La boussole de Flore

Ferdinand Faideau, La Science Illustrée n° 290 — 17 juin 1893
Dimanche 12 octobre 2014 — Dernier ajout mardi 30 janvier 2018

Linné, en observant l’époque de floraison des plantes, a pu dresser un Calendrier de Flore ; en notant soigneusement les heures d’ouverture et de fermeture de certaines fleurs, il a établi une Horloge de Flore dont nous avons eu déjà l’occasion de parler. D’un autre côté, Bierkander a nommé hygromètre de Flore, la liste de plantes dont les fleurs se ferment, ou s’ouvrent, ou prennent une position particulière quand il va pleuvoir.

On peut, de même, réunir sous le nom de Boussole de Flore, un petit nombre de caractères que nous offrent les végétaux, et qui, à la rigueur, pourraient permettre à un voyageur égaré de retrouver son chemin.

Dans les bois, la mousse qui recouvre les arbres fournit une précieuse indication ; elle est beaucoup plus abondante sur la partie du tronc qui regarde le nord que dans les autres directions.

Le sapin et l’épicea, par les jours d’été, en plein soleil, fléchissent vers le nord, l’extrémité de leur tige et, dans les plaines arides, la chicorée sauvage, aux rameaux dénudés, aux maigres capitules bleus, se comporte de la même façon.

Mais la plante-boussole par excellence, c’est la laitue sauvage (lactuca scariola), si commune par toute la France. Dans les en droits incultes, au plus fort de l’été, elle épanouit ses fleurs jaunes le long de ses tiges minces qui atteignent parfois la hauteur d’un homme. Regardez avec soin ses feuilles, elles sont verticales ; l’une de leurs faces est tournée vers l’est, l’autre vers l’ouest ; la pointe des unes indique le nord, celle des autres le sud, comme vous pourriez rigoureusement le vérifier à l’aide de l’aiguille aimantée.

C’est à l’action de la lumière qu’il faut attribuer cette disposition remarquable. Les feuilles de la plupart des plantes se placent toujours perpendiculairement à la plus forte lumière diffuse qu’elles reçoivent et celles de la laitue sauvage sont des plus sensibles à la radiation.

Mais, quand la lumière devient trop intense, quand sous les rayons ardents du soleil de midi, toute vie semble cesser ; quand les insectes se taisent et que pas un souffle n’agite la campagne, les feuilles deviennent insensibles au déplacement du centre de lumière et demeurent immobiles. II en résulte que c’est le soleil levant et le soleil couchant qui déterminent leur orientation. Quelques autres plantes de la famille des composées, notamment les silphes, abondants dans l’Amérique septentrionale, possèdent aussi cette curieuse propriété, et ont été décrites, à tort, comme des plantes magnétiques.

Ces phénomènes n’ont rien à voir avec le magnétisme, ils sont de même ordre que ceux qui ont été déjà décrits dans le chapitre intitulé : Voyages d’une tige à la recherche de la lumière ; ils sont du domaine de l’héliotropisme.

Un observateur attentif de tous les mouvements des plantes devrait donc pouvoir parvenir à se passer de calendrier, de montre, d’hygromètre et de boussole ; malheureusement cette pauvre Flore est sous la dépendance d’une foule de circonstances extérieures ; dans les années froides, son calendrier est en avance sur les fleurs ; par les temps humides, son hygromètre n’indique pas plus sûrement la pluie que le capucin de carton qui met son capuchon ; quand le ciel est couvert, son horloge est complètement détraquée et sa boussole ne peut faire retrouver le nord au botaniste égaré dans les immenses prairies de Saint-Cloud ou dans les forêts vierges de Chaville ou de Fontainebleau.

Tout cela, d’ailleurs, n’enlève aucune valeur aux intéressantes observations dont nous venons de parler. Il était bon néanmoins de faire remarquer qu’il ne faut pas vouloir leur faire donner plus qu’elles ne peuvent, c’est-à-dire des indications souvent utiles ‡ la campagne, mais qui ne sauraient être d’une absolue précision, tant sont complexes ct mal connues les causes qui produisent le mouvement dans les plantes.

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