Formation de l’écorce solide du globe

F. Taule, La Revue Scientifique — 27 mai 1864
Dimanche 5 avril 2015 — Dernier ajout vendredi 8 mai 2015

Conférence de M. Hébert. (Soirées scientifiques de la Sorbonne)

La géologie, comme son nom l’indique, consiste dans l’élude des phénomènes terrestres. Sans doute, si l’on se tient à ce point de vue général et indéterminé, on peut dire avec raison que la science ainsi désignée est aussi ancienne que l’homme lui-même. La première préoccupation de l’homme a dû être, en effet, de visiter son domaine afin d’y chercher sa nourriture, des armes et un abri. Mais si, restreignant notre programme au titre même de cette leçon, nous entendons par géologie l’étude du globe terrestre considéré dans sa composition intime et dans son mode de formation, nous verrons que nous avons affaire il une science complètement nouvelle et qui date à peine de quelques années.

Les anciens, qui ont tiré tant de chefs-d’œuvre de leur esprit, ne nous ont presque rien laissé sur la constitution de notre planète. Le mens agitat molem de Virgile tant de fois cité, et à si juste titre, résume à peu près toutes leurs connaissances géologiques. Mais l’imagination du poète, quelque brillante qu’elle soit d’ailleurs, ne saurait remplacer la science positive. Aussi voyons-nous Pline le jeune donner une relation très exacte du tremblement de terre qui engloutit Herculanum, décrire avec l’éloquence de la vérité cette terrible éruption qui causa la mort de son oncle le naturaliste, sans chercher à se rendre compte du phénomène en lui-même. La science de son temps ne lui permettait pas d’être autre chose qu’un historien et un chroniqueur de talent. Ce n’est pas à l’obscur moyen âge qu’il faut demander d’être plus explicite à cet égard. Vous savez ce qu’il arriva à Galilée pour avoir voulu précéder Newton. Mais le XVIIIe siècle lui-même, si libre, si brillant, si intrépide dans la recherche et dans l’expression de la vérité, est resté, sous ce rapport, bien au-dessous du XIXe.

Il n’a fallu rien moins que la science, le génie et la bonne fortune de Cuvier, pour établir sur des bases définitives l’étude de la géologie. Interrogées par lui, les pierres de Montmartre ont révélé le secret des siècles ; et, grâce à celle évocation d’outre-tombe, nous connaissons aujourd’hui la constitution intime des diverses couches du globe, les principales révolutions qui s’y sont opérées dans la suite des temps et quelques-unes des espèces animales et végétales qui s’y sont succédé depuis la première apparition de la vie jusqu’à nos jours. Au premier abord, cette étude paraît prodigieuse et tout à fait au-dessus des conceptions humaines. Nous allons de nouveau interroger les oracles qui gisent sous nos pieds, nous allons mettre sous vos yeux le bilan de cette science qui date d’hier, et j’ose dire que vous vous retirerez d’ici convaincus qu’il n’en est point de plus certaine dans ses résultats, de plus philosophique dans ses déductions.

À ne considérer que la superficie des choses, les matières qui composent le globe paraissent infiniment variées. Vous avez tous visité les carrières des environs de Paris. On y trouve, à côté de grandes assises de pierres de construction, du sable, des argiles de différentes couleur, de la chaux ; du plâtre, des détritus végétaux et animaux dont il sera question plus tard. (Ici M. Hébert fait projeter sur un vaste écran, à l’aide de la lumière électrique, la photographie d’une des carrières de Montmartre. On aperçoit parfaitement les différentes couches stratifiées et la trace agrandie de quelques coquilles fossiles.) Eh bien, il en est ici comme en chimie, où, malgré le nombre infini des combinaisons, il n’y a en réalité qu’un petit nombre de corps simples. Toutes les roches stratifiées ne se composent en réalité que d’un petit nombre de substances toujours les mêmes, dont voici les trois principales : calcaire, argile, matières siliceuses, le tout sous différentes formes et uni à des débris minéraux et organiques.

