Identification des charbons

F. Pasteur, La Nature N°2977 — 15 mai 1936
Lundi 24 juin 2013

Les variétés du charbon sont presque aussi nombreuses que les mines dont il est extrait, et ses qualités différentes, suivant son origine, le désignent à certains emplois très particuliers. Donnons, à titre d’exemples, l’extraction du gaz d’éclairage et des sous-produits de l’industrie chimique, les cockeries, la forge, la fusion des métaux, les fours du verre et de la céramique, le puddlage, le chauffage des générateurs à vapeur, des foyers domestiques qui font appel tour à tour aux différentes houilles sèches ou grasses, à courte ou longue flamme, maigres, anthraciteuses, enfin manutentionnées, purifiées ou composées de tout-venant. Il y a lieu d’envisager également sa combustibilité rapide ou lente avec fort ou faible tirage, à petit ou haut potentiel thermique, afin d’obtenir des températures moyennes, tempérées, fortes et la façon de se comporter suivant le foyer dans lequel il sera consumé et les résidus et cendres qu’il laissera après sa destruction. Cependant, mis à part quelques professionnels rompus à cette détermination, il est peu de personnes parmi celles qui ont besoin de le connaitre, qui soient capables de le distinguer et de l’apprécier. Cela est dû sans doute aux difficultés d’acqué­rir, en dehors de la profession, cette pratique du métier, mais encore à l’absence, jusqu’à ce jour, de toute méthode, de toute documentation élémentaire mise à la disposition des non initiés à cette recherche. En orientant les divers charbon­nages vers une spécialisation qui, tout d’abord, apparaîtrait par erreur préjudiciable, les industriels acquerront bien vite la conviction que cette utilisation dirigée va au gré de leur propre intérêt. Certains l’ont déjà compris et dans ce but ont transformé sur place leur compagnie de vente d’un charbon peu rémunérateur en une société productrice d’énergie élec­trique, en employant sur le carreau même de la mine, dans des générateurs adaptés, des charbons de qualité trop inférieure pour la vente.

Quelques notions rudimentaires permettront déjà un certain discernement, à l’aide de quelques caractères simples. Tels sont l’aspect brillant ou mat, lisse ou grenu, la légèreté ou la lourdeur du charbon. Signalons encore sa dureté, sa friabilité, son onctuosité, sa cassure franche par clivage ou dislocation, ou son écrasement sous un coup de marteau ou par l’entre-choc de deux blocs frappés l’un contre l’autre. A ces divers signes généralement connus, nous en ajoutons d’autres presque aussi commodes à mettre en évidence, en tout cas d’au moins égale importance. Si à l’aide d’une pince en fer à creuset des laboratoires, on présente un morceau de charbon à la flamme de la veilleuse d’un bec Bunsen, on entend parfois un crépitement comme le grésillement du sel sur le feu, tantôt il se produit de véritables éclatements en petites parcelles. Tantôt on ne note aucune altération, ni fragmen­tation, ni odeur, tantôt il se dégage de la vapeur d’eau facile à constater par une nouvelle pesée et très sensible si le charbon est absorbant et a séjourné au préalable dans l’eau. Tantôt encore on perçoit l’odeur de fumées bitumeuses, fuligineuses ou soufrées. Enfin une simple manipulation déterminera deux propriétés physiques assez rigoureuses pour établir les données d’une classification générale et une documentation fort utile : la conductibilité électrique et la densité.

