Héma-spectroscope de Maurice de Thierry

La Nature N° 637 — 15 août 1885
Dimanche 28 septembre 2014 — Dernier ajout jeudi 28 mars 2024

La Nature N° 637 — 15 août 1885

Cet appareil, expérimenté avec succès depuis le mois d’août dernier, a été récemment présenté par M. Vulpian à l’Académie des sciences, et par M. Brouardel à l’Académie de médecine, où il a été l’objet d’un rapport des plus favorables, fait par M. Gariel au nom d’une commission composée de MM. Brouardel, Giraud-Teulon et Gariel, rapporteur.

L’héma-spectroscope est destiné à la recherche de quantités infinitésimales de sang dans un liquide quelconque : l’eau, urines, humeurs, et à déceler sa présence dans les taches sur le linge, les étoffes, les bois, les métaux, etc. Il repose sur les principales propriétés optiques de l’oxyhémoglobine et de l’hémoglobine réduite qui donnent, l’une deux bandes d’absorption situées entre les raies D et E du spectre, et l’autre une bande unique, connue sous le nom de bande de Stockes, située entre les deux précédentes.

L’héma-spectroscope, comme l’indique la figure, se compose d’un tube de laiton dans lequel glisse à frottement doux un autre tube de même métal et de plus petit diamètre ; ce dernier tube est terminé par un appareil spectral d’un modèle nouveau, muni d’un prisme à grand pouvoir dispersif et d’un diaphragme à fente dont les lèvres sont mobiles symétriquement, de manière à faire varier la largeur de la fente de part et d’autre de la ligne médiane. Dans l’intérieur de l’appareil on peut mettre à volonté trois tubes en cristal fermés à leurs extrémités par deux petits disques également en cristal à faces parallèles et fixés à l’aide d’un collier mobile. Ces tubes qui mesurent respectivement 10, 30 et 50 centimètres de longueur et qui ont une section de un centimètre carré servent à mettre le liquide sur lequel portent les recherches. Et suivant sa richesse en matière colorante, on prend un quelconque de ces tubes.

L’héma-spectroscope s’adapte soit sur un pied articulé portant un miroir destiné à envoyer un faisceau de lumière dans le tube par l’une des extrémités, soit plus simplement sur un microscope ordinaire. Pour faire une recherche, on dispose le miroir du microscope ou du support de manière à éclairer vivement le tube, et on règle l’ouverture de la fente et la mise au point de façon à ce qu’en regardant dans l’oculaire on aperçoive le spectre très nettement avec ses différentes couleurs bien tranchées. (Si l’on opère avec la lumière solaire, on doit voir distinctement les raies de Fraünhofer.)

La mise au point terminée, on prend soit l’urine, soit le liquide dans lequel on a fait macérer préalablement les linges, papiers, etc., que l’on présume tachés de sang et on l’introduit dans un des tubes. Si le liquide est incolore ou que la coloration soit très faible, on prend le tube de 50 centimètres. S’il est fortement coloré, on l’étend d’eau, jusqu’à ce que, vu sous une épaisseur assez grande il présente une coloration rose chair et on le met dans le tube de 10 ou de 50 centimètres. Si la solution était trop colorée, comme on l’observe sous une très grande épaisseur, elle absorberait complètement la lumière et par conséquent les deux bandes caractéristiques ne seraient pas visibles.

Grâce à l’épaisse couche de liquide traversée par la lumière, les bandes d’absorption apparaissent même avec une solution ne renfermant que 1/100&sbnp;000 d’hémoglobine.

Une goutte de sang de la grosseur d’un grain de blé, sur un linge exposé trois mois à l’air libre, a présenté, après macération dans une quantité de liquide nécessaire pour remplir le tube de 50 centimètres, c’est-à-dire 50 centimètres cubes, les bandes d’absorption très nettes de l’hémoglobine. Le procédé est d’une telle sensibilité, que l’auteur a retrouvé les bandes d’absorption encore parfaitement visibles, dans un liquide qui dans les circonstances ordinaires, ne présentait aucune coloration et qui ne contenait que 1 centimètre cube de sang dans 50 litres d’eau.

Avec l’urine, les résultats sont presque aussi satisfaisants, mais il est bien évident que cette sécrétion, colorée par elle-même, empêche de pousser aussi loin les investigations. On retrouve néanmoins du sang dans des urines, qui même après un examen attentif, n’offrent aucun des caractères d’une urine sanguinolente.

Les tubes étant, comme nous l’avons déjà dit, entièrement en cristal, on peut faire subir aux liquides les actions chimiques qui permettent de réduire l’oxyhémoglobine et de vérifier sa présence par l’apparition de la bande noire caractéristique.

Il va sans dire que cet appareil peut être utilisé à tous les cas où il y a lieu d’appliquer le procédé de la spectroscopie par absorption, comme dans la détermination de la présence de la chlorophylle. On l’applique en outre à la recherche de très petites quantités de seigle ergoté dans la farine de froment au moyen du spectre d’absorption particulier que présente la matière colorante de l’ergot de seigle.

Construit avec le plus grand soin par Vérick, peu embarrassant, facilement transportable, permettant d’observer une petite quantité de liquide sous une très grande épaisseur, l’héma-spectroscope de M. de Thierry est appelé à rendre de véritables services aux naturalistes, aux pharmaciens, aux chimistes biologistes et surtout à la médecine légale.

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