Il est vrai que si l’on parcourt les montagnes du limousin, du Morvan, les Cévennes, les Alpes, les Pyrénées, etc., on l’encontre des substances nouvelles, et les roches elles-mêmes prennent un autre aspect. Au lieu de celle structure amorphe, de ces couches parallèlement disposées les unes au-dessous des autres, on voit un mélange de matières plus dures et plus brillantes. Tels sont le grès, le quartz ou cristal de roche, le feldspath, le mica, le granite, les porphyres, la houille et des filons métallifères de différentes natures. Les roches que nous venons d’énumérer n’offrent pas la stratification régulière que je vous montrais tout à l’heure sur le tableau. Les coupes verticales tracées sur les terrains de celle nature offrent au contraire le plus grand désordre dans leur disposition. Ici les couches sont horizontales, puis elles vont en s’inclinant en sens divers, sans cesser pourtant de rester parallèles. Ailleurs, elles sont interrompues dans leur continuité par de vastes blocs de rochers ou des masses énormes de cristaux de différentes couleurs et de consistances diverses, qui proéminent à travers les strates et se pénètrent quelquefois les uns les autres. (M. Hébert fait projeter sur l’écran une seconde photographie qui représente une coupe prise dans les montagnes de la Loire et de la Haute-Saône. Sur les côtés, on voit des couches stratifiées, tandis que le centre est rempli par des masses minérales diversement colorées et se pénétrant mutuellement. On distingue pourtant un certain ordre dans ce chaos : car la masse la plus centrale parait avoir émergé la dernière en écartant toutes les autres. Il y a ici comme une sorte de stratification verticale qui se serait produite en vertu de poussées successives de bas en haut. Nous verrons, en effet, que c’est par un mouvement de ce genre que ces phénomènes se produisent.) Mais jusqu’ici nous avons prononcé plusieurs fois le mot roche sans définir au juste ce qu’on entend par là. Les descriptions précédentes en ont déjà donné une idée qu’il importe de compléter avant de passer outre. « On désigne sous ce nom toutes associations de parties minérales, soit de mêmes espèces, soit d’espèces différentes, qui se trouvent dans l’écorce solide du globe en masses assez considérables pour être regardées comme parties essentielles de cette écorce, et être prises en considération dans son étude générale. Ainsi, comme nous l’avons vu, on donne le nom de roches, non-seulement à des associations solides, mais encore à des couches de sable et à des dépôts de débris organiques plus ou moins minéralisés. » La réunion de plusieurs roches stratifiées constitue ce que l’on appelle un terrain, et chaque terrain correspond à une formation ou période géologique. En un mot, l’étude des roches fait connaître la composition du sol ; celle des formations explique son origine, c’est-à-dire la cause qui a donné naissance aux différentes parties dont il se compose ; et enfin l’étude des terrains assigne l’âge relatif de ces diverses parties.

Nous avons vu que l’écorce terrestre se divise en roches stratifiées ou non stratifiées. Les premières n’offrent pas toujours la disposition régulière que nous ayons observée dans les carrières de Montmartre. Voici, par exemple, une carrière des environs de Grenoble, où les masses semblent avoir roulé les unes sur les autres comme à la suite d’éboulements successifs. Ces irrégularités de courbure peuvent quelquefois s’exagérer à tel point, que la roche présente alors une série d’ondulations analogues à celles de plusieurs lames de carton primitivement placées horizontalement les unes au-dessus des autres, et que l’on aurait ensuite ployées en divers sens, de façon a faire décrire à la masse une série de courbes en zigzag. Il est évident que, si l’on faisait une coupe verticale sur ces lames ainsi contournées, on verrait apparaître sur la tranche autant de couches superposées qu’il y avait de lames primitives. Eh bien, il en est exactement de même de certaines roches stratifiées. Seulement, les lames de carton sont remplacées ici par des masses énormes de calcaire, d’argile, de sable ou d’autres matières minérales plus ou moins condensées. Le premier mode de stratification a reçu le nom de stratification concordante, tandis que ce dernier est désigné sous celui de stratification discordante ou transqressive. Mais, en réalité, la discordance n’est qu’apparente. Car le parallélisme existe toujours, et les roches se succèdent constamment dans le même ordre de superposition.

