L’astrologie au XVIIe siècle.

La Revue Scientifique — 27 aout 1892
Samedi 27 juin 2015

Nous avons publié ici même [1] les curieuses prédictions sur la destinée des femmes, d’après le jour de leur naissance, extraites d’un amusant opuscule du sieur de Conac.

Nous avons pensé que les prédictions du même auteur, sur la destinée des hommes, aurait, auprès des lecteurs de la Revue scientifique, le même succès de curiosité que notre premier article.

El !es sont tirées d’une petite plaquette qui porte pour titre :

Nouvelles œuvres du sieur de Conac, astrologue, mathématicien et médecin, et dit la fortune, advoué de Sa Majesté. Traitant de la nativité des hommes, leur inclination, et ce qui leur peut arriver durant leur vie. A Paris, 1636.

Nous avons trouvé cette curieuse plaquette, comme la précédente, en faisant l’inventaire du fonds V à la Bibliothèque nationale. Malheureusement, nous ne connaissons rien sur la vie de ce sieur de Conac, qui se donne de si beaux titres et paraît être un simple astrologue de profession, comme il y en avait tant à Paris au commencement du XVIIe siècle. Voici ces prédictions, avec l’orthographe de l’époque scrupuleusement conservée :

« L’Homme qui naist le dimanche, qui est l’hostel du Soleil, sera enclin à plusieurs vacations, comme offices, états, heureux à servir les grands, acquerra des moyens selon sa qualité ; s’il est noble, il conversera avec Roys, princes, marquis, barons et grands seigneurs, et augmentera sa seigneurie en qualité et illustrera sa maison en plus de grandeurs qu’elle n’est, et ses sujets le serviront fidellement, et acquerra grande renommée, sera sujet à mal de teste, douleurs de dents, fièvre quarte, sera en danger de feu, fera plusieurs voyages, heureux à achepter chevaux et aimé des femmes, et sera marié plusieurs fois, il n’aura guères de bien de son père, il sera en danger de peste et, selon le cours de nature, vivra soixante et trois ans ; Il sera colère et sanguin, de couleur un peu brune et un peu rouge, et libéral.

« Il fera plusieurs voyages en pays estrange et aura perte de biens ; ses secrets seront couverts, sera desrobé de ses compagnons et serviteurs et fera plusieurs mestiers pour vivre.

« L’Homme qui naistra le lundy aura office et gouvernement de peuple, se meslera de géométrie, arithmétique et géographie ; s’il est noble, il sera receveur de taille de Roy ou de prince, ambassadeur, nonce ou légat ; s’il est mécanique, sera argentier, orfèvre ; s’il est d’Église, sera vicaire général, trésorier ou du moins chanoine ; s’il est marinier, sera capitaine ou maistre de navire, pilote ou corsaire, sera aussi de nature flegmatique, sujet aux catharres, patira de l’œil gauche et douleurs de dents, flux de ventre, colique et de rate, enflure de jambes et autres parties du corps, sera blessé au bras gauche. Quant aux biens de fortune, sera heureux sur la mer, en moulins et pescheries, messages, imprimeries, la pluspart en l’agriculture, sera en danger de prison, il aimera les femmes vefves et vivra septante ans.

« Il aimera les choses qui viennent de l’eau, sera sculpteur, fondeur, laboureur, messager ou maistre de fontaine et pescheur, et sera d’humeur fantasque.

« L’Homme qui est nay le mardy, son astre étant Mars, sera hardy, arrogant, menassant tout le monde, sera coleerie, homme de bonne chère, prompt à se battre et sujet d’estre battu avec armes à feu et autres armes, selon la personne que c’est ; sa vacation est d’estre serrurier, mareschal, forgeron, et travaillera à toutes sortes d’armes à feu, sera enclin à la paillardise, amateur du jeu, menteur, jureur, promettant une chose et faisant l’autre, aura querelle criminelle ; quant à l’honneur, il peut arriver au degré de capitaine, mestre de camp, général d’armée, chevalier, ou grand maistre de Malte, gouverneur de ville, de chasteau, ou ingénieur de guerre, mathématicien et, pour sa valeur, sera bien venu auprès des princes et seigneurs, vivra septante deux ans, et n’aura qu’une femme et peu d’enfans, sans danger de mort subite.

« Il sera bon chirurgien, bon anathomiste, prévost, archer, sergent, boulanger, cuisinier et violent.

