes par une courbe continue cotée de cette pression. Ces courbes, d’égale pression barométrique, ou « isobares » du jour, couvrent la carte d’Europe d’un écheveau dont l’inspection peut permettre, il va être dit comment, de se rendre compte du temps probable pour le lendemain.

Les troubles dont la prédiction à longue échéance est à la fois la plus facile à faire et la moins sujette à erreur sont les cyclones et les perturbations atmosphériques secondaires qui leur font cortège.

On a vu que les cyclones sont caractérisés par une dépression atmosphérique centrale ; lors donc que les isobares affecteront la forme concentrique autour d’un centre à basse pression, on pourra en conclure qu’il y a cyclone, et la position du centre du météore sera connue. Le cyclone sera d’autant plus violent que la baisse barométrique en son centre sera plus nettement accusée et que les isobares seront plus serrés. Si le cyclone passe au nord de Paris, on sera en droit de prédire au-dessus de la capitale la venue des phénomènes météorologiques secondaires qui, on l’a vu, règnent dans les régions traversées par le côté dangereux de la tempête cyclonique.

Si le cyclone passe franchement au nord de la France, il sera difficile de déduire de sa présence la direction probable du vent à Paris ; si son centre est plus voisin de la capitale, on pourra presque à coup sûr prédire la succession des directions de vent au-dessus de la ville, surtout si la vitesse de déplacement du centre a été mesurée, puisque le sens de rotation de ces météores est invariable par un même hémisphère, et que la direction et la force du vent en chacun des points couverts par eux est la composante en direction et force de la rotation des masses d’air autour du centre et du déplacement sensiblement rectiligne de ce centre.

Si un cyclone est annoncé télégraphiquement ou prédit par l’inspection de la disposition des isobares, comme venant de Terre-Neuve ou des Açores, on pourra de sa direction de marche toujours la même, - dans nos régions, de l’ouest à l’est, avec tendance au nord, - déduire le point où son centre abordera l’Europe et, par suite, la nature des phénomènes météorologiques qu’il entraînera pour les différentes parties de ce continent.

Cependant, il ne faudrait pas conclure de ce qu’un cyclone a été annoncé, surtout si cette annonce est faite d’une station éloignée, qu’il doive venir certainement jusqu’en Europe ; parfois des causes secondaires amènent sa disparition avant qu’il ait accompli la traversée de l’Atlantique, parfois aussi, mais plus rarement, elles le rejettent vers le nord.

On conçoit par là combien il serait important, par la prévision en Europe des cyclones et même du temps en général, de posséder des stations météorologiques, non seulement à Terre-Neuve, mais aux Açores, en Islande et, s’il était possible, en divers autres points de l’Atlantique nord ; la vitesse de marche des cyclones excédant rarement 50 kilomètres à l’heure, leur venue pourrait être annoncée plusieurs jours à l’avance.

Quand les isobares affectent la forme circulaire autour d’un centre de haute pression, on dit, par raison d’analogie avec la même forme affectée par eux autour du centre d’un cyclone, qu’il y a « anticyclone », et le centre de l’anticyclone est défini le point de plus haute pression barométrique.

La venue d’un anticyclone, comme celle de toute haute pression dans nos régions, est un indice de beau temps. La marche de ce phénomène fictif est analogue à celle des cyclones, mais moins régulière. Les anticyclones se transportent généralement de l’ouest à l’est ; d’autant plus lentement que leurs isobares sont moins serrés. Ils abordent l’Europe le plus souvent par les côtes océaniennes de la France.

La direction et la force du vent à venir est beaucoup plus difficile à prédire que la venue des mauvais temps cycloniques ou des beaux temps anticycloniques ; cependant certains renseignements peuvent être mis à profit pour établir la prévision des vents lorsqu’un régime de courants généraux semble s’établir sur une contrée étendue.

En premier lieu, les télégrammes venus de stations météorologiques éloignées, toutes situées dans une même direction cardinale, peuvent servir à faire la prévision d’un vent de force déterminée venant de cette direction quand toutes les indications télégraphiques de ces stations indiquent des vents portant avec des vitesses peu différentes vers le lieu dont on cherche à établir le temps probable.

