Le second chemin de fer électrique de Londres

Émile Dieudonné — La Science Illustrée N°561 - (27 août 1898)
Dimanche 29 décembre 2013

Le 12 juillet dernier, en présence du duc de Cambridge, a été inaugurée la première section complètement achevée du second chemin de fer électrique souterrain de Londres, le Waterloo and city Railway. L’objet de ce premier tronçon est de permettre à la London et South Weitern Co d’accéder de son terminus actuel de la station de Waterloo au cœur de la cité. La nécessité de cette liaison fut reconnue par les directeurs de la compagnie depuis plus de cinquante ans, et, de temps à autre, apparaissaient des projets de réalisation. Ils comportaient tous une dépense énorme variant de 75 000 000 à 125 000 000 de francs. Les directeurs étaient peu enclins à payer d’une si forte somme la pénétration dans la cité, mais quand il leur fut démontré que le projet pourrait être réalisé au moyen d’un chemin de fer électrique à niveau profond au prix de 12 500 000 francs, ils se décidèrent sur-le-champ à son acceptation.

Le succès de la traction électrique s’était déjà affirmé sur le chemin de fer souterrain du South London ; aussi le Parlement s’empresse-t-il d’accorder son assentiment à la construction d’une double ligne en tunnel de Waterloo à Mansion House.

La construction du tunnel a été faite d’après le système tubulaire qui avait déjà été employé pour le City and south Railway, avec le perfectionnement que lès espaces entre les brides ou collerettes du tubage du tunnel ont été remplis d’un briquetage, tandis que sur la ligne primitive les tuyaux de fonte sont restés exposés. Cette amélioration a pour résultat une diminution considérable du bruit. Nous réservons pour un autre moment l’étude des procédés de construction du tunnel reposant, du reste, sur l’emploi, maintenant vulgarisé, du bouclier.

Appelons tout de suite l’attention sur l’essai d’éclairage des galeries, sur toute leur longueur, au moyen de grandes lampes à incandescence placées à hauteur des fenêtres des voitures. La prodigalité de dépenses afférentes au courant peut paraître coûteuse, mais si on veut bien se souvenir que les ouvriers de la voie auront constamment à travailler dans le voisinage d’un rail conducteur d’un courant au potentiel de 500 volts et que les lampes à l’huile de naphte sont prohibées à cause de la mauvaise odeur qu’elles répandent, cette dépense se trouvera justifiée.

Les opérations commencèrent en juin i894 par l’érection d’échafaudages sur pilotis dans le lit de la Tamise, à peu de distance en amont du pont de Blackfriars. Deux puits furent foncés jusqu’à la profondeur à laquelle devait être creusé le tunnel. Tous les matériaux d’excavation, les cuvelages, le ciment, les briques, etc., passèrent par ces deux puits ; le transport par voitures n’entrava pas la circulation des rues ; l’évacuation des déblais, de même que l’adduction de tout le matériel de construction s’opérant par chalands.

La nouvelle ligne a un développement de 2 400 mètres ; chaque voie est établie dans un tunnel distinct ; ces deux tunnels métalliques sont ou juxtaposés ou superposés suivant les circonstances locales des terrains traversés. Ils sont situés à une profondeur moyenne d’environ 25 mètres en dessous du sol des rues ; ils sont formés de. tubes en acier de 22 millimètres d’épaisseur et de 3,50m de diamètre intérieur. Aux stations et sur une longueur de 115 mètres, le diamètre a été porté à 6,40m.

Pour accéder aux gares, on a creusé trois puits à l’endroit de chacune d’elles : l’un de 5,50m de diamètre et d’une profondeur de 23 mètres renferme deux escaliers en spirale ; les deux autres, du diamètre de 7 mètres et d’une profondeur de 26 mètres servent de cages à quatre ascenseurs, qui montent et descendent à la vitesse de 0,76m par seconde ; la capacité de chacun est de 100 voyageurs.

Les plus grandes difficultés ont été rencontrées aux terminus de lignes. À Waterloo, la gare du chemin de fer souterrain est située immédiatement en dessous des quais de la South Western Co ; la différence de niveau est exactement de 12,30m. Il y a, entre les deux stations, trois chemins d’approche en plan incliné et deux issues sur les rues. Ces cinq déclivités conduisent à un hall commun de grandes proportions, trois chemins spacieux se dirigent en biais vers chacun des deux quais d’embarquement ayant individuellement 4,20m de largeur. La voie et le quai d’arrivée occupent une arche. La voie de départ et son quai occupent l’autre adjacente, les deux voies sont séparées par un pied droit en briques. Du hall de distribution des billets, le public accède à la plate-forme des quais par un tourniquet.

Les voitures sont de construction similaire à celle du chemin de fer élevé à New-York. Chaque train se compose de quatre voitures — deux voitures motrices aux deux extrémités et deux voitures remorquées interposées entre les deux premières. Chaque voiture repose sur un boggy à deux essieux.

La voiture de tête et la voiture de queue ont un équipement double de moteurs, la plate-forme sur laquelle se tient le conducteur est séparée de la caisse des voyageurs par une cloison. Le nombre de sièges dans chaque voiture automotrice est de 46, dans les voitures remorquées il y en a 56, de sorte que la capacité totale utile du train est de 304 places bien déterminées par des divisions séparatives. L’espace intérieur du véhicule permet encore d’en augmenter la quantité.

Les véhicules sont pourvus de frein Westinghouse continus à l’air comprimé.

Le maximum de vitesse admise est de 40 kilomètres à l’heure. La fréquence des trains a été fixée à cinq minutes d’intervalle. Un fonctionnement quotidien de dix-huit heures atteindra une capacité de transport possible de 16 000 000 de personnes dans chaque sens, soit un total de 32 000 000 de personnes transportées. Il n’est pas imprudent de supposer qu’en pratique la charge de chaque train sera de 100 voyageurs. En estimant le prix de la course, en moyenne, à 0,20fr. et à 0,30fr. pour l’aller et le retour, et, en supputant les cartes d’abonnement à raison de 0,15fr. par voyage simple, le revenu brut s’élèvera à la somme de 2 500 000 francs.

L’énergie motrice est engendrée dans une usine qui comporte actuellement cinq unités génératrices d’une puissance de 300 chevaux chacune, une sixième formation est en cours d’installation. L’unité consiste en une machine à vapeur à grande vitesse Belliss commandant directement un dynamo générateur débitant 400 ampères à 550 volts.

La vapeur est produite par une batterie de six chaudières marines à vapeur desséchée, munies de foyers à chargement de charbon automatiques.

Les trains arrivent aux plates-formes des gares par une rampe qui ralentit leur marche avant l’arrêt, au démarrage, au contraire, ils descendent tout de suite sur une pente à la suite du palier. Par ce dispositif, ils atteignent très promptement l’accélération correspondante à la vitesse commerciale. Au moment du démarrage, on a remarqué à peine la diminution d’éclat des lampes à incandescence branchées sur le même circuit, cela tient aussi à la disposition en pente des voies de sortie des gares.

Les journaux de Londres ont rapporté que le travail de construction et d’installation a été exécuté en quatre ans, qu’il a été poursuivi sans interruption et sans qu’on ait eu à enregistrer un sérieux accident.

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