Si maintenant nous examinons une de ces roches en elle-même, de façon à nous rendre compte des divers éléments qui la composent, nous verrons (par exemple, dans les carrières des environs de Paris) qu’indépendamment des parties amorphes (sable, argile, craie, etc.), il y a des débris organiques, de véritables coquilles tout à fait semblables à celles que l’on rencontre sur les grèves de la Méditerranée ou de l’Océan. Mais cette similitude est loin d’être complète. Car on n’a pas pu retrouver jusqu’à ce jour un seul exemplaire vivant de ces mollusques dont la terre nous a conservé les images pétrifiées. Voici, par exemple, une bélemnite énorme trouvée dans les carrières de Montmartre. C’est une espèce complètement perdue. Du reste, ce ne sont pas là les seuls vestiges animaux que l’on rencontre dans le terrain crétacé des environs de Paris. On y trouve en abondance de petites coquilles microscopiques qui forment, pour ainsi dire, la trame de ces magnifiques blocs de pierre que vous voyez transporter chaque jour, à travers les rues et les places publiques, par ces charrettes énormes que traînent péniblement de longues files de chevaux normands et berrichons. Ces coquilles, connues sous le nom de foraminifères, appartiennent à d’anciens mollusques maritimes. Elles en présentent plusieurs. Les plus grandes atteignent à peine 2 millimètres de diamètre. On n’en est pas moins parvenu à en distinguer près de huit cents espèces différentes. On trouve encore dans les carrières de Montmartre et de Gentilly d’autres coquilles marines appelées nummulites, à cause de leur forme assez semblable à celle d’une pièce de monnaie dont la surface serait striée de raies transversales. C’est dans les couches de ce calcaire à nummulites, très abondant dans l’Artois, dans la montagne Noire, dans certains plateaux du département du Lot, qu’on a rencontré à Maestricht cet animal extraordinaire qui a tant occupé les savants. La tête, qu’on a pu reconstituer presque entièrement, était ornée de dents redoutables, ayant 1m,50 de longueur.

Indépendamment de ces débris animaux, il y a des empreintes de végétaux, des cailloux roulés, des bancs de galets qui témoignent du passage de la mer sur ces plateaux exposés aujourd’hui à toutes les ardeurs du soleil. Tous ces éléments, agrégés par les pressions successives et par le ciment calcaire interposé entre leurs parois, se retrouvent encore aujourd’hui dans la profondeur des mers et sur les côtes de la Manche. Ces faits suffisent pour démontrer que tontes les couches sédimentaires sont dues à des dépôts marins, fluviatiles ou lacustres. Ainsi, dans plusieurs carrières de Gentilly, au lieu de coquilles marines, on ne rencontre que des bélemnites, qui sont des coquilles d’eau douce, dont les analogues existent encore aujourd’hui dans la plupart des fleuves dit nouveau et de l’ancien continent. Nous verrons plus tard comment la mer et les fleuves ont pu se déplacer pour transporter sur les plus hautes montagnes du globe les plantes et les animaux qui se cachaient dans leur sein. Nous verrons que ces coquilles des Alpes, qui déroutaient la raison de Voltaire lui-même, ont une origine parfaitement justifiée par les phénomènes du même genre qui se produisent encore de nos jours dans les débordements des fleuves et des mers. Mais ce déplacement des eaux ne suffit pas pour expliquer ces stratifications irrégulières et tourmentées que nous avons remarquées dans la carrière de Grenoble. Pour que ces ondulations aient pu se produire, il faut nécessairement que le sol se soit tour à tour élevé et abaisse après la formation des dépôts stratifiés. Nous verrons bientôt comment cela a pu se faire. Bornons-nous, pour le moment, à continuer l’étude de la composition des roches.

