La traversée de la Tamise en aval du Pont de Londres

La Nature N°509 - 3 mars 1883
Lundi 14 juillet 2014

On sait que le dernier pont établi sur la Tamise, lorsqu’on va de sa source à son embouchure, est le pont de Londres. À partir duquel, depuis la Tour de Londres jusqu’à Blackwall, le lit du fleuve n’est plus qu’un vaste port, le plus fréquenté du monde entier, puisque le mouvement commercial annuel, y compris le cabotage, dépasse 80 000 navires dont le jaugeage est de plus de 15 000 000 de tonneaux, et que le mouvement des marchandises y représente environ 4 milliards. Ce port a tout naturellement amené la création d’immenses docks et entrepôts, un accroissement immense de la population, ainsi que l’établissement de nombreuses lignes de chemin de fer.

Des communications faciles, rapides et permanentes entre les deux rives du fleuve, sont donc rendues chaque jour plus nécessaires par cet immense mouvement industriel et commercial. La question est assez difficile, puisque le système de communication doit être établi sans gêner la circulation des navires dans le port, ou du moins dans la partie du port en amont du point où doit être établi le système de communication projeté.

La Chambre du commerce de Londres s’est intéressée à cette question et a provoqué une sorte de concours en offrant l’hospitalité de la salle du Conseil pour une exposition publique des différents projets de nature à établir des communications faciles entre les deux rives, par un moyen quelconque, tunnel, pont flottant, pont tournant, etc.

Onze ingénieurs et constructeurs ont répondu à cet appel, et les projets exposés, dont l’Engineering de Londres nous fait connaître l’économie et les principales dispositions, présentent, à côté de l’intérêt particulier, un intérêt général plus grand encore, car leur examen n’est qu’une étude complète des moyens dont dispose aujourd’hui l’art de l’ingénieur pour résoudre un problème de cette nature.

Le projet qui porte le numéro 1 est un pont double d’une disposition particulière dû à M. Grace.

C’est un pont à bas niveau établi à la manière ordinaire depuis le bord de chaque rive jusque vers le milieu du fleuve, mais avant d’arriver au milieu, chaque branche se bifurque et se double ; chacune des branches de ce double pont porte une arche oscillant autour d’un axe vertical, de manière à pouvoir s’ouvrir ou se fermer à volonté. L’une de ces arches au moins, sera toujours fermée de manière à assurer une circulation continue pour les piétons et les véhicules : un bateau voulant franchir le pont devra d’abord traverser la première branche - la branche d’aval s’il remonte le fleuve, la branche d’amont s’il le redescend - qui se refermera derrière lui, et attendre que la seconde branche du pont s’ouvre pour le laisser continuer sa route, la manœuvre étant analogue à celle d’une écluse.

Le projet n° 2 porte le nom de MM. Maynard et Cooke. Il consiste en un tunnel métallique de haut niveau, très peu inférieur au lit du fleuve, pour éviter tout plan incliné et tout système de machinerie hydraulique destiné à rattraper des niveaux. Ce tunnel serait construit par tronçons de 60 pieds (18 mètres) de longueur, avec des tôles et des armatures, comme la carcasse d’un navire ; on fermerait les extrémités de chaque section et on l’amènerait, par flottaison, jusqu’au point où elle doit être posée. Le travail de raccordement sous l’eau serait fait à l’aide de caissons à air comprimé ménagés à chaque extrémité.

Le projet n° 3, exposé par M, J. Pitt Bayley, est un pont à bas niveau avec arche centrale mobile de 70 pieds (21 mètres) de longueur relevée perpendiculairement à l’aide de pistons hydrauliques jusqu’à laisser un passage libre de 90 pieds (27 mètres), hauteur mesurée depuis le niveau de la haute mer.

Le projet n°4, présenté par MM. Bell et Miller, est un bateau flottant de grandes dimensions, presque circulaire et commandé par quatre hélices indépendantes, deux à l’avant, deux à l’arrière. La nouveauté du système consiste dans le procédé adopté pour racheter à chaque rive la différence de hauteur entre le pont du bateau et le quai de débarquement qui se trouve au niveau des mers, à plusieurs pieds au-dessus. Le bateau est soulevé tout entier par un système de presses hydrauliques placé sur le lit du fleuve. Le piston traverse la coque du navire par un regard placé au-dessus du pont ; lorsque le bateau se trouve soulevé, le bout qui reçoit la barge se trouve bien au-dessus du centre de gravité de la masse, de sorte que la charge se trouve toujours en équilibre stable.

Les projets n°5 et 6 présentent peu d’intérêt ou de nouveauté.

Le projet n°7, de M. C. T. Guthrie, est une sorte de tramway sous rivière qui rappelle par plus d’un point le pont roulant de Saint-Malo.

Le n°8, de MM. John Stanfield et Latimer Clark, est double, il comporte en effet un pont ou un tunnel.

Le pont est une simple arche assez élevée pour laisser passer les navires sans basculer. A chaque extrémité se trouve un ascenseur hydraulique double avec plateformes de dimensions suffisantes pour assurer l’écoulement du trafic accumulé à chaque extrémité pendant les mouvements des deux plateformes. Une disposition analogue est établie pour le tunnel. On ne prévoit aucun plan incliné, le service étant fait exclusivement par les ascenseurs hydrauliques.

Le projet n°9, dû M. G. W. Shinner, est aussi un pont flottant, avec plateforme mobile pour rattraper les différences de niveau entre la haute et la basse mer.

Le projet de M. E. Allen (n°10) se compose d’un pont flottant à bas niveau avec arche centrale mobile.

Le dernier projet, dû à M. J. H. Greathead, est un tunnel avec quatre plateformes d’ascenseurs il chaque extrémité. Grâce à cette disposition on aurait toujours à chaque bout une plateforme prête à la réception du trafic et toute perte de temps serait ainsi évitée.

La Chambre du commerce de Londres a nommé une Commission spéciale pour étudier ces différents projets. L’Engineering réserve ses critiques jusqu’au moment où la Commission aura fait connaître son opinion, mais il fait entrevoir une combinaison qui réduirait tous ces plans à néant, combinaison qui aurait pour effet de centraliser sous une direction unique, les quais, les embarcadères, les docks, les chemins de fer, les ponts et les tunnels affectés au service du port de Londres.

La Chambre du commerce pense que les intérêts maritimes souffrent de l’état de division actuel, et qu’ils seraient mieux servis par une direction unique dans laquelle les jalousies, les compétitions, et le désir de faire payer les charges par les uns au profit des autres, cesseraient d’exister.

Quoi qu’il en soit, le problème se retrouvera de nouveau posé, sinon dans les mêmes conditions administratives, du moins dans les mêmes conditions techniques, et nous avons cru utile de faire connaître dès à présent les différentes solutions proposées.

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