En second lieu, la force du vent peut souvent être présumée à l’avance par l’inspection des isobares. Si les isobares sont serrés, des différences notables existent dans la pression atmosphérique en des points voisins ; il en résulte des ruptures d’équilibre plus considérables, et il y a probabilité pour un vent de force au-dessus de la moyenne. Si les isobares sont largement espacées, il y a, au contraire, probabilité de vent faible, l’état d’équilibre des masses atmosphériques étant meilleur.

Il ne faut pas oublier cependant qu’il s’élève fréquemment des vents locaux de peu de durée, mais susceptibles d’une grande violence ; ces vents échappent par leur nature même aux prévisions de cette sorte et peuvent souvent faire croire qu’elles sont en défaut.

En troisième lieu, la marche du baromètre ou, ce qui revient au même, l’étude de la direction du déplacement des isobares peut servir d’indication précieuse pour la prévision des vents, mais seulement quand il s’agit de vents généraux : alizés, contre-alizés, etc. Les vents généraux, en effet, par leurs natures diverses, conséquence de la diversité de leurs origines (1), influencent différemment le baromètre. Si aucune influence locale ne venait se faire sentir, les pressions barométriques en un même lieu atteindraient leur minimum quand souffle le contre-alizé, vent d’ouest et de sud-ouest, et leur maximum quand souffle le courant polaire du nord et du nord-est. La venue des vents du sud amènerait aussi une baisse barométrique et celle des vents secs d’est une hausse.

L’hygromètre peut également servir à indiquer la nature et partant la direction du courant d’air qui va s’élever, mais ces indications ne sont nettes que deux ou trois heures avant la venue du vent. Ainsi, quand la température croissant, l’humidité augmente, on peut être assuré d’avoir un vent du sud-ouest.

(1) Voir à ce propos la discussion des origines des vents généraux de France, faite au paragraphe premier : Les courants.

Par sa courte durée et son caractère local, un orage isolé échappe à toute prévision à longue échéance. Tout au plus peut-on espérer pouvoir prédire à l’avance une série d’orages ou un temps orageux. Des prédictions de cette nature sont possibles dans deux cas particuliers importants et seulement quand l’état atmosphérique spécial qui entraîne les orages affecte une grande étendue de pays :

1° Si une région est affectée depuis quelque temps d’orages périodiques diurnes et que rien ne fasse prévoir un changement du régime atmosphérique momentané de cette région, on peut prédire, presque à coup sûr, que le temps restera à l’orage dans les mêmes conditions ; alors, en effet, l’atmosphère est dans un état spécial qui, comme celui de l’atmosphère des calmes équatoriaux, entraîne à heures à peu près fixes la formation d’orages ;

2° Si la région pour laquelle est faite la prévision du temps doit se trouver balayée par la partie sud extrême d’un cyclone, on peut prédire la venue d’orages ; ceux-ci, selon toute vraisemblance, éclateront à des heures quelconques sans affecter aucune périodicité diurne.

Tout le monde sait à quels caractères on peut reconnaître qu’un orage local se forme, mais ordinairement on ne soupçonne sa présence que peu d’instants avant qu’il éclate, - quand il éclate.

L’électromètre est susceptible de donner des indications précieuses permettant, dans certains cas, d’annoncer les orages violents plusieurs heures à l’avance.

Les chutes de pluie ou de neige peuvent très difficilement être prédites même à courte échéance ; une prédiction qu’il ne pleuvra pas, quand elle est basée sur des indications sérieuses, peut, au contraire, être considérée comme à peu près infaillible ; en parlant de la prévision de la pluie on doit donc dire : « Prédire un temps pluvieux », c’est-à-dire un temps par lequel la pluie est possible, et on ne doit pas dire « prédire la pluie ».

Le passage d’un cyclone au-dessus d’une contrée n’y amène pas inévitablement un temps pluvieux, car il y a des cyclones secs ; les dépêches télégraphiques venues des stations où est parvenu le météore renseigneront sur sa nature à ce point de vue.