Si, dans une même carrière, on examine les diverses couches stratifiées, on s’aperçoit bientôt que l’on peut les diviser en trois groupes : 1° le groupe inférieur, dans lequel on l’encontre des vestiges de plantes et d’animaux marins ; 2° le groupe moyen, qui ne contient que des coquilles d’eau douce ; et enfin le groupe supérieur, uniquement composé de vestiges maritimes. L’eau de la mer a donc passé à deux reprises différentes et à de longs intervalles sur le sol ainsi disposé. Et c’est dans l’intervalle de ces deux inondations maritimes qu’un nouveau lac s’est établi dans le même lieu. Les espèces perdues que l’on rencontre dans une couche n’étant pas les mêmes que celles que l’on trouve dans les autres, il est facile de donner ainsi le signalement de chaque couche d’après les débris végétaux et animaux qu’elle l’enferme. Du reste, il n’est pas besoin de sortit, de France pour trouver des échantillons de toutes les couches stratifiées. Partout, comme nous l’avons déjà dit, elles conservent leurs formes et se reproduisent dans le même ordre. Après avoir étudié par les sondages les différents étages qui se trouvent dans les plateaux des environs de Paris, on pourrait facilement prolonger cette étude en pénétrant dans les affleurements circulaires qui entourent le pied des collines : on verrait toujours là même disposition. C’est sur ce principe et sur l’imperméabilité de quelques-unes de ces couches qu’on s’est fondé pour creuser les puits artésiens.

Supposons, en effet, que, par suite de l’infiltration, une nappe d’eau assez étendue se soit accumulée entre deux couches d’argile ou de calcaire imperméable. Elle s’étendra horizontalement tant qu’elle trouvera le champ libre ; mais si elle est arrêtée dans son expansion par de nouvelles couches imperméables, il arrivera un moment où, par suite de l’écoulement continuel qui a lieu par l’orifice de pénétration de l’eau, sa nappe se trouvera facilement comprimée et fera effort pour sortir de son lit souterrain. Si elle trouve un terrain friable, elle y creusera peu à peu des crevasses, jusqu’à ce qu’elle puisse émerger à l’extérieur et se mettre de niveau avec le point où elle a pris sa source. C’est ainsi que se forment les sources jaillissantes. Si, au contraire, les parois offrent trop de résistance pour se laisser crevasser, il arrivera de deux choses l’une : ou l’eau refluera vers son lieu d’origine ; ou, si l’on pratique un sondage convenable, elle se précipitera dans la brèche creusée par la sonde. On aura alors un véritable puits artésien.

Avec ces données générales, nous pouvons déjà pénétrer assez loin dans l’histoire de la formation du globe. En effet, puisque chaque série de roches (chaque terrain) est caractérisée par une faune ou évolution organique spéciale ; puisque, d’autre part, on trouve dans certains terrains du nord de l’Europe des fossiles dont les analogues vivent aujourd’hui sous les tropiques (les trilobites, par exemple, genre de crustacés dont il existe plus de deux mille espèces fossiles dans le terrain silurien de la Vendée (schistes ardoisiers d’Angers), en Angleterre, en Afrique et dans l’Amérique du Sud ; les encrines et d’autres espèces de polypiers, un grand nombre de mollusques), il faut en conclure qu’à chaque période correspondante, les mers ont dû se déplacer, entraînant devant elles une partie des animaux et des plantes qui vivaient dans leurs profondeurs ; recouvrir les continents voisins avec leurs habitants, tandis que leurs anciens lits se trouvaient jonchés de cadavres, de plantes et d’animaux de toute espèce. A côté de ces débris organiques, sur les continents émergés, une nouvelle création apparaissait bientôt pour être engloutie à son tour par un nouveau cataclysme. Mais l’énorme épaisseur des couches sédimentaires transportées par les eaux ou déposées an fond de leur lit dons les intervalles de calme, le temps qu’il a fallu pour permettre l’évolution de chaque nouvelle faune, prouvent surabondamment que ces révolutions géologiques ont dû être séparées par de longs siècles de repos et de paix profonde.