Conductibilité électrique

Cette épreuve permet de constituer trois grandes caté­gories de charbons : les conducteurs dont la résistance dépasse rarement 10 ohms, les semi-conducteurs à grande variation de conductibilité, susceptibles d’être partagés en nouveaux groupements plus homogènes par l’expérimenta­teur en possession d’un charbon d’origine sûre. Enfin des charbons seront considérés comme mauvais conducteurs parce qu’ils ne laissent passer que des fractions de micro­ampères, et d’autres comme isolants. Parmi les nombreux examens que j’ai pratiqués, je n’ai rencontré que deux espèces de charbons vraiment conducteurs. Le Dong- Trieu rentre dans la première catégorie. Une simple lampe de 15 v s’allume sur un courant de même tension quand on le ferme sur un morceau de ce charbon. Avec le Donetz, la résistivité augmente et a pu varier de 30 à 2000 ohms. L’étude de ces résistances se fait sans difficulté à l’aide des appareils habituels que certains constructeurs ont mis à la portée du public : ohmmètre, pont de Wheatstone, pont de Kohlrausch servent dans maints laboratoires et sont également à la disposition de tout électri­cien qui s’occupe du fonctionnement des lignes électriques exté­rieures. Mais un simple voltmètre et un ampèremètre conve­nablement placés, l’un en dérivation et l’autre en série, donnent cette évaluation par la simple application de la formule d’Ohm adaptée à la connaissance d’un de ses facteurs, c’est-à-dire R = V/I où la résistance est égale au quotient des volts par l’intensité du courant exprimée en ampères. Dans la pratique, c’est le procédé que j’ai employé, en me servant directement du courant de ville dévolté par une lampe de 110 v mise en série et de préférence sur le positif quand on a du continu afin d’éviter toute surprise d’une mise à la terre. Le contact et la fermeture du courant se fait par l’intermé­diaire de deux pointes distantes de 2 cm, connectées aux deux pôles et fixées à l’extrémité d’un manche isolant facile à manier et d’un solide appui. Parfois la conductibilité est si faible que la lampe ne s’allume pas et que l’on ne constate que de faibles étincelles au niveau du contacteur promené à la surface du charbon. Avec les anthracites belges et anglais, une lampe au néon donne une lueur à peine perceptible. L’appa­reillage électrique ne pourrait-il même bénéficier de quelques-unes de ces propriétés de conductibilité ou d’isolement ? De plus, les charbons soumis à notre observation n’étaient pas conducteurs de la chaleur. Citons parmi ces derniers isolants, les plus nombreuses variétés : Charleroi, hollandais, kohlschult, Ruhr et français. La section du morceau de charbon était toujours très considérable par rapport à l’intensité du courant qui le traversait et, en conséquence, négligée dans mes calculs. Enfin dans nos expériences, la conductibilité décroît avec la diminution de la densité pour disparaître vers 1,35.

Densité

Le deuxième moyen de différencier des charbons est de con­naître leur densité. On sait que le triage et le lavage, sauf pour le tout-venant des grandes industries, les ont débar­rassés des pierres, schistes de toit et diverses impuretés. Cette préparation leur confère une certaine fixité et homogénéité. Des densités par trop disproportionnées résulteront donc en partie d’absence ou d’insuffisance de cette épuration ou de mélanges postérieurs réalisés dans l’intention et le but d’en modifier les propriétés et la valeur pour des fins diverses. On choisit un grand bocal cylindrique en verre, de près de 2 1 de capacité. Un trait horizontal, bien visible, est marqué vers le tiers supérieur de sa hauteur, indiquant la limite du niveau de l’eau qu’on y verse. Il est installé verticalement sur un support fixe. L’ajutage inférieur qui le termine est muni d’un robinet et mieux d’un gros tube de caoutchouc moins susceptible de s’encrasser, et serré entre les deux petits plateaux d’une pince de Mohr qui en ferme la sortie. Tout morceau de charbon pesé est mis dans le bocal et déplace en haut une certaine quantité d’eau égale à son volume. Cet excès s’écoule dans une éprouvette graduée placée au-dessous et qui en donne, par lecture directe, la quantité en centimètres cubes. On peut procéder ainsi et successivement à plusieurs opérations tant que la capacité et la grandeur du bocal le permet. Il ne reste plus, en possession des résultats obtenus, qu’à appliquer la formule connue : D (densité) = P (le poids) divisé par V (le volume). Les variations dues aux tempé­ratures n’ont aucune importance puisque c’est le volume que l’on évalue. Le charbon est d’ailleurs à la même température ambiante et sa faible chaleur spécifique et sa dilatabilité bien peu appréciable sont négligeables dans ces mesures. Bien qu’approximatives, elles restent suffisamment exactes. Celles que nous avons faites, nombreuses, nous ont donné des moyennes assez constantes avec un charbon de même origine, épuré et non mêlé ou des variations révélatrices dans les cas contraires. C’est ainsi que le Dong-Trieu nous a révélé assez fidèlement une densité voisine de 1,655 et le Donetz 1,555 parmi les plus lourds des nombreuses séries de charbons examinés. Les autres ont des densités nettement inférieures allant de 1,25 et même au-dessous jusqu’aux densités supé­rieures que je viens de signaler, en s’étageant par degrés et demi-degrés. Toutefois ces résultats ne sont justes et constants que si, le gramme et le centimètre cube étant pris comme terme ultime de sensibilité, on n’effectue ces mesures que sur des blocs de charbon d’un poids au moins égal à 300 gr. Avec les gailletins, têtes de moineaux et fines, il faut réunir ensemble un certain nombre de morceaux correspondant à un poids équivalent. Cette systématisation nous a été rendue pénible par la difficulté d’obtenir des charbons d’extraction d’origine et de pureté absolument sûre. Nul doute qu’avec des charbons de choix, on ne puisse dans un laboratoire pousser plus loin encore une telle différenciation. Ces propriétés physiques permettent un contrôle et une vérification pour tout chef d’entreprise, acheteur, vendeur ou usager et pour les compagnies minières qui l’extraient, le manipulent et le livrent, et, semble-t-il, ne manqueraient pas d’un très grand intérêt.

Médecin Général F. Pasteur

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