Le baromètre pourra fournir des indications précieuses sur l’approche d’un temps pluvieux ; d’une façon générale, les changements de pression s’accompagnent d’un changement de temps. Dans nos régions, si le baromètre baisse lentement, régulièrement, c’est que l’atmosphère se sature de vapeurs. Si à cette baisse du ’baromètre correspondent des vents d’ouest ou de sud-ouest, il y aura chance de pluie, surtout en hiver, où le continent plus froid abaisse la température de ces vents chargés d’humidité ; si, au contraire, le baromètre se maintient haut par les vents de nord, de nord-est ou d’est, une continuation de beaux temps secs sera à peu près certaine.

Toute prévision de changement brusque d’un courant général chaud en un courant général froid, - et quelquefois inversement, - entraîne avec elle la prévision d’une chute de pluie ou de neige, surtout en hiver, car l’arrivée subite du vent froid précipite les vapeurs tenues en suspension dans le courant chaud. Les pluies ainsi produites durent peu ; elles cessent dès que le nouveau régime aérien s’est établi.

Les mesures ozonoscopiques exécutées au moyen de papiers amidonnés, préparés à l’iodure de potassium, et l’étude des raies du spectre faites au spectroscope, semblent pouvoir donner quelques indications permettant de conjecturer la venue des vents humides et pluvieux. Plus tard, une étude approfondie de ces modes d’observation et de nouveaux systèmes d’investigation à perfectionner ou à découvrir donnera peut-être la solution du problème de la prévision infaillible du temps ; mais, à l’heure actuelle, cette science de la prévision, encore dans l’enfance, est souvent en défaut et ne marche avec quelque sûreté que dans le cas des cyclones et peut-être aussi des anticyclones.

En appliquant les procédés de prévision indiqués plus haut, et en étudiant chaque jour les dépêches et les cartes d’égales pressions et d’égales températures publiées quotidiennement par le Bureau central météorologique de France, chacun peut, dans bien des cas, se rendre compte avec quelque certitude du" temps probable pour le lendemain.

On trouvera dans le tableau ci-après un exemple d’application raisonnée de la prévision du temps au moyen des indications quotidiennes fournies par le Bulletin du Bureau central météorologique de France ; le temps vrai que donne ce Bulletin pour le jour même, simultanément avec la prévision du temps pour le lendemain, a été placé en regard du temps prédit.

L’époque sur laquelle a porté l’étude en question est celle qui va du 1er au 11 juin de cette année (1892). Cette courte période de temps est intéressante à étudier, comme présentant le passage d’un petit cyclone au-dessus de la région nord de l’Europe, puis quelques jours après celui d’un anticyclone sur la France et le centre du continent.

L’analyse faite dans le tableau ci-contre ne tient compte qu’accidentellement des notions fournies sur le temps probable par le baromètre, le thermomètre, l’hygromètre, etc., ainsi que de certaines indications précieuses qu’il eût été possible de tirer de renseignements dus aux stations météorologiques voisines de la capitale ; le tableau indique seulement les faits les plus probants, sur lesquels s’est appuyée la prévision du temps faite par le Bureau central, qui, avant d’établir son Bulletin, s’était entouré de tous les renseignements secondaires qui ont été négligés ici à dessein, pour ne pas surcharger l’exposé.

Ces renseignements secondaires sont quelquefois les seuls qu’il soit possible d’utiliser pour la prévision ; alors cette prévision devient très difficile à faire et d’une présomption douteuse.

Le tableau ci-après montre que la prévision du temps est loin d’être infaillible ; car, même durant cette période du 1er au 11 juin, qui cependant a présenté des phénomènes nettement accusés, permettant de conclure avec une certaine certitude, elle a été souvent sujette à erreurs, surtout en ce qui a trait au vent probable ; néanmoins, les prédictions faites par le Bureau central ont une valeur incontestable, car elles indiquent avec une grande sûreté la venue des perturbations atmosphériques importantes, les seules qu’il y ait un intérêt pratique véritable à connaître à l’avance.