Quand, d’un autre coté, on considère les végétaux énormes qui peuplent le terrain houiller, les conditions climatologiques nécessaires pour produire actuellement des espèces analogues, dont les proportions sont beaucoup plus restreintes, on est forcé de reconnaître que, à certaines époques, la température a dû être à peu près uniforme sur toute la surface de la terre. Il n’est guère de contrées dans le monde où l’on ne trouve de la houille et des échantillons fossiles, dont les représentants actuels vivent : sous les latitudes torrides. La chaleur devait donc être alors beaucoup plus considérable qu’aujourd’hui à la surface du globe. Beaucoup d’autres preuves viennent encore à l’appui de cette opinion. Les matières minérales que nous avons vues constituer les roches stratifiées et interrompre la continuité des couches de sédiment en se pénétrant mutuellement, sont complétement identiques avec les minéraux que nous conservons aujourd’hui dans nos laboratoires. La plupart peuvent être reproduits artificiellement, soit par la cristallisation lente, lorsqu’ils ont été préalablement dissous dans un liquide, soit directement par voie de combinaison chimique ou par le refroidissement, lorsqu’ils ont été préalablement fondus par l’intervention de la chaleur.

Les mêmes effets se produisent encore aujourd’hui dans la nature. La mer, en séjournant dans les salines, y dépose les cristaux de sel marin qu’elle tient en dissolution. De même, dans certaines grottes, nous voyons s’accumuler des dépôts de carbonate et de silicate calcaires connus sous le nom de stalactites. C’est la un exemple de la cristallisation lente. Tout le monde sait que les laves vomies pal’ les volcans se coagulent par le refroidissement, et donnent naissance à ces masses noirâtres connues sous le nom de basaltes, de trachytes, que l’on trouve en abondance dans les volcans éteints de l’Auvergne et du Vivarais. La plupart des sources thermales sont de véritables puits artésiens naturels qui, par la chaleur de leurs eaux, témoignent de leur passage à travers des couches teneuses beaucoup plus chaudes que les couches superficielles. Ces mêmes eaux laissent se déposer par le refroidissement des incrustations calcaires tout à fait analogues aux stalactites. À Sainte-Allyre, près de Clermont, se trouve une source de ce genre, qui couvre de ses cristaux les branches, les fruits et les médailles qu’on y plonge et qu’on y laisse séjourner pendant quelques jours. Tous ces phénomènes, image amoindrie des grands effets produits par les révolutions géologiques, témoignent en leur faveur. Nous pouvons donc conclure de là que deux causes principales ont présidé, dès l’origine, à la formation des roches, le refroidissement d’une part, ce qui implique une chaleur initiale très élevée, et la cristallisation par voie humide, ce qui indique des dépôts successifs au fond des mers, des lacs et des fleuves.

