L’éclairage électrique à Nantua

La Nature N°512 — 24 mars 1883
Mercredi 6 août 2014

L’utilisation des forces naturelles préoccupe de plus en plus les physiciens modernes et l’expérience dont nous allons rapidement rendre compte nous montre une solution nouvelle du problème qui n’est pas sans intérêt ni sans avenir.

L’éclairage d’une partie de la ville de Nantua (Ain) est effectue depuis le 10 mars par une machine Siemens, des accumulateurs d’un nouveau système et des foyers électriques à arc, à incandescence à l’air libre, et à incandescence en vase clos, c’est-à-dire que les trois systèmes d’éclairage électrique actuellement connus s’y trouvent représentés et fonctionnent simultanément, alimentés par une seule et même source électrique.

Voici l’installation générale du système :

Le ,générateur électrique actionné par un moteur hydraulique se compose d’une machine dynamo-électrique Siemens à courant continu, excitée en dérivation : elle est du plus petit modèle, type SD5, et son poids ne dépasse pas 60 kilogrammes, elle absorbe environ un cheval de force motrice. Le courant qu’elle engendre sert à charger trente-six accumulateurs Reynier montés en tension. Ces accumulateurs sont de deux systèmes différents : dix sont des accumulateurs au cuivre, et dix-huit des accumulateurs au zinc.

Les accumulateurs au cuivre se composent d’une lame de plomb peroxydé comme pôle positif et d’une lame de plomb cuivré comme pôle négatif ; ils pèsent environ 25 kilogrammes et ont une force électromotrice de 1,68 volts.

Les accumulateurs au zinc ont la même plaque positive et une plaque négative constituée par du plomb zingué, le poids est de 23 kilogrammes et la force électromotrice de 2,3 volts.

Ces trente-six accumulateurs sont montés en tension’ Ils représentent une force électromotrice totale de 71 volts et une résistance intérieure un peu inférieure à 1 ohm.

Les foyers alimentés sont les suivants :

1° Douze lampes Edison modèle B, qui fonctionnent avec 55 volts de force électromotrice, montées en dérivation ; 2° Quatre lampes Reynier à incandescence à l’air libre montées en tension ; 3° Une lampe à arc voltaïque.

Soit dix-sept foyers qui dépensent en tout 25 ampères sur une pression ou force électromotrice effective d’environ 50 à 55 volts.

Les accumulateurs ayant une force électromotrice initiale de 71 volts, et les foyers fonctionnant avec des potentiels de 50 à 55 volts seulement, on intercale dans le circuit général des résistances manœuvrées par un commutateur à clavier, résistances qu’on diminue au fur et à mesure de la décroissance de la décharge pour maintenir un éclairage constant.

Les quatre lampes à incandescence à air libre sont comme nous l’avons dit, établies en tension sur un même circuit. M. Reynier a employé, pour que l’extinction accidentelle de l’une de ces lampes n’affecte en aucune façon le fonctionnement de toutes les autres, un dispositif très ingénieux appliqué d ailleurs pour la première fois il y a deux ans, à la blanchisserie Duchenne-Fournet de Breuil-en-Auge. Entre les bornes de chaque, lamp SO ?t etabhs uatre petits couples secondaires, ou voltamètres au zinc, montés en tension, et dans un sens tel que leur force électromotrice soit opposée à celle de la source. Il résulte de cette disposition que, tant que la lampe fonctionne, il ne passe aucun courant dans le circuit des voltamètres ; s’il se produit une extinction le courant passe alors tout entier dans les voltamètres qui se substituent ainsi automatiquement à la lampe sans troubler le régime de circulation dans aucune partie du circuit.

Telle est, dans son ensemble, l’installation faite à Nantua par. M. Émile Reynier. Elle montre qu’avec une force motrice et un générateur électrique de médiocre puissance, un matériel restreint, on peut, grâce aux accumulateurs réaliser un éclairage relativement important, et faire ainsi provision d’électricité pour la répartir ensuite, au fur et à mesure des besoins, en utilisant d’une manière continue toute la force motrice dont on dispose, au lieu de n’utiliser cette force et le matériel engagés dans l’opération que pendant une partie du temps seulement. L’emploi des accumulateurs présente aussi l’avantage de rendre l’éclairage absolument indépendant du fonctionnement ou non fonctionnement de la machine génératrice, ce qui est, dans bien des cas, un sérieux avantage. La régularité de l’éclairage est aussi parfaitement assurée et l’éclairage que nous signalons ne laisse rien à désirer à ce point de vue.

Les expériences de M. Émile Reynier présentent un très grand intérêt et nous les suivrons avec toute l’attention qu’elles méritent : les accumulateurs au plomb zingué et au plomb cuivré sont aussi des nouveautés sur lesquelles nous attendrons les mesures qui doivent être bientôt faites, avant de dire s’ils réalisent quelques progrès sur les accumulateurs de M. Planté et de M. Faure. En tout cas, M. Reynier nous semble entré dans la vraie voie de l’utilisation des forces naturelles : produire d’une manière continue et ne dépenser qu’au fur et à mesure des besoins. Si ce mode d’opération donne un rendement moins élevé que le transport direct, il permettra, par contre, une bien meilleure utilisation, et la compensation pourra, dans bien des cas, être plus qu’établie.

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