Le Bulletin du 10 juin offre le cas, encore assez fréquent, où une disposition irrégulière des isobares rend très incertaine la prévision du temps pour le lendemain ; mais de ce que les isobares affectent des formes plus régulières autour de centres bien définis, il ne faudrait pas en conclure que la prévision du temps soit toujours chose facile. Ainsi, dans la période comprise entre le 21 et le 27 juin 1892, cette prévision a été rendue presque impossible, bien qu’une dépression nettement caractérisée venant des Açores ait atteint les côtes nord de la France. Cette dépression marchait avec une grande rapidité et, aucun observatoire n’existant en mer, Paris ne put être prévenu de son arrivée qu’au moment où son centre atteignait les côtes de Normandie. Le 22, quelques indices pouvaient faire soupçonner l’arrivée d’un cyclone à marche lente ; le 23, le centre de la dépression atteignait le Havre et sa marche rapide s’accusait nettement ; le 24, elle sévissait avec violence en Danemark, et les phénomènes secondaires qui l’accompagnaient se faisaient seuls alors sentir en France.

Du 12 au 19 juillet 1892, deux petits cyclones se succédèrent à court intervalle, amenant par leur présence presque simultanée dans le nord de l’Europe une grande gêne dans les prédictions du temps, et les météorologistes, pour être assurés d’éviter toute erreur, auraient été dans l’obligation de publier ce seul Bulletin, uniforme chaque jour : orages et pluies probables, la direction et la force du vent à venir restant incertaines.

La prévision du temps faite par le Bureau central météorologique de Paris a sa source dans les renseignements qui lui sont fournis par les stations météorologiques de France et de l’étranger. Ces stations, réparties inégalement dans toute l’Europe, font par jour trois séries d’observations, dont elles envoient télégraphiquement les résultats à:Paris. Ces renseignements sont immédiatement inscrits sur deux cartes. L’une indique : l’état du ciel, le vent, l’état de la mer, la hauteur barométrique. Sur cette carte sont tracés les isobares et les courbes d’égale pression depuis la veille. Sur la seconde carte sont notés : les hauteurs de pluie, les orages, la température ; sur cette carte sont tracés les isothermes ainsi que les courbes d’égales variations de température depuis la veille. Outre ces cartes, des tableaux indiquent pour chaque station le détail des renseignements portés sur la carte.

Le Bureau central reçoit irrégulièrement des dépêches d’Amérique, seules indications qui peuvent permettre d’avoir plusieurs jours à l’avance quelques notions du temps probable.

Ces renseignements collationnés, le Bureau central en déduit la prévision du temps et envoie dans les ports des télégrammes indiquant par région la direction et l’intensité probable du vent, et signalant les orages lorsqu’il parait y en avoir à craindre. D’autre part, il envoie des avis analogues par région dans tous les départements du centre. Enfin, un bulletin résumant la situation générale et tous les documents recueillis parait chaque jour et est distribué aussi rapidement que possible.

On a cherché, surtout durant ces dernières années, à baser une méthode de prédiction du temps sur l’observation de ’phénomènes astronomiques, tels que taches du soleil ou occultations partielles de cet astre par les essaims cosmiques dont les positions sont connues. Il est impossible de le nier : ces phénomènes ont une certaine influence sur le temps ; mais quelles sont la nature et la portée de cette influence ? Peut-on conclure, par exemple, de ce qu’une tache du soleil est plus apparente au moment où cet astre passe au méridien d’un lieu, que ce lieu et tous ceux qui sont situés sur son méridien subiront un refroidissement capable de modifier leur état atmosphérique ?

Sans aucun doute, les causes terrestres des troubles atmosphériques dérivent elles-mêmes de causes astronomiques, puisque le soleil est le grand et le seul dispensateur de l’énergie mécanique à la surface de notre globe ; mais les causes terrestres des changements de temps nous sont mal connues ; nous n’analysons qu’avec peine et en commettant bien des erreurs leur action sur l’état de l’atmosphère : comment pourrions-nous vouloir prédire le temps avec certitude en nous adressant non plus à l’étude de ces causes, déjà si difficiles à étudier, mais à l’étude des phénomènes astronomiques qui leur ont donné naissance, à elles que nous connaissons à peine ?

L. de Djéri

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