Il est temps de remonter à l’origine de ces divers phénomènes et de suivre leur mode de succession à travers les âges. La forme sphérique de la terre et son aplatissement vers les pôles, qui est, d’après les calculs de tons les physiciens, directement en rapport avec sa vitesse de rotation, suffisent pour établir qu’elle n’a pas toujours été à l’état solide. On aurait beau faire tourner une boule de billard avec la plus grande vitesse possible, on ne pourrait jamais produire le moindre aplatissement sur cette masse rigide, complètement réfractaire à l’action de la force centripète et de la force centrifuge. Il a donc fallu que la terre fut primitivement fluide pour pouvoir s’aplatir aux pôles et se renfler à l’équateur. « Mais la fluidité de la terre a-t-elle été aqueuse ou ignée ? Les physiciens, armés du pendule, et les géomètres, appliquant le calcul aux expériences de la physique, admettent tous maintenant la fluidité ignée originaire du sphéroïde terrestre (ce qui concerne parfaitement les observations que nous avons constatées précédemment), et considèrent ce sphéroïde comme formé de couches concentriques de différentes matières, dont la densité va croissant de la circonférence au centre. Des expériences faites avec la balance de torsion de Cavendish autorisent à conclure que la densité moyenne de la terre est 5 fois et demie plus grande que celle de l’eau, et, par conséquent, plus du double de celle de l’écorce terrestre accessible à l’observation du géologue ; car le feldspath, le quartz, le mica, le talc et le calcaire, qui en sont les éléments principaux, n’ont guère pour densité que 2,5. La densité moyenne des continents et des mers n’atteignant pas 1,6, il faut nécessairement que l’accroissement de cette densité soit plus rapide à mesure qu’on descend au-dessous de la surface terrestre. Tout tend donc à prouver que le centre du globe est occupé par des métaux et leurs composés les plus lourds, et que ces substances, disposées par ordre de densité, y sont encore soumises à une chaleur capable de les tenir à l’état de fusion. » (Ch. d’Orbigny, Dict. des sciences naturelles.)

On sait, du reste, par les sondages, que la température s’accroît d’un degré centigrade par chaque 33 mètres de profondeur. D’où il résulte, en admettant que cet accroissement se continue d’une manière uniforme, qu’au centre de la terre la chaleur serait de 193 234 degrés (le rayon de la terre étant de 6 300 kilomètres environ, une simple division suffit pour arriver au résultat précité). En supposant qu’on se bornât à descendre à une profondeur qui ne représenterait que le soc du rayon terrestre, on obtiendrait encore, en vertu de la progression croissante de 1 degré par 33 mètres, une chaleur de 3 800 degrés, c’est-à-dire supérieure à celle que nous pouvons produire dans nos laboratoires et à laquelle le diamant lui-même ne résisterait pas. Il est donc certain que notre planète a été non-seulement liquéfiée à l’origine, mais même à l’état gazeux. Car tous les métaux qu’elle contient se vaporiseraient inévitablement sous une chaleur de beaucoup inférieure à celle qui règne actuellement au centre de la terre. Notre globe a donc été primitivement une nébuleuse résoluble, puis un corps lumineux en tout comparable aux étoiles et au soleil. Les expériences de MM. Kirchhoff et Bünsen, qui ont démontré la présence de plusieurs métaux dans l’atmosphère du soleil, viennent encore à l’appui de cette hypothèse, que l’on peut considérer aujourd’hui comme une vérité définitivement acquise à la science. On conçoit qu’une pareille masse incandescente devait produire autour d’elle une immense atmosphère gazeuse excessivement dense et tout à fait impénétrable aux rayons du soleil. Les vapeurs les plus lourdes devaient se trouver à la partie inférieure, c’est-à-dire les plus rapprochées de la sphère, tandis que les plus légères, occupant la partie supérieure, formaient à la terre une sorte de photosphère analogue à celle du soleil, et que les astronomes ont décrite sous le nom de gloire, à cause de sa disposition circulaire autour de l’atmosphère solaire et de son admirable couleur rose. (Voy. la leçon l’aile à la Sorbonne par M. Le Verrier, dans la Revue des cours scientifiques du 30 avril, n° 22.)