« Le mercredy, qui est l’astre de Mercure, promet à l’homme un grand esprit, comme d’estre philosophe, orateur, médecin, astrologue, sera bien heureux en la pratique et arts mécaniques, comme plantes, arbres, marchandises, et peut parvenir à de grands estats, comme ambassadeur, président, conseiller, prédicateur, orateur, bon escrivain, médecin, opérateur, pèlerins, messagers, feneant, vagabonds, faux-monnoyeurs, tiendra jeu de berland, fausses cartes et d’occulte philosophie ; il pourra occuper son esprit à distiller, et cum malo malus et cum bonis bonus erit ; il patira de mal de cœur, tremblement de membres, gouttes aux joinctures ; il aura trois femmes, dont le changement d’icelles luy sera profitable ; il aura sept ou huict enfans, et vivra environ cinquante ans ou plus.

« Il sera maistre d’escole, orloger, et faiseur d’instruments.

« L’astre de Jupiter, qui est le jeudy, influë li l’homme une grande bénignité, affabilité, honnesteté, discrétion et piété, bien venu auprès des princes et des Rois ; il ne sera point repris de justice, sera riche selon sa qualité ; sera bien heureux en mariage, en service de prince, grands seigneurs, et parviendra à la qualité de noblesse ou quelque dignité ecclésiastique ; aussi aux armes, plantes, arbres et édifices, minéraux, végétaux, et profitera grandement en voyage, aura quantité d’amis et fera voyage en certain pays, où il n’aura jamais pensé ; s’il est incité par père ou mère, il parviendra aux offices d’adjudicature, sera paillard, aura deux femmes et plusieurs enfants qui parviendront, et vivra quatre-vingts ans.

« Il sera homme profitable, libre, enclin à l’honneur, glorieux, fin et de bonne santé, affable, jaloux de ses femmes, et de grosse conscience.

« L’Homme qui naistra le vendredy, qui est l’astre de Vénus, sera de nature beaucoup enclin à la musique et à toutes choses réjouissantes, ou instruira des enfans de chœur, ou maistre de chapelle, organiste, ou maistre qui travaille en des instrumens musicaux, ou bien maistre confiseur, gantier, parfumeur, droguiste ou tailleur, ou autre chose appartenante à l’exercice vénérien, fera profession de broderie et autres choses gentilles ; sera curieux de faire fards pour les femmes, il ne sera marié qu’une fois et aura plus de femelles que de masles, aimera les jardins et choses odoriférantes, pierreries et toutes choses qui peuvent orner les dames, il sera bien venu auprès d’elles et vivra septante et deux ans ou plus.

« Il sera faiseur d’instruments ’de musique, apprendra à danser et à jouer des instruments.

« L’homme qui est nay le samedy est d’apparence solitaire, mélancholique, paresseux, aimant toujours besongne faite, aimera la chicane, il patira des jambes et des genoux, il sera avaricieux, voulant emprunter et ne point rendre, entrera en prison pour debtes, ira mal habillé de peur de despendre, il sera sujet à la tigne, galle et autres maladies. Quant aux biens de fortune, il sera heureux à trouver des trésors, sera riche par héritages ; il vivra proche de cent ans, selon le cours de nature, s’addonnera aux sciences occultes, il sera fortuné aux choses pesantes comme bois, fer, pierres et autres choses massives, sera enclin à plusieurs choses mauvaises que je ne mettray ici par bien séance, n’estant besoin de tout dire ; jolier, sergent et une grande désespération, trahison, faiseur de fausse monnnoye.

« Il sera paresseux, foible, mal disposé de sa personne, estropié, pauvre, ordinairement difforme, s’il n’est regardé du soleil ou de Vénus.

« Le tout sera à la volonté de Dieu. »

Après avoir ainsi annoncé ces superbes prédictions, le sieur de Conac n’a garde de s’oublier lui-même, et nous donne son petit boniment personnel :

« Ledit astrologue dit la fortune du passé et de l’avenir, par l’inclination des personnes sur leur phisionomie, et vent des drogues pour la guérison des malades et a d’autres beaux secrets en son particulier.

« Le dit mathématicien demeure au Chasteau Gaillard, au bout du Pont-Neuf, près l’Hostel de Nevers. »

Cette douce réclame ne nous surprend nullement, d’ailleurs. Ne voyons-nous pas, en cette fin de siècle - ce siècle de progrès et de lumière - des annonces dans les journaux, pour faire savoir aux naïfs des deux sexes que Mme X., célèbre cartomancienne, prédit l’avenir d’après les lignes de la main et fait le grand jeu. Puisque les cartomanciennes du XIXe siècle ont des clients, je ne vois pas pourquoi un astrologue n’en aurait pas eu il y a deux siècles et demi !

G. DE D.

[1Revue scientifique du 13 décembre 1890.

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