Mais la terre, obéissant aux lois du rayonnement, qui veulent que tout corps perde de son calorique dans un milieu plus froid que lui, dut se refroidir progressivement en cédant de la chaleur aux astres environnants. C’est en vertu de ce rayonnement incessant que la surface du globe se coagula peu à peu et qu’une première pellicule solide sépara la masse incandescente de l’atmosphère ambiante. De là un premier mode de formation de roches ignées ou plutoniques. (On appelle ainsi les roches non stratifiées qui, primitivement en fusion, se sont coagulées par le refroidissement. Tels sont le quartz, l’amphibole, le pyroxène, le porphyre, le granit, les basaltes. On nomme, au contraire, roches sédimentaires ou neptuniennes, celles qui se sont formées par la stratification de dépôts successifs au fond des fleuves et des océans.) La première assise solide du globe (terrains primitifs) est complètement uniforme et dénuée de toute trace organique végétale ou animale. La chaleur était encore trop intense pour permettre à la vie de s’y développer. C’est à cette période qu’appartiennent les talcites ou schistes talqueux de la Vendée, le micaschiste ou schiste micacé, et les gneiss.

Le refroidissement continuant toujours par le rayonnement intérieur, de nouvelles couches se solidifièrent et augmentèrent peu à peu l’épaisseur de la couche primordiale. Les matières contenues à l’état de vapeur dans l’atmosphère se condensant à leur tour, des torrents de pluie bouillante se précipitèrent à la surface de la planète. De là une immense oxydation et des combinaisons de toutes sortes qui modifièrent encore la croûte terrestre. Alors eurent lieu les premiers dépôts stratifiés, qui consistèrent principalement en talc et en granit. Mais les choses ne purent rester longtemps stationnaires. L’effort des vagues souterraines, de plus en plus comprimées par le refroidissement et le retrait des couches supérieures, brisa bientôt cette frêle enveloppe pour s’épancher au dehors en laves bouillonnantes, ou soulever les masses granitiques déposées au fond des mers. Alors se formèrent des pics énormes de granit, des dépôts de laves et de basaltes tout à fait semblables à celles qui sortent aujourd’hui du cratère des volcans. Un grand nombre d’îles soulevées à cette époque existent encore assez loin des côtes, dans le pays de Galles, habité autrefois par les anciens Silures. De là le nom de terrain silurien donné aux formations de cette période géologique. (ce terrain couvre une partie des départements du Finistère, d’Ille-et-Vilaine, de la Mayenne, de l’Orne et de la Manche, les ardoisières des Ardennes, une partie des montagnes du Beaujolais et du Forez, certains gneiss du limousin et quelques schistes de la montagne Noire, dans l’Aude.) On y remarque souvent la stratification discordante.

On comprend, en effet, que la pression interne de bas en haut se faisant toujours sentir, à chaque instant de nouveaux soulèvements et des soubassements correspondants devaient se produire, des îles émerger, tandis que d’autres étaient submergées par le déplacement des eaux. De là des ondulations qui out dû laisser leur trace dans les couches stratifiées formées pendant la période de calme qui sépara cette époque de la suivante. De là aussi des filons de matières ignées projetées à travers les couches stratifiées par la pression intérieure et solidifiées ensuite par le refroidissement. C’est dans les eaux de la mer silurienne que se montrèrent pour la première fois quelques plantes marines : des algues, des prèles, des fucus énormes qui, se trouvant en contact avec des amas de laves épanchées, se carbonisèrent pour donner naissance à des bancs d’anthracite où l’on rencontre encore leurs traces incrustées de sels calcaires. Dans le terrain dévonien, immédiatement supérieur à celui-ci et formé selon les mêmes lois, on trouve déjà quelques coquillages et de grands végétaux, tels que les cycadées et les sigillaires. Ces fossiles sont surtout très abondants dans le Devonshire, en Angleterre. De là le nom de terrain dévonien.

Dans le terrain houiller ou carbonifère, qui surgit du fond de la mer dévonienne, on rencontre des couches de houille qui ont jusqu’à 5 kilomètres d’épaisseur. Certaines mines d’Écosse renferment des forets tout entières ainsi réduites à l’état de houille par les effluves ignés et par la pression des couches supérieures. (M. Hébert montre sur le tableau la photographie d’une houillère d’où l’on voit émerger perpendiculairement, entre les couches de charbon, une de ces énormes fougères si communes dans le terrain houiller.) Ces vastes amas de végétaux carbonisés ont probablement formé dans le principe d’immenses tourbières. Sous l’influence de l’expansion intérieure, les vagues de la mer carbonifère sont sorties de leur lit, entraînant sur leur passage les sables, les plantes et les animaux. Les grandes forêts de cette époque, envahies par les atterrissements, ont été bientôt complétement recouvertes par les couches sédimentaires, lesquelles ont produit à leur tour une nouvelle flore qui a subi le même sort que la première. Calculez le temps qu’il a fallu pour étager ainsi les forêts carbonifères les unes sur les autres, et vous aurez une idée plus ou moins approximative de la longue suite de siècles qui sépare l’une de l’autre les époques géologiques.

Le terrain houiller est un de ceux qui ont été le plus tourmentés par les soulèvements internes et les irruptions de matière ignée. On y trouve, outre les grands végétaux dont nous avons parlé, de nombreuses espèces d’animaux fossiles. C’est dans les profondeurs et sur les rivages de la mer carbonifère que se sont développés ces bizarres crustacés décrits sous le nom de trilobites, beaucoup de poissons et quelques reptiles dont M. Hébert montre les échantillons. Ce sont des sauriens énormes, quatre ou cinq fois plus gros que les crocodiles du Nil et des fleuves indiens. Dans la période jurassique, l’atmosphère, purifiée de son acide carbonique par l’exubérance de la végétation carbonifère, put laisser se développer une faune un peu plus riche. Alors apparurent les bélemnites, les ammonites, l’ichthysaure, le plésiosaure, le ptérodactyle, etc. C’est au terrain jurassique qu’appartiennent les monts du Jura, les volcans éteints de l’Auvergne, les montagnes de l’Aveyron, de la Lozère et de la Corrèze. La chaleur décroissant toujours avec l’épaississement des couches stratifiées, les poussées intérieures se faisant de moins en moins sentir, le calme s’établit peu à peu à la surface du globe, et l’air se débarrassa de tous ses principes délétères. Alors apparurent les grands mammifères trouvés par Cuvier dans le terrain crétacé des environs de Paris : le Palœotherium, le Dinotherium, les mastodontes, le Cerons giganteus, enseveli dans les tourbières d’Irlande, etc. Le soulèvement des Pyrénées, des Alpes, des Apennins, des Balkans, se fit pendant cette période.

C’est dans le diluvium ancien, qui forme la transition entre les terrains crétacés et les alluvions modernes, que se montrèrent la plupart des plantes et des animaux de la faune actuelle. Les inondations partielles qui eurent lieu à cette époque ont laissé des traces profondes dans les cavernes à ossements, où l’on trouve à côté des restes des cerfs, des buffles et des éléphants, ceux d’ours, de lion, d’hyène, de chien et de jaguar. Le banc de sable de Moulin-Quignon, qui a tant fait parler de lui dans ces derniers temps, appartient au diluvium.

Depuis celle époque, le calme le plus parfait a régné sur la terre, Cependant les éruptions volcaniques, les tremblements de terre et quelques soulèvements partiels, comme celui du Ténare, de l’ile d’Hiera, prouvent que les causes dont nous avons parlé existent toujours, et que la terre est encore soumise aux influences du feu intérieur. En 1811 et en 1831, deux nouvelles îles ont encore surgi : l’une dans l’Océan, l’île Sabina, près des Açores ; l’autre dans la Méditerranée, l’île Julia. Cette dernière n’a, pour ainsi dire, fait que paraître et disparaître. Elle est aujourd’hui engloutie sous les flots de la mer sicilienne. Ce sont là de vivants et irrécusables témoignages de la vérité de la science géologique.

F. Taule.

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